aré de toutes les vertus, Roger pensait finir ses jours en simple moine de l'abbaye du Bec. Le sort en décida autrement quand, en 1162, les frères de Jumièges l'élirent abbé. Il eut beau protester, se juger indigne de la charge, nul de l'écouta. Alors, il se rendit auprès de l'archevêque Rotrou. Le prélat lui accordait sa bénédiction quand les députés de Jumièges qui ne l'avaient pas quitté d'une semelle écrivaient à leur prieur: Notre nouvel abbé arrive ! Au son des cloches, Roger 1er fut accueilli sous la grande porte de l'église par les religieux en chapes. On le conduisit à l'autel, en tous lieux. Partout, les moines se jetaient à son cou. Il les embrassait de bon cœur avec cette crainte à l'esprit : Jumièges lui semblait temple de discordes, de relâchement. Dès le lendemain, il se mit alors à montrer le plus ardent exemple. Quinze jours passés, son a priori se dissipa. On observait ici la règle de saint Benoît à la lettre. Sans doute eut-il simplement à réformer quelques abus. Ainsi coula son abbatiat. Roger eut à récupérer les droits de pêche dont se dispensaient les marins de Quillebeuf, à rétablir ses franchises pour le transport des vins. Les grands l'écoutaient. Quand les fils d'Henry II, Roi d'Angleterre et Duc de Normandie, se révoltèrent, le siège fut mis sur Rouen de 1172 à 1174. Deux années durant lesquelles les plus belles fermes de l'abbaye eurent à subir de terribles désolations.

A la mi-juin de l'an 1176, il se présenta à l'abbaye un messager venu de Flandre. A l'abbé Roger, le voyageur révéla cette prédiction :

- Une dame m'est apparue, la glorieuse Vierge Marie à jamais bénie. Elle te fait savoir, seigneur abbé, qu'il faut te préparer, car tu mourras cette année. Ce sera le quinzième jour d'août, en la fête de l'Assomption de Notre-Dame. Dans trois mois...

Roger ne sourcilla point. Il ordonna le plus simplement du monde à son domestique de restaurer le messager.

- Je ne prendrai rien ! s'excusa l'homme manifestement pressé, car j'ai message semblable à porter de l'autre côté de la Seine.

Et il s'en fut. L'abbé mit aussitôt quelques religieux dans la confidence. Sans toutefois leur préciser le jour annoncé de sa mort prochaine. Aucun d'entre eux n'accorda crédit à cette histoire. Comme le terme approchait, on entendit Roger annoncer quelques événements futurs. Alors, un de ses moines les plus intimes l'interrogea sur cette prophétie.

- C'est pour demain et n'ose plus rien vous dire.

Nous étions en la vigile de l'Assomption de la Vierge Marie. Le lendemain, après avoir subi toutes les cérémonies réservées aux mourants, Roger embrassa tous les religieux et se mit à prier, tourné vers l'Orient. Il ne parla plus à aucun homme.

Sa douceur, sa probité, sa droiture furent pleurés des moines qui en tardèrent à l'inhumer. Il fut enterré enfin à la place des abbés, dans le chapitre ou serait célébré une messe perpétuelle pour le repos de son âme. Mais sept mois passèrent encore avant que l'on ne se résolve à lui désigner un successeur. Le moine Alexandre écrivit alors la vie de l'abbé Roger.


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