Tentative de meurtre à Hénouville

Par Jean-Pierre HERVIEUX.

    Dimanche 22 avril 1900, en fin d’après midi, trois incendies se déclarent en forêt de Roumare : l’un sur la commune de Canteleu, l’autre sur Montigny et le troisième sur Saint- Martin-de-Boscherville. Ces incendies ne pouvant être que l’œuvre d’une main criminelle, la population d’Hénouville, commune voisine, s’en émeut à juste titre.

Le lendemain, lundi 23 avril, vers 3 heure de l’après midi, Louis Pigache, entre dans le débit de la veuve Coté à Hénouville et se fait servir un café.

Marie Coté, la veuve Coté comme on l’appelle communément à Hénouville, tient un petit commerce de café épicerie, non loin de la mairie et des écoles sur la rue qui traverse le bourg avant de rejoindre la route menant de Rouen à Duclair au hameau de la Fontaine. Son mari, menuisier de son état est décédé voici près de 15 ans et ce petit commerce lui permet de vivoter. A plus de 72 ans cette brave dame est estimée de tous dans le village.

Lorsqu’elle voit Louis Pigache franchir le seuil de son commerce, la veuve Coté le reconnait tout de suite ; se disant bûcheron, Louis Pigache, la cinquantaine, n’est pas un inconnu à Hénouville où on le craint et le surnomme ‘’Pigache le voleur’’. Condamné à plusieurs reprises pour vols et coups et blessures, Louis Pigache est sorti début avril de la maison d’arrêt de Poissy puis est venu à Rouen faire la noce avec une fille Taupin qu’il quitte le 21 avril soit disant pour se rendre chez sa mère… à Hénouville lui emprunter de l’argent après avoir dépensé son pécule.


Samedi 21 avril Louis Pigache a été effectivement vu à Hénouville, près de la carrière de cailloux, derrière la mairie, par le jeune Fernand Lesueur à qui il demande des renseignements sur le commerce de la veuve Coté. Dans la nuit de samedi à dimanche, la porte du commerce est forcée à l’aide d’un soc de charrue volé dans un champ voisin ; la veuve Coté, réveillée par le bruit met le cambrioleur en fuite.

Ainsi, lundi après midi, tout en en se doutant qu’elle ne serait pas payée, la veuve Coté sert le café, le pousse-café puis la rincette à Pigache qui la quitte déclarant qu’il passerait payer plus tard.
Pigache revient effectivement quelques instants plus tard mais pas pour régler son dû ; il frappe la veuve Coté, d’abord à coups de poings, puis lui assène un coup de gourdin sur le crâne ; la pauvre vieille tombée à terre , il continue de la frapper sauvagement, allant jusqu’à mettre les doigts dans sa bouche pour l’empêcher de crier. Toutefois, les voisins alertés accourent. Pigache prend ses jambes à son cou et s’enfuit vers la forêt toute proche.
La chasse à l’homme s’organise : Legendre l’adjoint, Bazille Moreau le garde champêtre, Douillet l’instituteur, Jourdain, le mercier et une vingtaine d’Hénouvillais, accourus au son du tocsin, armés qui d’un fusil, qui d’un révolver ou d’un simple bâton, se jettent à la poursuite de Pigache. Celui-ci sentant ses poursuivants se rapprocher met alors le feu au taillis et s’enfuit à nouveau. La plupart des poursuivants regagnent alors le bourg. Seuls Honoré Aubé et le garde champêtre continuent la traque.

Un peu plus tard, Pigache est aperçu vers Montigny, près de la ruelle des Moulins ; Honoré Aubé et le garde champêtre s’y rendent et l’aperçoivent se cachant dans les bois ; s’étant rapprochés du fugitif, le garde champêtre tire en sa direction sans l’atteindre. Les coups de feu alertent les bûcherons et les habitants d’Hénouville qui accourent aussitôt. Pigache se sentant pris essaya une nouvelle fois de regagner les bois mais Levasseur, le laitier, se jeta sur lui et le ceintura.

Pigache fut ramené chez la veuve Coté où se trouvait Monsieur Becquet, le juge de paix de Duclair. Après interrogatoire et confrontation avec sa victime Pigache fut emmené et incarcéré à la gendarmerie de Duclair. Le lendemain Pigache fut transférer à Rouen et mis à disposition du juge d’instruction.
Le calme revint à Hénouville où la veuve Coté se remit de ses blessures moins graves qu’il n’y paraissait de prime abord.

La Cour d’assises de la Seine inférieure jugea Louis Pigache le 4 juillet 1900.pour tentative de meurtre. L’accusé nia tout. Louis Pigache fut condamné par la Cour d’assises de la Seine inférieure à 10 ans de travaux forcés et à la relégation.

Qui était Louis Pigache ?

Né le 17 octobre 1850 à La Vaupalière, fils de Louis Pigache et d’Eugénie Marthe Duvallet, Louis Augustin Pigache exerce la profession de journalier comme ses parents.
Le 26 avril 1873 à Hénouville, il épouse Marie Sophie Desmonts. Le couple s’installe à Hénouville où naissent cinq de leurs enfants. Lors de la déclaration de naissances de deux des garçons l’un des témoins n’est autre que Jean Baptiste Coté le menuisier. Après un premier séjour à l’ombre, Louis Pigache quitte Hénouville avec femme et enfants pour s’installer à Sain-Jean-du-Cardonnay où naissent en 1887 un garçon présenté sans vie, puis en 1890 une fille qui décède à l’âge de 6 mois.
C’est à Saint-Jean-du-Cardonnay que décède également Marie Sophie Desmonts le 19 février 1895.

Louis Pigache a une mauvaise réputation dans le pays et un casier judiciaire chargé :
- Condamné à 2 ans de prison par la Cour d’assises de la Seine-Inférieure le 9 mai 1885 pour vol de poules et de bouteilles de vin.
- Condamné en 1891 à 6 jours de prison pour coups.
- Condamné en 1894 à 6 mois pour vol et à 1 mois pour tentative d’évasion.
- Condamné en 1896 à 3 mois pour vol.
- Condamné en 1897 à 3 ans pour vol.




Toutes ces condamnations lui vaudront la relégation en plus des 10 années de travaux forcés. Louis Pigache prendra donc la direction de l’ile de Ré d’où il embarquera à bord du navire Loire à destination de la Guyane et du bagne de Cayenne.
Les iles du Salut forment un archipel composé de trois ilots, l’ile Royale, l’ile Saint-Joseph et l’ile du Diable ; il est situé à 14 km de la côte.

C’est là que Louis Augustin Pigache décèdera le 12 mars 1901, peu de temps après son arrivée au bagne.

Jean-Pierre HERVIEUX.

Sources

 ADSM Journal de Rouen, état civil Hénouville, La Vaupalière, Saint-Jean-du-Cardonnay

Mise à jour : 6 janvier 2018