Le
bac de la Mailleraye,
à Sainte-Marguerite-sur-Duclair et au Trait, depuis son
établissement jusqu'à la fin du VIIIe
siècle.
(Vernier, société des Antiquaires de Normandie, 1915)
Dans
son ouvrage si instructif, si plein de choses et de faits, sur la
Vicomte de l'Eau de Rouen et ses coutumes au XIIIe et au XIVe
siècles, M. de Beaurepaire a donné, aussi
complètement qu'il était possible de le faire
d'après les documents d'archives, la liste des bacs, ports
et
passages, — ces trois mots étaient souvent
employés
dans le même sens, — établis sur la
Seine depuis
Vernon jusqu'à la mer. A partir de Rouenet en aval, on n'en
comptait pas moins de dix-sept.
Je ne fais que les indiquer d'après M. de Beaurepaire. C'étaient : les bacs de Rouen à Croisset ; de Croisset ; de Dieppedalle à la chaussée du Grand-Quevilly, qui appartenait, à la fin XVIIIe siècle, à Catherine de Moutier, veuve de J.-B. Ango, marquis de La Motte-Lézeau ; de la Bouille à Sahurs ; de Caumont à Saint-Pierre-de-Manneville, de Nouret, du Val des Leus, ces trois derniers dépendant de la baronnie de Mauny ; de Saint-Georges-de-Boscherville, qui appartenait, au XIIIe siècle, aux religieux de Saint-Georges; ceux de Duclair, de Jumièges, du Gouffre, d'Heurteauville et du Trait, aux religieux de Jumièges, de Caudebec, aux religieux de Saint-Wandrille ; le passage de Courval ou de Vieux-Port, d'abord aux moines de Jumièges, puis plus tard à Charles de Cossé, comte de Brissac, maréchal de France, seigneur d'Etelan ; ceux enfin de Quillebeuf et de Tancarville, celui-ci au comte de Tancarville.
8 mars 1486...
Je ne fais que les indiquer d'après M. de Beaurepaire. C'étaient : les bacs de Rouen à Croisset ; de Croisset ; de Dieppedalle à la chaussée du Grand-Quevilly, qui appartenait, à la fin XVIIIe siècle, à Catherine de Moutier, veuve de J.-B. Ango, marquis de La Motte-Lézeau ; de la Bouille à Sahurs ; de Caumont à Saint-Pierre-de-Manneville, de Nouret, du Val des Leus, ces trois derniers dépendant de la baronnie de Mauny ; de Saint-Georges-de-Boscherville, qui appartenait, au XIIIe siècle, aux religieux de Saint-Georges; ceux de Duclair, de Jumièges, du Gouffre, d'Heurteauville et du Trait, aux religieux de Jumièges, de Caudebec, aux religieux de Saint-Wandrille ; le passage de Courval ou de Vieux-Port, d'abord aux moines de Jumièges, puis plus tard à Charles de Cossé, comte de Brissac, maréchal de France, seigneur d'Etelan ; ceux enfin de Quillebeuf et de Tancarville, celui-ci au comte de Tancarville.
Le bac de la Mailleraye en 1850 |
8 mars 1486...
Le bac de la Mailleraye à Sainte-Marguerite-sur-Duclair et au Trait n'est pas aussi ancien que ceux que je viens de rappeler. Il ne fut établi qu'à la fin du XVIe siècle, et il a son origine dans la cession du droit de bac consentie le 8 mars 1486 (n. st.) par Guillaume d'Harcourt, comte de Tancarville et de Montgommery, vicomte de Melun, seigneur de Montreuil-Bellay, de Noyelles-sur-Mer, du Trait et de Sainte-Marguerite, et connétable hérédital de Normandie (*), en faveur du chevalier Colart de Mouy, seigneur de Mouy, de Bellencombre et de la Mailleraye (**), conseiller et chambellan du Roi et son bailli à Rouen.
(*) Guillaume d'Harcourt était fils de Jacques d'Harcourt qui, en 1417, avait épousé, en son château de Noyelles-Sur-Mer, Marguerite, fille et unique héritière de Guillaume de Melun et comtesse de Tancarville (Cf. A. Deville, Histoire du château et des sires de Tancarville, p. 185).
