Avril 1800. Le nouveau préfet, Jacques Beugnot, entend nommer un maire à Jumièges. Depuis plusieurs années, Nicolas David Foutrel, l'ancien organiste de l'abbaye, occupait la fonction d'agent municipal, ce qui revenait au même. Il va avoir ses partisans. Mais aussi ses adversaires...

Une pétition en sa faveur...

Le 15 avril 1800, une trentaine de figures de Jumièges adressent au préfet une pétition en faveur de Foutrel, qui occupe les fonctions de maire provisoire.

Les habitants de la commune de Jumièges et hameaux, canton de Duclair, de ce département, soussignés
vous exposent que le Citoyen Nicolas David Foutrel les a administrés avec touttes satisfactions depuis plusieurs années en qualité d’agent municipal de la dite commune et étant une des plus instruits d’icelle. Pourquoi ils vous supplient de vouloir bien leur nommer comme maire de la dite commune de Jumièges et le citoyen Pierre Castel pour adjoint qui en exerce les fonctions depuis deux ans. Et vous rendrez justice.

Présenté le 25 germinal an huit de l’ère républicaine.

Jean Roisset, M. Duvrac, Philippe, Fournier, Pierre de Conihout, Jean-Baptiste Renault, J. Prévost, Depouville, Jean-Simon Dossier, Vallentin Cabut, Maillon, PDN, fr. Thuillier, Augustin Levesque, Pierre Leroux, Ns Prunnier ( ?),  Nicolas Ponty, Gabriel Tropinel, Pierre de Saint-André, Pierre Petit, Nicolas Glatigny, Jacques Renault l’ainé, Nicolas Poisson, Hauriolle père, Hauriolle fils, Folliot, Jean Fournier, Louis Amand, R Monchrétien, Guillaume Ponty, Charles Fournier…


Desaulty le dénigre. Et se place...

Moine défroqué, lui-même ancien agent national de la commune, Desaulty ne partage pas cette opinion, lui qui aimerait tant reprendre du service.  Jacques Brugnot (notre image) reçoit une lettre explicite quatre jours après la pétition en faveur de Foutrel :

Jumièges, Canton de Dulair, le 29 germinal an 8

Citoyen Préfet,

Il est du devoir d’un bon Français ami de l’ordre et des lois de vous donner à votre arrivée des renseignements sur les localités qu’il habite. Se taire dans un moment où tout s’organise pour établir un gouvernement sage, faste et stable serait un crime. C’est dans ce seul point de vue, citoyen Préfet, que j’ai interrompu un instant vos occupations.
Jacques Beugnot, préfet de la Seine-Inférieure
Il ne faut pas douter qu’il est des hommes de haut rang et de tout état qui s’agitent en tous les sens pour avoir accès auprès de vous et peut-être tromper votre religion, mon but, je le jure, est de l’éclairer.

Le choix du maire et adjoint va devenir votre ouvrage s’il est bon, le peuple suivra paisiblement ses lois et vous bénira. L’intrêt que je prends à une commune populeuse que j’habite depuis près de 20 ans, la confiance qu’elle a en moi m’oblige d’être aujourd’hui son organe auprès de vous. Elle voudrait avoir, pour la représenter et vous seconder vos travaux, deux hommes sages, prudent et éclairés ; les honnêtes gens, la très grande majorité de cette commune, sont instruits que l’agent actuel, qui ne doit sa place qu'à la journée du 18 fructidor (*) et à la protection du nouveau commissaire dont la moralité et les principes ne sont que trop connus, se fait une pétition qui a été colportée plusieurs jours pour la faire revêtir de quelques signatures. Cette pétition vient, dit-on, de vous être présentées pour le continuer dans ses fonctions. (*) Le coup d'État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) fut exécuté par les trois Directeurs, Barras, Rewbell et La Révellière-Lépeaux, soutenus par l'armée, contre les modérés et surtout les royalistes qui sont alors majoritaires au Conseil des Cinq-Cents ainsi qu'au Conseil des Anciens.

