Par Laurent Quevilly-Mainberte

En 1837, à Jumièges, l'histoire prend un tournant inattendu. Propriétaire de l'abbaye, maire de Jumièges depuis sept ans, Casimir Caumont démissionne tout à trac. Qui succédera à cet homme d'affaires fin et cultivé ? On nous conte, non sans une pointe d'ironie, que c'est un paysan illettré, François Boutard. Mais que cache cette apparente passation de pouvoir ?

Le Préfet l'avait choisi, lui, pour écarter de la mairie un autre prétendant, Charles Lesain. Mais depuis le 14 octobre 1830, date de sa prise de fonction, Casimir Caumont n'a cessé de se heurter aux plus humbles des électeurs. On lui reproche ses manières de grand seigneur, cette supériorité affichée qui crispe les cœurs et les esprits.

L'échéance des prochaines élections se profile comme une tempête prête à tout emporter sur son passage. Et voilà qu'à Rouen, un siège de conseiller général semble providentiellement lui tendre les bras. Pour Caumont, c'est la promesse d'un nouveau chapitre dans sa carrière politique.

Alors, sa décision est prise : démissionner de Jumièges. Se tourner vers de plus larges horizons. Mais derrière ce départ, quelles intrigues, quelles alliances et quelles trahisons se jouent à l'ombre des vieilles pierres de l'abbaye ?


La démission de Caumont


Datés du 14 février, Casimir Caumont se fend de deux courriers au Préfet. Son fidèle grognard, le sieur Dossier, se démet de même de sa fonction d'adjoint avec une lecture approximative du calendrier...
Jumièges, le 14 février 1837

Le Maire de Jumièges à Monsieur le Préfet de la Seine-Inférieure

Monsieur le Préfet,

Les fonctions et les occupations qui me retiennent à Rouen ne me laissant plus le temps nécessaire pour administrer cette commune, j'ai l'honneur de vous donner ma démission de Maire de Jumièges. Je vous adresse en même temps celle de mon adjoint, M. Dossier.

Le 15 février 1837
Monsieur le Maire,

Je n'ai accepté les fonctions d'adjoint que sur votre sollicitation et pour administrer avec vous, étant informé que vous donniez votre démission, je vous envoye aussi la mienne et vous prie de la faire parvenir à M. le Préfet.

J'ai l'honneur de vous saluer avec la considération la plus distinguée

DOSSIER.

Il désigne son successeur


C'est fait : Caumont a démissionné. Mais il n'entend pas laisser la commune entre les mains de n'importe qui. Et de joindre à sa lettre cette note insistante auprès du Préfet :

J'ai cru devoir écrire à M. Dupont, 2e adjoint, à la résidence d'Heurteauville, la lettre dont cy joint copie.

M. Dupont mérite la confiance de l'administration a déjà pendant plus de vingt ans, MM Hue père et fils qui habitaient le hameau d'Heauteauville ont rempli, l'un après l'autre, les fonctions de maire de Jumièges. J'ai l'honneur d'être, avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très serviteur.

Casimir CAUMONT.

Et voici précisément la lettre adressée le même jour à Dupont :

Mon cher collègue,

J'ai l'honneur de vous informer que M. Dossier et moi avons adressé à M. Le Préfet notre démission de Maire et Adjoint de cette commune. En conséquence, j'ai prévenu le Sr Gosse, greffier, de s'entendre avec vous pour toutes les affaires de la mairie et M. Vauquelin, conseiller municipal. Le premier au tableau devra remplir les fonctions d'adjoint jusqu'à ce Monsieur le Préfet en ait autrement ordonné.

J'ai l'honneur...

Les élections de Jumièges ont enfin lieu. Comme prévu, elles confirment les tendances observées en 1834. L'opposition a orchestré la campagne pour exclure les plus notables et favoriser des candidats vus comme moins compétents, forçant ainsi l'Administration à choisir un maire parmi eux. Du coup, au lieu du sieur Dupont, comme le souhaitait Caumont, certains redoutent comme la peste la nomination du sieur Boutard. Qui a cependant des partisans. Alors examinons les arguments des uns et des autres.
 
Pour Boutard !



Bien que Boutard ne soit pas un administrateur de haut niveau, il jouit de la confiance de l'Administration. D'autres qualités militent en ce sens. Aussi est-il recommandé comme le meilleur choix par l'auteur de ce document.

Jumièges, le 20 juin 1837

Note confidentielle, mairie de Jumièges

Les élections municipales ont donné le résultat qu'il était facile à prévoir par celui des élections de 1834. L'opposition a travaillé les élections de manière à empêcher l'élection des plus notables et recommandables habitants et a introduire dans le conseil des incapacités et forcer l'Administration à nommer un maire de leur coterie.

