Dom Bride fut le tout dernier prieur de l'abbaye de Jumièges. Premiers éléments de biographie...

Il ne fut pas accueilli à bras ouverts, Dom Amand Bride. Le 20 octobre 1783, le notaire royal de Jumièges, Me Varanguien (qui sera maire en 1790), enregistre les protestations de trois religieux contre l'élection de leur nouveau prieur. Les trois protestataires sont dom Simon Hébert, prêtre religieux de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, Dom Emmanuel Soulier, secrétaire du Chapitre et Dom Jean-Charles de Rouvroy, cellerie. Ils déclarent « qu'informés de l'arrivée du RP Dom Pierre-Amand Bride en la dite abbaye de Jumièges pour y résider avec le titre de prieur au lieu et place de Dom Louis-Hippolyte d'Aspres (Daspres), élu prieur au chapitre tenu en l'Abbaye de Marmoutier en 1781, ils ne peuvent reconnaître pour supérieur légitime le dit Dom Bride qu'ils regardent comme ne pouvant de droit leur donner aubé-dience (sic) pour une autre abbaye, que cet ordre ou obédience doit émanner (sic) de ceux qu'un chapitre légitime a choisi pour chef... » 

Il représente le tout dernier abbé
 
PIE VIPie VI
Quoi qu'il en soit, Dom Bride fut bien installé comme prieur. Et c'est lui qui, par procuration, allait prêter serment  à la place de Loménie quand ce dernier fut nommé abbé de Jumièges avec la bénédiction du pape Pie VI.
Voilà qui anéantit les affirmations d'Emile Savalle, l'auteur des Derniers moines de l'abbaye de Jumièges, quand il prétend que les villageois allèrent au devant de leur nouvel abbé jusqu'à Duclair pour le remaner à l'abbaye. Si un personnage a été accueilli de la sorte, c'est dom Bride. Le compte-rendu de la cérémonie nous dit ceci...
                      
 Il entra par la grand porte qu'il toucha de la main, il se signa au bénitier, il alla prier Dieu à genoux devant le maître-autel dont il baisa le linge, il apposa ensuite les mains sur les Saint Evangiles. Puis il prit place sur le siège de l'abbé tandis que sonnaient les cloches et que l'on chantait. Enfin il entra dans le palais abbatial dont on lui remit les clef et où sa nomination fut lue. Voici le texte original :

Le 18 octobre (1788) après-midi, de la réquisition du Révérend Père Dom-Amand Bride religieux, prieur de l'abbaye Saint-Pierre de Jumièges, ordre de Saint-Benoist, congrégation de Saint-Maur, au diocèse de Rouen, au nom et comme fondé de procuration générale et spéciale d'illustrissime et révérendissime Seigneur Monseigneur Pierre François Marcel de Loménie, nommé coadjuteur de l'archevêque de Sens, demeurant à Paris, rue Saint-Dominique, paroisse Saint-Sulpice, pourvu en Cour de Rome, sur la nomination du Roi, de l'abbaye de Jumièges,
les bulles apostoliques et de provision à lui accordées en commende en forme gracieuse par Notre Saint Père le Pape Pie Six à Rome à Sainte Marie Majeure l'an 1788 aux nones de septembre la quatorzième année de son ponitificat,
les dittes bulles duement signées et scellées en plomb, vérifiées et contrôlées suivant l'ordonnance, expédiées par les soins de Monsieur de Cressac expéditionnaire de Cour de Rome, demeurant, à Paris,
la ditte procuration passée devant Me Trutat et conseiller notaire au Chatelet de Paris le 25 septembre dernier, l'original de laquelle dûment signé et scellé est demeuré ci-joint après avoir été signé et paraphé du dit sieur requérant en présence des notaires et témoins ci-après nommés.



La Rochefoucauld

Nous Pierre Marc conseiller notaire du roy et apostolique garde nottes en la ville et au diocèse de Rouen reçu et immatriculé au Bailliage de la ditte ville y demeurant soussigné, sommes transportés en la ditte abbaye de Jumièges où étant parvenu en l'église de la ditte abbaye a, pour l'exécution des dittes bulles de la ditte abbaye et en vertu de la commission à lui adressée par Son Emminence Mgr le cardinal de la Rochefoucauld, archevêque de Rouen, primat de Normandie en datte de  ce jour, en la présence et compagnie de mon dit notaire et des dits  sieurs  témoins, mis et installé le dit révérend Père Dom Bride  au présent en vertu de la ditte procuration et pour et

au nom de mondit seigneur de Loménie en la possession corporelle réelle et actuelle dela ditte abbaye de Jumièges et de tous ses droits [mot illisible] et dépendances par la libre entrée de l'église de cette abbaye par la principale porte d'icelle ouverte à cet effet, toucher de la dite porte, prise d'eau bénite. Prières à Dieu faites a genoux devant le maître hôtel (sic), baiser du dit autel, toucher du livre des Saints Evangiles, séance en la place destinée aux seigneurs abbés de la ditte abbaye, son des cloches, chant de Te Deum laudamus, entrée dans la maison abbatiale par la tradition des clés de la ditte maison, exhibition et lecture des dittes bulles de provision et par toutes les autres cérémonies en tels cas requises et accoutumées à laquelle prise de possession lue et publiée à haute et intelligible voix par nous dit notaire soussigné, en présence des dits témoins.

