Le nom spolié de l'abbé Sébire

par Laurent QUEVILLY.

La généalogie réserve des surprises. Je cherchais un chanoine. J'ai trouvé un guérisseur. Du moins un pauvre curé dont on exploita le nom durant la guerre de 14 pour vendre de la poudre de perlimpinpin aux Poilus. Procès en réhabilitation de l'abbé Sébire...
En 1926, mon père avait 20 ans quand trépassa sa grand-mère, Clémentine Sébire. Ainsi avait-il eu la chance de la connaître. Et de l'entendre raconter ses souvenirs. Mais que lui a-t-elle dit au juste ? Qu'elle était née à Angers, que son frère ou du moins un sien parent avait été chanoine de je ne sais quelle cathédrale...

En entreprenant plus tard ma généalogie, j'ai très vite appris que Clémentine Sébire était née par accident dans le Maine-et-Loir. Natif d'Eu, son père était venu exercer très peu de temps ses talents de cordonnier dans la cité angevine. Il avait vite regagné sa ville natale et je ne m'explique pas encore cette infidélité passagère à la Normandie.

Le berceau des Sébire


Les racines profondes de la famille Sébire sont enfouies à Ussy, village de quelque 800 habitants, près Falaise, dans le Calvados. Elle y est attestée en 1617 et l'est encore de nos jours. C'est ici le nom le plus répandu au recensement de 1836. A cette époque, les pépiniéristes du pays commencent à se faire un nom en produisant pour Turgot, implanté au château de Bons. L'essor du chemin de fer va faire leur fortune quand il fallut fournir des plants d'aubépine pour les clôtures. Pierre Sébire a fondé les grandes pépinières d'Ussy en 1860. Habitant avec ses fils de la manoir du village, il régnera sur 40 hectares et quelque 150 ouvriers. Il sera maire de la commune et après lui ses fils Elmire, Louis, plus tard autre Pierre Sébire de 1975 à 2001, créateur de l'arboretum d'Ussy. Un mot au passage sur Louis Sébire :
en 1918, sursitaire pour remplir sa fonction de maire, il s'oppose à la fermeture des trois cafés de la commune en agressant un officier. Conseil de guerre. Cinq ans de travaux publics. Il fut épargné par une loi d'amnistie...
Depuis, issu manifestement de la même souche que moi, un autre Louis Sébire, agronome, a écrit un ouvrage sur le village paru en 1994. A la même époque, on lui doit un précieux document. Les plus vieux registres paroissiaux furent détruits en mairie en 1944. Mais on en retrouva une copie dans le grenier de l'ancien presbytère, rédigée par un curé au XIXe siècle. Louis Sébire en fit le relevé. Heureuse initiative car la copie du prêtre disparut à son tour.



Peu avant la Révolution, ma branche Sébire a quitté Ussy en la personne d'un Louis. Elle aura transité par Lisieux, Notre-Dame d'Estrées pour s'établir enfin à Eu à qui elle donna bourreliers, cordonniers et autres marchands de cuir. Là, très tôt orpheline, mon arrière-grand-mère s'évanouit un temps dans la nature. Pour réapparaître à Rouen. A 25 printemps, elle fait la connaissance de Théodule Quevilly. " Il était alors palefrenier ", racontait mon père, " elle, elle était couturière " et demeurait 24, rue de l'Hôpital. Le mariage eut lieu en 1865 à Saint-Paër, village de la famille Quevilly. Les quatre témoins jurèrent que Clémentine ignorait tout de ses aïeux. Et ces quatre hommes étaient tous des frères de l'époux. Clémentine Sébire était donc bien coupée de sa famille qui, des années plus tôt, avait pourtant essaimé tant à Eu qu'à Abbeville. Puis Clémentine donnera quatre enfants à Théodule dont une fille handicapée mentale, l'autre amputée avant ses 20 ans, la troisième délaissée par son mari. Et puis mon grand-père Henri Quevilly, ouvrier de filature dans la vallée de l'Austreberthe. La famille sera parmi les plus indigentes de Saint-Paër et Clémentine mourut sur un lit de l'hospice de Rouen. Une hospitalisation  prise en charge par la commune. Triste fin pour cette descendante de maîtres bourreliers...

Mais qu'en était-il de ce fameux chanoine ? D'abord Clémentine n'avait pas de frère. Simplement une sœur aînée, Angélina, dont on perd vite la trace. Alors j'ai longtemps cherché le chanoine Sébire, persuadé qu'il y avait, comme toujours, un petit fond de vérité dans cette légende familiale. Nombre d'ecclésiastiques ont porté ce nom. Je fis notamment la connaissance d'un chanoine Sébire qui, avant d'être enseveli dans la cathédrale de Rouen, exigea que les messes à son souvenir ne soient pas dites par des curés lubriques. Je découvris aussi un abbé Sébire qui, curé de Torcy-le-Grand, menaça d'un revolver un pilleur de tronc. Aucun ne collait. Jusqu'au jour où j'ai fait une découverte surprenante...

Voici l'abbé Sébire

Clémentine Sébire avait bien un grand-oncle curé et dont elle fut contemporaine. Il se prénommait Louis Henry et était né à Abbeville, rue Chaussée-du-Bois, le 12 octobre 1804 de Louis-Marcel Sébire, bourrelier de son état et Anne Marguerite Beaurain. Les témoins de l'événement furent le cabaretier Ducrotoy, un voisin, et le cordonnier Debray qui exerçait place Sainte-Catherine.
Louis-Henry avait hérité du prénom de son frère aîné qui, natif d'Eu, venait tout juste de rendre l'âme ici en bas-âge. Le temps de voir grandir quatre frères et sœurs, Louis fut ordonné prêtre. On le retrouve premier vicaire de la paroisse de Saint-Sépulcre, à Abbeville. A ce poste, il aura côtoyé l'abbé Porchez qui deviendra bientôt évêque de Fort-de-France, à la Martinique. C'est alors que Sébire fait l'objet d'un fait divers. La presse de février 1853  :

Abbeville vient de manquer de perdre encore une de ses églises. Un incendie s'est déclaré dans celle du Saint-Sépulcre pendant la nuit de dimanche à lundi. Les portes de l'église avaient été fermées comme d'habitude à sept heures du soir. A minuit et demi, un voisin rentrant chez lui aperçut une clarté fauve dans la sacristie; il s'empressa aussitôt de donner l'alarme. M. l'abbé Sébire et M. Dequen, arrivés les premiers, pénétrèrent dans l'église et se trouvèrent au milieu d'une fumée épaisse qui les suffoqua. Ils se mirent à sonner le glas, et en un instant tout le quartier fut sur pied. La fumée s'échappait en tourbillon du fond de l'église, révélant que l'incendie était là ; mais ce n'était pas chose facile d'y pénétrer : la fumée, concentrée dans ce foyer, en rendait l'accès impossible.

