Par Laurent Quevilly |
Ecoutez
! En fermant les yeux, vous entendrez une
cavalcade du côté de Barneville. Des coups de
fusil. Des
jurons. C'est Pierre Petit poursuivi par l'huissier Haron. Pierre Petit
? Notre Robin des bois. Le héros de Barneville...
Août 1812. Un marchand de bois vend à Pierre Petit, de Barneville-sur-Seine, quatre-vingt demi-cordes de bois. Une affaire ordinaire... Seulement, il est
tombé sur un
sacré client, notre forestier ! Petit règle la
facture au moyen d’un paiement par
effets. Fort bien. Mais quand arrive
l’échéance, quatre des cinq effets
révèlent leur vraie nature: c'est de la monnaie
de singe. Deux sont signés Jean-Baptiste
Leroux. Deux autres de Pierre Petit père. Or, on ne trouva
personne au domicile
de Leroux. Et impossible de mettre la main dessus. Quant au
père Petit, on allait
saisir ses meubles quand il affirma que la signature portée
sur les effets
n’était pas la sienne :
« Je ne dois rien à mon
fils ! » Petit fut donc accusé de faux en écritures de commerce. On le condamna à des peines infâmantes. Par contumace. Car il n'attendit pas la fin de l'audience. Il s'échappa du tribunal en laissant après lui sa taxe... et son chapeau. Ce fut là sa première fugue. Et personne ne vint s'emparer de lui. A Barneville, dans les communes voisines, Pierre continua tranquillement ses petites affaires. Et puis les événements vont se précipiter. Petit arrangement avec l'huissier—
Si jamais tu reviens le long de
ma haie pour m’épier et
m’arrêter, je te flanque un coup de fusil ! Dix
mois s’écoulent. Les fonds
promis n’arrivent pas. Course-poursuiteLe
5 mars 1817, vers 4h de
l’après midi, Haron arrive à
Barneville, flanqué du juge de paix et de deux
recors. Autrement dit des témoins. L'un d'eux, s'il vous
plait, se fait même appeler
« artiste recors ». Ce redoutable
quatuor se présente chez Petit. Pour le voir
cavaler dans sa
cour et franchir déjà le jardin.
L’homme est armé d’une fourche en bois
tandis
qu’une serpe de bûcheron pend à sa
ceinture. Pénétré de l’héroïsme de sa mission, Haron le course aussitôt, le rattrape, le saisit. Et le somme de payer. Pour toute réponse, Petit oriente sa serpe vers la tête de l’huissier. Qui pare le coup de l’avant-bras. Et reçoit une profonde entaille au poignet. Ainsi
débarrassé de son
assaillant, Petit reprend la fuite. Mais Haron, malgré sa
blessure, ne le lâche
pas, enjambe la haie que vient de franchir le fugitif, le serre de
près. Volte-face
de Petit qui lève encore sa serpe en hurlant : — Je t’ébranche ! Je-t’é-branche !... Il gagne alors une brèche pratiquée dans une haie voisine, s'élance vers un bois et là, sur le bord du fossé, prenant sa serpe à deux mains, il l'élève en prévenant solennellement: Il n'en dira pas davantage. Ses gestes et le peu de mots prononcés étaient assez explicites pour être compris. Ils le furent. Rejoint par l’artiste recors, dont les talents ont montré leurs limites, Haron obéit à la prudence. On renonce à cette poursuite. Mais on reviendra. On reviendra… Des coups de fusil !Scénario attendu : la vue des gendarmes dans sa cour met en fuite Petit. Mais les pandores sont manifestement plus talentueux que les artistes recors. Ils tiennent très vite Petit au collet. Plus
talentueux? pardonnez-nous
ce jugement hâtif. Car voilà la femme de Petit et
ses marmots qui accourent à son
secours. A l’aide de ciseaux et de couteaux, ils le
débarrassent des mains des
gendarmes. La honte s’abat sur la
maréchaussée. Qui n’a d’autre
recours que
d’appeler Haron à la rescousse.
L’huissier lâche un premier coup de fusil vers
Petit qui, décidément invincible, franchit la
haie et se porte sur le tireur. Second
coup de pétoire. Dans les jambes. Petit est à
terre. Mais Petit n’est pas seul… Et c'est l'émeute
—
Le pouls est bon ! On
relève Pierre Petit, on le met
dans une charrette. Direction Pont-Audemer… Il vit dans un boisHaron
n’en mène pas large. Lui,
l’homme de Loi, le voilà traduit devant le
tribunal de Pont-Audemer à la
requête du ministère public. Mais bon, il y a une
justice, se rassure bientôt l’huissier.
Car on le relaxe des accusations d’homicide. Petit ?
Jeté en prison, il se
plaint de "douleurs insupportables". La compassion veut qu’on
le
dirige sur
l’hospice. Trois jours après cette
hospitalisation, il gambade à travers
champs. Le héros de Barneville vient d’escalader
les murs de la maison de
soins… Pierre
Petit vivra en temps
dans les bois d’un riche
propriétaire. Ravitaillé sans doute par ses
proches. Jusqu'au jour où il est
pris. Cette fois, il est bon pour les assises… Enfin condamnéFévrier
1829. Devant la cour
d’assises de l’Eure, il se défend le
gars de Barneville, il se défend. On
l’accuse à tort de faits imaginaires. La
preuve : aucun témoin ne vient déposer
contre lui. Et pour cause : ils sont tous morts.
Le coup au poignet de
l’huissier ? —
Quand il a franchi la haie,
j’étais par terre. Il est tombé sur moi
et s’est blessé lui-même sur ma
serpe ! D'ailleurs, il était pas dans
l’exercice de ses fonctions, l’huissier.
Le juge de paix l’avait
pas suivi. Et puis, on m’a
pas fait le commandement ordonné par la loi ! Le
procureur du Roi, dans son
réquisitoire, charge l'accusé. Quand il
fut condamné par contumace, révèle le
magistrat, Petit dénonça quatre
bûcherons qui furent traduits aux assises. Sa
déposition présenta alors tous les
caractères du faux témoignage. Rappelons aussi
qu' il
s'est enfui de l'audience. On lit enfin une lettre où Petit
prie
son oncle
de lui faire un
témoin : « Ce serait un vrai
coup d’ami… » Plaidoiries. Résumé du président. Le jury délibère. A la majorité de sept contre cinq, les jurés répondent par l’affirmative : oui, Petit a fait sciemment usage de faux billets, oui, il a bien porté des coups à l’huissier Haron jusqu’à effusion de sang. Petit est condamné à six années de réclusion, à la marque et à 100F d’amende. Laurent QUEVILLY. NotesPierre Petit s'appelait exactement Pierre Jacques Laurent, né en 1778 de Pierre Petit et Clotilde Ducreux. Il avait épousé le 15 février 1798 à Barneville-sur-Seine, Marie Angélique Thibault, fille de Henry Joseph Thibault et Marie Madeleine Marthe Mesgard. La condamnation "à la marque" de Pierre Petit suppose qu'il fut marqué au fer rouge. Une peine qui ne fut abolie qu'en 1832. |