Paillette ! Sa réclame était au fronton de tous nos cafés de campagne. Ce que l'on sait moins, c'est que cette bière a coulé grâce à un enfant de Sainte-Marguerite-sur-Duclair...

Jacques-Augustin Vallois est né le 30 janvier 1777 à Sainte-Marguerite-sur-Duclair. Ses parents étaient deux cousins germains : Jean Vallois, modeste journalier et Marie-Françoise Vallois.
Le lendemain de sa naissance, on baptisa l'enfant sous les auspices de Jacques-Michel Vallois, domestique à Sainte-Gertrude. Quant à la marraine, ce fut Catherine Martin, la femme de Pierre Glicourt, laboureur de Sainte-Marguerite. Deux parfaits illettrés.

Les années passent. En 1808, on retrouve Jacques-Augustin Vallois au Havre. Il est alors garçon brasseur chez Jean-Baptiste-Pierre Langlois, petit-fils et petit-neveu de fabricants de bière. C'est un havrais qui a vécu un temps à Duclair où il a épousé une fille de Saint-Paër.

Vallois a-t-il fait les campagnes napoléoniennes ? Plus tard, un acte le dira médaillé de Sainte-Hélène mais il ne figure pas dans la base des anciens grognards. Toujours est-il qu'établi dans le grand port normand, Vallois devient le patron de la brasserie sise rue Fontaine-des-Viviers. Et cette maison a déjà plus de deux siècles d'histoire. Elle a été fondée en 1596 par le sieur Denis Glier afin d'approvisionner la taverne attenante. On raconte qu'Henri IV y savoura une pinte un beau jour de 1603.

Le brasseur se marie

Le 18 juin 1810, Jacques Augustin épouse au Havre Marie-Marguerite Mesnil, une femme de treize ans son aînée et originaire de Basse-Normandie. Veuf, le père de Jacques Augustin est venu de Sainte-Marguerite pour assister à ces noces. Sur les hauteurs de Duclair, il exerce maintenant le métier de tisserand. Le frère du marié, homme de confiance au Havre, est également présent. Parmi les témoins, on note encore Jean-Baptiste-Pierre Langlois.
En 1820, Jean-Augustin embauche dans sa petite entreprise un certain Jacques Louer. Et celui-ci épousera Marie-France Paillette. Un nom qui va rester dans l'histoire...

L'essor de la brasserie

En 1832, à 55 ans, Vallois cède sa brasserie à Louer. Il va couler le reste de ses jours avec la qualité de propriétaire. Quand il enterre sa femme, il se remarie en 1840 à une rentière, Désirée Lethuillier. Il demeure alors au n° 4, rue de la Chaussée, à Ingouville. Louer est parmi ses témoins. Vallois meurt à 85 ans le 13 octobre 1862 au N° 4 de la rue des Gobelins.
Entre temps, sa veille brasserie aura pris de l'extension avec l'essor du chemin de fer. Si bien que Jacques Louer transfère la brasserie dans les jardins du pavillon Foache, cette famille d'anciens négriers havrais.
Bientôt, la brasserie Louer devient la principale du Havre, en concurrence avec Saglio et, à Montivilliers, la vieille maison Bobée. Le fils de Jacques Louer épousera lui aussi une Paillette, Émilie. Mais le couple n'aura pas d'enfants. Alors, c'est un neveu, Philippe Paillette, qui hérite de la brasserie. En 1880, elle se qualifie de Grande brasserie alsacienne.

Le vol de la mouette

La modernisation des installations va se poursuivre, notamment dans les années 1900 avec Jacques Paillette, le fils de Philippe. Son gros concurrent est alors la bière Polaire qu'il va finir par absorber à l'aube de la Seconde guerre.  La brasserie Polaire comptait dans ses rangs Hippolyte Félix Douville, né en 1857 à Jumièges et brasseur au Havre à partir de 1885.

Mais cette brasserie avait vu le jour dès 1835, fondée par M. Saglio. Puis virent MM Gunther (1863 à 1866), Lebaudy et Lefrançois (1866 à 1876), Meesemaecker et Mormentyn (1876 à 1886), Bénard (1885 à 1886), Labadie et Cie (1886 à 1890). En cette dernière année éclata un incendie qui fit de graves dégâts. Puis l'enseigne fut Mormentyn et Cie, au capital de 286.000 francs. Cette Société en commandite exploita la brasserie sous le nom de « Grande Brasserie de l'Ouest ». Le 2 Février 1897, la famille Billet acquit la brasserie. En Janvier 1926, elle prit le nom de « Grande Brasserie Polaire ». Polaire occupait presque tout le côté nord de la rue de la Brasserie et une partie du côté sud. Son personnel  atteignait quelque160 ouvriers et le chef brasseur, en 36, deux ans avant l'absorption, était Raoul Klein. En octobre de cette année-là, une grève fut menée suite à la fermeture d'un atelier de tonnellerie.

Jacques Paillette connaîtra la déportation et sa brasserie sera bombardée. Mais son fils Marc Paillette relance l'affaire à la Libération. Distribuée dans tout l'Ouest, la bière Paillette embarque aussi à bord du France.
Et puis un grand groupe rachète la vieille brasserie qui ferme ses portes dans les années 80. Mais la marque est relancée après le passage à l'an 2000 par un maître brasseur de Saint-Arnoult. La blonde à l'emblème de la mouette a de nouveau pris son envol...

Notes généalogiques

Jean Valois, le père de notre brasseur, était natif de Duclair. Ses propres parents avaient pour noms autre Jean et Geneviève Leclerc. C'est le 22 mai 1769, à 26 ans, qu'il épousa sa cousine Marie-Françoise, 29 ans, fille de Jacques Philippe Vallois et Marie-Anne Durosé. La mariée disparut prématurément en 1790 et Jean Vallois se remaria en 1804 à Sainte-Marguerite avec Marie Anne Bourdonné. Il mourut chez son fils au Havre en 1819.

Témoin au mariage de Jacques-Augustin Valois, en 1810, Jean Baptiste Pierre Langlois avait épousé à Duclair, le 1er décembre 1799, une fille de Sainte-Paër, Marie Anne Adélaïde Dussaux, née le 10 décembre 1875 de Charles Laurent Dussaux et Marie Anne Charlotte Douyère. Il était né au Havre le le 9 nobembre 1875 d'un père homonyme et de Marie Madeleine Fortin. A 24 ans, il est alors dit vivant de son bien. Le 22 janvier 1800, il se fait délivrer un passeport révolutionnaire par les autorités duclairoises et on le dit résidant à Saint-Paër depuis quatre mois. Il est porteur d'un "congé de (ré)forme à luy délivré par son corps".
C'est un homme d'1,76 m, cheveux et sourcils châtain, yeux gris, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, front ordinaire, visage ovale et uny (?), inscrit n° 852 pour aller à Rouen, Le Havre et autres lieux du département. Il sait signer

SOURCES

Francis Paillette, du cercle généalogique du Havre, rédige actuellement l'histoire de la brasserie qui porte son nom. Il est membre de Bolbec au fil de la mémoire et de Huguenots de France et anime le site site Généalogie and Caux. http://f.paillette1.free.fr/