Il fallut renoncer à l'aborder à l'intérieur, et se borner à attaquer la porte extérieure de la sacristie qui fait face au presbytère. On la fit tomber à coups de hache. Les premiers qui entrèrent dans la sacristie étaient obligés de se jeter par terre pour respirer le peu d'air que la vapeur avait refoulé sur le pavé. On nous rapporte qu'une personne, en se hissant jusqu'à une fenêtre pour y pratiquer une ouverture, faillit plusieurs fois tomber sans vie. En crevant la vitre avec son poing, elle se blessa légèrement avec un éclat de Verre.

Pendant ce temps, les pompes étaient arrivées, et une foule de travailleurs se tenaient prêts à les alimenter, mais leur secours était devenu inutile. Le feu, qui sans doute couvait depuis la fermeture des portes, était resté, grâce à l'absence d'air et à la condensation de la fumée, à l'état de combustion lente. On put facilement l'étouffer. La perte, pour la fabrique et le clergé de la paroisse, s'élève à environ 7,000 fr. Une belle chapelle, appartenant à M. l'abbé Sébire, a été presque entièrement consumée.

L'abbé Sébire habitait alors rue du Fossé. Une maison qu'il ne quittera jamais. Deux ans après cet incident, on le voit vendre en compagnie de ses sœurs plusieurs maisons et une prairie situées rue de la Basse-Chaussée à Eu. Il s'agit de cossus héritages venus de leur mère, née Beaurin. Cette branche Sébire était manifestement plus aisée que celle de Clémentine.

C'est à cette époque que l'abbé Sébire devint l'aumônier de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville, un établissement tenu par les sœurs de Charité et où opéraient de remarquables chirurgiens, comme les Dr Vésigny et Dubois. Au recensement de 1881, Sébire est formellement identifié comme aumônier de l'Hôtel-Dieu et habite toujours rue du Fossé. Il a alors pour servante Julie Vincent, 48 ans. Cette année-là, la Société d'Emulation d'Abbeville se pencha sur une médaille des Harmoniphiles de la ville datée de 1731 et ayant appartenu un temps à l'abbé Sébire. Il la tenait lui-même de l'abbé Froissard, curé de Notre-Dame de la Chapelle qui l'avait recueillie dans les ruines de l'église, attachée autour du cou d'une statue comme un ex-voto. A son tour, Sébire en fit don à M. Macqueron. Ceci pour dire que notre abbé s'intéressait quelque peu aux Antiquités.

En 1882, l'abbé Sébire se fend de 25 F pour contribuer à l'érection d'une statue du pape Urbain II sur son lieu de naissance : Châtillon-sur-Marne.

Un curé dilettante

Mais notre grand-oncle si fait aussi remarquer par sa conduite. En titrant "Domination cléricale", Le Progrès de la Somme du 10 juin 1886 est sévère à son égard :

L'aumônier de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville n'entend pas, parait-il, recevoir d'ordres. Dernièrement, un militaire meurt à l'hôpital. L'enterrement devait avoir lieu le lendemain, mais l'abbé n'en juge pas ainsi, il reste tranquillement chez lui et ce n'est qu'un jour plus tard qu'il daigne dire une messe.
Quelques jours après, un voyageur inconnu tombe, on le transporte à l'Hôtel-Dieu et il y meurt. La maladie à laquelle il avait succombé obligeait l'administration à ordonner de suite l'inhumation, mais M.l'aumônier n'est pas encore de cet avis et, ne jugeant pas à propos de paraître ce jour-là, ce n'est que le lendemain que l'enterrement put avoir lieu.
Ce sans-gêne intolérable inspire au Pilote de la Somme les réflexions suivantes :
Une semblable conduite ne saurait longtemps être tolérée et nous espérons que l'administration des hospices va y mettre promptement bon ordre en se privant du service de ce prêtre par trop fantaisiste qui, payé par l'Administration pour faire son métier, refuse d'obéir aux ordres qu'on lui donne.
Dans ces conditions, un aumônier devient un objet de luxe aussi coûteux qu'inutile.
N'est-pas l'avis de l'Administration ? 


Cette presse omet de signaler l'âge du fautif. A 82 ans, il a sans doute perdu en route quelques qualités professionnelles. Alors, Louis Sébire fut-il de la fête, le 4 août 1991, pour les noces de diamant de Sœur Saint-Pierre, 65 ans au service des malades. L'abbé Dély, archiprêtre d'Abbeville, célébra la grand messe devant les administrateurs de l'hôpital.
En juin 93, on enterra deux nouvelles sœurs, victimes du typhus en soignant la maladie. "Mortes au champ d'Honneur" titre La Croix. Elles avaient été pourtant bénies par Mgr Renou, le jour de son arrivée à Abbeville.

Voilà, c'est tout ce que je sais de cet ecclésiastique avec qui je partage les ascendants. Il n'aura laissé que peu de choses de son passage sur terre. En tout cas pas le souvenir d'un thérapeute. Un jour d'ouragan, le 13 novembre 1894, l'abbé Sébire fut emporté par la mort à l'âge vénérable de 90 ans. Le 20, le journal La Croix annonce la nouvelle dans sa rubrique Nos amis défunts :



Chanoine honoraire ! Je le tenais enfin le fameux chanoine de Clémentine ! Elle avait 54 ans quand il rendit son dernier soupir. A Saint-Paër, en fut-elle informée ? Connaissait-elle seulement son existence ? La famille allait en tout cas entendre parler de lui...

Et l'abbé Sébire ressuscite !


A partir de décembre 1912 soit près de 20 ans après sa mort, apparaissent des réclames qui vont inonder toute la presse jusqu'au moindre bulletin paroissial. On y vante "Le régénérateur de la vie de l'abbé Sébire, ancien aumônier de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville." Cela va de quelques lignes à de très longs articles, très souvent accompagnés d'un portrait. Mais de quoi s'agit-il au juste ? Eh bien d'un "merveilleux aliment" mis au point de son vivant par le "vénéré abbé Sébire". Sa composition ? 20% d'algues et varechs marins alimentaires, 80% de légumineuses maltées diastasées. C'est garanti 20 fois plus nutritif que la viande de bœuf, ce qui permet au tuberculeux de reprendre jusqu'à 5 kg par mois, gage de guérison. Oui, ça vous "crée de la chair, des os, des muscles, du sang, de la matière grise (cerveau)..." Et ça vous chasse toutes les maladies. Toutes !
" Vous avez tout essayé ? Faites un dernier essai. Goût Exquis."
En vente dans toutes les bonnes épiceries. Mais on peut aussi envoyer directement de l'argent au labo qui vous adressera de quoi composer trois potages et une notice accompagnée d'un livre d'or où les innombrables lettres de satisfaction sont certifiées par huissier. Remise pour le clergé. En prime, vous recevrez la lampe désinfectante Poulain, "recommandée par tous les médecins".


