Le 3 juin 1830, dans une ferme de Sainte-Marguerite, il est deux heures de l'après-midi quand un homme de 63 ans rend l'âme sous les yeux de son gendre. Banal. Mais ce défunt n'a pas eu une vie ordinaire...

Emmanuel Joseph Catelain est né en 1767 dans le Pas-de-Calais. Ses parents étaient agriculteurs mais le travail de la terre ne l'attirait pas. Non, sa vocation l'aspirait vers la vie monacale. Alors, à 21 ans, il se fit profès à l'abbaye de Jumièges. Un jour de septembre 1788, il arriva dans cette grande maison où subsitaient bien peu de moines sous la houlette de Dom Bride, le prieur. Quelques mois après son arrivée, Dom Catelain voit la Révolution éclater. C'est alors que réapparait à Jumièges l'ancien cellérier de l'abbaye, un chtimi comme Catelain. Dom Desaulty avait été envoyé en disgrâce à Caen pour avoir porté les yeux, et peut-être un peu plus, sur la plus belle créature du village, Mlle Dinaumare, fille de l'homme d'affaires du couvent.

Dans son ouvrage, Les derniers moines de l'abbaye de Jumièges, Emile Savalle parle ainsi de Desaulty : " En 1792, il brigua les suffrages des habitants pour être nommé officier municipal ; mais un assistant, bedeau de la paroisse, ayant déclaré avec fermeté à l'assemblée électorale qu'on n'avait pas besoin de calotins, M. de Saulty, grâce à cette opposition inattendue, fut évincé.
"Il s'associa bientôt avec un ex-Bénédictin, Dom Catelain, et tous deux allèrent s'établir sur une ferme de Saint-Wandrille. Leur accord fut de courte durée, et M. de Saulty entra dans l'armée..."

A la tête de sa commune

Savalle a commis beaucoup d'erreurs dans sa relation des événements survenus à Jumièges. Ce que l'on sait, c'est qu'en avril 1790, on retrouve Dom Catelain étudiant à l'abbaye de Saint-Wandrille où trois autres profès de Jumièges l'ont suivi : Capperon, Lemaire et Lemoine le bien nommé. La communauté compte une vingtaine de moines autour de Dom Ruault, le prieur qui est aussi... maire de la commune.



Mais les événements se précipitent. En juin 1791, Dom Catelain voit son prieur partir pour la cure d'Yvetot, accompagné d'une foule considérable. De là, Ruault sera bientôt député à la Convention. Un exemple. Le 2 septembre 1792, notre jeune Bénédictin n'hésite pas une seconde : il prête serment à la constitution civile du clergé. La légende veut que les vingt moines de Fontenelle aient juré rassemblés devant le maître-autel. Mais ces adhésions furent manifestement individuelles...
Le mois suivant, paré des symboles de la Première République, voilà le citoyen Catelain élu président du comité de surveillance de Saint-Wandrille. Il en assurera aussi le secrétariat tout en se faisant instituteur auprès des enfants de la commune. En août 1795, on lui prête une habitation à Ectot-lès-Baons, près d'Yvetot, mais son activité reste bien à Saint-Wandrille.

L'ancien moine se marie

Maintenant, le citoyen Catelain ne fait pas qu'épouser les idées nouvelles. A force de signer à tour de bras les actes d'état civil, il finit par se marier lui aussi. Et il y a urgence...
Il a 29 ans quand, agent municipal de Saint-Wandrille, il convole à Rançon, le 30 août 1796, avec Marie L'Hérondel, enceinte de deux mois. Marie a exactement son âge et elle vient d'enterrer son mari, Nicolas Soudais, un cultivateur élu premier maire de Rançon en 1795 et mort cette année-là au mois d'octobre. Dix ans plus tôt,, Nicolas Soudais avait obtenu un bail de 27 ans pour exploiter le moulin à eau à double moulage de Rançon. Il avait été vendu 6000 livres au titre des biens nationaux.
Au mariage, toute la famille Lhérondel est là, dominée par le père, maître meunier à Caudebequet. Les Lhérondel viennent tout juste d'acheter le clos, la fontaine et la ferme de Caillouville pour 25.000 F. La fontaine est courue chaque vendredi par des pèlerins en quête de guérison miraculeuse... Les Lhérondel ne tarderont pas à démolir la chapelle malgré l'extrême dévotion des fidèles.

