Documents sur les îles anciennes de la Seine entre Bardouville, Quevillon et Saint-Martin-de-Boscherville
Par
Jean-Pierre DEROUARD.
Trois îles se suivent et forment un même ensemble.
1832. De Duclair à la Bouille, il y a des précautions à prendre pour doubler l'île du Calumet et celle aux Peuples, parce que les pointes de ces îles courent au-dessous de l'eau sur une grande distance (P.F. Frissard, Navigation fluviale du Havre à Paris).1876. Il y a à Duclair un mât de signaux qui indique à chaque instant du jour et de la nuit la hauteur d'eau existant au-dessus du haut-fond de Bardouville situé à 8 km en amont (M.E. Chanson, "Port de Duclair", Port maritimes de la France, 1876).
1878. Il n'y a que les passes de Bardouville qui demandent une attention particulière ; toutefois, la profondeur du chenal n'y descend jamais au-dessous de 4 mètres aux plus basses mers de l'étiage et de morte-eau, et il n'existe pas de jour dans l'année où l'on n'y trouve à pleine mer au moins 4 mètres 80 centimètres ; la profondeur pendant la pleine mer de vive eau varie de 7 à 8 mètres, et en suivant les indications des bouées placées le long de ces passes, il est impossible d'échouer ; un échouage vient-il à se produire, il serait sans danger pour les navires en raison de la nature du fond qui est de vase mêlée de débris marneux. Le chenal est signalé à Bardouville par des bouées rouges et des bouées noires, on doit passer entre elles. Un mât de signaux établi à Duclair indique à toute heure du jour et de la nuit le minimum de tirant d'eau qui existe dans le chenal sur la passe de Bardouville (Notice sur le port de Rouen par la Chambre de Commerce de Rouen, 1878).
1888. Dragage du seuil de Bardouville…la passe de Bardouville, d'une longueur de 7 km. Cette passe présentait des largeurs exagérées et était occupée par trois îles en multiples bras donnant naissance à un chenal sinueux et peu profond… (Babin, Godron, Notice sur le régime et les travaux d'amélioration de la Seine maritime, 1913).
Îles entre Bardouville, Quevillon et Boscherville en 1885. (carte du canton de Duclair)
Île du Calumet. 1757 : île du Calumet à Bardouville (Beaurepaire, Dictionnaire topographique de la Seine-Maritime, 1984). 1879 : île du Calumet à Bardouville, 4 habitants (abbés Bunel et Tougard, Géographie du département de la Seine-Inférieure, arrondissement de Rouen, 1879). 1888 : L'île du Calumet et celle du Ronceray ont été reliées entre elles et à la rive gauche, renvoyant le chenal sur la rive droite (Ernest Lehman, Redressement de la Seine maritime depuis son embouchure jusqu'à Rouen, 1888).
Île du Ronce, du Ronche ou du Ronceray ou aux Peuples. 1727 : Quevillon, l'île du Ronche (Archives départementales de la Seine-Maritime, C2108). 1780 : La pointe d'une isle nommée l'isle du Ronche (Archives départementales de la Seine-Maritime, 6BP192) 9 mars 1788 un cadavre de sexe masculin eschoué à la pointe de l'isle du Ronceray vers le nord (registre paroissial de Quevillon). 1879 : île du Ronceray à Bardouville, 6 habitants (abbés Bunel et Tougard, déjà cités). 1888 : L'île du Calumet est reliée à celle Ronceray puis à la rive gauche, renvoyant le chenal sur la rive droite (Ernest Lehman, déjà cité).
Île Rabel. Le nom est mentionné de 1168 à 1680 (Beaurepaire, Dictionnaire topographique de la Seine-Maritime, 1984), Rabel était l'un des fils de Robert le Chambellan, comte de Tancarville fondateur de l'abbaye de Boscherville. Dans une confirmation des biens de Saint-Georges en 1207 par Robert de Tancarville figure l'île Rabel avec les hôtes et le pêcheur (Léopold Delisle, Etudes sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au Moyen Age, 1848) ; le mot hôte indique peut-être qu'on peuple l'île à ce moment.