Trois erreurs en une seule ligne !          
Correction : Abbé L. SEBIRE (1804-1894)    
 
La mode est au curé

A cette époque, les remèdes miraculeux inventés par des prêtres font florès. Le Régénérateur Sébire côtoie souvent la Jouvence de l'abbé Soury, autre curé normand. Le journal La Publicité s'en amuse : " Il n'y a pas à dire, on n'a jamais vu tant de prêtres dans les journaux que depuis que la loi de séparation est promulguée. Le clergé est mis à toutes sauces et particulièrement à la sauce pharmaceutique.
Je ne dirai aucun mal de l'alimentation iodée de M. l'abbé Sébire, que je n'ai pas l'honneur de connaître, quoique son portrait figure dans la publicité faite pour son produit, mais je trouve quelque peu abusif l'usage répété que l'on fait des découvertes de prêtres et des remèdes d'origine plus ou moins ecclésiastique qu'on prône à chaque instant dans les journaux. D'ailleurs, M. l'abbé Sébire est peut-être mort et cela expliquerait bien des choses, car il n'est pas possible qu'un prêtre se livre à l'exploitation de remèdes comme celui ci, par ses propres moyens ; il lui faut nécessairement le concours d'un pharmacien et encore ce pharmacien fait-il, en vendant un remède spécialisé — c'est-à-dire un remède secret — de l'exercice illégal de la médecine. Mais il semblerait que sous la robe du prêtre s'est réfugié de nos jours le fin du fin de la science thérapeutique et qu'il n'y a plus que dans le clergé qu'on sache établir la formule d'un médicament.
C'est d'ailleurs, pour les prêtres en général, une belle réhabilitation après toutes les avanies qu'on leur a fait subir."

Mais qui se cache derrière tout ça ? Un certain Maurice Poulain, directeur des laboratoires marins d'Enghien, Seine-et-Oise 76, rue du Départ, avec un dépôt à Paris, 49, rue de Maubeuge. L'homme se dit héritier des travaux de l'abbé Sébire et son petit-cousin. Enchanté ! Seulement le petit-cousin, introuvable dans mon arbre généalogique, semble bien mal connaître son parent. Fin 1913, sous la signature de P. de Lorme, l'Univers publie en feuilleton de larges extraits de la brochure de Poulain. La biographie de son cousin curé ne manque pas de sel :

 "Adolphe Sébire naquit à Abbeville (Somme), en 1805, fit ses études au grand séminaire d'Amiens et fut ordonné prêtre à 25 ans, vers 1830. Après les étapes régulières de la prêtrise, nous le retrouvons en 1859 comme aumônier principal à l'Hôtel-Dieu d'Abbeville, où il resta du  reste jusqu'à sa mort, soit
pendant près de quarante ans.
Son souvenir à Abbeville est encore présent à toutes les mémoires de ses contemporains qui le considéraient à juste titre comme un saint homme. Affable et d'un grand tact, il avait sur se concilier toutes les sympathies de ses adversaires eux-mêmes. Son dévouement à soulager les misères humaines, tant pécuniairement qu'en mettant à profit ses connaissances médicales très étendues, fut un bien bel exemple de charité chrétienne, d'autant que le désintéressement de ce grand philosophe était notoire et que le pauvre et le riche, sans aucune distinction, avait droit à ses précieux conseils."

Bon, Sébire ne s'appelait pas Adolphe mais Louis. Il n'est pas né en 1805 mais en 1804. Deux erreurs débutent cette biographie bien vague quant au contenu. Aucune mention de la paroisse Saint-Sépulcre, aucune date de décès, nulle mention de la qualité pourtant ronflante de chanoine honoraire. En revanche, un frère de l'abbé s'appelait bien Adolphe. Mais il est décédé depuis belle lurette, en 1843. Poulain poursuit :

Abbeville est situé à 15 kilomètres de la mer, et c'est dans un périmètre de moins de 20 kilomètres que nous trouvons ces plages si riantes et si pittoresques qui entourent la baie de la Somme, j'ai nommé Noyelles-sur-Mer, Le Crotoy, Saint-Valery, Cayeux, le Hourdel etc. L'abbé Sébire, grand fervent de la mer, était un hôte favori de ces lieux charmants et son plus agréable passe-temps était de se livrer à l'étude de la flore marine. Son système était simple, à cette époque, il paraissait osé, mais l'état actuel de la science donne pleinement raison aux théories de cet humble prêtre.

L'abbé Sébire prétendait que la maladie ne devait pas exister et qu'elle n'était que la conséquence de la déchéance organique. L'abbé Sébire prétendait que la flore marine était capable d'enrayer les maladies les plus graves, non en les traitant directement, mais en mettant l'organisme en état de supériorité et de défense." Un médicament, lance Poulain, est incapable de régénérer l'organisme. La Faculté appréciera...

Voilà un parent de plus en plus éloigné. Ici, dans La Croix du 7 décembre 1913, Poulain se dit cette fois "arrière-petit-cousin de l'abbé A. Sébire". (Sic)
"Il faut, réagit le Petit Parisien, rendre un hommage attendri et reconnaissant à cet humble prêtre, le vénérable abbé Sébire, qui dota l'humanité d'une si précieuse découverte et encourager de tout notre pouvoir le chimiste, Maurice Poulain, son petit-cousin, qui assuma la noble tâche de la divulguer à travers les monde."

Mais qui est Charles Poulain !

Avant cette fin décembre 1912, date à laquelle la presse est arrosée de portraits de Sébire, qui est Maurice Poulain ?
Né le 27 janvier 1882 à Saint-Omer de Charles Poulain, marchand, et de Clémence Augusta Céleste Belbezet, il se prénomme exactement Maurice Auguste Joseph. Les témoins de sa naissance furent Ernest Nègre, représentant de commerce et Alfred Haniche, maître-d'hôtel, tous de Saint-Omer. Lorsque l'on examine la généalogie des Poulain, il n'y a strictement aucun lien avec ma famille normande dont un couple alla s'établir d'Eu à Abbeville, dans la Somme. Les Poulain, eux, ont leurs racines dans le Pas-de-Calais, dans le Nord. Avec un nom pareil, Céleste Belbezet aurait essuyé bien des quolibets dans le Pays de Caux. Je vous laisse le soin d'établir la traduction...
Quand l'abbé Sébire trépassa à Abbeville, Poulain, loin de là, allait sur ses 12 ans à Saint-Omer. On ne voit pas bien comment il aurait hérité des prétendus travaux d'un parent qui ne l'était point.

Alors qu'il est étudiant en pharmacie en 1902, Poulain est versé dans les services auxiliaires pour obésité très prononcée, mis en réserve du 8e RI il sera finalement réformé. C'est un homme de 1,76m aux cheveux châtain clair, L'une de ses sœurs, Gabrielle, sera son associée. En janvier 1904, il est est localisé à Douai, 24, rue de Bellair. Il se marie le 12 décembre à Saint-Omer avec une fille de propriétaires, Yvonne Dolain. Pour le meilleur et pour le pire...

