Mgr Frédéric Fuzet visita trois fois le canton. En 1901, 1906 et 1911. Fuzet, un personnage controversé...

La fièvre violette...

Né à Laudun le 9 septembre 1839, Frédéric Fuzet a débuté sa carrière ecclésiastique au séminaire de Nimes. Après quelques années de cure paroissiale, l'abbé Fuzet est nommé évêque de La Réunion en 1887. Ses détracteurs disent de lui qu'il avait la « fièvre violette », Autrement dit  qu'il aura tout fait pour devenir évêque. Pour plaire aux autorités, Frédéric Fuzet se dit farouchement républicain. Les Catholiques conservateurs, hostiles à la IIIe République, le soupçonnent du coup d'être franc-maçon. En 1893, détesté du clergé réunionnais, il est nommé évêque de Beauvais. Là, on l'accuse de piller les églises de son diocèse. Voilà donc l'homme qui, en 1899, est nommé archevêque de Rouen et parcourt le canton de Duclair deux ans plus tard. Le compte-rendu du Bulletin religieux.

D'abord à Boscherville

Lundi 29 avril 1901. Monseigneur l'Archevêque doit se rendre aujourd'hui à Saint-Martin-de-Boscherville. Le jour débute dans la pluie. Ondées lentes, abondantes, pénétrantes ; et froides par surcroît. L'hiver serait-il revenu ? Mais ce manteau d'ouate grise va bien à la grave abbaye de Saint-Georges, aujourd'hui l'église paroissiale de Boscherville. Sa silhouette se dresse à l'entrée de la large vallée ; nef superbe, clocher qui défie des siècles après des siècles. Le premier aspect est magnifique, de quelque côté qu'on arrive. Alentour, la plaine voilée de pluie, les prés quicommencent à verdoyer, puis les bois, les bois, « et leur vaste silence ». On va entrer dans le temple. Comment !d es légions de moines ne se lèveront pas pour venir au-devant du Pontife! Faite par eux et pour eux, l'église est bien mélancolique sans eux.

Le bon pasteur qui leur succède a pour ce monument des soins zélés; mais sa tâche est, il faut l'avouer, souvent difficile. L'entretien d'une pareille basilique exigerait des richesses. L'Administration des Beaux-Arts sait apporter des secours, mais elle ne peut pas toujours les multiplier suivant les nécessités. Aujourd'hui, c'est toute la toiture qu'il faudrait refaire. « La solidité de l'édifice n'est pas encore menacée, mais il y va de sa bonne conservation. » L'excellent curé de Saint-Georges le dit, et il implore l'intervention de Monseigneur l'Archevêque, qui s'empresse de la promettre.
La réception de Monseigneur a se faire d'abord à la sacristie, en raison du mauvais temps. M. le Maire, M. le Curé, Messieurs de la Fabrique, ont présenté leurs hommages. La Confirmation s'est accomplie ensuite dans la nef immense. L'après-midi, Monseigneur a visité la célèbre salle capitulaire, d'un gothique si élégant et si pur.

On attend un presbytère à Duclair...

A cinq heures, ce même jour, Sa Grandeur est à Duclair.

Toutes les autorités viennent saluer l'Archevêque de Rouen. Le conseiller général, le conseiller d'arrondissement, sesont fait honneur d'être les premiers. Ce n'est pas sans peine que M. le Doyen réussit à faire au Pontife le digne accueil que son respect filial désirait. Le dévoué prêtre a, en effet, un domicile provisoire, plus que modeste. A la mort de son prédécesseur, M. l'abbé Baudouin, l'architecte départemental a déclaré la maison curiale de Duclair insalubre et inhabitable. M. le Curé attend donc que s'élève bientôt un convenable presbytère. Il sait néanmoins, « nécesssité d'industrie est la mère », offrir à son Chef une hospitalité parfaite.

L'asile de Jumièges...


De là, Monseigneur va, le lendemain, visiter Jumièges, pour rentrer le soir à Duclair.

La réception, à Jumièges, ne manque pas de pittoresque. Voici trois confréries de charité aux costumes de couleur variée. Quelques-uns de leurs membres portent le dais, en grande parure de fête. Procession nombreuse et brillante, souhaits de bienvenue offerts en termes heureux par M. le Maire, présence du conseil municipal, cérémonie bienorganisée.

