Il ne manquait qu'une lettre à son nom pour écrire mascaret ! Paul Mascart, le douanier de Duclair, était un immense artiste...

Dossier réalisé par
Laurent QUEVILLY.

On peut être né à Condet-sur-l'Escaut un 18 avril 1874 et devenir viscéralement Normand. Engagé volontaire au 12e puis au 6e régiment de chasseurs à cheval, Paul Edmond Marie Mascart tombe amoureux de la Normandie et s'installe à Rouen en 1891 où il entre dans l'administration des Douanes huit ans plus tard. Ce qui manifestement lui laissera quelques loisirs. Alors il suit les cours de Zacharie aux Beaux-Arts. Il les suit si bien qu'il fonde en 1906, avec Marcel Delaunay, la Société des artistes rouennais. "Je rêve depuis longtemps d'une telle société, explique-t-il alors dans la revue qu'il a fondée, Ma Normandie. J'en ai même dit un mot à mon éminent confrère Georges Dubosc..."

Avec l'appui de Paul Baudouin, la société obtient de la municipalité des salles sises au musée des Beaux-Arts pour l'organisation d'un premier salon dont il préface le catalogue en 1907 avec l'ambition réintérée de créer un mouvement artistique à Rouen. 

Lié à Albert Lebourg, Mascart se fera connaître à Paris en exposant au salon de la Société nationale des Beaux-Arts puis à ceux des Indépendants et des Tuileries.


Nommé à Duclair

En 1908, Mascart expose cette fois à la galerie Legrip de Rouen. C'est alors qu'il obtient un poste de receveur des Douanes à Duclair. Il s'installe avec son épouse, Juliette Bouvart, et son fils Daniel sur le quai de Rouen d'où il dispose d'une vue imprenable sur l'activité portuaire et nombre de ses toiles sont réalisées sous cet angle. Et c'est à Duclair que, l'année suivante, leur vient un second fils, Roland. Un siècle plus tard le souvenir du peintre sera honoré à Duclair par la création d'un atelier Paul-Mascart présidé par Brigitte Auger. 


L'école de Rouen

En 1909, un industriel rouennais, François Depeaux, fait don au musée des Beaux-Arts d'un ensemble de tableaux impressionnistes réalisés pour beaucoup par des artistes établis en Normandie. Ce don révèle l'existence d'une école régionale de peinture dont les principaux thèmes sont des scènes intimistes de la vie quotidienne au bord de l'eau. Si les Monet, Pissaro, Renoir et Sisley possédés par Depeaux furent vite dispersés, les toiles des petits maîtres rouennais restèrent sur place. Ainsi naquit un conservatoire provincial de l'impressionnisme. Les artistes de l'école de Rouen ont pour nom Lebourg, Guilbert, Le Maître, Louvrier, Delattre, Cyr, Pinchon, Delaunay, Bordes, Mascart... Ils ont en commun de traduire la tranquilité et la légèreté de l'atmosphère en adoucissant de nuances estompées la profonde réalité des êtres et des choses. 

Le prix Pellecat de l'Académie de Rouen est décerné à Paul Mascart en 1911. Ci contre, une toile de 1913 intitulée Enfants au chevalet. Le décor est sans doute celui de l'appartement de Duclair.

Après une première exposition à l'école centrale des Beaux-Arts en 1919, il présente, l'année suivante, 48 toiles à Paris, Maison Bérier, dont de nombreuses ont pour sujets Duclair, Boscherville... Bref, le canton de Duclair a SON peintre ! 
Jacques Hébertot signe la présentation du catalogue. Ecrivain au racines jumiégeoises dont j'ai publié la biographie en 2017, Gabriel-Ursin Langé donne un compte-rendu de cette exposition dans le Carillon de Caen. Grand admirateur de son travail, il avait déjà parlé de Mascart dans Paris-Journal.

La période calédonienne


En 1928, Mascart est muté en Nouvelle-Calédonie comme inspecteur des Douanes. Il s'y installe le 29 mai 1929 avec sa femme et son second fils et tous deux produisent de véritables reportages ethnographiques sur les Kanak dans les tribus desquels ils vivent en immersion. Grand nombre d’œuvres seront présentées à l’exposition coloniale de 1931. Mais Paul Mascart est également poète et photographe. Le 5 avril 1932, il immortalise la première liaison aérienne France-Nouméa par les pilotes Verneilh et Déré, et le mécanicien Munch. Une rue porte aujourd'hui à Nouméa le nom de celui qui fut vice-président de la Société artistique néo-calédonienne.