Des débuts à Amiens

Et le pire arrivera vite. Le m. Le 30 octobre 1905, Maurice Poulain est localisé à Abbeville par l'Armée. Peut-être est-ce alors qu'il a vent de l'existence de l'abbé Sébire, mort ici 10 ans plus tôt. Il va bientôt s'emparer de la défroque du curé, se forger un parenté avec lui. Mais d'où tient-il le portrait qui va illustrer ses produits, dune photo ancienne ? Dans ce cas où est le cliché original ? L'image représente un vigoureux soixantenaire. Si un daguerréotype a servi de modèle, il daterait des années 1865. A moins que ce visage soit une pure création du dessinateur. Dans ce cas, qui est-il ? Autant de questions sans réponses...

En attendant, le mariage avec Yvonne Dolain, a défaut d'être consommé est maintenant consumé. En 1906, Poulain met enceinte une jeune femme de 24 ans qui accouche d'un garçon au Crotoy. La parturiente,
Andrée Villette, est née à Hazebrouck en 1882 d'un représentant de commerce.
Établi à Amiens avec sa maîtresse, Poulain se fait un nom dans la fabrication de tisanes, l'une contre le diabète, l'autre l'albuminurie. En 1908, dans le Progrès de la Somme, il se fend d'un articulet rageur : "Prenez garde !" Oui, que le grand public se méfie des multiples contrefaçons. Il se réserve d'ailleurs le droit de "poursuivre ces corsaires devant les tribunaux". Et de se targuer d'avoir reçu du roi d'Espagne la Cruz Roja "sur recommandation express du gouvernement de la République française" et à titre de "grand bienfaiteur de l'humanité". Pour les mêmes raisons, le grand bay de Tunis vient de le faire officier du Nichan Iftikhar. D'où ces insignes qui apparaissent parfois sous son portrait. Il se dit aussi "Spécialiste, diplômé de la faculté de pharmacie et de médecine." Spécialiste de quoi ? Diplômé dans quelle ville ? On apprendra plus tard qu'il est titulaire d'un simple diplôme d'herboriste de 1ère classe. En 1910, en tout cas, le seul dépositaire des "véritables tisanes Poulain" qui suscitent "tant de jalousies" est M. Léger, Pharmacie principale, rue des Trois-Cailloux à Amiens. Là, on vous délivre gracieusement la Méthode Poulain illustrée par Walléry.
Le divorce avec Yvonne Dolain est prononcée par le tribunal civil de Saint-Omer le 24 décembre 1909. Six mois plus tard, notre herboriste convole le 21 juillet 1910 avec Andrée Villette. Le couple habite alors
boulevard Thiers, à Amiens. Maurice et Andrée en profitent pour légitimer leur fils qui portait jusque là le nom de sa mère. Deux voisins sont leur témoins : Marie Dupuis, épouse Acloque, 57 ans, et Charles Cuelle, 33 ans, courtier, demeurant tous deux 41 boulevard Thiers. On note aussi le chef de gare de Saint-Roch, Alfred Desgranges, 52 ans, et un courtier de Buenos-Aires, Georges Gorlier, 25 ans. Mais auréolé de son succès en pharmacie, Poulain monte vite à Paris après un court séjour à Dieppe, villa des Lilas, rue du Général-Chanzy. A nous la capitale...

Sur la scène parisienne...

" On ne meurt plus de diabète et d'albumine ". Dès février 1911, des entrefilets fleurissent dans la presse parisienne. Un an plus tard, dans le Journal, un certain Dr de Marsenval signe un long papier sur Poulain. Au fil des mois, il va récidiver dans plusieurs journaux sous la signature cette fois de J.-S. de Marseuval, voire Marseval. Pour lui, Poulain est "l'un de nos botanistes les plus érudits". Voici maintenant sept ans, explique le pseudo-journaliste, ce chercheur, dépourvu de patronage officiel comme le fut Pasteur, écoule ses deux tisanes. Résultat : 4.000 guérisons, des torrents de courriers dont des signatures prestigieuses. Ce noble pisse-copie n'est autre que Maurice en personne. Les établissement Poulain & Cie sont au 27 de la rue Saint-Lazare. En attendant de commercialiser les remèdes de l'abbé Sébire à Enghien.

Les rires se déclenchent


En avril 1913, Poulain est condamné pour exercice illégale de la médecine. Ses tisanes sont saisies et analysées par le Pr Pouchet, de la Faculté de Paris. Une autre condamnation lui pend au nez pour exercice illégal de la pharmacie. Une longue procédure commence...
Dès janvier 1914, le doute s'installe également quant au Régénérateur Sébire. La jouvence de l'abbé Soury, mort en 1810, est exploitée elle-aussi par un petit-neveu. Ce qui fait rire Le Vieux Papier, une société archéologique :

Le coup du « Petit-neveu » a fait école. Le Régénérateur de la Vie, de l'abbé Sébire, ancien aumônier de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville, mort vers 1890, est exploité aussi par un petit-neveu qui, en fait de réclame, en remontrerait aux yankees. A l'en croire, le grand-oncle avait découvert que d'innombrables peuplades possédaient le secret de la longévité, dû à l'usage qu'elles faisaient pour leur nourriture, d'algues et de varechs marins ; c'est en effet de ces plantes marines qu'il tira un médicament héroïque. Le petit-neveu, se disant chimiste diététique, invoquant Darwin et d'autres savants, proclame urbi et orbi qu'il guérit les tuberculeux ; naturellement il a reçu des flots de lettres de félicitations ; mais, innovation, il en a reçu en vers ; en voici un spécimen.

LE PLUS GRAND DES VAINQUEURS
(Sonnet)

Celui qui donne à tous la force et la vaillance,
L'inventeur de ce bon et seul « suraliment »,
Régal des vrais gourmets, puisqu'il est excellent
Et protège des maux ou guérit la souffrance ;
Ce modeste savant, regretté de la France,
Qui sut prendre à la mer cet « extrait » succulent
Que les algues pourtant gardaient secrètement :
Le  « Régénérateur » à la toute puissance ;
Ce héros n'est-il pas le plus grand des vainqueurs ?
N'est il pas le premier parmi les bienfaiteurs ?
Ne doit-il pas hommage à feu l'abbé Sébire ?
Si la tuberculose est « guérissable » enfin,
C'est grâce à ce saint homme et — nous devons le dire —
A son digne héritier, le chimiste Poulain.

C'est signé : Léon Bonnenfant, publiciste (Médaille d'honneur de la Société de Préservation de la Tuberculose), 16, rue du Milieu, à Ivry-sur-Seine.
Le Poulain chanté en cet immortel sonnet, est le petit-neveu de feu l'abbé Sébire.
Dans un pays voisin, trop voisin même, il y a un souverain qui joue constamment du cadavre avec son inoubliable grand-père. En pharmacie, c'est avec un grand-oncle....

