M. L'ABBÉ CHARLES PATOU
(1872 - 1938)
Chapelain d'honneur de la Métropole
Curé de Sainte - Marguerite - sur - Duclair



Le matin du dimanche 23 octobre 1938, alors qu'il se préparait à célébrer la fête de l'Adoration Perpétuelle, M. l'abbé Patou, curé de Sainte-Marguerite-sur-Duclair, sentit soudain s'aggraver le malaise dont il souffrait depuis quelques jours.
 
Le lendemain, à M. le Doyen de Duclair, il ne dissimula rien de ses pensées intimes ; en face de là mort, qu'il voyait proche, il voulait, comme il avait toujours fait, donner le bon exemple. Le mardi, il recevait en pleine connaissance les derniers sacrements et faisait généreusement le sacrifice de sa vie. Le mercredi dans la soirée, après avoir confié au meilleur de ses amis, M. le Chanoine Caron, ses recommandations suprêmes, il rendait son âme à Dieu et les mêmes cloches qui, quatre jours plus tôt, carillonnaient une des plus belles journées de la vie paroissiale tintaient maintenant le glas funèbre annonçant, dans tous les foyers, que M. le Curé venait d'expirer.



Charles Patou était né à Valence, en 1872, mais, tout jeune encore, il était venu habiter la vallée de la Bresle, où l'un de ses parents, M. l'abbé Monchaux, exerçait à Vieux-Rouen, le saint ministère.

Appelé par le Ciel à marcher sur ses traces, il vint faire ses études au Petit Séminaire du Mont-aux-Malades. D'esprit sérieux, de piété solide, d'humeur agréable, de relations sûres, très vite il fut jugé par: ses maîtres « un bon séminariste », cependant que ses compagnons de classe voyaient en lui « un bon camarade » et contractaient avec lui des amitiés, qui devaient échapper aux redoutables épreuves de la distance et du temps. Si l'on ne remarquait point en lui les qualités brillantes qui fascinent, aucune des autres ne lui manquait et c'est pourquoi, ceux qui le connurent lui furent tant attachés. Le Grand Séminaire ne fit que développer les heureuses dispositions de sa nature. L'heure venue de l'ordination sacerdotale, ses directeurs auguraient de lui qu'il serait « un bon prêtre »; il était de ceux à qui notre bon Père Malige se plaisait à dire : « Vous ferez du bien ».

C'est d'abord dans la paroisse Saint-Léon du Havre, où il fut nommé vicaire, en 1898, que l'occasion lui en fut procurée. Le Cardinal Thomtas avait, depuis quelques années déjà, chargé M. l'abbé Lecourt d'organiser le service religieux dans ce quartier en construction. Combien peut être considérable l'action personnelle du prêtre, dans une paroisse qui n'a ni passé, ni tradition ! L'abbé Charles Patou fut, pour son curé, un collaborateur d'autant plus précieux qu'il était plus discret; simplement, joyeusement, il se faisait tout à tous, ne ménageant jamais sa peine, s'acquittant des tâches les plus difficiles avec le sourire. Les œuvres de jeunesse ne tenaient pas, dans la vie paroissiale, la place qui leur a été faite par la suite, mais le nouveau vicaire de Saint-Léon était de ceux qui en avaient pressenti la nécessité; dans le chœur le mot est bien osé de la chapelle provisoire, qui servit pour le culte, jusqu'au jour où M. le Chanoine Auvray édifia l'église actuelle, le Patronage de M. l'abbé Patou apportait un utile concours pour l'éclat des cérémonies liturgiques.

En décembre 1905, quand la Loi de séparation allait entrer en vigueur, Mgr Fuzet estima opportun de pourvoir de curés le plus grand nombre de paroisses possible. Surpris par sa nomination de curé de Saint-Riquier-en-Rivière, M. l'abbé Patou ne s'attarda pas à de stériles regrets. Homme de devoir, il rejoignit son poste, comptant sur la grâce pour y accomplir l'oeuvre de Dieu. Quels débuts, toutefois, que cette installation, par un soir d'hiver, dans une église presque déserte ! Bienveillante à l'égard de la personne du prêtre, la population témoignait, alors, d'une indifférence parfois décourageante à l'égard des pratiques religieuses; son estime pour M. l'abbé Patou n'allait pas jusqu'à la rendre assidue aux offices. Pour se consoler, le saint curé parait son autel, ornait son église, avec un goût et un luxe vraiment dignes d'éloges. « Mes fleurs prient pour mes paroissiens » nous disait-il un jour, d'un ton résigné. Jamais, toutefois, cet isolement n'entama sa foi, ni son zèle; et, si l'autorité en eût ainsi décidé, il eût maintenu haute et claire, aussi longtemps
qu'il l'eût fallu, la flamme sacrée qu'il avait mission d'entretenir.

