Jean-Jacques Hue, propriétaire à Heurteauville, fut maire de Jumièges de 1802 à 1804 puis de 1808 à 1814. A sa mort, son fils, Jean-Victor, lui succéda. Dynastie familiale...
Il était surnommé Hue de Rome, allez donc savoir pourquoi. Jean-Jacques Hue fut nommé deux fois maire de Jumièges.
La première, il fut préféré à Foutrel, le maire sortant mais aussi à Desaulty, le moine défroqué qui voulait retrouver son écharpe. Hue fut installé le 9 juin 1800.


Jean-Jacques Hue est né le 20 novembre 1753 à Heurteauville de Jean-Baptiste et Marie-Françoise Bourdon. Ses parrains furent Jean-Michel Collemiche, fils de feu Martin et Françoise Boulan. Il épousa Madeleine Duvrac qui allait mourir en couches. Veuf, il se maria aussitôt à Marie-Anne Dépouville le 14 juillet 1789 (une date !). Elle était fille de Etienne-Romain Dépouville, notaire, et Marie Geneviève Hauguel. Marâtre, Marie-Anne va élever les enfants du premier lit.
Son premier conseil

Le 14 septembre 1800, voici la composition du conseil présidé par Hue avec Desaulty pour adjoint :

Jumièges et hameaux
Liste des citoyens de la commune de Jumièges pour composer le conseil de la mairie de la dite commune de Jumièges
Savoir
Jean Baptiste Huë dit de Rome, Jacques Michel Varin fils,  Simon Doucet, Jean Danger, Foutrel, Nicolas Pierre Poisson, Pierre Dossemont, Jacques Dossier, Jacques Pierre Thomas Desjardin.

La présente liste certifiée par nous, maire et adjoint de la commune de Jumièges soussignés.
A Jumièges, le 27 fructidor au 8e de la République française.
Hüe maire, Desaultÿ adjoint

Hue géra ainsi les affaires de Jumièges durant quatre ans. Jusqu'au 18 août 1804...

Nommé percepteur, il démissionne
Jumièges, le 30 thermidor an 12

A Monsieur le préfet du département de la Seine-Inférieure,

Le maire de Jumièges
Monsieur,

Appelé par le gouvernement à la place de percepteur de ma commune et de celles y réunies et ne pouvant d'après les lois cumuler les deux fonctions à la fois je vous prie, Monsieur, de vouloir bien accepter ma démission de la place de maire dont vous avez bien voulu m'honorer.
Si j'ai été assez heureux pour répondre à votre confiance, c'est alors que je la regretterai plus vivement.
J'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissant serviteur.
Hüe.
Le 27 août 1804, le préfet accepte cette démission mais demande à Hue de lui désigner deux candidats potientiels pour lui succéder.

Rouen, le 9 fructidor an XII

Le préfet au maire de la commune de Jumièges,

La place de percepteur à laquelle vous êtes nommé, Monsieur, étant incompatible avec les fonctions de maire, j'accepte votre démission.
Je vous invite en conséquence à me déléguer deux des habitants de votre commune que vous croirez les plus en état de remplir cette fonction.
J'ai l'honneur de vous faire observer que ces candidats réunissent à une extrême probité des connaissances dans l'administration et la qualité de propriétaire afin de présenter une plus grande garantie au gouvernement.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur...
Trois ans après, il se ravise

Et c'est ainsi que Desaulty, l'ancien  cellerier de l'abbaye, l'ancien agent national de la commune, redevint le premier magistrat de la commune de Jumièges. Trois années passent et, poussé par nombre d'élus, Jean-Jacques Hue brique à nouveau l'écharpe de maire. Si toutefois il peut transmettre sa charge de percepteur à son fils Jean-Victor...