Si l'abbé Sébire a ses détracteurs, il a tout de même de fervents supporters. En mars 1914, un long article du Journal affirme que le stand de Poulain s'est taillé un franc succès à l'Exposition du Confort Moderne. Son président, le Dr Lombard, n'a pas ménagé ses compliments, partagés du reste par ses éminents confrères, les docteurs Truffier et Charpentier, membres du jury. Dans la légende photo, on fait même figurer un caractère typographique rappelant celui d'officier la Légion d'Honneur. Vous le chercherez en vain dans la base Léonore rassemblant tous les décorés du ruban rouge... Ces insignes sont ceux des prétendues décorations obtenues en Espagne et en Tunisie par notre grand bienfaiteur de l'humanité.

Mais revenons à l'exposition du Confort Moderne. "Le journal La Terre nous apprend que Poulain a reçu la médaille d'Or. Suit un publi-reportage accompagné d'un mauvais portrait ainsi légendé : M. M. Poulain, Docteur des laboratoires Marins. Docteur ! Le journal aurait sans doute plaidé qu'il s'agissait-là d'une coquille dans ce milieu d'algues et de
varechs. Mais certaines réclames usent d'une habile supercherie. L'adresse du labo est rédigée avec une abréviation de Directeur pouvant être interprétée comme Docteur : " M. Poulain, Dr des laboratoires marins ". Et le tour est joué...

Maintenant, qu'il usurpe ou pas le titre de médecin, Poulain reste avant tout un homme d'affaires. En juin 1914, c'est avec la qualité de "fabricant de produits alimentaires" qu'il vend la marque "Algaliment" à un droguiste de Saumur, Auguste Valetaud. Il est associé à sa sœur, Gabrielle Poulain, " divorcée de Paul Louis Arthur Godefroy " et domiciliée 40 rue de Longueville à Saint-Omer, Pas-de-Calais. Ah ! Voilà qui nous rapproche du littoral. On commençait à se demander comment pouvait-on commercialiser des algues marines en Seine-et-Oise...
C'est le 2 juin 1911 que Gabrielle Poulain a divorcé du sieur Godefroy, sous-économe du lycée Félix-Faure, à Beauvais alors qu'elle résidait séparément 27, rue Saint-Lazare, chez son frère. Après quoi, elle s'établit à Saint-Omer. Son divorce fut prononcé à ses torts. En 1912, elle déposait la marque "Algaliment' au tribunal de commerce de la Seine. Or le 27 de la rue Saint-Lazare est justement l'adresse des établissements où se fabriquaient les tisanes Poulain jusqu'en décembre 1912.

"Malades, voici le salut !" s'enhardit dans la presse le sieur Poulain. Foin des drogues et des médicaments ! " La merveilleuse découverte de l'abbé Sébire a été communiqué à l'Académie de Médecine et l'Académie des Sciences par le Dr L. de Rochemont. " Dans ce cas...


Type de placard publicitaire paru dans le Petit-Parisien. Le portrait est légendé Abbé Adolphe Sébire, ancien aumônier de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville, grossière erreur de prénom. En revanche, les signataires de lettres de satisfaction semblent authentiques, tels l'abbé Japiot, curé d'Aujeurre, l'abbé Perrogon, curé de Champagnolles...

Au début de 1914, et ce n'est pas la première fois, le 27 de la rue Saint-Lazare est le cadre d'un fait-divers. Un pharmacien, le sieur Guérin, vend lui aussi par correspondance ses spécialités. Or le concierge de l'immeuble, Paul Moine, détournait les mandats qui lui étaient adressés. Poulain semble avoir échappé à cet escroc. Entre confrères...
Dans le Petit-Journal du 8 mars 1914, c'est encore un article élogieux signé cette fois du Dr Verax. Un médecin de Tunis, le Dr Dinguizli a étudié le diabète. Le Pr Robin vient d'en faire le rapport devant ses pairs. Conclusion : la maladie a trouvé son maître dans la tisane Poulain. "l'Académie de Médecine elle-même reconnaît que la méthode Poulain était dans le vrai et que les incrédules devront s'incliner devant ce témoignage officiel et désintéressé." Reconnaissance tardive, juge le Dr Verax, car Poulain aurait-il rejoint son cousin au paradis des saints ? C'est ce que l'article laisse à penser :  " Les disciples de Poulain ont continué son œuvre, ils restent à la disposition des malades." La procédure pour exercice illégal de la pharmacie court toujours. Si Poulain fait le mort, histoire d'éteindre l'action de la Justice, son adresse demeure la même : 27, rue Saint-Lazare.


Profiteur de guerre !

Quand sonne la mobilisation, l'herboriste échappe à la conscription. Réformé en 1911, cette décision est confirmée
en décembre 14. Durant la Grande guerre, Poulain ne perd pas le nord. Au 31 de la rue Le Peletier, à Paris, il commercialise un colis destiné aux Poilus et présenté comme le " ravitaillement intensif des tranchées ". Il comprend 24 tablettes de "Supraliment" à la kola, coca et autre maté pour supprimer la faim, la soif, la fatigue et donner de l'énergie, six potages de l'abbé Sébire, du pâté de foie, de la confiture, six dragées-infusions pour boissons chaudes et un réchaud Poulain à l'alcool solidifié. L'Intransigeant en fait la réclame : "On se plaint parfois que les colis adressés aux soldats n'arrivent pas", écrit Le Wattman, Ce n'est pas le cas des colis-poulain qui, expédiés comme une lettre recommandée, pesant un kilo et contenant tout ce qu'il faut sont toujours distribués rapidement par les soins du vaguemestre...
Un kilo ? On image la taille du réchaud...

Le doute s'accentue

Peu après, le journal Le Bonnet Rouge lui fait une contre-publicité cinglante en titrant :

M. Poulain n'aime pas les chiens

Si M. Poulain., d'Enghien, s'intéresse au sort des déshérités de la vie en vendant sous le nom de l'abbé Sébire, une tisane qui guérit les tuberculeux, les anémiés ; s'il recommande par l'organe des grands quotidiens un produit en tablettes destiné à nos poilus et qui doit remplacer avantageusement le rata du cuistot, ce personnage qui exploite la clientèle amie des ecclésiastiques, ne s'est pas inspiré de l'avis répandu à profusion et qu'on rencontre à chaque pas dans nos rues de Paris : « Soyez bons pour les animaux ».
Ce monsieur a, en effet, été l'objet d'une plainte pour avoir jeté sur la tête d'un magnifique berger un corrosif qui lui brûla les yeux et la gorge.
M. Poulain qui aurait eu intérêt à rester tranquille, a. attiré sur lui l'attention des autorités qui précisément enquêtent à l'heure actuelle sur les escroqueries de tous ceux qui, ainsi que le signale notre confrère L'Humanité vendent des prétendus extraits, des comprimés douteux, des essences improbables qui, sans être absolument nocifs, ne sont pas nutritifs pour le demi-quart du prix qu'on en demande. »

Paris-Midi
emboîte le pas de ses concurrents. " Les curés guérisseurs se multiplient dans des proportions, non pas précisément inquiétantes, mais stupéfiantes. la simple lecture des annonces suivantes nous a plongé dans des abîmes de rêverie : Si vous reprenez du poids, c'est la guérison. Le Régénérateur de la vie de l'abbé Sébire fait grossir de 5 kilos en un mois. Méthode gratis et franco. Laboratoire : 6, rue de l'Abreuvoir, Evreux ". Tiens, une nouvelle adresse. Pourtant, on retrouvera encore celle d'Enghien dans les années qui suivent.