Dans la soirée, Monseigneur contemple les fameuses ruines de l'abbaye. Si on l'osait dire, il inspecte en connaisseur toutes les pierres. Le musée aussi est examiné par lui, en détail, avec le plus vif intérêt. Toutefois, il faut se hâter. C'est de la mort que ces ruines, si admirables soient-elles. A côté, voici de la vie. Non pas ces rameaux qui fleurissent dans l'enchevêtrement des ogives, mais cet asile de petits enfants, là, créé par Mme Lepel-Cointet, la noble bienfaitrice. Il faut l'aller voir. Il est admirablement organisé; vrai nid d'oisillons, qui pépient dans les meneaux, les colonnes, les sculptures effritées, à deux pas de la tour en lézardes. Monseigneur bénit paternellement ces petits, qui le complimentent de façon exquise. Avec eux il bénit aussi les dignes religieuses de Sainte-Marie de Torfou, par lesquelles est dirigée cette œuvre charmante. Et de nouveau le voici à Duclair.

385 confirmations

C'est mercredi 1er mai. 140 enfants de la paroisse attendent de son ministère le Sacrement qui fait les forts, 66 d'Anneville. 19 de Bardouville, 136 de Saint-Pierre-de-Varengeville, 24 dYville. Monseigneur les confirme, 385 au total dans la vieille église aux colonnes monolithes, au clocher XIe siècle, aux marbres gallo-romains, aux précieuses verrières. Le pasteur exprime sa vénération ardente pour son Archevêque. Il loue « et son grand cœur, et sa haute intelligence, et son excessive bonté, et son tendre amour envers lès enfants ». Monseigneur remercie aimablement; il encourage le bon prêtre, il fait des vœux pour la restauration prochaine de l'antique église. Demain, Monseigneur sera à Saint-Paër.

L'érudit de Saint-Paër


On a fait d'assez importants travaux à l'église de Saint-Paër depuis quelques années : déplacement et restauration des fonts baptismaux, ouverture de cinq fenêtres, érection d'un Chemin de Croix et de plusieurs statues ; lustres,tapis, candélabres, etc.; en deux mots, perfectionnement du mobilier. Il reste à faire quelques acquisitions encore; et on y arrivera vite, grâce à la bonne entente des représentants du pouvoir, grâce aussi à l'habituelle générosité des châtelains ; enfin, par le zèle intelligent de M. l'abbé Mauger, le sympathique curé de la paroisse.

Un des meilleurs trésors de Saint-Paër, c'est peut-être son registre de récentes annales. Elles ont été écrites patiemment, habilement, par un des anciens curés, aujourd'hui l'un des plus vénérables dignitaires de la Cathédrale. M. le chanoine Thiesse a mis là, autrefois, beaucoup d'application et de savoir. Au jour le jour, pendant la guerre de1870, il a aussi consigné, d'un style clair et simple, tous les événements qui intéressaient la commune.
Avis
aux futurs érudits : ils trouveront un jour, aux archives de Saint-Paër, des « sources » autorisées.

De Saint-Paër, Monseigneur se rend à Saint-Wandrille...

La visite de 1906

Monseigneur s'arrête d'abord à Saint-Martin-de-Boscherville.

Si la population de la paroisse diminue, l'harmonie, la concorde entre les diverses autorités, le respect de la religion restent des traditions précieusement conservées. Sa Grandeur a la joie de trouver là traduites en actes et combien parfaitement ! les recommandations qu'elle a adressées dans le Mandement du Carême au sujet des catéchistes volontaires. Depuis la visite pastorale de 1901, M. le Curé a fêté ses vingt-cinq ans de pastorat dans la paroisse, et, à cette occasion, on lui a offert par souscription la somme nécessaire pour effectuer un travail désiré par Monseigneur : une belle balustrade en pierre entoure la chapelle des Fonts baptismaux (1). Avec une grande délicatesse de cœur, Monseigneur dit qu'il veut imiter ces paroissiens si généreux et donne au vénérable curé son offrande jubilaire en le nommant chapelain d'honneur de la Cathédrale.

