Comment se construisait une chaumière au XVIIIe siècle dans notre canton ? Voici un article d'André Dubuc qui nous éclaire sur la question...
Un journalier de Duclair, Michel Charles, possesseur d'un petit terrain, désirait faire construire une chaumière, sans aucun doute pour l'habiter. Malheureusement, il n'avait pas le capital nécessaire pour cela.
Il trouva cependant un charpentier d'un village voisin, Vatier, de Saint-Pierre-de-Varengeville, qui y consentit en acceptant même un règlement en douze annuités. Un contrat fut passé le 22 juillet 1777 devant le notaire royal de Jumièges pour définir et garantir leurs obligations respectives.
Il s'agissait de la construction d'un bâtiment de 38 pieds sur 13 (11 m. 4x3 m. 9), mesures prises « dehors, dehors », composé « d'une cuisine, d'une chambre à coté et d'une étable », le tout de plain-pied, avec la charpente et le terrage ; les colombages devant être espacés les uns des autres de deux pieds (0 m. 66).
Le charpentier Vatier s'engageait a fournir la main-d'œuvre de la charpente. « du massonnage et les pierres pour les étaux » qui devaient être cependant charriées et apportées à pied d'œuvre par le journalier. Ce dernier s'engageait à fournir tous les bois de la charpente, ainsi que les cailloux et le sable.
Par contre, le charpentier fournissait la paille, « les chastes et la gaulette » de la couverture en chaume qui devait avoir une épaisseur de 9 pouces (24 cm.). La cheminée, de 5 pieds à la base (165 cm.) devait être construite en briques, à l'exception du contre-cœur, en briques et cailloux mélangés. Le charpentier fournissait la brique et la main-d'œuvre.





Chaumière au Trait

Quatre portes en bois blanc étaient prévues, avec pentures de fer et clenches de bois, dont deux avec serrures de bois et clés de fer. Il n'est pas question des fenêtres. Faut-il penser que leur construction plus délicate fut confiée à un menuisier ? Où étaient placées ces quatre portes et surtout celles munies de ferrures ? Il semble qu'il n'y avait qu'une porte intérieure entre la cuisine et la chambre ; une autre, entre la cuisine et l'étable paraît invraisemblable dans notre région. De plus, il n'est pas coutume, même encore aujourd'hui, de mettre des serrures aux portes des étables. Peut-être la cuisine comptait-elle deux portes, l'une en façade, l'autre donnant sur un jardin ? Mais il me semble surprenant, par comparaison avec les chaumières que j'ai visitées, que chacune des portes de la cuisine ait eu sa serrure, à une époque où celles-ci étaient fort chères. Il serait plus logique de penser que cette chaumière avait trois portes sur la façade, correspondant chacune à une pièce. En effet, cette chaumière fut bâtie à la limite juridique du Pays de Caux où le système dotal était la règle coutumière et où le douaire de la veuve comportait la tierce des biens du mari. Il n'était pas rare que la veuve se retirât dans une pièce et afin de marquer 1' « incommunauté» une porte apparaît nécessaire dans ce cas. Un propriétaire devenu veuf ou âgé, pouvait, également, laisser le reste de sa maison à l'un de ses enfants et conserver une pièce, dont il restait encore le maître. Ici aussi la porte marque cette possession. Il n'est nullement question de la hauteur des pièces, dans ce contrat. Il devait y avoir une hauteur conventionnelle qui était de règle. Il n'est pas question de pavage, ce qui laisse supposer que le sol était de terre battue.




Chaumière aux Sablons, Jumièges

I.e charpentier s'engageait à mettre la cuisine en état pour la Toussaint 1777 (3 mois après la signature du contrat) la chambre pour Noël (5 mois), l'étable pour Pâques (8 mois).
Le journalier s'engageait à payer 600 1. pour l'ensemble au charpentier: 50 livres à la Saint-Michel 1777, et 50 livres ensuite, d'année en année, à la même date et jusqu'en 1788, soit 12 annuités. Il se réservait le droit de le rembourser d'avance, s'il le voulait ou le pouvait, s'engageant au paiement de la « trentième » 3,33 % pour les sommes encore dues chaque année. Comme ce journalier fournissait l'ensemble du bois de la charpente, le sable et les cailloux, il faut évaluer le prix réel de la construction de cette chaumière à 900 livres au moins. Peut-être ce mode de financement d'une construction fut-il courant à cette époque. Il est à craindre que la plupart des contrats analogues à celui-ci, aient été établis, sous seing privé et non devant notaire. Il serait pourtant intéressant, d'en découvrir d'autres ailleurs, pour en comparer les modalités.


Chaumière à Heurteauville

L'entrepreneur, outre la main-d'œuvre ne fournissait donc que le minimum de matériaux. I1 en allait de même pour des constructions infiniment plus importantes. Il s'agit donc d'une sorte de travail à façon, pratiquement abandonné de nos jours, et qui ne serait guère du goût des entrepreneurs.

Pour terminer, il me semble utile de faire remarquer que le maître- d'œuvre de cette construction est un charpentier et non pas un maçon. Rien dans le contrat, ne fait apparaître que la maçonnerie et la couverture étaient nécessairement faites par lui. Il pouvait prendre pour cela un couvreur ou un maçon, mais il était responsable de leur travail. Cependant, lorsqu'on examine les murets de base, appelés solins, des chaumières existantes, on est frappé de leur irrégularité qui ne font pas honneur à un homme de métier mais qui ne font pas honte à un charpentier ayant secondairement des talents de maçon.


Ainsi la chaumière normande apparaît à travers cet acte comme une entreprise menée à bonne fin par un artisan du bois. Le fait est normal car la charpente constituait non seulement le support du toit mais encore le châssis complet de toute la maison, dette remarque est à mon avis, de grande importance. On construisait au XVIIe siècle à peu près comme au xve siècle et même très antérieurement.


 La chaumière, habitation la plus courante, était une construction sur bâti de bois élevée par des ouvriers du bois. Elle était simplement posée sur un muret de cailloux à cause de l'humidité naturelle du sol et seulement pour que l'armature de bois ne pourrisse pas à la base. Fait-on différemment aujourd'hui pour les baraquements élevés rapidement et pour une courte durée ?

Lorsqu'au début du XIXe siècle on abandonnera la construction des chaumières, pour les maisons à murs de brique, l'entrepreneur de maçonnerie deviendra le maître d'œuvre de la maison, le charpentier sera relégué au second plan et se bornera à la charpente.

Cette mutation du rôle principal a une cause que je crois avoir décelée, et qui peut contribuer à mon sens, à éclairer faiblement la lointaine origine des maisons à colombage de notre région.




(1) Arch dép. Seine-Mar., Minutier Sédille, année 1777 (22 juillet).

SOURCES

André DUBUC, Annales de Normandie, 1956.