Tandis que Poulain se fait refouler des sociétés savantes qu'il sollicite pour enjoliver son catalogue, le Ruy-Blas est l'un de ses plus farouches détracteurs. L'hebdomadaire révèle qu'une instruction est ouverte depuis plusieurs mois. L'affaire se trouve à présent entre les mains du juge d'instruction Saumandre. Les experts ayant constaté l'inconsistance du produit vendu par notre prétendu chimiste. Parmi eux, un professeur agrégé du nom de... Labbé. Pour l'abbé Sébire en revanche, tout risque de se désagréger : " on peut se demander si l'on n'aura pas la douleur de voir avant peu ce vénérable ecclésiastique sur les bancs de la 8e chambre qui est spécialisée dans ce genre d'affaires. Il est vrai que la religion n'y subira aucune atteinte, car depuis longtemps Sébire est retournée au paradis des bienfaiteurs de l'humanité et s'il répond aux juges, ce sera en la personne de M. Poulain son représentant sur terre."  A la suite d'entrefilets jugés désobligeants, celui-ci l'a en effet avoué à la rédaction : son petit-cousin est mort en 1890. Encore une erreur biographique. C'est en 1894. Mais est-il bien décédé dans l'esprit du grand public ? Les réclames entretiennent habilement la confusion. Du coup, dans le Carnet de la Semaine, sa tête est mise à prix : " Un abonné, qui est un croyant (cela peut arriver) nous écrit qu'il offrira une prime importante à celui qui pourra lui présenter en chair et en os de fameux abbé Sébire qui guérit toutes les maladies par des recettes connues de lui seul... à Enghien-les-Bains. Cet abonné n'a confiance que dans les prêtres. Mais il veut être certain qu'il a bien affaire à un serviteur de Dieu. La parole est à M. Poulain..."

Et Sébire disparaît

Du coup, Poulain a l'idée de commercialiser le même produit, non plus sous le nom de Régénérateur de la vie, mais celui de Maraliment. Le nom de l'abbé Sébire disparaît de nombre de publicités. Explication : s'étant une nouvelle fois fait épingler en février 1916 dans les colonnes de Ruy Blas, Poulain répond qu'il n' a pas pensé prendre une marque plus critiquable que la Chartreuse ou la Vieille Cure en en utilisant le nom de son parent. "Pour éviter à l'avenir toute critique de cette nature et ne plus prêter à de regrettables assimilations, il a décidé de supprimer purement et simplement la marque qu'il avait opté à l'origine. Dont acte."



"Par la Grâce de Dieu"... Réclame dans la Baïonnette sans mention du nom de Sébire.

Avec ou sans Sébire, Poulain ne manque pas d'imagination pour vendre ses "cures d'embonpoint" aux Gueules cassées  :

" L'attention du service de santé a été spécialement attirée par le cas des innombrables blessés de la bouche. En effet, la mastication, pour la plupart, est impossible, et l'on cherche, pour eux, à remplacer complètement la viande par un aliment aussi nutritif qui n'ait pas besoin d'être mastiqué. Or, cet aliment existe et nous le signalons aux services compétents : c'est le Maraliment."
Et d'assurer que le Dr Livet a adressé un mémoire aux Académies à ce sujet. Un de plus...

... et Sébire réapparaît

Mais, selon l'implacable Ruy Blas, les démêlés de Poulain se poursuivent devant la justice. Et ce, malgré son changement de marque, malgré les talents d'un avocat bien connu dans le monde politique. D'ailleurs, le nom du curé refait régulièrement surface et, pour le mordant hebdomadaire, il ne fait aucun doute que l'abbé Sébire, "ce prétendu prêtre" et Maurice Poulain ne font qu'une seule et même personne : Poulain ! Oui, insiste le journal, " ces faux abbés Sébire, Warré, Mazel, Hamon sont représentés sur terre par des potards ou des herboristes sans scrupules." C'est encore le Ruy Blas qui écrit en décembre 17 : " Quant à un certain abbé Sébire, autre charlatan en soutane, très entreprenant, dont il fut beaucoup parlé, celui-là n'existe plus. Comme dans les romans policiers, il a mystérieusement disparu. M. Poulain l'a tué et même pendant qu'il y était a essayé un jour de faire croire à la justice — pour obtenir une remise d'audience dans un procès qui l'embarrassait fort — qu'il était mort lui-même, ce qui ne prit du reste pas.  Mais cela ne l'empêche pas de continuer sous l'œil bienveillant de la magistrature à faire grossir les poires."


Réclame parue dans l'Ami du Peuple de mard 1929. Le portrait a été simplifié.

"L'abbé Sébire-Poulain aura-t-il sa statue sur les bords du lac d'Enghien ?" interroge un journal satirique. Tout ceci nous mène jusqu'à l'armistice. Meurtris dans leur chair, les rescapés de la grande boucherie constituent un marché juteux.
Après guerre, Maurice Poulain poursuit vaille-que-vaille sa campagne pour le Maraliment avec ce slogan : "Salut des désespérés". Et le portrait de l'abbé Sébire apparaît encore et encore ainsi que la mention Régénérateur de la vie. Quant aux Tisanes Poulain, elles existent toujours, 27, rue Saint-Lazare. Et ce, malgré une condamnation du 7 novembre 1919 à 3.000 F d'amende pour tromperie sur la marchandise vendue et exercice illégal de la pharmacie.

"L'abbé Sébire annonce qu'il guérit les cors aux pieds, s'esclaffe le Petit Bleu de Paris, Le Digne homme ! Il prend soin tout à la fois de nos âmes et de nos cors." Dans les années 20, des condamnations pleuvent par-ci par-là sur les margoulins. Mais ils continuent leurs œuvres. Si l'on se fie à la presse, les
laboratoires Poulain se déplacent d'Enghien à Paris, 191, Faubourg Saint-Antoine puis 89, boulevard de Sébastopol. Après quoi, l'Armée repère son réformé au 3, rue Lamartine, à Soisy-sous-Montmorency.