(1) Les Fonts baptismaux sont composés d'une cuve à plan carré supportée par une colonne centrale cantonnée de quatre colonnettos. Sur les quatre faces de la cuve sont sculptés des animaux symboliques et des ornements dans le style de l'église. La balustrade formant clôture de la chapelle des Fonts est composée de cinq panneaux reliés par des pilastres. Dans chacun de ces panneaux sont sculptés des animaux symboliques; une frise d'arcatures et un porte-mains orné en font le couronnement. Le tout est l'œuvvre de M. Félix Bonet ; architecte. M. Lefort. La grille en fer forgé donnant accès dans la chapelle a été exécutée par M. Tois, serrurier à Rouen.


A Duclair, de nombreuses paroisses avaient amené leurs enfants en procession, en voiture, par bateau. Depuis le dernier passage de Monseigneur, un presbytère a été construit dans ce pays ; c'a été l'œuvre principale; quelques améliorations de détail ont été réalisées. Il serait bien nécessaire de restaurer l'église et de débarrasser les murs du badigeon qui en cache l'appareil ; mais est-ce le moment d'entreprendre ces travaux et de faire ces dépenses, devant lesquelles on n'aurait pas reculé il y a vingt ans? Le temple spirituel est sans cesse restauré, et M. le Doyen, à une population excellente - très attachée au paradis terrestre qu'est son sol fertile et son site pittoresque -, rappelle les vérités éternelles sans jamais se lasser de catéchismes ni de prédications. Du moins, à l'heure où l'éternité va commencer, les âmes reviennent fidèlement à Dieu, et ces ouvriers de la onzième heure, bien préparés, doivent recevoir la récompense promise par le Maître dans sa grande miséricorde !

Dans l'après-midi de ce lundi de Pentecôte, Monseigneur se rend à Villers-Ecalles. Une seconde cérémonie le même jour, c'est une vraie fatigue ; mais, par suite de circonstances particulières, il y a trente-huit ans que la Confirmation n'a été donnée dans cette église, et des ouvriers ont pris l'initiative d'une adresse à Monseigneur; ils y exposaient leur désir de connaître leur Archevêque, et le cœur du père se laissa toucher, accordant à ces heureux solliciteurs une cérémonie chez eux, un jour de chômage.

C'est la même bonté paternelle qui conduit Monseigneur à Saint-Pierre-de-Varengeville. Dans ces deux paroisses, c'est la même foule attentive, respectueuse, recueillie ; c'est un champ bien préparé dans lequel tombe la bonne semence des recommandations que Monseigneur adresse à ces fidèles sur leurs principaux devoirs religieux et les obligations spéciales à notre temps. Les pasteurs, par leur zèle, en écarteront l'ennemi qui sèmerait la mauvaise herbe, et la moisson sera abondante pour la gloire de l'Eglise et pour la consolation de ceux qui aiment ce peuple chrétien.

En ces trois jours, Monseigneur l'Archevêque a administré le sacrement de Confirmation à 850 enfants.

La visite de juin 1911


Au lendemain de la Fête-Dieu solennisée en l'église Cathédrale, Monseigneur l'Archevêque s'est rendu dans le doyenné de Duclair.

M. le Doyen pourra avec raison, aux portes de l'église, se féliciter des bonnes relations entretenues avec tous, car la preuve vient d'en être fournie par la présence au presbytère, de M. le Maire, de M. le Conseiller Général, des deux conseils, municipal et paroissial, qui ne cesseront, depuis le matin jusqu'à une heure avancée de l'après-midi, d'accompagner Sa Grandeur.
M. le Doyen fait la revue des œuvres catholiques très prospères, de la piété rassemblant à l'église, même en semaine, la partie du bourg qui possède plus de loisirs et plus de liberté ; se félicite surtout du succès d'une belle mission qui, en dépit des éléments déchaînés, a pu grouper une nombreuse assistance, allant jusqu'à douze cents personnes, provoquer de nombreux retours et donner des espérances pour l'avenir.
Près de cinq cents enfants de Duclair, de St-Pierre-de-Varengeville, de Ste-Marguerite, Epinay, d'Anneville, de St-Paer, d'Yville et de Bardouville ont participé à la cérémonie.

