Dites-moi, il s'en passe de drôles de choses, au presbytère de Saint-Paër ! Que le frère du curé y loge, voilà qui n'a rien d'extraordinaire. Mais qu'il partage son toit avec une femme adultère...

Tout commence le 13 octobre 1793. Selon le vœu de la Convention, chaque commune ou section de commune doit se doter d'un comité de surveillance. Son rôle ? Établir la liste des étrangers au territoire, surveiller tous les suspects, décréter au besoin leur arrestation. Voici peu, on a annoncé la chose à la messe. Alors, ce matin, il s'agit de procéder à l'élection. Nous devrions dire aux élections. Jugez plutôt...

Exercice de démocratie locale

Agent municipal, tailleur d'habits, le citoyen Jacques Diville ouvre la séance et invite Laurent Dussaux, doyen de la commune, à s'asseoir au bureau en qualité de président. On le flanque aussitôt de trois scrutateurs : Pierre Lefrançois, Philippe Grémont père et Louis Hautot père. Quant à Pierre Germain Pinel, il fera office de secrétaire.
La mission de ce bureau provisoire : élire... un bureau définitif ! Eh oui, on vote beaucoup sous la Révolution. Et dans cet élan démocratique, le greffier oubliera de noter le nom du nouveau président qui va sortir des urnes. En revanche, on sait que Diville fut porté au fauteuil de secrétaire. Quant aux trois scrutateurs titulaires, ce furent Jean Lallouel fils, Pierre Lefrançois et Charles Élie fils, siamoisier de profession.  

Voilà, le bureau électoral est enfin constitué, on va pouvoir procéder à la constitution du fameux comité.
Alors, qui fut élu ? Jean Lallouel, le tonnelier du village, obtint la présidence. Saint-Paër comptant alors 1200 âmes, onze membres restaient à désigner. Sur 40 votants, les suffrages allèrent à Louis Hautot fils (29 voix), Adrien Fleury (28), Adrien Capelle (25), Jean-Baptiste Langlois (21), François Froissard (20), Pierre Fabulet (17),  Louis Dupuis (16), Jean Morel et Louis Gossay (15), Guillaume Caron le jeune et Jean-François Blard fils (14).Tous acceptent cet honneur, seulement Morel fils est absent. On ira lui annoncer la nouvelle.

Un chaud lapin

Peu après, le président Lallouel alla prêter serment à la municipalité et lui-même recueillit celui de ses coéquipiers. Le comité siégea d'abord au lieu dit les petites écoles. Là, sur proposition du président, Adrien Capelle, le frère du curé, fut désigné secrétaire greffier de cette docte assemblée. On décida aussi de siéger chaque dimanche après messe dans l'un des appartements du presbytère, à moins que le curé ne s'avisât de l'habiter où d'en faire usage selon son bon vouloir.
Les mois passèrent. Ils nous apprennent que Adrien Capelle, le secrétaire du comité, habite justement le presbytère de Saint-Paër. Mais il n'y est pas seul. Il partage la maison avec la femme Bardet, bien esseulée depuis le départ de son époux sur les navires de la République. Elle est venue chez Capelle pour tromper l'ennui. Et surtout son mari. Car il y là aussi André Eloi Glicourt, le salpêtrier national de Duclair. Un salpêtrier ? c'est un ouvrier chargé de la fabrication du nitrate de potassium entrant dans la composition de la poudre à canon.
Glicourt a déjà une vie sentimentale bien remplie. En 1786, encore mineur, il épouse Marie Scolastique Manoury à Sainte-Marguerite. En urgence. Un mois plus tard, la mariée accouche d'une fille. Marchand, Glicourt est absent au baptême où les parrains sont Denis Gorain, Clerc et Marie Clothilde Legendre, veuve de Charles Louis Toutain, lui aussi commerçant.
Hélas, Scolastique meurt cinq jours après son accouchement et Glicourt n'attend pas pour se remarier. En 1787, il épouse cette fois Marie Madeleine Corvée. Toujours en urgence. Elle lui donnera une flopée d'enfants.
A la Révolution, Glicourt, milicien, défraye déjà la chronique en déclenchant une bagarre qui laisse un mort sur le pavé. Cette fois, il est le héros d'une pantalonnade...