(**) Dès 1405, la terre de la Mailleraye appartenait à la noble et ancienne famille de Mouy, originaire du Ponthieu, qui la posséda pendant plus de 250 ans (Cf. Guilmeth, Description géographique des arrondissements du Havre, Yvetot et Neufchâlel, t. II, arrond. d'Yvetot, pp. 189 et 191, n. 1).
Par cette concession, le comte de Tancarville accordait au seigneur de la Mailleraye tout pouvoir pour établir sur la Seine, à la Mailleraye, un passage public, c'est-à-dire, en employant les termes mêmes de l'acte, "pour ce ediffier, construire et entretenir bateaulx et autres choses neccessaires, a leurs despens, pour faire passage a leur prouffit pour passer et repasser eulx, leurs gens, chevaux, harnoys, charoys et biens quelconques, ensemble et toutes autres personnes, biens et choses que bon leur semblera, du vasier dudict lieu du Traict jusques a la Mesleraye, et d'iceluy lieu de la Mesleraye audict vasier, par dessus noz eaues, de jour, de nuyt et a toutes heures qu'il plaira au passagier qui par eulx y sera commis et que besoing et mestier en sera, a l'endroit du lieu nommé et appelle le Becquet de l'isle de la Hogue, et illecques faire et. entretenir, se bon leur semble, et a leurs dicts despens, une chaussée de pierre ou autre, telle que bon leur semblera, pour plus aisément monter et descendre ausdicts bateaulx, s'ilz voyent que bon soit... (*). "
(*) Je tiens à prévenir le lecteur que tous les extraits donnés au cours de cette notice sont, à moins d'indication contraire, empruntés à des documents appartenant au fonds du marquisat de la Mailleraye déposé aux archives de la Seine-Inférieure.
Cette donation comportait pour le donateur certains droits et privilèges et pour le donataire certaines obligations qu'il me faut rapidement indiquer. En tout premier lieu, Guillaume de Tancarville, ses héritiers et successeurs, devaient bénéficier de la gratuité absolue du passage pour leurs personnes, leurs bestiaux et leurs biens ou denrées ; la même franchise serait octroyée à leurs vassaux et sujets des paroisses de Sainte-Marguerite et du Trait, c'est-à-dire qu' "ilz seront passez et repassez, leurs corps, bestiaulx de leur nourreture et biens de leur creu et toutes autres choses pour leur user, francs et quittes audit passage..".
D'autre part, il serait loisible au chevalier de Mouy, et aux seigneurs de la Mailleraye ses successeurs, de percevoir, pour le passage des personnes, des bestiaux, des marchandises, tels droits qu'ils jugeraient convenables, à charge pour eux d'entretenir toujours en bon état les bacs et bateaux, les chaussées et les chemins.
En outre, ils seraient tenus, à titre de reconnaissance de fief et ce incontinent après ledit passage encommancé à faire, de payer chaque année, et pendant douze ans, aux comtes de Tancarville, une paire d'éperons dorés de la valeur de soixante sols tournois : cette redevance fut, dans la suite, remplacée par une rente annuelle de trois livres payable au seigneur et châtelain de Sainte-Marguerite et du Trait (*).
(*) Le 50 septembre 1700, Jacques Du Fay-Maulévrier, seigneur et châtelain de Sainte-Marguerite et du Trait, reconnaissait avoir reçu de la marquise de Beuvron, dame de la Mailleraye, la somme de 24 livres en louis d'argent pour huit années d'arrérages, échues au jour de Noël 1699, d'une paire d'éperons dorez exlimez à soixante sols par an, deue audit seigneur du Taillis, à cause de sa chatellenie du Trait, sur le passage dudit lieu à la Mailleraye.
Enfin, s'il advenait par hasard que les seigneurs de la Mailleraye reconnussent que ledit port et passage tournast en ruyne et a non valoir, ou que ce ne fust pas leur, prouffit ou plaisir d'icelui entretenir ou les chaussées dudict passage, la faculté leur serait laissée de renoncer à l'entreprise, et aussi, par voie de conséquence, à la perception de tout droit.
L'accord ainsi établi entre les parties, le comte de Tancarville et le seigneur de la Mailleraye tinrent à prévenir toute opposition qui pourrait être faite à leur projet d'établissement du port en sollicitant du Roi l'autorisation nécessaire.