La fin de la soirée était destinée à Jumièges. Ces bords enchanteurs de la Seine ont le privilège d'élever encore vers le ciel leurs vieilles églises abbatiales, quelquefois, hélas I comme à Jumièges, à l'état de ruines encore imposantes. Qui peut se défendre d'un serrement de cœur lorsque au tournant de la descente il aperçoit tout à coup les deux belles tours de Jumièges et la partie conservée du transept dressant dans le ciel leur haute silhouette.

L'église paroissiale elle-même que les moines avaient fait élever pour le service paroissial, ressemble par les proportions de sa nef et de son chœur aux chapelles rayonnantes, à une vaste et antique collégiale ; mais dans quel état, hélas ! On maintient debout, on entretient, et c'est déjà une œuvre lourde, que d'empêcher le temps de continuer son œuvre.

Là aussi les vieilles traditions se maintiennent. M. le Maire et les deux Conseils sont au complet pour recevoir Monseigneur l'Archevêque, et quand 171 enfants de Jumièges, de Mesnil-sous-Jumièges, du Trait-Yainville et d'Heurteauville auront reçu la Confirmation, ce sera une grande joie pour le bon Curé, qui depuis vingt-six ans prodigue à ce bon peuple son dévouement, d'offrir à Monseigneur ces trois célèbres confréries des blancs, des rouges et des verts (ceux-ci pour rappeler la fameuse légende de sainte Austreberthe).

Monseigneur les loue fort de garder ces vieilles traditions et les exhorte avec leur vénérable chef âgé de quatre-vingts ans à assurer l'avenir en recrutant des jeunes.

Pouvait-on mieux terminer cette visite pastorale que par la magnifique abbaye de Saint-Georges de Boscherville que Monseigneur ne craint pas de ranger parmi les plus belles de son diocèse. Les Archevêques de Rouen y revenaient souvent parce qu'ils en subissaient l'obsession et le charme. Le célèbre Eudes Rigaud visita vingt fois le monastère. De son manoir de « Deivilla » l'envie devait lui en prendre souvent.Il aimait l'Abbé et ses religieux, qui devaient être de bien vaillants religieux, pour que la « Gallia Christiana » ait pu dire d'eux : « huit moines de Boscherville faisaient autant de travail en une journée que quarante des autres, abbayes ». Leurs Abbés furent souvent célèbres. L'un assista au Concile de Vienne ; un autre à celui de Constance ; d'autres moururent dans la pourpre : Bohier et les Aloys d'Esté et Hippolyte d'Esté mort archevêque de Lyon. Que reste-t-il de tant de splendeurs? Une abbatiale toujours debout et merveilleusement restaurée par l'Etat. Une commune très unie sous une administration dont tous les membres s'étaient joints au Conseil paroissial pour offrir leurs hommages au premier Pasteur du diocèse, si bien qu'on a pu faire observer que depuis Guillaume le Conquérant, bienfaiteur insigne de cette église, jusqu'aux jours présents, il semble que cette entente très cordiale entre les pouvoirs n'ait jamais été rompue.

Pour entretenir un édifice aussi vaste, il n'est pas trop du concours de toutes les bonnes volontés. Mais tous le comprennent et il y a des bienfaiteurs qui entraînent par leur exemple et dont le nom est sur toutes les lèvres. Aussi c'est avec une vive satisfaction que Monseigneur l'Archevêque en entend l'assurance, bénit tous ces dévouements et se proclame très heureux de venir après tant de ses prédécesseurs revoir la bonne paroisse et la belle abbaye de Saint-Georges. La confirmation est donnée à 111 enfants de Saint-Georges, d'Hénouville, de Saint-Pierre et de Montigny.


Lorsqu'éclate la Première Guerre mondiale, Mgr Fuzer adhère sans réserve à l' Union sacrée, mais il succombe à une crise cardiaque le 20 décembre 1915. Il est enterré dans la chapelle Jeanne-d'Arc de lacathédrale de Rouen , où il s'était réservé un caveau funéraire dans un enfeu et où il souhaitait être représenté engisant.


SOURCES

La Semaine religieuse
Wikipédia