Sept mois plus tard, le 3 avril 1797, Marie L'Hérondel accouche d'une fille baptisée Félicitée. Elle sera élevée avec Marie Sophie Soudais, née du premier lit de sa mère et de cinq ans son aînée.

Vingt ans de mandat

Poursuivant sa carrière à la tête de sa commune, notre moine défroqué sera maire de Saint-Wandrille de novembre 1803 à juillet 1823. Vingt ans ! Un temps, il aura ainsi pour adjoint son beau-frère, Guillaume Lhérondel, maître meunier à Caillouville comme son père. Clin d'œil de l'histoire, à Jumièges, l'ancien moine Desaulty, dont on a déja évoqué l'amitié avec Catelain, sera lui aussi maire de sa commune...

 Entre temps, la fille Catelain aura grandi. A 18 ans, Félicitée épousa, en novembre 1815, Etienne Levaillant, un cultivateur qui allait s'installer bientôt à Sainte-Marguerite. Le même mois, la demi-sœur de Félicitée convolait elle aussi avec un Levaillant, Louis Désiré, le propre frère d'Etienne. On a le sens de la famille...

Que sait-on de Catelain durant toutes ces années. En 1820, au lieu dit le Haut-Pas, il était encore propriétaire d'un moulin à blé. Celui-ci, déjà mentionné en 1222, appartenait à l'abbaye de Saint-Wandrille jusqu'en 1791.

Le 28 juillet 1823, c'est Augustin Lenoir qui lui succéda à la mairie. Propriétaire de l'abbaye où il installa une usine de produits chimiques, Lenoir est cet homme que fustigera Victor Hugo lorsqu'il se fera rembarrer des ruines. "En sortant de chez l'immonde propriétaire de Saint-Wandrille, je félicite M. Casimir Caumont d'avoir Jumièges et Jumièges d'avoir M. Casimir Caumont."

Catelain n'était plus aux affaires depuis exactement un an quand, le 27 juillet 1824, la duchesse de Berry vint visiter l'abbaye. Cette monarchiste n'était pas sa tasse de thé. Car en 1826, Catelain se fend de 10F lors d'une souscription lancée par le Dr Lechaptois, de Caudebec, aux fins d'élever un monument à la mémoire du général Foy, héros de l'Empire, député libéral opposé à la Restauration. On devine les idées de Catelain...

Le 5 août 1829, Catelain vit encore passer à Saint-Wandrille la Dauphine qui visita l'abbaye et laissa une obole à partager entre les pauvres. A cette époque courait le bruit d'une destruction prochaine des restes du vieux moutier. On prêtait à Lenoir le projet de les vendre aux Anglais.

Sa mort à Sainte-Marguerite


En avril 1830, l'ancien moine s'en va résider à Sainte-Marguerite, chez sa fille et son genre à la ferme de la Crique, tout au nord de la commune. Ce domaine comprend une maison de fermier mais aussi un magnifique pavillon de maître à deux étages. C'est là que, le 3 juin, trépasse Catelain. Deux heures plus tard, Levaillant se rend à la mairie pour déclarer le décès en compagnie de Jean Romain Pécot, journalier à Epinay.
Puis la dépouille de feu Catelain prit la route de Saint-Wandrille-Rançon et, le cinq juin, le jeune curé Fresnel procéda à l'inhumation. Un mois plus tard, Catelain dut se retourner dans sa tombe car Fresnel était un Carliste qui, lors de la Révolution de Juillet, se montrera résolument hostile au drapeau tricole...

En rédigeant l'acte de décès de Dom Catelain, l'officier d'état civil de Sainte-Marguerite avait commis un erreur en le déclarant veuf. L'épouse du cy-devant moine était bien vivante et lui survécut encore 18 ans. En avril 1848, après une nouvelle Révolution, elle mourut à 81 ans à Saint-Wandrille-Rançon. Son gendre, Levaillant, était alors maire provisoire de la commune. Décidément...
Laurent QUEVILLY.