Personne ne s'est opposé. Dont acte fait et passé en l'église de la ditte abbaye de Jumièges l'an et jour sus dit en présence de dom Toussaint Outin, dom Nicolas Courbet tous religieux de la ditte abbaye en présence aussi de Pierre-Antoine Varanguien notaire royal au dit bailliage de Rouen pour la sergenterie de Saint-Georges et de sieur Michel-François Dinaumare régisseur de la ditte abbaye de Jumièges demeurant en la paroisse de Jumièges, témoins ou requis et appelés lesquels ont avec dom prieur au dit nom, dom de Montigny et mon dit notaire cy-dessus signé afin que personne n'en ignore.

 

R. P. Amand Bride, prieur de Jumièges, Fr. Toussaint Outin, Fr. François Durel, doyen, Fr. L. Valaincourt, Fr. J.-J. de Montigny, sr de l'abbaye, N. Courbet, Varanguien, Dinaumare, Marc.

contrôlé à Rouen le 28 octobre, prix sept livres dix sols.


PROFIL

Son parcours

1742 : naissance à Beaumont-en-Auge (14)
7 novembre 1759 : profès à Jumièges à 18 ans.
1775-1779 : prieur de Saint-Germer-de-Flaix
1779-1781: prieur de Saint-Niçaise-de-Meulan.
1783-1791 : prieur de Jumièges.
1791 : curé de Bolbec.
1802 : curé d'Yvetot
17 mai 1810 : décès à Yvetot.
Bride en impose par son extérieur. Il est d'une taille élevée: 5 pieds et 4 pouces, "les cheveux et les sourcils gris, les yeux bruns, le nez épaté, la bouche moyenne, le menton large, le front découvert, le visage plein." Il fera observer à ses religieux une stricte observance des règles.
Sa nomination à Jumièges fut donc contestée. On lui reprochera encore d'avoir fait vendre les plombs des toitures, notamment du cloîtreet de la tour carrée. Ce à quoi le bibliothécaire se serait opposé en gravant sur les poutre " Dom Outin n'y a pas consenti". André Dubuc conteste cette légende en rappelant que le chapitre fut unanime à prendre cette décision. Alors, que s'est-il passé. En 1785, plusieurs ouvriers travaillaient dans l'église et un feu resta couver. Qui endommagea la voûte. Une inspection des bâtiments fit apparaître que toutes les couvertures étaient à refaire. Sans parler des vitres de l'église ouvertes aux averses. On prit la sage décision de recouvrir en ardoises.
En revanche, en octobre 1789, Dom Outin déclara bien: "on a dévasté les plombs de l'église et du cloître !"


En 1784, à l'arrivée de dom Bride, les dettes de l'abbaye s'élevaient à 76.969 livres ; le 5 mai 1790, quand la municipalité de Jumièges fera l'inventaire général qui marque la dissolution prochaine, elles seront encore de 45.609 livres.

A la Révolution, Pierre Amand Bride a 49 ans et occupe la fonction de prieur depuis 7 ans. Religieux depuis 30 ans, il ne sait encore où aller...

Des accusations d'enrichissement personnel furent portées contre lui. En novembre 1789, Dom Allix protesta contre lui auprès de l'Assemblée nationale et demanda l'envoi de commissaires enquêteurs.
Les représentants de Bolbec furent particulièrement conspués lorsqu'ils vinrent se servir en mobilier. C'est pourtant à Bolbec que Bride allait devenir curé constitutionnel le 22 juin 1791
Bride laissa le souvenir d'un homme très estimé à Bolbec et Yvetot où on le disait l'ami des pauvres. Nommé par Mgr Cambacérès, l'archevêque de Rouen, il fut curé de l'ancienne principauté du 9 août 1802 au 17 mai 1810, date de sa mort, survenue à 7h du matin. Son domestique de 29 ans, Pierre Achez, déclara son décès en compagnie d'un voisin, un journalier de 42 ans, Louis Pierre Masson. L'adjoint au maire ne put inscrire ni le lieu de naissance ni le nom des parents du défunt. On indiqua en marge que le "curé de cette ville" avait été prieur de la cy-devante abbaye de Jumièges, de l'ordre des Bénédictins et qu'il était né le 11 avril 1742.

Pierre Amand Bride éavait bien été baptisé ce jour-là à Beaumont-en-Auge, fils de Messire Jean-Pierre Bride, chirurgien et de son épouse légitime, Marie Halley. Ses parrains furent Thomas et Marie Bride, l'officiant le vicaire Goubin.




 SOURCES


Arch. dép. Seine-Maritime, Minutier des notaires. Me Varanguien notaire à Jumièges.

Arch. dép. Seine-Maritime Minutier Le Dars, année 1788