Grâce à Josiane Marchand...

Des revendications salariales, un mouvement d'arrêt de travail, quoi de plus banal. Oui, mais seulement, nous sommes sous l'ancien régime. Et le Parlement de Normandie ne plaisante pas avec ces choses-là.  Voici son arrêt sur l'affaire de la grève de la tourbière d'Heurteauvile.

Du 15 may 1777


Sur la requête présentée à la cour par les sieurs veuve Testard, aujourd'hui dame Holker, Jean-Baptiste Davoult, Louis Gilbert et veuve Delboy, entrepreneurs de l'extraction des tourbes de terre dans le marais de Heurteauville, hameau de Jumièges, et chargés de la fourniture et approvisionnement des dites tourbes pour la ville de Rouen et ses manufactures, expositive que par différents arrêts revêtus de lettres patentes dûment enregistrées au Parlement, sa Majesté a permis aux exposants et compagnie de faire l'extraction de la tourbe qu'ils ont découverte et pourront découvrir dans les marais d'Heurteauville et a fait défense à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient de les troubler dans ladite extraction a peine de 3000 livres d'amende et de tous dépens, dommages et intérêts,

cette extraction se fait chaque année depuis le commencement de mars jusqu'au 22 août par des ouvriers tireurs qui font chaque campagne une espèce d'aleu verbal à raison de tant par jour pour telle quantité de terrain mesurée au cordeau, cette tache est fixée par eux-mêmes vis à vis des contremaîtres ainsi que le prix qui leur doit être payé par chaque jour pendant toute le campagne,

ce prix qui n'était d'abord que de 15 sols par jour a été augmenté jusqu'à vingt-cinq moyennant lequel prix de 1 livre 5 sols l'aleu de cette année a été commencé au mois de mars pour la campagne qui doit durer jusqu'au 22 d'août prochain,

ces ouvriers tireurs occupent un grand nombre d'autres ouvriers brouettiers pour transporter la tourbe qu'ils tirent et cessant l'ouvrage des premiers les autres restent à rien faire.

Jusqu'à présent, tout s'était passé dans l'ordre, suivant ce qui s'est pratiqué depuis vingt ans, mais tout récemment et sans sujet plusieurs des dits ouvriers tireurs se sont dédits de 12 livres pour ceux qui recommenceraient à travailler à moins qu'on ne leur payât 30 sols par jour pour l'exploitation d'une quantité de terrain de la campagne et pour raison de laquelle ils gagnaient 25 par jour.

"Cette espèce de révolte..."
Cette demande outrée faite par des ouvriers qui ont commencé librement et volontairement leur campagne ne peut être que l'ouvrage des ennemis de l'entreprise des exposants. La cessation du travail commencé les mettrait hors d'état de remplir leurs obligations pour l'approvisionnement de la ville, des manufactures et du peuple. Cette espèce de révolte est défendue par tous les règlements, si elle était tolérée, elle porterait un grand préjudice à la ville dont les besoins augmentent de jour en jour par la rareté du bois. Les tourbes venant à manquer, les teinturiers, chapeliers, cornetiers et autres qui en font la plus grande consommation seraient obligés de recourir au bois malgré les arrêts de la cour qui leur en interdisent l'usage et à ce moyen en augmenteraient la disette.

Pourquoi les exposant ont recours à l'autorité de la cour de ce qui lui plaise ordonner que les ouvriers qui ont commencé la campagne de cette année au mois de mars dernier seront tenus de la continuer jusqu'à la fin de la dite campagne à raison du prix de 1 livre 5 sols qu'ils se sont fixés et de la quantité de terrain dont ils sont convenus et que leurs dits ouvriers seront tenus de se rendre, sans aucun retardement, à leurs travaux sous peine d'être arrêtés et constitués prisonniers, punis suivant la rigueur des ordonnances et condamnés en telle amende qu'il plaira à la cour de fixer et pour rendre l'arrêt qui interviendra notoire ordonne qu'il sera imprimé et affiché partout où besoin sera,

demandant sur ce les exposants l'adjonction de Monsieur le Procureur général pour le maintien de l'ordre public et sauf à lui de requérir de son chef et en plus outre que que la prudence lui suggérera.

Vu par la cour ladite requête signée l'heure procureur pièces y attachées et énoncées, conclusions du procureur général du Roy et oui le rapport du sieur abbé de la Cauviniére, conseiller rapporteur tout considéré,

La cour, la grande chambre assemblée, a ordonné et ordonne par provision

que les ouvriers qui ont commencé la campagne de cette année au mois de mars dernier seront tenus de la continuer jusqu'à la fin de ladite campagne à raison du prix de vingt-cinq sols qu'ils se sont fixés et de la quantité de terrain dont ils sont convenus et que les dits ouvriers seront tenus de se rendre sans aucun retardement à leurs travaux sous peine d'être arrêtés et constitués prisonniers et punis suivant la rigueur de ordonnances et condamnés en telle amende qu'il plaira à la cour de fixer.

A Rouen, en Parlement, le quinze may mil sept cent soixante dix sept, ordonné que le présent arrêt sera imprimé et affiché partout que besoin sera.

Source: archives départementales de la Seine-Maritime, fonds Parlement, cote 1B5530. Document numérisé par Josiane Marchand. Adapté en français moderne.





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