Le 14 janvier 1935, il rentre en France et lègue avec son fils une collection d'objets calédoniens  aujourd'hui conservés au musée du quai Branli. On donne deux adresses de Paul Mascart à Paris : 45, rue Lamarck dans le 18e et rue Caulaincourt, même numéro, même arrdondissement. Toujours est-il qu'il établit son atelier sous les toits, à à Montmartre. Retraité en 1936, c'est pour lui l'occasion de participer à plusieurs salons. On le retrouve ainsi à l'exposition internationale de Paris en 1937 mais aussi au Salon des Indépendants. 

Durant la guerre, il reprend du service aux douanes pour quelques mois et on le retrouve à Bordeaux. En 1944, il est à Pouzauges, en Vendée. Mascart a été aussi inspiré par les paysages du centre de la France.

En 1952, à l’âge de 78 ans, Mascart séjourne à la Martinique où son fils aîné dirige les douanes de Fort-de-France. Là, à la préfecture, il réalise une fresque murale et ramène de ce long voyage plusieurs toiles.

Roland Mascart est décédé le 18 novembre 1958 à Paris.

Depuis son décès, il est régulièrement exposé dans le cadre de rétrospectives sur l’École de Rouen qui valorisent sa période normande. En 1960, le salon des Indépendants lui rendit hommage en exposant six de ses toiles dont "Rade de Nouméa" et "Saint-Valery-en-Caux". Outre les collections privées, ses œuvres sont conservées aux musées de Rouen, de Poitiers ainsi qu'un muséum d'Arts Modernes de Paris. En 1979 eut lieu à l'hôtel des ventes de Rouen une séance consacrée à la vente des objets et de la bibliothèque de son atelier. L'affiche représentait les quais de Duclair.

Tel père tel fils

Natif de Duclair, Roland Mascart (1909-1988) fut aussi peintre et photographe comme son père mais dans un style personnel. On leur doit tous deux l'illustration de timbres édités en Nouvelle-Calédonie à partir de leurs œuvres. Rentré en France, Roland aura son atelier au 189 de la rue Ordener à Paris. Mais il effectuera deux nouveaux séjours calédondiens, en 1970 et 1974-1975 qui s'achèvent par une rétrospective des œuvres de son père. En 1978, il épouse Simone Pinart, à Caromb, dans le Vaucluse. 
Après son décès, en 1988, Roland Mascart fit l'objet d'une rétrospective au centre culturel Tjibaou en 2012. Toujours en 2012, Gilbert Bladinières publia Paul Mascart, Roland Mascart : dans la lumière. Un autre regard sur la Nouvelle-Calédonie des années 1930.

Ci-contre : Paul Mascart vu par son fils Roland, 1949.



Voici ce disait en 1911 de Paul Mascart l'Académie de Rouen.

 
Lui aussi, il a commencé par l'Ecole régionale de Rouen, et l'un de ses anciens professeurs, M. Scarcérieau, nous écrit le 15 mai 1911 : « Paul Mascart a toujours été un élève sérieux, assidu ; je n'ai eu qu'à me louer de lui à tous points de vue. Depuis sa sortie j'ai pu constater ses progrès incessants en peinture, grâce à un labeur constant et opiniâtre ».


 Duclair (1915) Une interprétation qui reste très fidèle à la réalité...




Mascart traite au besoin la figure, mais il se distingue surtout comme paysagiste. Les très nombreuses expositions vous avez rencontré ses toiles, à Rouen ailleurs, amènent le public et la presse à juger sa valeur. Il appartientà cette classe d'artistes, ne se contentant pas d'exécuter des tableaux pour la vente, et chez lesquels on trouve des carnets, des albums couverts de notes, de croquis, et de projets attestant une étude sérieuse de la nature, en vue d'œuvres futures.

Ce travail d'incubation, l'Académie a pu s'en rendre compte dans la galerie Mascart envoyait, le mois de juin dernier, un bagage artistique des plus variés. Nous retrouvions, à côté de toiles finies, destinées à l'amateur, des études très vivantes dans leur état de motifs pris sur le vif, sur le rasoir de l'occasion, comme dit Topffer. Indications de mouvements, effets de lumière, notations de temps et d'heures, pochades lestement enlevées à la pointe de la brosse et du sentiment. 
Avec de pareils matériaux dans sa poche, on se trouve facilement en forme, le jour l'on s'asseoit, châssis en main, devant le site aimé. On l'a choisi, on y a pensé la nuit, on l'a analysé sous tous ses aspects, on sait d'avance comme il est tendre sous la fine rosée du matin, à l'aube les lapins rentrent sous bois; comme il est sonore, baigné dans le soleil du soir, alors que des facettes d'or ruissellent sur l'épiderme du fleuve assoupi : on l'a vu fumer, à midi, on l'a vu jaunir au vent de l'automne, défaillir aux glaces de décembre, que sais-je ? On le chérit, ce coin d'amour, car on en a épelé le charme. On le traite en jolie femme ; on l'aime mieux ainsi qu'ainsi, avec sa robe mauve, ou son écharpe bleue, ou son air de rêve, ou son allure tapageuse.



