Par Laurent Quevilly

En octobre 1761, des régiments s'apprêtent à prendre encore leurs quartiers d'hiver dans nos paroisses. Excédés, les habitants protestent. Arguments.


D'abord cette lettre à l'abbé de Jumièges. Nous sommes en 1761...

A son altesse Monseigneur le prince de Lorraine, grand doyen de l'illustre cathédrale de Strasbourg, abbé commendataire de l'abbaye royale Saint-Pierre de Jumièges.

SUPPLIENT très humblement les habitants en général de la paroisse de Jumièges.

Ils pillent tout !

REMONTRENT à votre altesse que depuis plusieurs années, ils ont eu le malheur d'être accablés par des troupes qui y ont été envoyées en quartier d'hiver, ce qui les a réduits dans la dernière misère étant parce qu'ils n'ont pas dans le pays de quoi leur fournir des logements, que parce que ces troupes étant dans un village manquent la plupart du temps d'officiers pour les retenir dans le devoir, pillent et prennent indistinctement tout ce qu'ils peuvent leur attraper comme volailles qui font partie du trafic du pays, fèves et autres denrées de pareilles espèces.

Leurs chevaux ont la morve !

LES pauvres laboureurs ont été contraints de céder les écuries de leurs chevaux et les laisser au gré des vents pour loger ceux des troupes, de sorte que quelques uns ont perdu leurs chevaux et par la privés de cultiver leurs terres
.



LES suppliants courent encore un autre danger aussi funeste qui est que les chevaux de ces troupes envoyés dans le village sont pour la plupart attaqués d'une maladie que l'on appelle morve, laquelle est si contagieuse que quoique l'on eut très soin de s'écarter de ces sortes de chevaux, cependant quelques uns du pays en ont été aussi attaqués.

C'est la guerre...

La paroisse de Jumièges a été obligée de se cotiser et payer pour le logement de ces troupes la présente année par ordonnance de Monsieur l'intendant de la généralité de Rouen une somme de 1800 livres sans que toutes ces charges diminuent en rien à quoi les habitants sont tenus chaque année pour les tailles, capitations, camps de troupes, dixième denier et autres droits royaux. De façon que l'on est obligée la plupart du temps de réduire une grande partie de ces habitants dans la dernière des misères pour les contraindre au paiements de toutes ces subsides. La guerre actuelle oblige grand nombre des habitants d'aller à l'armée navale que l'on contrainte pour garder les ports de mer. Leurs enfants, leurs femmes sont pendant ce temps dans la disette. En ce que tout le commerce de ce pays situé sur les bords de la rivière de Seine dont la navigation fait le principal but n'ayant plus de lieu, ils se trouvent dépourvus de toute ressources.

C'est dans ces  circonstances que les suppliants se jettent aux pieds de votre altesse.

A ce qu'il plaise à votre altesse les protéger et soulager dans leurs prières et par votre autorité les exempter à l'avenir ces troupes en quartier d'hiver.

Les suppliants ne cessent de faire des vœux au ciel pour la santé et  prospérité de votre altesse.

Jacques Lecouteux, Pierre Legendre, Jean Maze, Pierre Boutard, Hue, Valentin Herpin, J. Renault, Robert Leroux, P. Vauquelin, J. Cannoges (?), Nicolas Nobert, Nicolas Boutard, Valentin  Tropinel, Joseph Duquesne, G. Renault, Charles Metterie, Louis Le Metterie, Valentin Cabut saindic, Jean Lerisson (?), Nicolas Poiesson, Louis Vastey, J. Nobert, Richard Vasté sindic, FPL, Delahaye.



La réaction de l'abbé de Jumièges


A Strasbourg, ce 28 octobre 1761,

François Camille de Lorraine par François-Hubert Drouais Les habitants de Jumièges, Monsieur, m'ont fait solliciter vivement pour que j'obtinsse qu'ils fussent exempts, de troupes cet hiver, vu la misère ou les ont réduits celles qu'ils ont eues les années précédentes. Je n'ai pas voulu être plus instruit de la vérité des faits. Voici une requête qu'ils me présentent en corps (sic). Je vous la renvoie, Monsieur, et vous prie de vouloir bien y avoir égard. Je serais fâcher de demander une grâce qui put nuire au bien du service et qui foulat trop d'autres communautés, mais je connais de réputation et votre sagesse et votre prudence. Je ne doute point que vous leur fassiez ce plaisir pour moi, je m'estimerais trop heureux d'être à même de vous donner des preuves de l'estime parfaite avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monseigneur, votre humble et très obéissant serviteur.