Jumièges, le 21 7bre 1807,

Monsieur,

Vous savez comme moi qu'il y a trois personnes dans le pays qui désireraient seules pouvoir conduire la commune en entier.
Vous savez aussi que j'ai une forte commandation à la préfecture qui est une pétition donnée par messieurs les membres du conseil de maire au nom de tous les habitants aux fins que je fusse continué maire, nonobstant l'incompatibilité de cette place avec celle de percepteur, j'adbiqueroient (sic) volontiers cette dernière pour celle de maire.
Si dans le cas que ne pouvoient la repasser à mon fils aux fins de déjouer ce parti.
D'ailleurs, je m'en rapporte entièrement à vous d'après notre dernière entrevue tant à moi je suis décidé de céder la perception à mon fils.
J'ai l'honneur d'être Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur
Hue
pr mon père


Il retrouve son poste

Hue parviendra à ses fins. Desaulty fut destitué l'année suivante. On imagine sa rancœur. Sans peine car elle va bientôt se manifester sous nos yeux. En attendant, Hue retrouve ses fonctions le 12 juin 1808. Il aura Jean Danger pour adjoint...

Jumièges, le 2 juillet 1808

Le maire de Jumièges à Monsieur le préfet de la Seine-Inférieure, membre de la Légion d'honneur.

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous adresser le procès verbal de mon installation et de celle de mon adjoint.
Je vous prie de croire que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour ne pas démériter à votre confiance et que je m'efforcera à donner la bonne harmonie pour que mes administrés jouissent de la tranquilité qu'ils doivent attendre d'un administrateur sage et prudent.
J'ai l'honneur d'être, avec respect et dévouvement, Monsieur le préfet, votre humble et très obéissant serviteur.
Hüe.
Installé par la garde nationale

L'an mil huit cents huit le douzième jour du mois de juin, nous Nicolas Pierre Poisson, premier membre du conseil de la Mairie de Jumièges, après avoir pris communication de la lettre de Monsieur le Préfet en date du 23 mai dernier et de l'arrêté de sa majesté l'empereur et roi en date du 20 mai aussi dernier, nous avons conformément à ladite lettre et arrêté, convoqué MM les membres dudit conseils aux fins de se réunir en la chambre de la mairie ce jourd'hui dix heures de matin pour installer Messieurs Hue, maire et Danger adjoint de cette commune, nous avons fait lecture desdites lettre et arrêté, après quoi Messieurs Hue maire et Danger, ont prêté devant nous le serment prescrit par la loi.
Un détachement de la garde nationale était présent à l'installation. De tout ce que dessus nous avons fait et rédigé le présent procès verbal, les jours mois et ans susdits.
jna Bouttard, Ns pr Poisson, Foutrel, Jean Baptiste Hüe, Varin, Douvet, Desjardin, Danger, Dossier, Hüe.

Le remaniement de 1811

Trois nouvelles années passent. En 1811, les rangs du conseil s'éclaircissent. Foutrel, l'ancien organiste de l'abbaye, l'ancien maire de Jumièges, toujours conseiller municipal, est décédé et deux autres sièges restent vides. La préfecture s'en préoccupe...

Rouen, le 8 juillet 1811

Monsieur le Préfet
Arrêté du 10 juillet 1811.
Le maire de la commune de Jumièges vient de m'annoncer le décès des sieurs Doucet et Foutrel, membres de son conseil municipal. Il m'apprend encore que le sieur Jean Danger, nommé adjoint, n'a pas été remplacé comme membre de ce conseil dont il faisait partie.
Parmis les candidats dont il m'a transmis la liste, j'ai cru devoir distinguer les sieurs Pierre Danger, Pierre Chantin et Pierre Boutard, tous trois propriétaires.
J'ai l'honneur de vous les proposer pour remplacer les trois places vacantes.
Je suis avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble serviteur.
M. de Gasville.
Trois nouveau élus

Le Préfet, membre de la Légion d'honneur, Baron de l'Empire
Sur la proposition de M. le sous-préfet de l'arrondissement de Rouen,
Vu la loi du 23 pluviose an 8,
Nomme les sieurs Danger (Pierre), Chantin (Pierre), Boutard (Pierre) propriétaires, pour remplir les fonctions de membres du conseil municipal de la commune de Jumièges, en remplacement des sieurs Doucet et Foutrel décédés et Jean Danger nommé adjoint.
M. le sous-préfet de l'arrondissement est chargé de leur installation.
A Rouen en l'hôtel de la préfecture le 10 juillet 1811. Rollin.
Pour expédition : le secrétaire général de la préfecture.