Ils firent ressortir dans leur supplique que leurs terres et seigneries du Trayt et de la Mesleraye sont situées et assises sur la rivière de Seyne, des deux costez de ladicte rivière, l'un d'un costé et l'autre de l'autre costé, et sontpopulées et habitées, et aussi plusieurs parroisses voisines et contigues d'icelles, de grant nombre de peuple et de plusieurs marchans frequentans en plusieurs foyres et marchez du royaume, et que pour la communicacion et frequentacion de la marchandise desdicts habitans, et pour le bien, proufit et utilité d'iceulx et de la chose publicque du pays, lesdicts supplians feroient et establiroient voluntiers ung port et passage de bateaulx a travers ladicte rivière de Seyne qui est commune entre eulx, a l'endroit de leursdictes seigneuries et au dedans des fins et metes d'icelles, a ce que lesdicts habitans, marchans et autres gens puissent passer et rapasser seurement la rivière, tant pour le fait de leurdicte marchandise que autres leurs affaires.
Avant que d'y faire droit, Charles VIII, par lettres du 8 mai 1487, prescrivit une enquête de commodo et incommodo. Une partie des seigneuries de Sainte-Marguerite et du Trait ressortissant au bailliage de Rouen, il semblait naturel que les officiers de ce bailliage en fussent chargés. Mais il ne faut pas oublier que le seigneur de la Mailleraye était bailli de Rouen : il était à craindre par conséquent que ces officiers ne pussent agir en toute indépendance et ne fussent trop enclins à le favoriser, — l'idée et le mot sont dans les lettres royaux. Aussi, le roi la confiat-il, pour qu'elle fût conduite avec toute l'impartialité voulue, au bailli de Caen, Alain Goujon, seigneur de Villiers, de Thiéville et du Mesnil-Garnier, son conseiller et chambellan.
Un an s'était presque écoulé quand, le 24 avril 1488, la comtesse de Tancarville — le comte Guillaume était décédé l'année précédente — et le chevalier de Mouy obtinrent du bailli de Caen un ordre d'informer que leurs procureurs, Robert Billard et Michel Le Poulletier, remirent le 8 mai à Jean Guelin, sergent royal à Rouen, le requérant en même temps d'ajourner à bref délai, à la Mailleraye, des témoins en nombre suffisant pour être entendus sur le prouffit ou dommage que le Roy nostre sire et la chose publique pourraient avoir en l'establissement d'un port et passage a travers la rivière de Saynne entre et a l'endroit des seigneryes du Traict et de la Mesleraye, et en l'edifficacion et construction dudict port et passage.
Près de cinquante témoins, habitants ou marchands, furent cités à comparaître par devant le bailli de Caen ou son lieutenant. Ce que fut le résultat de l'enquête, je ne saurais le dire, les documents faisant à peu près complètement défaut à partir de 1488 et jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Il est à présumer toutefois que le projet enquêté ne souleva aucune objection de principe. En tout état de cause, ce que l'on peut affirmer avec certitude, sur la foi d'un aveu rendu le 22 mai 1583 par le chevalierJean de Mouy, vice-amiral de France et l'un des gouverneurs de Normandie (*), sur la foi encore de documents des années 1693 et suivantes, c'est que les seigneurs de la Mailleraye jouirent toujours paisiblement et sans conteste du droit de bac, et que l'établissement du passage de la Mailleraye procura au public, habitants ou marchands de Sainte-Marguerite, du Trait, du Vaurouy et des paroisses circonvoisines, des avantages considérables en développant les relations commerciales entre le pays de Caux d'une part et d'autre part le pays de Roumois et la Basse-Normandie ; son utilité, voire sa nécessité, n'étaient plus et depuis longtemps mises en doute par personne.
(*) Extrait de l'aveu rendu le 22 mai 1585 par Jean de Mouy, seigneur des fiefs, terres et seigneuries de la Mailleraye et Hastingues : "Item sy ay droict, par accord et consentement des feux seigneurs prédécesseurs de Monsieur le duc de Longueville, seigneur de la terre et seigneurie du Traict, d'avoir bacz et basteaux pour passer les travers de la ryviere a venir et retourner de mondict marché [de la Mailleraye], et y prendre les prouffictz qui y appartiennent, mesmes faire chemin ou chaulsées sur les terres de ladicte seigneurie du Traict. "(Arch. de la Seine-Inférieure, B. 197, n° 55).