En empêchant la restauration de la monarchie, ce coup d'État marqua un renforcement de l'exécutif au détriment du pouvoir législatif.

« Il boit, il n'a pas de situation ! »

Je ne suis pas pour disssimuler, citoyen Préfet, que ce choix ne seroit ny digne de vous qui voulez le bien, ny digne du peuple de Jumièges qui veut être tranquil et heureux, parmi les cent et un défaut qui sont bien connus, un seul aurait dû l’exclure pour toujours des fonctions publiques, c’est la boisson à laquelle il se livre habituellement, je vous observe également que ce citoyen n’a aucun état, aucune propriété et qu’il ne paie pas même de contribution personnelle.

Je n’ai pas l’honneur d’être connu, citoyen Préfet, mais je vous parle avec la franchise et l’impartialité qui caractérisent l’honnête homme dont la conduite est intacte. J’ai été autrefois attaché à un corps célèbre dans l’état, Bénédictin de Saint Maure, j’y ai mérité pendant 16 à 18 ans, quelques places distinguées et, rentré dans la société, mon plan de conduite n’a pas changé. J’ai cru devoir interrompre mes fonctions, pour être utile à ma patrie et à mes concitoyens j’ai rempli en l’an 3 avec autant de zèle que d’intégrité les fonctions d’agent de ma commune, j’ai même pour ses propres intérêts, refusé la place de président de mon canton où  m’appelloit le vœu général des administrateurs ; A la suite du 18 fructifor, j’eus le sort des perscutés. On crioit au Royalisme… nulle preuve ne venoit à l’appui de ces vociférations ; au milieu de cette calamité passagère, j’ai resté ferme et inébranlable dans mes principes.

Je m’apperçois, citoyen Préfet, que ma lettre est déjà bien longue. J’aime à m’entretenir avec l’homme de bien et je me trouverois trop heureux, si dans le courant de la semaine prochaine, je pouvais obtenir de vous un quart d’heure d’audience.
Salut, respect et fraternité
Desaultÿ.


Une pétition pour Desaulty

Et Desaulty n'est pas seul ! Il a le soutien de bien plus de Jumiégois qui confirment les penchants de Foutrel pour la boisson. Parmi eux, Beauvet, un homme qui, un jour, sera lui aussi maire de Jumièges :

Au citoyen Préfet du département de la Seine-Inférieure

Les soussignés, tous habitants de la commune de Jumièges, canton de Duclair, ont l’honneur de vous exposer qu’ils sont informés qu’il vous a été présenté une pétition par laquelle on demande qu’il vous plaise nommer pour maire de la ditte commune le citoyen Foutrel.

Les exposants sans autre vüe que celle du bien de leur pays se croient obligés de vous observer que le citoyen Foutrel contre lequel ils n’ont aucun sentiment ni de haine ni d’animosité n’est point du tout l’homme qui convienne à la place, un malheureux goût pour la boisson auquel il se livre une grande partie du jour, incapable de s’occuper d’affaires soit publiques, soit particulières ; c’est ce qu’on a été dans le cas de reconnoitre depuis quelques annés qu’il est agent de la ditte commune.


Les exposants, citoyen, persuadés que vous ne cherchez que des hommes qui joignent l’intelligence aux qualités morales et civiques, croient remplir parfaitement vos vües en vous proposant pour les places de maire et adjoint les citoyens Desolty et Dinaumare, anciens administrateurs. Fait à Jumièges, le quinze floréal an huit de la République française.

Valentin Cabut,  Danger,  ? Deshayes,  Pierre Pol Bocquier, Pierre Levillain, Dossier, Tropinel, PBC, YJJ, Varin fils, Etienne de Conihout, Dosser, LLF Guérin, Etienne Varin, Danger, Delarue, Leroux, Louis Petit, Danger, Chantin, Louis Lefer ? , Michel Varin, Jean Vajne ?, Jean de Conihout, P. N. de Conihout, Jean Vatey, Simon Cabut, François Thuilier, Anquetil, Goubert, A. Gosse, Bruno Harel, Lefebvre, Leroux fils,  Louis Caillou, Jean-Baptiste Beauvet, P Dossement, Valentin Neveu, Jean-Pierre Beauvet, Varin, MLD, Pierre Leroux, Nicolas Holay, Nicolas De Conihout, P. Boutard, Duquene.