Suspendu, il rend l'âme

Hue fut destitué fin 1813 mais demeura manifestement en exercice jusqu'à sa mort, survenue le 30 janvier 1814 à 10h du soir. En témoigne ce certificat délivré le lendemain de sa mort : "A comparu Jean-François Hue, 58 ans, (marchand, demeurant Basse-Vieille Tour à Rouen), frère du défunt et Jean-Victor Hue, 26 ans fils du défunt, (percepteur des contributions directes), domicilié à Jumièges, hameau d'Heurteauville qui ont déclaré que Jean-Jacques Hue, 60 ans, propriétaire et maire de Jumièges est mort." 

Aussitôt, Desauly  reprit la plume pour proposer au préfet un successeur. Il a quatre noms mais aussi deux bêtes noires...


A Monsieur de Girardin, grand dignitaire de l'ordre des deux Siciles, comte de l'Empire, et préfet du département de la Seine-Inférieure.

Monsieur,
Je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous. Retiré à Jumièges depuis plusieurs années, vivant seul et ne m'occupant que de mes affaires personnelles, je ne veux pas me rendre importun.

Ce n'est qu'à la sollicitation de plusieurs honnêtes gens de cette commune que je réclame en leur nom et pour le bien de la société votre sollicitude.

Le maire de cette commune, suspendu de ses fonctions depuis 8 à 10 mois, vient de finir sa carrière. Vous allez, sans doute, Monsieur, vous occuper à lui donner un successeur. Et ce successeur doit être digne de votre confiance et mériter celle de ses administrés. Cette commune où l'on compte 16 à 1800 habitants à besoin d'un homme probe et impartial et quoique vous soyez peut-être à porté de la connoitre, vous voudrez bien pourtant me permettre de vous soumettre mes réflexions et vous donner quelques éclaircissements sur les individus de cette grande commune, leurs moyens et leur moralité.

Le palmarès de Desaulty

Ses préférés

Il est peut-être beaucoup de personnes qui se croiraient capables de remplir cette place mais ne sont en état d'en faire les fonctions. Pami celles qui pourraient mériter votre confiance, on pourrait distinguer.

Mr Chantin (Pierre), propriétaire. Ce n'est pas un génie mais il est plein de bons principes, il connaît les lois et bien capable de les faire exécuter.
Mr Bouttard (Pierre), également propriétaire; également apte à remplir les fonctions de maire.
Mr. Deshayes
(*), notaire depuis 7 à 8 mois dans cette commune, plein d'esprit et de mérite.
Mr Lefort, ancien capitaine de navire retiré à Jumièges et y vivant de son revenu.

Voilà Monsieur les personnes que je crois les plus dignes et les plus capables de mériter votre confiance et je jure que je n'ai d'autre but, en vous les désignant, que celui de faire le bien et coopérer au bonheur des habitants.

(*) Il s'agit de Charles-Antoine Deshayes qui n'a pas encore livré ses travaux littéraires.
Ses bêtes noires

Vous n'ignorez peut-être pas, Monsieur, que l'adjoint de cette commune
(Jean Danger) est un homme sans moyens et absolument nul et incapable de remplir cette fonction ; le greffier en qui il met sa confiance (Le Painteur) est un autre personnage qui, addonné (sic) à la boisson ne peut mériter en aucune manière l'estime et la confiance des administrés. Arrivé à Jumièges depuis 15 à 18 mois pour y faire les écoles, il n'a pas pu se conserver aucun élève et aujourd'hui ces malheureux enfants sont sans éducation et sans éducateur.
Il n'est peut-être pas inutile, Monsieur, que vous sachiez que j'ai eu l'honneur d'appartenir à un corps autrefois distingué dans l'Etat (Bénédictins de Saint-Maur) que j'y ai occupé des places qui m'ont mérité la confiance de mes chefs et que revenu à Jumièges en l'an VIII et connu de Mr Beugnot, j'y ai rempli les fonctions de maire pendant cinq à six ans. Aujourd'hui et depuis que j'ai repris mes fonctions ecclésiastiques, je charme ma solitude par mes livres et au milieu de quelques amis.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Jumièges, ce 7 février 1814.

Desaultÿ

Le préfet prit en considération cet exposé. Il écrit dans la marge : M. Dubourg voudra bien prendre ses informations auprès de Madame Henne (?) sur  les personnes proposées pour remplir les fonctions de maire de la commune de Jumièges et il répondra ensuite à la personne qui m'a adressé cette lettre, le compte de laquelle il prendra aussi des renseignements.

