Extrait d'une chronique médicale, ce texte est un poignant rappel de la fragilité de la vie avant la médecine moderne. Il évoque la détresse des familles, l’impuissance des soignants, mais aussi leur ingéniosité face à l’inconnu...


"A Sainte Marguerite fur Duclair, il régna épidémiquement en 1761, un mal de gorge, Epidémique & gangreneux, fur les enfans ; & il en périffoit un grand nombre , à moins qu'on ne fût affez tôt arrivé, & aflez heureux pour leur percer les amygdales. Les adultes furent accablés en même-temps de pleuréfies inflammatoires, avec crachement de fang , fans éruption , & la fièvre étoit très-confidérâble ; mais les faignées en arrêtaient les progrès : on ufa dans celles-ci, comme dans celles de 1760, d'une large infufion de fleurs de fureau."



  • Une épidémie pédiatrique mortelle : Le "mal de gorge épidémique et gangréneux" touchant les enfants évoque probablement une infection bactérienne grave, comme une angine à streptocoque ou une diphtérie, maladies redoutables avant l’ère des antibiotiques. L’issue fatale pour de nombreux enfants, sauf en cas d’intervention rapide comme la "perforation des amygdales", souligne la brutalité des infections à une époque où les traitements étaient limités et empiriques.

  • Une médecine héroïque et risquée : Percer les amygdales semble être une tentative désespérée pour soulager l’obstruction ou drainer un abcès, une pratique chirurgicale rudimentaire qui reflète le courage (ou le désespoir) des praticiens face à l’urgence. Cela illustre aussi les connaissances anatomiques de l’époque, où l’on associait les amygdales à la pathologie, mais sans compréhension claire des mécanismes infectieux.

  • Symptômes chez les adultes : Les "pleurésies inflammatoires" avec crachats de sang et forte fièvre chez les adultes suggèrent une pneumonie ou une pleurite, peut-être liée à la même épidémie ou à une co-infection. L’absence d’"éruption" (comme dans la variole) et la mention d’une fièvre intense montrent une tentative de diagnostic différentiel, typique des descriptions médicales du XVIIIe siècle.

  • Thérapeutique d’époque : L’usage de saignées pour traiter les adultes et d’une "large infusion de fleurs de sureau" révèle les pratiques médicales de l’époque. La saignée, pilier de la médecine humorale, visait à "rééquilibrer" le corps, tandis que le sureau, connu pour ses propriétés sudorifiques et anti-inflammatoires, était un remède populaire. Ces approches, bien que souvent inefficaces voire dangereuses, traduisent une volonté de combattre la maladie avec les moyens disponibles.

  • Contexte social et scientifique : Ce fait divers montre une communauté rurale confrontée à une crise sanitaire majeure, avec des soignants démunis face à la mort d’enfants et à la souffrance des adultes. L’écriture, avec son style archaïque et ses termes techniques, reflète l’effort des médecins ou chroniqueurs pour documenter les épidémies, posant les bases d’une épidémiologie naissante.