Par Laurent Quevilly

Chaque année à Pavilly, Bouville et Saint-Paër, le samedi le plus proche du 22 juillet, on commémore le sacrifice de quatre résistants tombés en 1944 sous les balles allemandes. 

L'HISTOIRE Le 5 juin 1944, le lieutenant FFI, Emile Lemoine du réseau BOA (Bureau des Opérations Aériennes) établit le PC des zones de Pavilly-Barentin-Yvetot dans la ferme de Raymond Basire, à Saint-Paër. Le BOA dépend du Bureau central de renseignements et d’actions de Londres

Les autres membres du réseau logent quant à eux dans d’autres fermes qui cachent les parachutages d’armes. C’est le cas de la ferme Lebaron, à la limite de Saint-Paër et de Bouville. Suite à un parachutage allié à Serqueux, cinq tonnes d’armes y ont été acheminées. 

Le samedi 22 juillet 1944, les Allemands ayant eu connaissance de l’opération, entament des recherches et se rendent à la ferme Lebaron, où se trouvent Émile Ruel, 24 ans, Bernard Chevalier, 20 ans, les frères Martin ainsi que deux familles, le couple Delacroix et leurs trois enfants et l’épouse de Bernard Petit et ses deux enfants.

Cette intervention de l’occupant contre le réseau résulte de l’arrestation le 21 juillet d’André Fouchard, membre du BOA. "Suite à un vol de bicyclette, affirme le site Maitron, il indiqua à la police française de collaboration l’existence du réseau BOA et guida les Allemands dans la cachette de Bouville."

Ce jour là, la Gestapo n’est pas la seule sur les lieux. L’inspecteur collaborationniste de Rouen, Louis Alie, est aussi de la partie. Il est à l’origine de la chute de plusieurs réseaux de résistance normands.

Mais voilà que René Lebaron, membre du BOA, rentre dans la ferme paternelle en compagnie d’Etienne Malet et André Martin. Apercevant des véhicules allemands devant la porte, André Martin se porte au secours de son frère Raymond resté à l’intérieur. Pour éviter la mort des autres personnes vivant au rez de chaussée de la ferme, les deux frères Martin sacrifieront leur vie plutôt que de se rendre. Dans leurs poches ont été découverts des messages, aujourd’hui précieusement conservés par leurs familles.

Raymond Martin a écrit : « Cher mère, frères et sœurs, je n’avais pu vous dire que je combattais dans les rangs des patriotes car notre organisation était secrète. Adieu ! Nous mourrons pour la France et la liberté. »

André Martin à son épouse : « Dans l’impossibilité de te dévoiler que je faisais partie de la Résistance, traqué, je me tue. Mes dernières pensées vont à vous tous, mes chéris. Dites à celui qui va naître que son père est mort pour la France. » Le petit Jack naîtra deux mois après, et ne connaîtra donc jamais son père.

Avant l’assaut des Nazis, Chevalier et Ruel tentent de fuir par le grenier. Le premier est tué d’une balle en plein front, le second abattu après avoir tué un Allemand. 

Henri Delacroix, victime civile de la fusillade, était père d’une des deux familles réfugiées à la ferme. Raymond Basire qui hébergeait Lemoine à Saint-Paër fut arrêté et mourut en déportation, ainsi que l’agent de réseau Maurice Delabost. "Ce dernier, assure le site Maitron, avait été arrêté la veille de l’intervention allemande à Bouville sur la dénonciation d’André Fouchard."

Le réseau BOA des zones Pavilly-Barentin-Yvetot, évacua à temps son P.C. de Saint-Paër vers Touffreville-la-Corbeline et se replia sur d’autres fermes, ce qui permit à nombre de résistants du groupe d’échapper à la répression jusqu’à la libération du département à la fin août 1944.

EPILOGUE Le 11 janvier 1945, Paris Normandie publie : "Le jeune Fouchard André, ébéniste à Yvetot, membre d'un groupe de résistance, arrêté par les Allemands et, à la suite de mauvais traitements, avait fourni quelques indications sur l'organisation de groupes de BOA.

C'est à la suite de ces révélations qu'eut lieu l'expédition contre la ferme Lebaron à Bouville.
Les camarades de l'accusé vinrent eux-mêmes témoigner en sa faveur.
Après réquitoire modéré de M. Chesnelong, commissaire du gouvernement et plaidoirie de Me Fedia Julia, Fouchard a été condamné à 2 ans de prison."

Le Matron ajoute : "Il bénéficia d’une certaine clémence du tribunal car jeune et en plus il s’était de lui-même présenté à la caserne Richepanse à Rouen en 1945 pour s’engager : il fut reconnu et arrêté."

La ferme Lebaron, située au hameau d’Ybourville, devint un symbole. Une plaque à l’entrée indique La Ferme de la Résistance

RUEL Emile Abattu par les assiégeants. Police allemande.
CHEVALLIER Bernard Abattu par les assiégeants. Police allemande.
MARTIN André Suicide dans l’action résistante.
MARTIN Raymond Suicide dans l’action résistante.
DELACROIX Henri : Victime civile originaire de Barentin. Tué au cours de l’assaut de la ferme de Bouville.

Laurent QUEVILLY

SOURCES

Paris-Normandie
Hommage aux fusillés et aux massacrés de la Résistance en Seine-Maritime. 1940-1944. Édité par l’Association Départementale des Familles de Fusillés de la Résistance de Seine-Maritime (1992).
Le Patrimoine des communes de la Seine-Maritime Flohic-Éditions. (Page 1050), Bouville, Canton de Pavilly.
Memorial Genweb.
Le Courrier Cauchois, 20 juillet 1974.
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article186298, notice Bouville (21 juillet 1944) par Jean-Paul Nicolas, version mise en ligne le 28 octobre 2016, dernière modification le 14 novembre 2017.


Un remerciement spécial au Major Marcos, attaché à la mémoire des policiers rouennais morts pour la France et victimes du Devoir.