Plainte de Capelle


Le presbytère de Saint-Paër. Du moins celui que nous connaissons sur les cartes postales anciennes.

Le 23 thermidor de l'an II (10 août 1794), le comité de surveillance procède à l'élection d'un nouveau président et d'un secrétaire. Sur sept votants, Noël Rémy est conduit au premier poste avec six voix tandis que cinq suffrages se portent sur le citoyen Froissard. Tous deux signent le procès verbal en compagnie des sieurs Morel, Hautot, Langlois, Gossay et Capelle. Aussitôt, on délibère d'une affaire "sur la dénonciation du citoyen Capelle, membre de notre comité, contre la dite Victoire Lepeuple, femme Bardet et le citoyen Jean Glicourt, salpêtrier national dans notre commune sur la mauvaise conduite qu'ils mènent  chez le citoyen Capelle.
Avons arrêté que la dénonciation du citoyen Capelle serait portée pour paraître devant le juge de paix du canton de Duclair pour qu'il statue au moyen de faire expulser la dite femme Bardet et que défense soit faite au dit Glicourt de mettre les pieds chez le citoyen Capelle aux seules fins qu'il jouisse de la tranquillité qu'exige la loi pour la tranquillité des citoyens. En outre, nous avons arrêté que copie collationnée des dénonciations faites contre Glicourt, salpêtrier national par le dit Capelle, Marie Catherine Buchy et Catherine Duramay, veuve de Louis Duramay, serait portée à la police correctionnelle, ce que nous avons signé ce dit jour et an que dessus.


Noël Rémy, président, Fabulet, Mauger, Louis Gossay, J. Morel, Capelle, Hautot.

Dénonciation du citoyen Capelle contre la femme Bardet et Glicourt
Ce jourd'hui, 30 thermidor de l'an deuxième de la république française une et indivisible est comparu volontairement le citoyen Capelle, membre du comité de surveillance de la commune de Paër. Dénonce qu'il aurait reçu chez lui en visite la citoyenne Victoire Lepeuple, femme Bardet, comme amie pour dissiper le chagrin que lui avait causé le départ de son mari pour le service de la marine dans les vaisseaux de la République. Il paraîtrait que la citoyenne Victoire Le peuple se plairait fort bien au domicile du citoyen Capelle pour satisfaire ses passions plus à son aise, n'étant plus sous les yeux du citoyen Bardet père, là où elle avait son domicile depuis son mariage.

Le citoyen Capelle voyant la mauvaise conduite que menait la femme Bardet chez lui l'a sommée verbalement de se retirer chez ses parents le 26 du présent mais seulement elle luy répondit qu'elle n'en partirait que quand elle voudrait. A quoi le dit Capelle a été forcé de lui faire sommation par le citoyen Tuvache, huissier de la commune de Duclair, pour qu'elle se retire sous les délais de 48 heures en date du 28 du présent. Malgré les menaces que le dit Capelle lui avait faite, la dite femme Bardet a toujours continué son commerce infâme qu'elle mène avec le citoyen Glicourt, salpêtrier national de la commune de Duclair.

"Son fusil à deux coups"


Le 28 au matin, le citoyen Capelle, à quatre heures du matin, a pris deux témoins. Comme le dit Glicourt était couché avec la dite femme Bardet dans son lit, le dit Glicourt avait dans sa chambre son fusil à deux coups et son chien, ce qu'on remarqué les dits témoins. Sur quoi, le dite Capelle a fait défense au dit Glicourt de mettre les pieds chez lui. Le dit Glicourt, méchamment, est parvenu a insulter le dit Capelle dans sa maison en le traitant de mille invectives ou pour lui faire un mauvais coup.