Ce n'est qu'au second tour de scrutin et parce que les Amis de l'ordre ont redoublé d'effort que M. Dupont, adjoint spécial à Heurteauville remplissant les fonctions de maire depuis la démission de M. Caumont et M. François Boutard de la Grange, habitant aussi Heurteauville, ont été élus à la majorité relative et à une ou deux voix de différence des individus qui leur étaient opposés, autrement, le hameau d'Heurteauville qui forme le tiers de la population de la commune n'était pas représenté.

MM de Jumièges ou du hameau du Conihout ne lui pardonnent pas d'avoir obtenu une 2e école élémentaire et 42 F pour réparation d'un pont. La réélection de M. Caumont eut été très douteuse. Il avait prévenu l'Assemblée qu'il était nommé et l'avait accepté, à Rouen.

M. Dossier, 1er adjoint et plusieurs autres des plus capables n'ont pas été réélus.

Je pense que parmi tous les membres du conseil municipal de Jumièges, le choix de l'Administration pour un maire doit s'arrêter à M. François Boutard de la Grange.

1er adjoint : M. Dupont à la résidence d'Heurteauville.
2e adjoint : M. Simon Cabut, à Jumièges.

On pourrait objecter que M. Boutard habite aussi Heurteauville et que le maire de Jumièges doit résider plutôt sur la rive droite de la Seine. On répondrait que pendant plus de 25 ans, messieurs Hue père et fils ont été successivement maire de Jumièges. D'ailleurs, M. Boutard doit quitter la résidence d'Heurteauville dans l'année prochaine pour habiter dans le bourg de Jumièges une propriété dans laquelle il va dépenser plus de 10 MF.
M. Boutard est le plus fort imposé des électeurs de la commune. Il paye 1100F de contribution foncière. Sans être une haute capacité administrative, il mérite la confiance de l'administration et je crois que le Monsieur le préfet ne peut pas faire un meilleur choix.


Contre Boutard !

L'auteur de la note suivante recommande fortement de choisir Dupont comme maire. Sa réputation et son expérience plaisent en sa faveur malgré sa proximité avec l'ancien maire. En revanche, notre correspondant émet les plus vives réserves quant aux capacité de Boutard à assumer ce rôle.
Élections de Jumièges

Les élections de Jumièges se sont faites par une coterie opposée à l'ancien maire, M. Caumont, pour être choisi, il ne suffisait pas de savoir si l'on était ou non capable, il fallait seulement être opposé à Monsieur Caumont, aussi les conseillers municipaux ont-ils été pris parmi la classe la moins aisée et la plus grande partie ne savent ni lire ni écrire.

Il sera assez difficile de trouver un bon maire dans de pareils conseillers, il s'agit seulement de prendre le moins mauvais possible, et pour cela, je pense que l'administration fera bon d'arrêter son choix sur M. Dupont, ancien adjoint et qui remplit les fonctions de maire depuis la retraite de Monsieur Caumont. M. Dupont est généralement aimé et considéré malgré qu'il soit bien avéré qu'il marchait de concert avec l'ancien maire et qu'il fut partisan de son administration, il a été néanmoins réélu conseiller municipal parce que l'on savait que toute la population reconnaissait son intégrité et sa justice. L'on dit que M. Boutard la Grange sollicite l'honneur de représenter cette commune et qu'il s'est fait présenter par l'ancien maire. J'ignore si cela est exact, mais je pense que l'administration se refusera à cette nomination. D'abord M. Boutard n'est pas très capable, il ne pourrait pas écrire une lettre lui-même, le secrétaire de la mairie serait donc le véritable maire et ce serait fort dangereux car le secrétaire est d'une assez mauvaise conduite.

M. Boutard est entré dans le conseil aux dernières élections, et il été nommé au second jour à une majorité relative et a obtenu une voix de plus que son concurrent, il n'avait pas pu y entrer il y a trois ans, époque à laquelle les élections s'étoient faites très régulièrement, tandis que monsieur Dupont a toujours été revêtu de la confiance de ses concitoyens. L'on pourrait prendre pour 1er adjoint M. Pontif et pour second M. Vauquelin ou Cabut.



L'historien s'en mêle

 
Notaire déchu, auteur de L'Histoire de l'abbaye royale Saint-Pierre de Jumièges, Charles Antoine Deshayes est un inconditionnel de Caumont. Il lui doit ses entrées au vieux moutier. Avec lui encore, il a mené des fouilles dans les ruines. Coutumier des joutes verbales. Deshayes trempe sa plume dans le fiel pour enfoncer Boutard...
S'érigeant en gardien de la mémoire de cette terre normande, il supplie le Préfet de sauver Jumièges d'un désastre annoncé. On ne peut, gémit-il, laisser la commune entre les mains d'ignares. Mais il va plus loin : ces élections sont totalement entachées d'irrégularités. Il faut les annuler !...

