L'abbé de Monchevreuil, on lui aurait donné le Bon Dieu sans confession. C'était un escroc ensoutané...

L
e mardi 23 avril 1822, la dame Bigot, concierge du château de Mauny, est accostée par un prêtre, tout près de la demeure seigneuriale. L'ecclésiastique a le visage avenant et la voix douce. Il se présente comme étant l'abbé de Montchevreuil, chargé par l'archevêque d'administrer, selon son choix, l'une des cures alors vacantes dans la région. Il vient donc à Mauny rencontrer le marquis d'Etampes, patron de l'église de ce lieu. Mais le marquis est absent. Alors, on le présente à son fils, le baron d'Etampes. Qui aussitôt ordonne à la Bigot d'installer cet hôte providentiel au château.

La procession d'Yville

Le jeudi suivant, jour de la Saint-Marc, le curé d'Yville conduit une procession jusqu'à l'église de Mauny. Là, sur le pas du temple, il est reçu par notre abbé de Monchevreuil, en surplis et calotte, paré d'une riche étole appartenant au marquis. Au château, on possède en effet tous les accessoires nécessaires au service divin pour les grandes circonstances. Avec noblesse, le nouveau curé de Mauny laisse son éminent confrère procéder aux rituels religieux.
Mais nous n'avons pas encore vu Monchevreuil célébrer la messe dominicale. Le samedi soir, il se prépare à l'office du lendemain. Seulement, il considère que le calice de l'église n'est pas digne d'une telle cérémonie. Alors, il demande à la dame Bigot de lui montrer celui du marquis, lequel est en vermeil ainsi que sa patène. Monchevreuil les examine avec intérêt. Puis les remet dans leur étui. C'est du moins ce que pensera la concierge. A tort. La patène n'y était pas...

Démasqué


Dans la soirée, le baron d'Etampes apprend que plusieurs escroqueries ont été commises à Rouen par un prétendu ecclésiastique. Celui-ci, raconte-t-on, a réussi à se faire admettre comme sous-diacre par le curé de Saint-Ouen. Revêtu de cette qualité, inspirant la plus grande confiance aux commerçants, il s'est porté acquéreur de différents objets sans les payer sur le champ. Depuis, il est en fuite...
Ressassant cette curieuse histoire, le baron s'interroge. Et si Monchevreuil était cet escroc ? Il s'en confie à l'adjoint au maire qui se transporte au château. Avec quelque embarras, on en vient à demander à l'abbé ses papiers. Qui regrette. Il n'en a pas. On s'enhardit et, en présence de plusieurs témoins, l'adjoint procède à l'examen de ses effets. On les étale sur une table de marbre. C'est alors que le baron remarque, là, maladroitement dissimulée sous des glands de lit, la fameuse patène en vermeil !
Confond
u, l'abbé commence par nier. Puis il avoue son forfait
du bout des lèvres. Son véritable nom ? Morel. S'il a changé d'identité, s'il a endossé la soutane, c'est pour se soustraire au recrutement militaire auquel l'appelait son âge. Mais bientôt, il abandonne cette version. En effet, quelqu'un du château croit le reconnaître en la personne d'un certain Leboucher. Alors, notre faux abbé en profite. Oui, il s'appelle bien Leboucher. Thomas Leboucher. Et il débite encore des fables pour cacher sa véritable identité. L'affaire est maintenant aux mains de la justice...



La demande en mariage


Au premiers jours de mai 1822, Rouen n'est que bruit de cette histoire. La Justice ne tarde pas à y voir clair. Cet abbé de Monchevreuil est bien l'individu qui a escroqué à Rouen la dame Gaudouin, une chasublière. Mais aussi les sieurs Lemoine, libraire et Forté, marchand de parapluies. A eux, il s'était présenté sous le nom d'abbé Lefêvre. De nouvelles recherches permettent de l'identifier avec précision. Il s'appelle Thomas-Noël Adeluc, natif d'Agon, département de la Manche où il a déjà derrière lui une longue carrière d'escroc. Celle-ci remonte à l'enfance avec un vol qui lui avait été pardonné. Enhardi par l'impunité, Adeluc avait depuis fait feu de tout bois.
L'une de ses plus belles supercheries ? En septembre 1820, muni de faux actes de donation, Adeluc avait demandé en mariage la fille du capitaine Robin. Il se disait riche de 400 livres de rente et ritier d'une terre en rapportant 1.200. A cheval sur Saint-Lô et Bayeux, doté d'un mobilier considérable, ce domaine, il le tenait, disait-il, d'une dame de Caen, la veuve Leroux, qui en avait fait son légataire. Pour preuve, Adeluc avait exhibé un papier timbré signé de Me Pierre Lami, notaire à Bayeux. Mais aussi de sa bienfaitrice.
Les bans furent publiés...

Le procès

On allait unir nos deux héritiers. Lorsque Robin découvrit le passé d'escroc d'Adeluc. Fou de rage, le capitaine interdit alors à sa fille de revoir notre prétendu rentier. Mais celle-ci céda au démenti qu'apporta, la main sur le cœur, son bien aimé au visage angélique. Elle consentit à le suivre jusqu'à Jersey où, disait Adeluc, ils se marieraient sans le consentement du père. Au moment du départ, la demoiselle Robin se ravisa.
Quand, en novembre 1822, Adeluc se présente aux Assises de Rouen, il réfute catégoriquement cette histoire. Même quand on lui oppose que, vérifications faites, le notaire Lami et la dame Leroux sont des personnages purement imaginaires.
Reste que le vol de la patène et celui des autres objets subtilisés à Rouen est évident.
Adeluc est défendu par un jeune avocat à l'avenir prometteur, Me Picard. Alors, celui-ci admet les grivèleries commises par son client. Mais ce dont il s'efforce surtout, c'est d'écarter la circonstance aggravante que constitue l'usurpation de qualité. Un curé est alors un fonctionnaire public. Adeluc écopera de sept années de réclusion assorties de la flétrissure et d'une surveillance policière jusqu'à la fin de ses jours.

SOURCES
Journal de Rouen