Le citoyen Capelle demande que le citoyen Glicourt et la citoyenne Bardet soient expulsés de chez lui et que le comité statue et avise au moyen le plus prompt. Ce qu'il a signé le dit jour et an que dessus et persiste à sa déclaration ni vouloir rien changer ni augmenter ce qu'il a signé lecture faite.

Capelle

Dénonciation de Marie Catherine Buchy contre Glicourt
Ce jourd'hui, 30 thermidor etc. est comparu volontairement la citoyenne Maire Catherine Buchy. Déclare que le 28 du présent, le dit Glicourt était chez le citoyen Capelle où il l'invectivait de sottises en voulant le frapper parce que le dit Capelle ne voulait point qu'il mit les pieds chez lui pour mener mauvais commerce chez lui et le dit Glicourt, croyant qu'il n'y avait personne chez le dit  Capelle, s'est trouvé surpris quand il m'aperçut et s'est sauvé. Persiste dans ses déclarations ni vouloir changer ni augmenter ce qu'elle a signé par sa marque ordinaire.

Dénonciation de la veuve Duramay contre Glicourt.
Ce jourd'hui 30 thermidor etc. est comparu volontairement la citoyenne Duramay, veuve de Louis Duramay. Dénonce que le citoyen Glicourt était chez le citoyen Capelle le 28 du présent. Que le dit Glicourt invectivait le citoyen Capelle de sottises et faisait des cris terribles au point de sortir de chez elle pour courir au bruit. Mais quand Glicourt l'aperçut et d'après la malice du dit Glicourt, il vint avec une bouteille de vin le prier de boire avec lui. Ce que le dit Capelle n'a pas voulu accepter et le faisait retirer de chez lui. Ce qu'elle a signé etc. par sa marque ordinaire.

Le salpêtrier dans un sale pétrin

 L'an II est décidément une sale année pour Glicourt. On le soupçonne d'employer des jeunes gens afin de les soustraire aux réquisitions de l'armée. Ils sont qui laboureur, qui marchand de coton, bourrelier ou encore boucher. Bref, des gens aisés tandis que des citoyens plus âgés et de condition modeste ont besoin de travailler pour nourrir leur famille
Parmi ces privilégiés : deux garçons du Mesnil-sous-Jumièges, Jacques Lecointre et Louis Faraguel, fils de laboureur. De plus Faraguel ne travaille pas à cause d'un accident qui le retient chez lui. Dans cette affaire sont impliqués Leblond et Dupuis, du comité de surveillance de Duclair, qui ont validé les réquisitions de Glicourt pour sa salpêtrière. L'un est son beau-frère, l'autre un ami. Ils se défendent en prétextant que les comités de surveillance venaient d'êtres créés et qu'ils n'en connaissaient pas encore le règlement.

Porté aux nues



Malgré cela, le 19 floréal de l'an IV, Glicourt est nommé chef de bataillon de la garde nationale du canton et investi dans ses fonctions le 27. Le 24 thermidor, il convoque le bataillon dans le chef-lieu du canton afin de le réorganiser en réintroduisant ordre et de la discipline tout cela se terminera par une fête.

19 frimaire an V : rapport de Glicourt sur la désobéissance de François Decaux qui a refusé de conduire dans les prisons d'Yvetot le citoyen Pierre Léger.

21 ventôse de l'an VI, nouvelle réorganisation. Neufville le jeune est élu chef de bataillon, Glicourt adjudant et Planquette porte drapeau.

Un temps, Glicourt fut recruteur pour l'armée et haranguait ainsi les foules au marché de Duclair. Les hommes mariés ont dû hésiter à s'engager...
 







SOURCES

Documents numérisés aux archives départementales par Jean-Yves et Josiane Marchand (L3206 L3243 L3208 L5510 et L5511. Transcription : Josiane Marchand et Laurent Quevilly.