L'autorité avait d'autres desseins. En 1910, M. le Chanoine Montiez curé de Sainte-Marguerite-sur-Duclair, fut appelé à fonder la paroisse Sainte-Cécile du Havre. L'abbé Patou lui succéda. C'est là, et aussi dans la paroisse d'Epinay-sur-Duclair, qu'il devait donner toute sa mesure. Dès l'abord, sa bonté rayonnante lui gagna la population tout entière. « Lors de votre arrivée, devait dire devant sa tombe M. le Président des Anciens Combattants, nous vous avions accueilli comme un ami, mais bientôt, nous nous sommes aperçus que vous aviez une âme de père avec un cœur de maman ». Au reste, le jour de ses funérailles, rien ne fut plus émouvant que l'unanimité des témoignages rendus à une bonté qui n'était point de la faiblesse et dont il fut aisé de constater la puissance conquérante. Que Montaigne avait raison de dire : « Quand je pourrais me faire craindre, je préfèrerais encore me faire aimer ». L'amour a des secrets qui n'appartiennent qu'à lui seul. Quand un prêtre, pendant un quart de siècle et plus, .se donne à sa paroisse sans jamais songer à soi, le sol qu'il cultive est renouvelé par son labeur bienfaisant, la semence jetée sans ménagement germe et il arrive que Dieu lui accorde de moissonner de riches épis. Vingt-huit ans, M. l'abbé Patou fut curé de Sainte-Marguerite-sur-Duclair et d'Epinay-sur-Duclair; il fut tout cela et ne fut rien que cela. A deux reprises, l'administration diocésaine lui proposa des postes plus importants; il ne se déroba pas à la tâche, mais, dans sa modestie, il craignait d'être téméraire et aussi il avait le sentiment, qu'abandonner les siens eut été une ingratitude ; entre ses fidèles et lui, des liens si étroits s'étaient au jour le jour forgés, que seule la mort pourrait les rompre.

Epris de la beauté de la Maison de Dieu, il embellissait ses églises avec des attentions d'une exquise délicatesse. Plus soucieux encore des intérêts des âmes, il catéchisait les enfants, groupait les jeunes suivait de près ses malades, entretenait avec tous les plus amicales relations. Combien sa charité était discrète, combien aussi ses avis étaient recherchés !

Il y a trois ans, ses deux paroisses avaient épinglé, d'un nœud de faveur rose, la date attendue de ses noces d'argent, et chacun de
souhaiter alors de longs et heureux jours au cher et vénéré pasteur !.

Ses jours étaient comptés déjà.

Le 29 octobre, dans la vaste église de Sainte-Marguerite, devenue insuffisante pour contenir la foule, M. le Vicaire général Lemonnier présidait la cérémonie de ses funérailles. M. le Chanoine Carpentier avait procédé à la levée du corps; M. le Chanoine Caron célébra la Messe. Une trentaine d'Ecclésiastiques étaient accourus pour apporter à leur confrère l'hommage de leur affectueuse sympathie. Quand M. le Doyen de Duclair prit la parole, les paroissiens éplorés ne maîtrisèrent plus leur émotion.

Oserons-nous dire que les plus touchants furent les adieux du cimetière ? Tous les paroissiens, semble-t-il, y étaient venus, chargés de fleurs, précédés par les enfants des écoles communales que conduisait M. l'Instituteur : « En perdant mon curé, disait-il, je perds un ami ». M. le Président des Anciens Combattants, MM. les Maires de Sainte-Marguerite et d'Epinay vinrent, tour à tour, exprimer l'étendue de leurs regrets. Trois discours, dignes du prêtre dont ils évoquaient la pieuse mémoire : le souffle chrétien, en effet, en avait animé toutes les pensées, dicté toutes les formules; et nous, les vieux amis du cher disparu, nous réalisions tout le bien accompli par son ministère, en recueillant les vibrations de ces nobles âmes, éveillées par' lui à la vie surnaturelle. Heureux le prêtre qui a façonné, avec tant de bonheur, ceux dont il avait la charge ! Bon abbé Patou, vous aurez eu, ici-bas, la seule récompense que votre cœur sacerdotal pouvait souhaiter. 

Chanoine J. HÉQUET


Source : Bulletin religieux de l'archidiocèse de Rouen, N° 47. 19 NOVEMBRE 1938