 
Dupont-Delporte, Préfet


Jumièges

Monsieur le Préfet,

J'habite Jumièges dont je suis l'historien. C'est avec peine que j'envisage, en ce moment, la manière dont cette localité est administrée et prévois par la suite celle dont elle le sera si on n'y remédie. C'est à vous, Monsieur le Préfet, de venir à notre secours. Monsieur C. Caumont, digne d'être respecté et méritant notre reconnaissance s'est fatigué (voulant faire le bien du pays) d'être contrarié par des gens ineptes, nous a abandonné à notre grand regret, c'est à dire à celui des honnêtes gens. Ce qu'il y a de plus beau dans un pays où la population monte au-delà de 2.400 âmes on ait eu à désigner dix membres du conseil municipal et que sur ceux-là, il y en à peu près trois qui soient capables de l'être...

La cabale ignorante à nommé tout ce qu'il y a de plus inepte dans le pays.
Si j'étais à votre place, Monsieur le Préfet, je ferais subir un examen aux élus et leur demanderais s'ils savent lire. Certainement non ! Et encore moins écrire. Je crois que c'est un motif d'exclusion. Rien que cela. Sur les électeurs, on a oublié d'en convoquer au moins le cinquième (d'aucuns m'ont dit la moitié Heurteauville) ce qui est cause qu'un particulier qui paye 20 centimes en sus du sens a été élu et que si tous les électeurs eussent été avertis, le sens serait monté plus haut. Des individus non avertis qui payent au-delà du sens et qui trouvent la nomination ridicule m'ont engagé, Monsieur le Préfet, de vous exposer ces observations (n'ayant pas été appelés pour qu'il soit procédé à une nouvelle élection, considérant celle actuelle comme illégale.)
Si on la suit, nous serons administrés ah mon dieu !... Peut-être Monsieur Caumont qui vous fréquente vous en parlera. Je vous prie de vous informer à lui de ce qu'au nom de bons et braves habitants de la terre Gemmetique j'ai l'avantage de vous exposer.

Je suis, Monsieur le Préfet, votre très humble et respectueux serviteur
C.A. DESHAYES.
ancien notaire, historien de Jumièges, membre de la société des antiquaires de la Normandie.

Jumièges 23 juin 1837


Dupont gère les élections


Caumont le voulait pour successeur. Dupont n'aura pas cette ambition. A défaut d'être nommé maire de plein exercice, il le sera à titre provisoire pour gérer jusqu'à leur terme ces fameuses élections de 1837. On le voit d'abord échanger avec le Préfet pour s'assurer que toutes les formalités administratives sont bien respectées. Et elles le sont, malgré quelques retards dans la fourniture de certains documents.
Jumièges, le 25 juin 1837

Monsieur le Préfet,

J'ai l'honneur de vous adresser

1°) la liste des électeurs communaux de cette commune qui a servi à l'appel et signée par émargement
2°) Les trois procès verbaux constatant les conseillers municipaux élus.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur, l'adjoint soussigné


DUPONT.

Réponse du Préfet Dupont à Dupont à qui il donne du "Monsieur le maire" :

Rouen 30 juin 1837
Monsieur le maire,

J'ai reçu avec votre lettre du 25 juin courant les procès verbaux des élections municipales de votre commune, lesquelles m'ont paru avoir été régulièrement faites.
Mais à l'appui de celui de ces procès verbaux qui est relatif au complètement de la 1ère série, vous deviez, conformément à ma circulaire du 20 avril dernier, pages 85-87 du rec. Adif, m'adresser des copies des actes de décès ou les démissions des deux membres remplacés.
Je vous recommande très particulièrement de me faire parvenir ces pièces le plus tôt possible.

J'ai l'honneur etc.


Sans tarder, le maire provisoire donne satisfaction au représentant de l'Etat.



Jumièges, le 6 juillet 1837,

Monsieur le Préfet,

Conformément à votre lettre du 30 juin dernier, j'ai l'honneur de vous adresser le bulletin de l'acte de décès de feu M. Porgueroult, membre remplacé, quant à celui de M. Beauvet, aussi membre remplacé, j'en puis vous l'envoyer attendu qu'il est décédé à La Bouille où il fut prendre son domicile, ces deux membres étaient 1re série, élections de 1837.
Je suis avec respect, Monsieur, votre …

DUPONT.

