Pierre-Hector Mérielle, à Mauny, le 24 août 1810, était fils d'honnêtes cultivateurs qui ne négligèrent rien pour son éducation. Après avoir terminé ses humanités dans l'un des meilleurs pensionnats de Rouen, il se livra à l'étude de la médecine, dont il reçut les premiers enseignements dans les hôpitaux et l'Ecole préparatoire. Après avoir passé quatre années, en qualité d'interne, à l'asile des aliénés de Saint-Yon, il quitta Rouen en 1836, pour aller terminer son instruction médicale à Paris. Il en revint muni du diplôme de docteur et pourvu surtout de connaissances solides et variées.

Il se livra à la pratique de son art, et quelques années après il fut investi, par arrêté ministériel en date du 25 mars 1847, des fonctions de médecin-adjoint de Saint-Yon  il avait laissé d'excellents souvenirs. Le zèle et les talents qu'il déploya dans cette position, le désignèrent tout naturellement au choix du ministre, lorsque le poste de chef du service de santé de cet établissement devint vacant, par suite de la nomination du docteur Parchappc au titre d'inspecteur général du service des aliénés. C'est le 27 mars 1848 que Mérielle fut placé, quoique bien jeune encore, à la tête d'un des plus beaux hôpitaux de France.

Succéder à deux aliénistes aussi éminents que MM. ville et Parchappe, qui, tous deux, avaient été ses maîtres, c'était une tâche lourde et redoutable. Il ne fut pas au-dessous de sa position, et dans ses mains le service médical de Saint-Yon fut maintenu à la hauteur l'avaient porté ses prédécesseurs Cette appréciation a de la valeur quand on sait qu'elle émane de l'habile directeur de l'établissement, le docteur Deboutteville (1), aliéniste lui-même d'une haute distinction. Nous tenons de la bouche du docteur Parchappe que nulle part, en France , le service des aliénés n'était aussi bien fait qu'à Saint-Yon, et que Mérielle avait dépassé toutes ses espérances.

Voici comment un homme compétent, bien placé pour observer, M. le docteur Védie, médecin-adjoint du même hôpital, s'exprime sur son compte de notr :

« D'un esprit élevé, d'un caractère conciliant, plein d'aménité dans les manières, d'obligeance et de bonne grâce pour ceux qui s'adressaient à lui, il était d'un commerce agréable, et l'on ne pouvait le connaître sans l'aimer.

« Aussi était-ce l'homme qui convenait le mieux à sa position ; j'en atteste les regrets de ses chères malades de l'asile, dont je me fais l'interprète. Pendant toute la durée de sa longue maladie, j'ai vu à quel point il avait su se faire aimer et à quel point on le regrettait. C'est que Mérielle avait pour elles cette bonté qui gagne le coeur, cette bienveillance qui entraîne la sympathie , cette sagacité qui lit dans la pensée, cette pénétration qui évite les confidences, cette discrétion qui les garde, cette âme qui sait les recevoir et y compatir, enfin cette générosité du coeur qui, connaissant toutes les douleurs et toutes les misères morales que renferment les asiles, sait trouver le mot qui leur convient, l'idée qui les console et l'expression qui relève le courage abattu...

« Aussi avait-il sur toutes cet empire et cette influence indispensables que donnent toujours les qualités de l'esprit et de l'âme, et savait-il s'attacher par la reconnaissance le souvenir de celles qui, grâce à ses sages conseils, à son expérience, à son habile direction, pouvaient franchir guéries le seuil de cet asile, elles avaient trouvé tant do bienveillance ol de dévoùment.
« Si j'avais à tracer le portrait du médecin aliéniste , à rechercher les qualités nécessaires à celui qui se consacre à l'élude et au soulagement de cette cruelle maladie, mon
modèle serait trouvé : Mérielle les résumait toutes (2) ».

La carrière trop courte de M. Mérielle n'offre qu'une série d'actions modestes, de devoirs accomplis avec scrupule et délicatesse, sans aucun de ces événements qui émeuvent ou étonnent. Fils de ses oeuvres, c'est par une continuité d'efforts et d'études solitaires que notre jeune ami s'est élevé peu à peu au poste honorable de médecin en chef d'un grand hôpital, de professeur adjoint à l'Ecole de médecine, de membre du jury médical et de l'Académie.

C'est en 1853 que notre Compagnie l'avait admis à partager ses travaux. Il s'était fait connaître d'elle, en 1849, par un travail intéressant sur l'invasion et la marche du choléra dans l'intérieur de l'asile des aliénés, dans le courant de cette même année (3). Son discours de réception roula sur l'une des complications les plus fréquentes de la folie, l'hallucination, envisagée surtout au point de vue de la médication, et dans cette dissertation, écrite avec autant de simplicité que de sage retenue, il révéla toutes les qualités de son coeur, toutes les ressources de son esprit , toute la prudence d'un praticien consommé (4). Les quelques rapports qu'il rédigea pour l'Académie en 1854 et 1855 lui donnèrent l'occasion de prouver la variété et la solidité de ses connaissances médicales.

Les travaux écrits de M. Mérielle n'ont pas été nombreux ; le temps lui a manqué ! Mais nous savons que,observateur consciencieux et patient, il amassait avec discernement les matériaux d'un ouvrage sur les maladies mentales. Se défiant trop de lui-même, notre ami  hésitait à se mettre en évidence, et cependant il avait toutes les connaissances dont un autre, plus entreprenant et moins modeste, eût su tirer un brillant parti.

M. Mérielle laisse au sein de l'Académie un vide qui ne sera pas comblé de sitôt. On pourra peut-être trouver pour le remplacer un spécialiste aussi instruit, mais jamais on ne fera oublier à ses confrères attristés l'homme de coeur, aux formes convenables et polies, qui attirait la confiance et le respect, qui portait avec lui comme un parfum d'honnêteté, de franchise et de distinction.

C'est le 30 avril dernier, qu'à la suite d'une fièvre typhoïde provoquée sans aucun doute par un excès de fatigue dans l'exercice de sa profession, notre jeune confrère a été enlevé trop prématurément à l'affection de ses malades, à l'estime de ses concitoyens, à l'art médical qu'il honorait, à l'Académie qui s'enorgueillissait de le compter parmi ses membres les plus assidus.




(l) Discours prononcé par M. Deboutteville aux funérailles du docteur Mérielle.

(2) Discours prononcé par M. le docteur Védie aux funérailles de M. Mérielle.

(3) Précis de l'Académie pour 1849, p. 24.

(4) lbid. pour 1853, p 23.


SOURCES
Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, année 1855-56.