Le voilà ingénieur-chimiste !

Non seulement il poursuit sa carrière en toute impunité, mais Poulain élargit sa palette. Depuis son laboratoire des phocéens, 33, rue Pastorelli, à Nice, il commercialise un régénérateur d'essence consistant en un "bolide", c'est-à-dire un machin cylindrique qui se suspend dans le réservoir d'une auto ou d'une moto. " Procédé inventé par le Dr Poulain de Maceval, ingénieur-chimiste diplômé. " Et de se dire membre de la Société des ingénieurs civils de France, du Syndicat professionnel des ingénieurs-chimistes français et du cercle de la chimie de Paris, expert agréé par le tribunal de commerce de Nice, délégué de l'ADRM (faculté de médecine de Paris), Major honoraire du bataillon militaire sanitaire de SAR le duc d'Aoste, Principe di Piemonte, lauréat de l'Académie Physico-chimique de Palerme.

Major de bataillon ! Réformé pour obésité, voilà un joli tour de force. Mais c'est avec fière allure qu'il présente à la foire automobile de 37 le Gazolyseur Poulain qui permet d'économiser l'essence avec de l'eau. Ses brevets sont déposés tant en France qu'à l'étranger, notamment en Belgique.
Poulain a racheté aussi les vaccins Prud'homme, pour préserver de la loque et guérir les Abeilles.  Ce qui lui a valu une médaille d'argent de la Société méridionale d'apiculture de Toulouse.

A Saint-Omer, ville natale de Poulain, on suit de loin la brillante carrière de l'enfant du pays. La mairie sait qu'il se fait appeler Poulain de Marceval, Docteur en médecine et professeur honoraire de matière médicale à Washington, qu'il réside en novembre 1924 à Nice, Villa Fleurie, 33, avenue de Villermont. Il y est toujours le 18 juillet 1932. Ces informations figurent sous forme de mention marginale à l'acte de naissance de Poulain, ce qui est exceptionnel.
Non datée, une " lettre de Nice du prétendu médecin Poulain de Marceval", fut adressée à Mussolini :
"Excellence, si l'ulcère dont vous souffrez est situé dans la partie supérieure de l'estomac (avant le diaphragme), je m'estime capable de vous guérir sans opération... uniquement par des herbes préparées en tisanes. Ces plantes sont totalement inoffensives et ont déjà guéri, sur mes indications, plus de 20 patients affectés du même mal."
Avant d'établir dans le Sud de la France, le Dr Maurice Poulain de Marceval est signalé 5, rue Henri-de-Borgnier à Paris.
Avec ses titres usurpés, il apparaît comme collaborateur du XXe siècle médical et scientifique et du "Médecin français" Dans "l'Informateur médical" de 1933, on voit apparaître le nom de Poulain de Marceval parmi les souscripteurs au jubilé et la fondation de Clemenceau.  Il est par ailleurs cité dans l'annuaire de l'union médicale franco-hispano-américaine. Là, il se dit Médaille d'Or de l'Encouragement au bien, titulaire de la Cruz-Roja, chevalier de Villaviciosa, Docteur et professeur honoraire diplômé comme on l'a vu aux USA, correspondant-délégué de plusieurs faculté américaines et anglaises, membre titulaire de la Société d'hydrologie et de climatologie de la faculté de Toulouse, sans parler de ses titres d'ingénieur et d'expert. Poulain de Marceval prend la précaution de préciser cependant qu'il n'exerce pas la médecine en France.

Épinglé pour escroquerie


En 1937, année où Poulain adhère à l'Automobile-club de Nice et Côte-d'Azur, Le Radical de Marseille et plusieurs journaux le coulent au pilori  :

Nice, 13 Mai. M. Poulain de Marceval. qui exploite une fabrique de médicaments avenue de Cimiez a Nice, fait suivre son nom, sur les prospectus qu il envoie a travers le monde des titre suivants :
« Docteur ès sciences U. S. A., professeur honoraire en matières médicales, capitaine sanitaire honoraire, du bataillon sanitaire Prince-de-Piémont ».
Mais il ne possède aucun diplôme français et c est pourquoi il s’est assuré, pour diriger son laboratoire, la la collaboration d'un docteur en médecine et d'un pharmacien dûment patenté.
De cette façon, le professeur honore en matières médicales peut facilement fabriquer toutes sortes de produits médicamenteux qu’il livre au commerce grâce à une publicité bien comprise.
L'une de ses dernières découvertes est particulièrement intéressante.

La santé pour tous

Elle est destinée a conserver une santé parfaite à tous ceux qui ne sont pas malades ou à combattre les pires maux de ceux qui sont atteints,
Cette découverte, son inventeur explique qu'il l'a faite grâce a ses dons merveilleux de radiesthésiste et aussi à une année de labeur de plus de cinq heures par jour, ce qui lui a permis de se rendre compte que, pour se bien porter, il  faut avoir en soi les quatre-vingt-douze corps simples de la chimie composant notre corps, lesquels vibrent et oscillent normalement.

Le médaillon

Comme tout le monde n a pas en soi quatre-vingt-douze corps simples, le Docteur « ès sciences U. S. A.» s'est ingénié à découvrir le moyen de suppléer à cette déficience pour certains et affirme dans ses prospectus qu’il a réussi.
Pour cela, il concentre en quantités infinitésimales ces fameux quatre-vingt-douze corps simples dans un petit médaillon. On place celui-ci sur le plexus solaire, les vibrations qui s’en dégagent compensent les déficiences possibles, de façon à neutraliser le lugubre concert des « harmonies funèbres ». vectrices des maladies humaines et animales.

Pour 30 francs

On voit que !e procédé n'est pas trop facile. Il n'en coûte que 30 francs a celui qui, estimant que la santé est le meilleur des biens sur cette terre, veut se l’assurer pour toujours. Mais pour ceux qui sont déjà atteints d'une maladie grave, telle que la tuberculose, le cancer la situation est toute différente. Les quantités infinitésimales des quatre-vingt-douze corps simples réunis dans le médaillon ne suffisent pas pour chasser ces maux qui ne pardonnent pas ; mais que les malades se rassurent Le professeur en matières médicales à trouvé le moyen de réunir dans le mirifique médaillon tout ce qu’il faut pour chasser le mal.
Toutefois, les recherches pour ces cas ont été plus difficiles ; il faudra verser 50 francs au lieu de 30 : et même, pour des cas spéciaux, le bienfaiteur de l’humanité pourra, après un examen radiesthésique personnel ou effectué a distance. composer un talisman spirituel d’amour, de chance et de bonheur le plus puissant du monde.