Le dix septième jour du mois de juin, l'an mil huit cent trente six, est décédé en cette commune M. Porgueroult, Pierre Valentin, propriétaire et membre du conseil municipal.

Délivré à Jumièges le deux juillet 1837


Pour le maire
L'adjoint soussigné
DUPONT.


Propriétaire à Jumièges, Jean-Pierre Adrien Beauvet,  décédé à La Bouille, était marié à Marie-Anne Victoire Deconihout. Son fils, beau-frère d'Hector Malot, va lui succéder au conseil.

L'installation du nouveau conseil


Du registre des délibérations du conseil municipal de la commune de Jumièges a été extrait ce qui suit.

Aujourd'hui, dix neuf juillet, l'an mil huit cent trente sept, à dix heures du matin, le conseil municipal de la commune de Jumièges dûment convoqué par M. Dupont, adjoint, s'est réuni à la dite heure à la mairie, M. Dupont a exposé que la motif de la réunion avait pour objet de procéder à l'installation des conseillers municipaux nommés par les électeurs et que cette convocation avait lieu en vertu de la lettre de M. le Préfet en date du douze de ce mois.

Étaient présens

Poisson Jtin
Metterie Jn Bte
Bouttard Séver
Philippe Jes
Bussy Jes
Decaux Jn Bte
nouvellement élus
Ponty Jn Bte
Vauquelin Vtin
Caillou Louis
Thuillier Louis
Cabut Simon
Bouttard françois
Dupont Pierre
Deconihout Jn …
Lambert Jes
MM Savin Etienne et Beauvet
seuls membres absents.

M. le maire donna lecture de la lettre de M. Le Préfet du douze de ce mois qui approuve la nomination des membres du conseil municipal nouvellement élus par suite du renouvellement triennal.

En conséquence, MM Ponty, Vauquelin Caillou, Thuillier, Cabut, Boutard François, Deconihout, Lambert, prêtent individuellement le serment de fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux loi du royaume et M. le maire les déclare installés dans les fonctions de conseillers municipaux.


M Dupont de son côté a prêté (...) ce serment devant le premier membre inscrit au tableau et l'a aussi installé dans les fonctions de conseiller municipal. Le conseil municipal ainsi installé, le tableau demeure fixé comme suit par ordre.


 Nombre de suffrage qu'ils sont reçu :

1834 Metterie 52
" Varin 48
" Poisson 48
1837 Ponty 47
" Vauquelin 45
1834  Philippe 43
1837 Beauvet 42
" Caillou 40
1834 Bussy 40
1837 Thuilier 35
" Cabut 35
1834 Boutard Sever 32
" Decaux 27
1837 Deconihout 26
" Bouttard Fois 25
Dupont 23
Lambert 18
  
  Aucunes réclamations n'ayant été faites, la séance a été levée et ont les membres présens signé...

Et Dupont s'impatiente


Le 23 juillet 1837, Dupont adresse au préfet le PV d'installation des nouveaux élus. Le dimanche 6 août, il reçoit le serment de
Jean Pierre Valentin Beauvet. C'est le fils du conseiller mort à La Bouille. Dupont le transmet le 28 avec le budget prévu pour 1838. Et d'ajouter...

« Je prie, Monsieur le Préfet, si c'est un effet de sa bonté, de procéder le plutôt possible à la nomination d'un Maire pour la commune de Jumièges, moi comme deuxième adjoint... Étant éloigné du centre du bourg, je ne puis toujours être présent à la mairie, par conséquence, les intérêts de la commune peuvent en souffrir.

« Je pense d'avance que M. Le Préfet voudra bien dans l'intérêt de la commune procéder à cette nomination. Il a sous les yeux le tableau de tous les conseilles municipaux que j'ai eu l'honneur de lui adresser. Je suis avec respect etc.


François Boutard enfin nommé

Le 13 septembre 1837 enfin, Dupont adresse le PV d'installation du maire et de ses adjoints. Celle-ci a eu lieu le 10, à 9h du matin, en mairie. C'est le 30 août que le Préfet a nommé François Boutard. Dupont donne lecture de la lettre. Et reçoit le serment du nouveau maire.
« M. Bouttard a ensuite donné lecture des arrêtés de Monsieur le Préfet en date du 29 août dernier qui ont nommé M. Cabut Simon, adjoint, en remplacement de M. Dossier et continué M. Dupont dans les fonctions d'adjoint à la résidence de Heurteauville.
La noblesse paysanne...