Le préfet choisit Hue

Finalement, le préfet tranchera ce litige en choisissant un tiers : Jean-Jacques Hue de Rome. Il lui désigna cependant Desaulty pour adoint et laissa Foutrel taquiner la dive bouteille. Voici comment se déroula la passation de pouvoir le 9 juin 1800 chez Foutrel...

Liberté Egalité

Aujourd’hui, vingt prairial an huit de la République française une et indivisible.

En vertu de la lettre du préfet du département de la Seine-Inférieure dattée, de Rouen le huit prairial an 8e adressée au maire provisoire de la commune de Jumièges, par laquelle il lui envoie en double expédition de son arrêté de nomination du maire et de l’adjoint de sa commune.
Par ladite lettre il invite à en faire connaître les dispositions à son adjoint ainsi qu’à ceux qui y sont désignés et à les prévenir qu’ils devront être installés le vingt du présent mois.

Il observe encore aussi que conformément à l’arrêté… du 19 floréal dernier les agents et adjoints actuels doivent recevoir du maire définitif le serment de fidélité à la constitution et le dernier le recevoir de son adjoint, ce dont il sera dressé procès verbal qui sera signé par tous les fonctionnaires municipaux présents  pour être ensuitte adressé.

Sur ces mêmes dispositions contenues à la lettre cy dessus précitée, le maire provisoire de la dite commune de Jumièges a prévenu les citoyens maire et adjoint définitif de ladite commune à se trouver ce jourd’hui dix heures le matin à la chambre commune où il y réside, n’ayant dans sa commune de temple décadaire.

 Le concours de la garde nationale

Le maire provisoire à commandé une escoüade de la garde nationale de la dite commune avec l’oriflame pour recevoir le maire deffinitif et son ajoint pour leur installation la cloche préalablement sonnée.

Ce fait les citoyens Jean Jacques Hüe et Antoine Allexandre Desulty se sont rendus au lieu indiqué et après lecture faite de la lettre, l’on a procédé à l’installation du citoyen maire deffinitif lequel a fait en présence des maire et adjoint provisoirs la déclaration suivant : « Je promets d’être fidèle à la constituion », de suite le citoyen Foutrel maire provisoire a déclaré au nom de la loi que le citoyen Hüe est maire déffinitif de ladite commune de Jumièges et ensuitte le citoyen Desaulty adjoint a fait le serment cy dessus précité et a été déclaré par le citoyen Hue maire, le citoyen Desaulty adjoint deffinitif de la susdite commune.

Après quoi le dit citoyen Foutrel a remis au maire deffinitif susnommé les pièces qui concernent son administration qui sont
1° les registres d’actes civils anciens et courant ;
2° les registres des délibérations de l’ancienne municipalité et les lois reçues dans leur temps avec observation que plusieurs pièces concernant la commune n’ont pas été remis audit citoyen attendu que les scellés apposés à l’administration municipale du canton de Duclair ne sont pas encore levé par le juge de paix.

De tout ce que dessus nous avons rédigé le présent procès verbal pour être envoyé au préfet du département et ont avec nous les maire et adjoint provisoire signés les jour, mois et an que dessus.

Foutrel, Castel, Desaultÿ, adjoint

NOTA. Foutrel demeura conseiller municipal sous la mandature Hue. Jean Roisset, premier partisan de Foutrel, est l'homme qui éleva mon aïeul Charles Mainberte.

Pour suivre : le mandat de Jean-Jacques Hue

SOURCES

Archives départementales de la Seine-Maritime, cote 3M 1072, documents numérisés par Josiane et Jean-Yves Marchand, transcription, Laurent Quevilly.