Escroquerie

Mais, cette fois, il faudra verser 100 francs. Voilà ce qu'explique M. Poulain de Marceval dans les prospectus qui sont tombés entre les mains de médecins peu crédules qui ont signalé ces importantes découvertes au ministre de la Santé publique.
Celui-ci, sceptique également quant a la valeur scientifique de ces médaillons s’est adressé à son collègue de la Justice.
Le garde des Sceaux a aussitôt chargé le Parquet de Nice de s'occuper de cette affaire, et les magistrats qui en ont été saisis, très prosaïques, se sont refusés à croire au magnifique procédé du médaillon mystérieux appliqué sur le plexus solaire et ils ont simplement qualifié la découverte d’escroquerie.

En 1938 dans L'Avenir du Tonkin, en 1940, dans La Démocratie, organe républicain indépendant du prolétariat de la Réunion, on trouvait encore la proposition suivante : "Voulez-vous regagner la santé ? Écrivez au centre radiesthésique Poulain de Marceval, 9, rue Jean-Aicard, Saint-Raphaël (Var) en joignant une mèche de vos cheveux et 10F. Un livre pour vous soigner sera joint à l'examen."
Le nom de Poulain de Marceval figurait encore dans l'annuaire de Saint-Raphaël de 1948 avec plateau Notre-Dame pour adresse,

Épilogue

A ma connaissance, le dernière publicité pour le Régénérateur de vie de l'aumônier de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville parut dans la Dépêche de Toulouse du 24 décembre 32. Joyeux Noël ! C'est donc dans les années qui suivent que Maurice Poulain semble enfin laisser en paix l'âme de l'abbé Sébire, mon pauvre arrière-grand-oncle qui n'avait rien demandé. Requiescat in pace. 

Laurent QUEVILLY.

Notes

Ma quête d'un chanoine Sébire m'a parfois amusé. Le hasard m'a fait découvrir un Jean Sébire enterré dans la cathédrale de Rouen en 1493. Son testament exigea que les messes à sa mémoire soit célébrées par de notables gens d'église "non suspects d'incontinence et de lubricité". Cet antique chanoine Sébire chargeait ses exécuteurs testamentaires d'y veiller.
A l'époque qui nous intéresse, j'ai cru tenir mon homme en la personne d'Albert Sébire, professeur au séminaire de Paris, supérieur du petit séminaire d'Évreux en 1855, nommé en 1863 à la cure de Verneuil puis au chapitre de la cathédrale d'Évreux en 1867. Il y siégeait toujours en 1880. Né en 1812, la même année que le père de Clémentine, il n'est pas de notre famille.
En août 1928, Léon-Louis Sébire, curé de Torcy-le-Grand, surprend un pilleur de tronc dans son église. Armé d'un browning, il le met en joue jusqu'à ce qu'un robuste paroissien s'empare de ce repris de justice nommé Lucien Paquelie, 29 ans. Ce Sébire-là a été professeur à l'institution Join-Lambert de Boisguillaume puis nommé curé de Sévis en 1900 et  de Torcy en 1909. Il sera mobilisé durant la Grande Guerre. Né au Havre le 24 décembre 1869 de Frédéric Alexandre Jules Sébire et de Julie Augustine Despois, lui aussi est étranger à ma famille...

Yvonne Dolant, première femme de Poulain, était fille d'Albert François et Julie Sabine Séraphine Guermont, propriétaires. Au mariage, en 1904 à Saint-Omer, les témoins furent Gustave Poulain, rentier à Lille, Paul Souquet, proviseur du lycée, 56 ans, officier de l'Instruction publique, Julien Bénit, économe du lycée, 40 ans, officier d'Académie, Tous deux de Saint-Omer enfin Alfred Martin, marchand tailleur, beau-frère de l'épouse, Lille.

Les parents de Poulain se sont mariés le 29 août 1878 à Saint-Omer. Charles Poulain est né à Douai le 24 avril 1853 de Henri Louis Joseph Poulain, entrepreneur et Stéphanie Dermoncourt, domiciliés à Douai. Clémence Augusta Céleste Belbezet, la mariée, est née à Saint-Omer en 1853, fille d'Antoine Augustin Belbezet, décédé à Douai le 3 novembre 1875 et Juliette Adeline Dorge, marchande de chaussures. Témoins : Amédé Poulain, entrepreneur, 29 ans, Douai, et
Gustave Poulain, employé de commerce, 27 ans, Lille, tous deux dits frères germains de l'époux, Adolphe Desmontil, chef d'escadron en  retraite à Neuilly, Officier de la Légion d'Honneur, 55 ans, Charles Vaast, 28 ans, beau-frère de l'époux, constructeur à Lille

Andrée Sidonie Emédie Villette, seconde épouse de Poulain, est née à Hazebrouck le 12 décembre 1882 d'Alfred Louuis Raphaël Villette, représentant, et d'Emélie Marie Tesse, demeurant rue de Paris à Douai. Elle accouche au Crotoy de 27 juillet 1907 de Charles Gabriel Clément VIllette, légitimé par mariage en juillet 1910. Elle est décédée à Saint-Raphaël le 25 avril 1979. Son fils l'avait précédée dans la tombe à Fréjus le 6 février 1973. Dont descendance et je salue ici mes "petit-cousins".

Forestier, agronome, Louis Sébire, mon lointain cousin, est l'auteur d'une histoire de son village d'Ussy parue en 1994 ainsi que d'une généalogie familiale. J'aimerais rentrer en contact avec ses enfants.


Sources

Ussy, mon village, Louis Sébire, 1994
Incendie du Saint-Sépulcre : Le Pays, 4 février 1853.
Vente des propriétés Beaurin : La Vigie de Dieppe, 6 juillet 1855.
Recensement de 1881, Abbeville, archives de la Somme.
Bulletin de la Société d'Emulation d'Abbeville, 1881.
Tables décennales d'Abbeville, archives de la Somme.
Naissance Villette, Hazebrouck / N [1871-1882]5 Mi 038b R 011, p. 1132.
Mariage Poulain-Villette, archives municipales d'Amiens en ligne, 1910, p. 477.
Procès pour exercice illégale de la médecine : La Loi, 4 juin 1815.
Affaire Guérin, Le Petit Troyen, 23 février 1914.
Lettre à Mussolini : L'homme de la providence, Antonia Scurati, 2021.
Affaire du médaillon, Le Radical de Marseille, 13 mai 1937.
L'Univers, 26 novembre et 3 décembre 1913. Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux, 1er janvier 1914,  Le Journal, 9 mars 1914. La Terre, 5 avril 1914. Le Petit Parisien, 14 avril 1914, L'Intransigeant, 28 février 1915, Le Bonnet Rouge, 7 mai 1915, Paris-Midi, 6 septembre 1916, Le Carnet de la Semaine, 12 novembre 1916,  La Baïonnette, 17 mai 1917, L'Ami du Peuple, 28 mars 1929, L'Ami du peuple, 128 octobre 1932.




Réagir à cet article





Haut de page






Supplément virtuel du Journal de Duclair fondé en 1887

Site  hébergé  chez

depuis le siècle passé