Dimanche 9 juin 1833
Le bruit s'est répandu hier
qu'une des chaudières du rernorqueur le Neptune,
parti de Rouen sarnedi à midi, avait fait explosion dans la
nuit
de dimanche à lundi, aux environs de La Mailleraye ; que le
capitaine et plusieurs hommes de l'équipage avaient
péri,
et que d'autres hommes avaient été plus ou moins
grièvement blessés.
Des renseignernens encore un peu vagues, que nous nous sommes
procurés, nous ont appris que ce n'est point au Neptune, mais au Vésuve
que l'événement est arrivé. On ne
parlait plus que
d'un seul chauffeur tué, ce qui serait encore trop ; et
I'avarie
n'a pas été assez grave pour qu'à
l'aide de celles
de ses chaudières qui sont restées intactes, le Vésuve
n'ait pu descendre d'au-dessus de la Mailleraie jusqu'à
Caudebec.
Peut-être, nous l'espérons, d'autres
renseignements plus positifs viendront-ils atténuer encore
le mal.
Les personnes disposées à voir toujours le
mauvais
côté en toute chose, ou a s'effrayer de tout, ne
vont
point manquer de prendre texte de cet événement
pour
crier aux dangers de la navigation à la vapeur. Ces dangers,
cependant, nous n'hésitons pas à l'affirmer, sont
bien
moindres que ceux des voyages sur les routes de terre.On tient note
exacte de tous les accidents arrivés aux paquebots
à
vapeur, tandis que les accidents bien plus nombreux des diligences, ou
ne sont point notés, ou ne s'ebruitent pas, à
moins de
circonstances extraordinaircs, hors du cercle de la localité
qui
on est temoin. Eh bien ! depuis quinze ans que nos rivières
et
nos côtes sont sillonnées par de nombreux bateaux
à
vapeur, on connaît deux accidents suivis de mort d'hommes :
celui
du bateau de Lyon au mois de mars 1827, et une perforation de
chaudière en 1828 ou 1829, au paquebot de Bordeaux
à
Langon. Et si l'on mettait en regard la liste des personnes
tuées on mutilées par des chutes de diligences,
cette
liste offrirait un tableau bien autrement effrayant. La
conséquence pour les peureux serait qu'ou ne doit pas monter
en
voiture, ne fut-ce que pour venir de Déville, oo pour aller
à Bapeaume, parce qu'en descendant la côte d'un
côté ou de l'autre de la barrière, un
cheval peut
s'abattre, renverser la voiture et vous casser bras et jambes, ou
même la tête.
Sans aller chercher nos exemples dans la France entière,
voyons
seulement ce qui se passe sous nos yeux dans la navigation de la Seine.
Quinze à vingt bateaux à vapeur, de diverses
forces,
parcourent cette rivière, les uns de Paris au Havre, et
d'autres
sur des points intermédiaires ; mais cc n'est point
exagérer qu'évaluer a 200 lieues au moins par
jour la
distance moyenne parcourue par tous ces bateaux réunis ; ce
qui
fait plus de 72,000 lieues par an.
Voilà plus de dix ans que la navigation à vapeur
est
active sur la Seine ; ainsi, par ce genre de navigation, plus de
720,000 lieues ont été parcourues et c'est pour
la
première fois, aujourd'hui, qu'un accident grave survient !
Comment donc en induire la probabilité du renouvellement de
semblable malheur ? autant vaudrait dire que parce que
l'écrou
d'une des roues d'une des nombreuses diligences qui vont de Paris
à Rouen s'est détachée, parce qu'une
feuille d'un
des ressorts s'est cassée, parce qu'une pierre se trouvant
dans
une descente, sur le passage de la voiture, l'aura fait verser, il ne
faut plus aller à Paris. La conséquence serait
tout aussi
logique.
P. S. Voici ce que nous lisons dans Ie Journal du Havre hier soir cet événement.
Un accident bien déplorable vient d'avoir lieu en Seine,
à bord du remorqueur le
Vésuve
de notre port. Cc bateau a vapeur se trouvait hier à la
hauteur
de La Mailleraie, lorsqu'un de ses bouilleurs, petite
chaudière
de son appareil, a éclaté. Le
mécanicien,
placé près du foyer de l'explosion, a
été
tué sur le coup : le chauffeur a été
grièvement blessé. La feu s'est
déclaré
à bord par suite de l'explosion; mais les effots de
l'équipagc ont fini par maitriser totalement l'incendie. Le
chauffeur a été immédiatement
transporté
à terre pour recevoir les secours que réclamait
son
état alarmant.
Le chalan qui remorquait le
Vésuve a été pris par le
chalan. Un rnécanicien, parti du Havre, a
été aussitôt remplacer à
bord du Vésuve,
qui a pu continuer sa route, le malheureux jeune homme dont la perte
sera vivement sentie par tous ceux qui appréciaient son
excellente conduite et ses talents.
Le Journal de Rouen