Le Jumièges de 1814

Desaulty et trois des personnages cités par ses soins écrivirent ensemble au préfet en compagnie de Dinaumare, alors suppléant au juge de Paix de Duclair, Amand et Devaux.

A Monsieur de Girardin, comte de l'Empire et Préfet du Département de la Seine-Inférieure.

Monsieur, sollicité par plusieurs honnêtes gens de cette commune, animés comme nous, du bien particulier comme de l'intérêt public, nous avons cru pouvoir vous adresser, par notre organe, leur réclamation.
Il y a environ deux mois que le maire de Jumièges a fini sa carrière. Pleins de confiance en vous, Monsieur et en votre sagesse, pénétré de respet et de soumission pour tout ce qui émane d'elle, nous sommes bien concaincus que vous allez vous occuper de donner à cette commune un maire digne de mériter votre confiance et celle de ses administrés.
Sans vouloir gêner ni captiver votre choix, nous nous croyons pourtant obligés de vous instruire comment est située cette commune, quelle est son étendue, qu'elle est sa population.

La commune de Jumièges, qui compte 1600 à 1700 âmes est composée de trois hameaux dont deux, quoi que dans une extention de deux lieues, se touchent, se communiquent et ont des rapports entre eux et c'est ce qui forme le chef-lieu, où sont placés le bourg, l'église et la mairie.
Le troisième, de 3 à 400 âmes, en est séparé par la rivière de Seine. Mr votre prédécesseur, en choisissant un maire dans ce hameau, ignorait certainement que souvent les rapports et les communications étaient interrompus. La rivière, par ses débordements, par ses flots et ses fougues empêchaient nécessairement les correspondances et devenaient nuisibles aux administrés. Des événements imprévus pouvaient arriver, des gens suspects et sans avœux pouvaient voyager et passer impunément. S'agissait-il de viser des passeports, des gendarmes, des officiers de recrutement, des commissaires envoyés par les autorités, des garnitaires arrivaient-ils dans cette commune, aucuns ne pouvaient faire valoir sa mission, ses pouvoirs. Le maire était de l'autre bord de la rivière, le passage en était difficile et quelquefois impossible et le service restait sans activités.


"Il faut un maire au bourg"

"Il nous sera également permis, Monsieur, de vous représenter que les circonstances critiques et les dangers qui menacent la patrie exigent que le maire soit dans le centre de la commune, et toujours prêt à agir et à commander, qu'il soit présent à tous les mouvements qui pourraient survenir, que dans le cas ou des pelotons d'ennemis se répendraient dans nos communes, il fut à portée de commander à ses administrés et de les lever en masse au besoin, pour arrêter les brigands et leurs brigandages.

"Vous saurez aussi, Monsieur, qu'une route très fréquentée traverse le bourg de Jumièges pour accéder au passage de la rivière et se porter, delà, dans le Département de l'Eure.

Voilà, Monsieur, les observations que nous avons cru soumettre à votre sagesse ; nous désirons qu'elles puissent obtenir de vous un accueil favorable et quelque soit votre décision, nous nous y soumettons d'avance et vous acquererez toujours de nouveaux droits à notre reconnaissance.

Dinaumare, 1er suppléant du juge de paix du canton de Duclair, Desaulty, ancien bénédictin et maire, Bouttard, Chantin, JB Lefort, Amand, Decaux.

Alors qui ?

Le autorités préfectorales vont bientôt prendre les affaires en main :

Le 2 avril 1814
Au sous-préfet de Rouen

Je suis informé, Monsieur, que le maire de la commune de Jumièges est décédé depuis plus de six semaines, diverses réclamations tendant à faire pourvoir à son remplacement m'ont été adressées. Je vous prie, Monsieur, de me proposer le plutôt possible des candidats pour remplacer ce fonctionnaire.
A Q.

La réponse du sous-préfet fera voler en éclats les manœuvres de Desaulty...


Pour suivre le mandat de Hue fils : 


SOURCES

Cote 3M1072, archives départementales de la Seine-Maritime, document numérisé par Josiane et Jean-Yves Marchand, transcription : Laurent Quevilly.