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Couvre-chef du roi
Bientôt, tous les Huguenots
coiffèrent le feutre noir de Caudebec, orné
d’une plume de même couleur, et par
l’intermédiaire de la capitale cauchoise, la
France entière allait arborer ce couvre-chef. Les
pages de Marie de Médicis, à leur tour,
portèrent, non sur leur
tête, mais sous le bras, le modèle gris
à plume verte. Louis XIV
lui-même, sur sa majestueuse perruque, affichait un feutre
rond et noir, orné
d’une longue plume blanche.
Jusqu'aux Amériques
Il vint alors un temps où les Caudebecs étaient si connus partout que le nom de la ville se confondit avec celui de l’objet.
Le 18 juin 1665, le premier régiment de Carignan débarque à Québec pour mâter l'Iroquois. « Avec la venue du régiment de Carignan, nous eûmes le Caudebec, chapeau originaire de Normandie et fait en feutre de poil de chèvre. Il était souvent noir et garni d’un ruban. Le caudebec fut porté par les jeunes gens. »
Est-ce à Montréal, à Québec,
Que rehaussé d'un beau plumage,
On porte mieux le caudebec ?
(Epistres,
Nicolas Boileau-Despréaux)
Boileau
écrit encore, en 1677, dans sa fameuse
Epitre à Lamoignon :
Et chez le chapelier du coin de notre place,
Autour d’un caudebec j’en ai lu la préface.
Thomas Corneille, dans son Dictionnaire de géographie, après avoir donné une description de la ville, écrite « sur les lieux » en 1704, n’a garde d’oublier les chapeaux de Caudebec, « fort estimez, dit-il, parce qu’ils résistent à la pluie ». Ce sont les qualités qu’on leur reconnaissait aussi en Angleterre et en France, où on les utilisa aussi pour les troupes, comme « chapeaux de pluie ».
Troupes
franches de la Marine portant le Caudebec
Le Dictionnaire de Trévoux leur donne même une dénomination latine : Pileus calidobeccensis !
Quatre-vingt ateliers !
En
tout, il y avait à
Caudebec,
pendant un moment 80 arçons ou ateliers,
installés sur les bords de l’Ambion ou
de la rivière de Sainte-Gertrude, car la profession exigeait
de sérieux lavages à l'eau claire.
Mais Caudebec ne tenait pas sa
réputation de son unique chapellerie. Sa pelleterie aussi.
Toutes les dames du
grand monde ne recherchaient, pour compléter leurs atours,
que les gants légers
de chevreau apprêtés à Caudebec. Ces
gants étaient si délicatement
travaillés
qu'une paire tenait dans une noix. Aussi, dit M. Saulnier, «
les doigts de la
belle duchesse de Rosny et la blanche main de la marquise de Verneuil
s'effilaient gracieusement sous cette peau si fine qu'elle laissait
à leurs
amants la faculté de deviner les secrets de leur
cœur par le tracé des lignes
du creux de la main, qui se voyaient aussi distinctement que si la main
eût été
vierge de toute enveloppe. »
Le déclin s'amorce
Dès la fin du XVIIe siècle, la concurrence de Lyon, du Dauphiné et de la Provence semble avoir commencé à se faire sentir à Caudebec.
Cependant, en 1691-1692, cinq cents ouvriers chapeliers se trouvaient au chômage et parcouraient en bande les campagnes, commettant parfois des violences de jour comme de nuit. Bernières de Bautot, procureur général au Parlement, s’en ouvre au contrôleur général dans une lettre du 16 octobre 1692 :
Le marché INtérieur
Bon
nombre de Réformés avaient
fait filer, avant eux, leurs femmes ou leurs enfants à
l’étranger, puis
envoyaient plomber leur matériel d’industrie
à Paris où la douane ne regardait
pas de très près. Ensuite, avec de faux
passeports, ils trouvaient des permis
d’embarquer pour l’Angleterre ou pour la Hollande,
d’où les réformés pouvaient
se rendre en Allemagne et surtout dans le Brandebourg.
«On envoyait, autrefois de ces
pays-ci, un grand nombre de chapeaux en Hollande, dans tout le Nord,
même en
Angleterre, malgré la défense qu’il y
avait d’en laisser entrer, mais depuis
dix ou quinze ans, il est passé plusieurs chapeliers dans
les pays étrangers,
où ils ont établi cette manufacture, en sorte que
tous les chapeaux qui se font
à Caudebec ou à Rouen ou ailleurs, ne se
consomment actuellement que dans le
royaume.»
En 1701, il y avait encore de la
chapellerie à Caudebec, puisque le droit de visite et de
marque – si attaqué à sa
création en avril
1690 – produisit encore 3.200 livres.
Le marché extérieur
Pour maintenir leur fabrication, les chapeliers de Caudebec voulurent étendre leur commerce avec l’étranger. Ainsi, ils tentèrent de faire des chapeaux de vigogne pour leur clientèle espagnole, mais, sur ils se heurtèrent à l’opposition des Chapeliers de Paris. Et le projet capota.
Quatre mille douzaines !
Les TOUT derniers
En 1767, si l'on se fie aux renseignements envoyés à l’Intendant, il ne restait plus que trois chapeliers à Caudebec. « C’est, précise le syndic, la plus ancienne communauté pour les chapeaux de Caudebec, dont la manufacture est tombée. »
Les chapeliers étaient en réalité plus nombreux. Ceux qui existaient encore avaient des lettres de bulle, suivant l’importance de leur industrie, depuis 80 jusqu’à 100 livres. Mais, selon l’abbé Miette et Lesage, à la fin du XVIIIe siècle, il ne sont plus que marchands car « depuis la révocation de l’édit de Nantes, il ne se fabrique plus de chapeaux dans la petite ville cauchoise et que ce qui est vendu vient de Paris et de Lyon, sous le nom de Caudebecs. Il reste encore, ajoutent-ils, quatre familles de ces anciens fabriquants : les Le Marchand, les Hery, les Toti et les Diquemares, mais les deux premiers occupent des places distinguées dans la magistrature et les deux autres exercent des situations subalternes. »
Femmes de Caudebec en costume traditionnel avec un homme coiffé d'un chapeau.
