Le naufrage du Sully

Par Francis Paillette


Le « Sully » est un trois-mâts sorti des chantiers navals de La Mailleraye. De ce lieu, entre 1764 et 1879, plus de 160 navires sont produits, du petit canot de pêcheur d’une taille de 1 Tx à plus de 700 Tx pour les plus gros.

Après sa construction, en 1869, ce navire de 378 Tx est immatriculé au Havre. Il appartient et est armé par Honoré Auger le 15 janvier 1891 sous le n° 15. Le départ, à destination de la Pointe-à-Pitre débute deux jours plus tard sous le commandement du capitaine Bernard Floury. L’équipage est essentiellement breton et seuls deux marins sont inscrits au Havre.

Entre la destination inscrite sur le rôle et la réalité, il existe une certaine liberté. Il n’est pas rare de voir un navire partir pour les Antilles et aller ensuite pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Un autre parti pour la Nouvelle-Orléans qui fait escale à Bordeaux, la Corogne, la Havane avant d’atteindre son port initial.

Le « Sully », doit se rendre à Vera-Cruz, au Mexique. Au consulat français de cette ville, trois marins viennent faire un rapport le 7 avril 1891. Les trois marins sont, Candelot Edgar, né à Jersey le 12 avril 1871 et inscrit à Granville F° 1117. Thomas Louis, né dans le canton de Plestin le 5 juin 1856 et inscrit à Lannion et Bigot Isidore, né le 20 février 1853 au Havre où il est inscrit F°4831. Tous trois proviennent du trois-mâts barque le « Sully » venant de la Guadeloupe. Il avait dû jeter l’ancre en dehors de la barre d’Alvarado au lieu d’aller à Vera-Cruz pour Topolobampo qui n’est pas ouvert aux navires étrangers.


Naufrage sur les côtes mexicaines, H. Stock.

Le pilote nous a fait mouiller à environ trois milles de la côte, dans la rade. Ces faits se sont passés le 2 avril 1891 vers 11 h du matin. Vers 15 h, un fort vent du nord se lève. Pour renforcer le mouillage, toutes les ancres sont mouillées. Vers 21 h, la chaîne de tribord casse. Rapidement, les deux autres suivirent. Vers minuit, livré à lui-même, le navire est emporté par le courant et va se fracasser sur la côte appelée « Cangrejal ». Malgré nos efforts, il est clair que le vaisseau est perdu. La coque s’est ouverte, les mats sont cassés. L’équipage s’est retrouvé à la mer et chacun a cherché à se sauver comme il a pu. Nous sommes partis tous trois à la nage et n’avons récupéré aucun de nos camarades.

L’acte est signé du consulat de Vera-Cruz Léon Schoenfeld.

Le lendemain, deux corps sont recueillis sur la plage. Ce sont ceux du capitaine et du matelot Ruello. Le navire est désarmé administrativement le 19 mai 1891. Ce drame aura fait dix victimes. Les armateurs français ont obligation de rapatrier leurs marins. C’est chose faite. Un mois plus tard, de retour au Havre, Bigot va reprendre la navigation. Il embarque au cabotage sur l’« Haïtien » le 14 mai 1891. Il enchaîne au long cours sur l’« Aimée » puis sur l’« Alfred ». L’année suivante, un peu moins d’un an après ce drame, Isidore Bigot embarque sur la « Nancy », le 3 mars 1892 à Bordeaux. Trois semaines plus tard, ce brick-goélette fait naufrage. Isidore va survivre une fois de plus. Il va continuer à sillonner les mers jusqu’en 1902 et décède au Havre le 22 novembre 1913 à l’âge de 60 ans2. Le site des Désarmements Havrais comptabilise neuf voyages pour ce navire.3

Francis PAILLETTE.

1 - 6P5_221

2 - 6P5_303

 
 


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