L'abbé de Lorraine

La lettre des Duclairois


Monseigneur l'intendant de la généralité de Rouen,

Supplient humblement les syndics et habitants du bourg et paroisse de Saint-Denis-de-Ducler,

Et vous remontrent qu'ils viennent d'apprendre avec douleur qu'ils sont chargés pour la quatrième année consécutive d'un quartier d'hiver d'une compagnie de cavalerie du Royal Étranger (N.D.L.R. régiment fondé en 1635 et toujours existant au sein de la légion étrangère), les trois précédents n'étant pas encore payés, les dits habitants se trouvent maintenant si surchargés que plusieurs propriétaire de ce lieu sont fuis dans les paroisses circonvoisines, rapport aux charges de logement de troupes, casernements, industries sont gratuits, montant ensemble annuellement à plus de 2000 livres, ce qui donne lieu aux dits habitants aujourd'hui de vous présenter, Monseigneur, leur très humble requête.

Ce qu'il vous plaise Monseigneur leur accorder dispenses, plaît aussi que vous l'avez précédemment fait des paroisses en aides pour les fournitures des meubles et ustensiles nécessaires pour caserner la dite compagnie de cavaliers ainsi que pour aider au paiement des frais du coût du dit quartier d'hiver. Les paroisses que votre grandeur à ordinaire d'accorder sont celles de Berville-sur-Seine, vis à vis le Port-Ducler, Anneville, Hénouville, Saint-Thomas-la-Chaussée, Saint-Pair et Sainte-Marguerite-sur-Ducler.

Et les dits habitants ne cessent de continuer leurs vœux et prières pour la conservation de votre grandeur et rendrez justice. Présenté le 26 octobre 1761.

JL Baron, Gendre (?), C. Roger, Hamelet, Jean Conihout, Jean Serre, Denis Hamelin, Jean Lejeune, Pierre Poisson, Guillaume Le Mettais Sindic, Pierre Hamelin, Denis Letanneur.

Une main a rajouté dans la marge: La demande des habitants de Ducler me paraît juste. Accorde Berville 4 lits et Anneville 6 lits, le 26 octobre 1761.

Déjà en 1631...

Le prieur obtint, en 1631, que tous les habitants de la péninsule ne soient pas tenus de fournir le logement aux gens de guerre ni le moindre secours. Quand, un peu plus tard, arriva une compagnie pour cantonner à Jumièges, nos ancêtres prirent les armes. Sans l'intervention du prieur, ils massacraient les soudards...

...puis en 1747


A cette époque, un régiment s’établit dans deux fermes de Jumièges. Deux cavaliers se battirent un jour en duel. L'un fut tué en un lieu que l'on nomma bientôt le Trou-du-Soldat. Comme on allait passer son adversaire aux verges, l'abbé Grenier demanda sa grâce. La victime était peut-être ce trompette du régiment de Rohan, enterré dans le cimetière en 1747. 

La morve se déclara dans les écuries et l'on jeta les cadavres des chevaux dans le Long-puits.

Le 19 octobre 1749, Grenier obtint d'un cavalier écossais son abjuration de la religion protestante. Il s'appelait Jean Stuart, fils d'autre Jean et d'Agnès Keith, de la paroisse de Glamz, près de Dondée. Il avait 18 ans et appartenait au régiment irlandais de Fitz-James, compagnie de Patrice de Nugent.

L'opposition à la venue de militaires est patente à travers cette anecdote qui reste à dater. Le syndic de la paroisse, sans doute aubergiste, refusa un jour la venue de cinq voitures de l'armée. Pour le punir, on lui opposa durant 24 heures cinq cavaliers. Après leur départ, il fit le compte de leur consommation: 100 œufs, 10 livres de lard salé, 6 livres de bœuf, 15 livres de pain, 72 pots de cidre. Oui, 72 pots de cidre. A cinq; En 24 heures. Belle soif, non ?



SOURCES

Archives départementales de la Seine-Maritime, cote C 740, documents numérisés par Jean-Yves et Josiane Marchand.