A Saint-Paër, borné comme une bourrique, le curé Latteur méritait bien son nom. Sur fond d'incendies criminels, il attira sur son clocher les foudres de la presse locale.

Depuis un an et demi, Saint-Paër avait déjà connu trois incendies criminels.
Dans la soirée du mercredi 16 mars 1836, un incendie avait ravagé une grange et deux bâtiments de ferme. L'origine criminelle du sinistre ne fit aucun doute et la Justice vint enquêter.
Dans la nuit du 7 au 8 février 1837, le feu se déclara chez le sieur Leclerc, cultivateur. "Malgré les secours que se sont empressés d'apporter les habitans de la commune, quarante pieds de bâtiments ont bientôt été dévorés par les flammes. Personne, heureusement, n'a péri ; on a même pu  sauver les animaux qui se trouvaient enfermer dans les lieux incendiés ; mais les récoltes et fourrages n'ont pu être enlevés ; aussi le fermier éprouve-t-iI une perte assez considérable.On ne sait encore a quelle cause attribuer ce malheureux événement. " Le procureur du Roi vint de Rouen, le 11 février suivant, pour enquêter en compagnie du juge de paix et du greffier de Duclair. L'acte malveillant ne fit aucun doute et une jeune fille fut arrêtée. On l'accusa de vol par la même occasion.
A cette époque, Saint-Paër avait pour curé un certain Latteur. Curé de choc. Le jour des élections municipales de 1838, il fit irruption dans le bureau de vote avec plusieurs personnes non inscrites sur les listes électorales. Là, nos trublions tentèrent d'influencer le scrutin. Un recours en nullité fut déposé alors que Latteur reconnaissait sa mauvaise action. Le conseil de préfecture valida cependant les résultats, suivi en cela par le conseil d'Etat.

M. Perdu perd tout



Latteur va encore faire parler de lui en 1840. Le matin du dimanche 3 mai, un incendie se déclare chez Jean-Théodore Perdu, le boulanger du bourg, marié à une agricultrice, Hortense Varin. Aussitôt, les habitants s'empressent de lui porter secours. Son bâtiment est totalement ravagé, une vache et un cheval périssent. Il faut absolument protéger les maisons voisines. C'est alors que le curé fait sonner les cloches pour appeler ses paroissiens à la messe. Présent sur les lieux du sinistre, le juge de paix de Duclair a beau protester, ordonner même,  les fidèles abandonnent tout pour courir à l'église.
On attribua l'origine de l'incendie à l'imprudence de Perdu qui, dit-on, aura déposé du charbon mal éteint dans un coin de sa habitation. Il n'était pas assuré et le préjudice s'élevait à 6.000F. Latteur s'attira aussitôt les foudres du Journal de Rouen : "Il est a regretter que M. le curé n'ait pas cru devoir, comme il y a quelques jours les prêtres de Honfleur, retarder l'heure de la messe.Y aurait-il donc eu nullité dans les prières, si elles avaient été dites un peu plus tard ?"




Dans la semaine qui suit, le mercredi 6 mai au matin, nouvel incendie dans une charreterie proche de la maison de Perdu. Le feu a pris dans une botte de paille sur laquelle s'entassaient plusieurs autres. Il allait se communiquer à l'ensemble du bâtiment quand une femme accourut avec un sceau d'eau et stoppa à temps la propagation du sinistre. Cette fois, on ne parle plus d'imprudence mais bien de malveillance. Curieusement, on découvrit dans la botte de paille calcinée un gros morceau de charbon de frêne. D'autres indices ne laissaient aucun doute sur l'origine criminelle de cet incendie. Le juge de paix et la gendarmerie de Duclair se rendirent sur les lieux. Puis MM. de Stabenrath, juge d'instruction et Pierre Grand, subistitut du procureur du Roi. Très vite, un jeune garçon de 15 ans est arrêté et amené dans les prisons de Rouen.

L'affaire du comice


Vint le mois de juillet 1840. Latteur défraye encore la chronique. Le comice agricole de Duclair s'annonçait et, dans cette vue, les paysans de Saint-Paër lui demandèrent s'il pouvait avancer l'heure de la messe ce jour-là. Manifestement, l'article dont notre curé borné avait fait l'objet ne lui avait pas servi de leçon. Une semaine avant la manifestation, Latteur grimpe en chaire pour postillonner son refus :

— Vous arriverez toujours assez tôt à ce spectacle scandaleux ! Je ne puis concevoir qu'on ait si honteusement, si arbitrairement choisi un dimanche pour une pareille fête.

Brouhaha sourd dans l'assistance. Latteur fulmine :

— Vous me croyez peut-être ennemi du progrès ? détrompez-vous ! Vous labourez chaque jour ! Chaque jour vous voyez des animaux ! qu'avez-vous besoin de vous déranger ? J'espère que vous gémirez avec moi d'une pareille impiété. C'est une honte, une infamie. Voilà pourquoi je ne puis me taire !

Sidérés, les paroissiens firent la publicité de ce sermon dans l'espoir de se faire justice. Et le Journal de Rouen se paya encore la tête de Latteur :

" Ou nous nous trompons fort, ou cette conduite de M. le curé ne saurait être approuvée par ses supérieurs hiérarchiques. Nous ne faisons pas seulement allusion ici à la violence des paroles si peu dignes et du lieu et du caractère de celui qui les proférait avec tant d'emportement. Nous ne comprenons pas davantage le fond de l'hostilité qui éclatait si étrangement.

" De tout temps l'église catholique a fait profession d'honorer les travaux de la terre et c'est à eux qu'elle a toujours emprunté la pompe de ses plus belles solennités. Les processions des Rogations, celles de la Fête-Dieu, ne répondaient-elles pas aux grandes phases du calendrier agricole ? II est à croire que M. le curé de Saint-Paër n'a pas pris la peine de lire le Génie du Christianisme de M. de Châteaubriand. Nous lui conseillons, pour toute pénitence d'entreprendre cette lecture, et, en cela, nous suivons le précepte chrétien qui veut qu'on rende le bien pour le mal. Quand M. le curé aura eu le loisir de méditer le sublime écrivain, il se convaincra que c'est bien réellement une sainte mission que celle que se proposent nos comices agricoles et qu'elle mérite l'affection et l'appui des apôtres de l'Evangile comme ceux de tous les bons citoyens."

Le 2 septembre suivant, vers huit heures du matin, un nouvel incendie éclata dans une grange. Le bâtiment, les grains, tout partit en fumée. On attribua encore ce sinistre à la malveillance. Depaux, le juge de paix, se rendit une nouvelle fois sur place.

Samedi 12 février 1842, un incendie éclate dans la ferme de M. Sauvage. Trente mètres de bâtiment sont réduits en cendre.

Source


Journal de Rouen

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