Le rôle des vingtièmes de 1784,
complété en 1790, fait état de huit
chapeliers
à Caudebec. Noël de la
Morinière, dans son Essai
sur la
Seine-Inférieure, en 1795, ne note plus
l’existence de l’industrie des chapeaux
à Caudebec et, tout autant
qu’à la
Révocation de l’Edit de Nantes, il
attribue sa décadence
à l’infériorité de la
main-d’oeuvre, aux
mauvaises eaux, à l’incendie de 1649, à
la mortalité de 1694, où 600 personnes
périrent. Nous avions alors changé de
régime. Caudebec avait perdu un savoir-faire.
Sous le Directoire, un chapelier du nom de Hommets transporta sa fabrique de Caudebec à Yvetot. Il exportait en Amérique, dans les colonies espagnoles, au Sénégal... Yvetot aura tout pris à l'ancienne capitale du Pays de Caux : sa sous-préfecture, sa moutarde et donc même ses chapeaux.
La fabrication du Caudebec
Tondre
les chapeaux. Façon
que les chapeliers leur donnent pour les dépouiller des
longs poils qui restent
sur leur superficie après leur fabrication. Les chapeaux de
caudebec & ceux
de laine se tondent en les passant simplement sur la flamme d'un feu
très
clair, & c’est ce qu'on nomme flamber le chapeau.
Manuel de 1732
Comment
se fabriquaient les
Caudebecs ? Savary, dans son Dictionnaire du Commerce, dit
qu’on «
y employait
de la laine d’aignelin, du ploc, du duvet
d’autruche ou du poil de chameau ».
Passe pour le poil de chameau, résistant et luisant. Mais du
duvet d’autruche !..
L’abbé Noler, dans son Art du Chapelier, est formel: Savary a confondu le duvet d’autruche avec les résidus de laines... d’Autriche !
La confection d’un chapeau –considérée comme chef-d’oeuvre dans les statuts de 1578 des Chapeliers de Paris – exigeait bien des opérations.
Après cette préparation, des
femmes coupaient le poil avec des couteaux très rasants. On
commençait alors
l’arçonnage, opération
extrêmement bizarre qui se faisait avec
l’arçon, une
sorte d’énorme archet de plusieurs
mètres de long, suspendu par une corde au
plafond. L’arçonneur promenait cet archet
au-dessus des poils étendus sur une
claie. Il faisait alors vibrer la corde métallique de
l’arçon, tenu au-dessus
des poils coupés et, par la vibration, les poils se
mélangeaient. C’était une
opération qui demandait un tour de main.
Avec
ce premier mélange, on
formait une sorte de tissu grossier, qu’on appelait les
capades ; on les
roulait, on les pétrissait à la main.
Quand les capades étaient
ainsi marchées, on
les feutrait en les
faisant passer sur des plaques de cuivre, tour à tour
chauffées et humectées
d’eau. Avec quatre capades réunies, on
commençait à former… la
manière d’un
chapeau.
Il passait ensuite à la foule, dans de l’eau chauffée dans des chaudières, avec de la lie de vin. Alors, on dressait définitivement le chapeau sur une forme en bois, avec un instrument en bois, le choque, on dressait les bords.
Tous les chapeaux passaient ensuite à l’étuve, pour être séchés.
Restaient encore : la teinture ; le lavage ; un apprêt à la colle ; un passage à la pierre ponce ou à la peau de chien marin, façon d’Angleterre, qui les lustrait, puis la mise en tournure qui cambrait les bords, enfin la garniture avec le bourdaloue et une coiffe en tabis. Parfois, on lustrait, au coup de fer, comme faisaient alors les chapeliers parisiens.
SOURCEs
Georges Dubosq, Chroniques du
Journal de Rouen,
lundi 3 juillet 1922.
Essai historique et
artistique sur Caudebec et ses environs, Anatole Saulnier -
1841.
Essai
historique sur Yvetot, et coup d'œil jeté sur ses
environs, Alexandre Fromentin - 1844.
Les cartophiles caudebecquais, 2006.
CH. Leroy, conférence d'après le rôle
des vingtièmes, Congrès de l'Association
normande, 1938.
Réagissez
Henri MARCH
Je n'y connais rien en chapellerie ... mais votre article est passionnant !
Bravo et merci.
Je vous ai trouvé par hasard car je veux rétrécir un chapeau en feutre neuf ... mais peu importe.
J'aimerai savoir pourquoi les protestants ont joué un rôle imporatant dans la chapellerie de Caudebec et ailleurs ?
Monique Boquet, membre de l'association des Amis du Vieux Caudebec
En prévision d'une exposition au musée Biochet-Bréchot de Caudebec, nous essayons de faire réaliser par une chapelière de Lyon un exemplaire de Caudebec et ou aimerions pouvoir vous contacter par téléphone pour des informations complémentaires. Merci de m'envoyer votre numéro ou adresse mail.
Paul-Louis Boquet
Excellent travail! J'ai hâte de vous rencontrer dans la perspective de vous associer à ce que nous aimerions faire comme expositions à thèmes au Musée Biochet-Bréchot de Caudebec dans la Maison des Templiers après sa rénovation (Association des Amis du Vieux Caudebec). Pouvez-vous me donner vos coordonnées? Merci et félicitations.