Mais il arrivait parfois, souvent même, au moment des grandes eaux notamment, que le port devenait inaccessible aux passagers. Aussi, en 1693, François d'Harcourt, marquis de Beuvron, lieutenant général au gouvernement de Normandie et gouverneur du Vieux-Palais de Rouen, et Anne-Angélique Faber (*), sa femme, marquise de la Mailleraye, s'adressèrent-ils à M. de Savary, grand maître enquêteur et général réformateur des eaux et forêts en Normandie, à l'effet d'être autorisés à construire, à leurs frais et dépens et pour l'usage du bac, une chaussée allant de la Seine au grand chemin de Caudebec à Duclair et à Rouen, à travers les communaux des paroisses de Sainte-Marguerite, du Trait et du Vaurouy, et de plus à régler les droits et profits du passage "eu égard a la grande dépense qu'il convient faire pour fournir et entretenir des bacs et bateaux sur ladite rivière qui est très large et d'une grande rapidité, et aussi pour la construction et entretien de ladite chaussée qui est d'une grande longueur. "
(*) Angélique Faber, fille du fameux maréchal Faber, avait acheté, vers 1691, des héritiers de Louis de Grimonville, successeur de MM. De Mouy, la terre de la Mailleraye érigée en marquisat par lettres royaux de décembre 1655. Elle sollicita de Louis XIV et obtint en avril 1698 le rétablissement, pour elle et ses enfants mâles, du marquisat de la Mailleraye (Cf. Guilmeth, Description géographique, historique, monumentale et statistique des arrondissements. du Havre, Yvelot et Neufchâtel, t. II, arr. d'Yvelot p. 191).
Le 10 septembre, le grand maître des eaux et forêts rendit une ordonnance aux termes de laquelle les habitants des paroisses de Sainte-Marguerite, du Trait et du Vaurouy seraient convoqués, le 30, en l'auditoire royal de Routot, pour être interrogés sur les avantages ou les inconvénients que pouvait présenter la construction projetée, et pour formuler leur avis sur les droits qu'il y aurait lieu de fixer pour le passage. Tous les témoins entendus, sans aucune exception, ceux des paroisses précitées comme ceux des hameaux de Gauville et Caudebecquet dépendant de la paroisse de Saint-Wandrille, donnèrent leur assentiment à la construction de la chaussée dont ils reconnaissaient l'urgente nécessité ; mais il devait être bien entendu que les privilèges et les franchises dont ils jouissaient, tant à l'égard de l'usage des communaux que pour le passage du bac, leur seraient intégralement maintenus.
La même unanimité se manifesta sur la question des droits à percevoir : j'en parlerai dans un instant. Le jour même de l'enquête, 30 septembre, M. Savary, par une nouvelle ordonnance, renvoya les requérants par devers le Roi ou les gens de son Conseil "pour obtenir de Sa Majesté, si Elle le juge à propos, lettres de confirmation de l'establissement de bac et passage audit lieu de la Mailleraye, avec permission de faire construire a leurs frais pour l'usage dudit passage une chaussée". Les lettres patentes sont de 1694.
Voilà donc le port complètement et définitivement aménagé, et le bac prêt à fonctionner. Oh ! ce n'est pas que le matériel de l'entreprise soit encore bien considérable. Un bail, passé le 4 novembre 1696, au nom de la marquise de Beuvron, par Abraham Lefrère, capitaine du château de la Mailleraye, à Louis Durand et Pierre Le Cordier, de Guerbaville, Jean Lefebvre, de Bliquetuit, et Michel Bonheur, de Vatteville, nous renseigne très exactement sur ce point. Moyennant une redevance annuelle de 250 livres — y compris celle pour la traversée du fleuve de la Mailleraye à Caudebec — les prénommés prenaient à ferme, pour une période de six années, "le passage de la Mailleraye sur la commune du Traict et de Saincte-Margueritte et autres endroits", à charge pour eux d'avoir "un bon barc pour passer à touttes heures carosses, chevaux, charettes et touttes sortes de besteaux et denrées, avec deux ou trois petits batteaux pour la commoditté du public, dont il y en aura actuellement un de chaque costé de la rivière".
Les tarifs
Note complémentaire