Soleil au soir à Anneville, 1914

Ah
! comme on devrait faire un chef-d'oeuvre alors, si on avait le sens commun. Comme de cette divine union entre la nature qui s'offre et le peintre qui lui demande le baiser suprême, après lui avoir fait longtemps la cour, devrait sortir un être beau, solide, bien portant, et plein des grâces de sa mère.


Les quais de Duclair

Hélas
! triste réveil, amère extrémité de cette lune de miel ! Un chef-d'oeuvre ! Qui ne fait que des chefs-d'oeuvre ? Sur dix toiles peintes en deux mois, combien de passables ? Répondez, Messieurs les artistes diplômés par la Renommée ! Qu'une seule soit réussie et c'est déjà beau. Dans la délicieuse correspondance de Corot, récemment publiée par Moreau Nelaton, je cueille au hasard ce passage : «Depuis que je vous ai vu, mon ami, j'ai fait aux environs de Paris deux études, pas de première qualité. Espérons qu'il en viendra plus tard! »
 
La terrasse sur la Seine à Duclair, 1914, œuvre préparatoire au tableau ci-dessous.

La terrasse à Duclair (1914) La Seine avec un cargo à quai (1912)

Consolons-nous donc, mes chers confrères en art ; si Corot n'était pas toujours égal à lui-même, nous avons bien le droit, nous, les petits, de ne pas être constamment « de première qualité ».


Etude

Ce qu'il faut, c'est, quand on réussit, d'avoir à soi une manière de réussir qui vous reste personnelle. Mascart est toujours bien lui, et sans signature, on dévoilerait l'incognito de ses tableaux. Ils portent tous sa marque. Tous,même les discutables, attestent une sincérité de rendu qui a son prix. Mascart se laisse impressionner par des sujets généralement bien choisis dans les environs de Duclair il habite ; il en dégage le caractère avec science et conscience, plutôt en l'exaltant qu'en le voilant.

La route de Duclair à Boscherville

Sa
palette est chaude, sa brosse est indépendante, quelquefois audacieuse. Il accuse de préférence l'effet dans des tonalités très soutenues. Nous nous souvenons avoir vu, signé de lui, au Salon des artistes rouennais, il y a deux ans, un paysage d'inondation en plein hiver qui donnait, non pas la chair de poule, car les poules détestent l'eau, mais un sentiment d'anxiété et de désolation intense. Ces troncs noirs, en silhouette sur un fond blafard, et sous un ciel mélancolique, emprisonnés de toutes parts et tendant leurs grands bras à tous les vents comme pour appeler au secours ! C'était navrant et c'était parfait.


 Bord de Seine à Duclair

J'ai nommé la Société des artistes rouennais, et c'est bien le cas d'en parler quand on s'occupe de Paul Mascart; il est le premier qui en ait eu l'idée avec M. Marcel Delaunay, son dévoué président, on peut dire qu'il l'a fondée. Dans un journal dirigé par lui, et il traitait les questions d'art, il a lancé le projet en le justifiant : syndiquer les artistes, les mettre en contact avec les amateurs, les pousser ainsi à travailler, faire œuvre de décentralisation, besogne difficile, et aussi besogne excellente. Les rapides succès de cette vaillante Société ont légitimé sa création.




On
doit donc dire que, dans la mesure de ses moyens, Mascart a tendu la main à ses jeunes confrères normands ; à notre tour nous l'aidons de nos encouragements et nous sanctionnons ses progrès. C'est justice.


Avant
tout, Mascart est un persévérant, et comme il aime la nature, il viendra à bout de la pénétrer jusque dans ses arcanes les plus intimes.
«
L'artiste, disait encore Corot, doit avoir une conscience invulnérable. S'il fait desouvrages se laisse voir un défaut, même saillant, peu importe, qu'il poursuive ; on n'est pas peintre en un jour. »

Académie de Rouen, 1911.



Boscherville




La tonnelle fleurie, Duclair, 1913. Vallée de la Seine près de Duclair


Paysages près de Duclair...






Le château du Taillis, à Saint-Paul.

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SOURCES

Académie de Rouen, L'Impressionnisme: du plein air au territoire, Frédéric Cousinié, 2013, Musée des Douanes, 1986, Wikipédia, .





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