Propriétaire, cultivateur, habitant le bourg depuis peu, François Boutard résidait auparavant à la grange dîmière d'Heurteauville aussi l'appelle-t-on François Boutard de la Grange.
Boutard, orthographié Bouttard est né le  19 août 1784 de Nicolas Augustin Boutard et de Marie Marguerite Delarue. Il est veuf de Marthe Rose Constance Renoult. Née au Trait, elle était décédée le 10 juillet 1823 à l'âge de 35 ans. Boutard est, et de loin, le plus imposé de la commune.
Ils prêtent individuellement le serment voulu par la loi et M. le Maire les déclare installés dans leurs fonctions d'adjoints au maire de Jumièges...

 Et Boutard de signer.  Après avoir donné lecture des arrêtés préfectoraux. Pas trop mal pour un illettré...


En 1840, François Boutard eut affaire à une fronde des électeurs  d'Heurteauville. Ils représentaient une tiers de la population mais n'étaient pas représentés au conseil municipal de Jumièges. Du coup, ils demandaient du préfet la création d'une section. Dupont, l'adjoint spécial d'Heurteauville, avait démissionné face à l'ostracisme des Jumiégois. Casimir Caumont, l'ancien maire, tirait les ficelles de cette sédition. Le conseil de Jumièges refusa de donner satisfaction aux Heurteauvillais.

Son second mandat

De nouvelles élections municipales partielles eurent lieu en vertu du renouvellement triennal. Le 19 juillet 1840, à huit heures du matin, François Bouttard, à la demande du préfet, convoqua le conseil de Jumièges pour procéder à l'installation des nouveaux élus 

Autour du maire sont présents  Simon Cabut, adjoint, Valentin Nicolas Vauquelin, Jean-Baptiste Ponty, Louis Thuillier et les conseillers nouvellement élus ou réélus :  Valentin Romain Poisson, Jean-Baptiste Metterie, Jacques  Augustin Philippe, Sever Boutard,  Etienne Varin, Jean-Baptiste Decaux, Jacques Bussy, Jacques Lambert, Roman Heuzé, Pierre Pascal Lefebvre et Augustin Lebourg.  

Tous prêtent le serment de fidélité au roi Charles X, à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume.  François Bouttard, quant à lui, a été confirmé par le préfet dans les fonctions de maire et il prète le même serment à Simon Cabut, son adjoint qui le déclare installé.  Boutard écrira quant à lui au préfet pour l'informer qu'il reconduit Cabut, son adjoint depuis trois ans.

Le nouveau tableau du conseil municipal  s'établit comme suit en fonction des suffrages recueillis:

1840 Poisson Valentin Romain 50
1837 Ponty Jean-Baptiste 47
1840 Metterie Jean-Baptiste 46
1840 Philippe Jacques Augustin 46
1837 Vauquelin Valentin Nicolas 45
1837 Beauvet Pierre 42
1840 Boutard Sever 41
1840 Varin Etienne 38
1837 Thuillier Louis 35
1837 Cabu Simon 35
1840 Decaux Jean-Baptiste 31
1840 Bussy Jacques 29
1840 Heuzé Romain 28
1837 Bouttard François 25
1840 Lambert Jacques 24
1840 Lefebvre Pierre Pascal 19
1840 Lebourg Augustin 18

Le second mandat de François Boutard dura peu car la mort vnt colore ce chapitre singulier. Veuf, il décède le 15 mai 1841 à 56 ans dans sa maison du bourg de Jumièges. Vincent Nicolas Cabut, cultivateur et ami et Vincent Augustin Gosse, l'écrivain public, déclarent son décès en mairie. La figure de Gosse apparaît souvent dans l'histoire de Jumièges. Alors qu'il avait 27 ans, "praticien" à Rouen, il avait écopé de 15 mois de prison pour vol. Mais n'allez pas le répéter.
Ainsi s'achèva en tout cas, la carrière de François Boutard, un homme simple, qui, par un caprice du destin, se retrouva aux commandes de Jumièges. De paysan illettré à maire, son ascension fut aussi inattendue que controversée. Son mandat, marqué par des débuts sous le sceau de l'ironie et de la critique, ne dura que le temps de deux élections municipales. Il laissa aux habitants de Jumièges le souvenir d'un maire qui, malgré ses limites, avait su naviguer sur les eaux tumultueuses de la politique locale, entre fidélité à l'ancien régime et les exigences d'une commune en mutation.

Nous pouvons laisser à présent Simon Cabut, le 1er adjoint de "Boutard l'illettré", lui succèder au poste de maire.

Laurent QUEVILLY.


SOURCES



Josiane Marchand. "Municipales de Jumièges", 3M1072, dossier numérisé aux archives départementales.