Île Saint-Joire puis Saint-Georges. L'île Saint-Joire est déjà mentionnée en 1440 (Beaurepaire, déjà cité). En 1588 l'île Saint-Joire, autrefois Rabel; sert de limite à une pêcherie (Charles de Beaurepaire, La Vicomté de l'eau, 1866). En 1827, l'île Saint-Georges jusqu'alors partagée entre Bardouville et Saint-Martin-de-Boscherville est administrativement réunie à Saint-Martin-de-Boscherville (Archives départementales de la Seine-Maritime, 1M119). M.Ouin y possède en 1867 deux petites fermes produisant des "fruits de toutes espèces, cidres et boissons, ainsi que l'élève de bestiaux gras" (Archives départementales de la Seine-Maritime, 3S334) : l'île a la même occupation du sol que la rive proche. L'île compte 18 habitants en 1879 (abbés Bunel et Tougard, déjà cités).
L'île Saint-Georges est intimement liée au droit de passage et à la vicomté dépendant de l'abbaye de Boscherville qui s'y rattache. En 1467, les moines rendent une sentence contre Martin Quibel, fermier de l'isle St Georges, pour avoir négligé de mettre des défenses au devant de ladite isle pour le débordement des eaux (Archives départementales de la Seine-Maritime, 13H20). En 1738, Pierre Satrin rend aveu pour une "pièce de terre qui est la maison et masure du port & passage de St Georges" (Archives départementales de la Seine-Maritime, 13H371), 3 autres pièces de terre de l'île font l'objet d'un aveu rendu à l'abbaye. Les passagers ont alors obligation de résider dans l'île. Le 17 août 1749 Jean Leroux passager demeurant dans l'isle de St Martin de Boscherville se voit dresser procès verbal pour avoir pêché avec un épervier, filet prohibé (Archives départementales de la Seine-Maritime, 211BP64). Le 31 janvier 1757, Jacques Frémont, contremaître de la voiture d'eau de Duclair, laisse son bachot naufragé "sur l'isle de St Georges à la garde d'Adrien Poulain fermier de lad. isle St Georges" (Archives départementales de la Seine-Maritime, 6BP8).
L'île reste liée au passage après la Révolution. Le 1er juillet 1801 (12 messidor an 9) Jacques Perdrix est jugé apte à assurer le passage car "son habitation placée dans l'île Saint-Georges au milieu de la Seine le met à portée d'être entendu de ceux qui se présentent sur l'une et l'autre rive et de servir promptement", les usagers devaient alors signaler leur besoin de traverser en sonnant une cloche (Archives départementales de la Seine-Maritime, 3S334). En décembre 1834 le nommé Pierre Dieppedalle demeurant en l'île Saint-Georges peut postuler au poste de passeur (Archives départementales de la Seine-Maritime, 3S237).
L'île complique le service du passeur : "le passage exige de l'habileté à cause des îles qui l'avoisinent" (1801, 3S334). Au 22 décembre 1867, "l'île Saint-Georges force de faire de l'amont pour éviter le courant et de se mettre à terre, ce qui augmente d'autant le trajet" (Archives départementales de la Seine-Maritime, 3S335).
Lorsque le passeur n'habite plus l'île, les relations sont moins bonnes. Ce n'est que contre une indemnité de 40 francs et après un arrêté des Ponts & Chaussées que les propriétaires de l'île acceptent en 1835 que les embarcations du passage puissent s'abriter dans le bras de Seine pour éviter le flot : "en amarrant les bateaux du passage le long de l'île Saint-Georges qui est en aval de passage ils courraient moins de risque" (Archives départementales de la Seine-Maritime, 3SP199). Le sieur Ouin se plaint en 1862 du passeur du bac de Saint-Georges "[qui] a prétention d'empêcher l'accès libre des cales tant à ses fermiers qu'aux personnes employés à leur exploitation", et qui "interdit tout dépôt des produits agricoles dans la cale rive droite qui peut accueillir 4 bateaux alors qu'il n'y en a le plus souvent qu'un" (Archives départementales de la Seine-Maritime, 3S334).
On commence à relier l'île à la rive droite par une digue en 1885 (Archives du port de Rouen). 1888 L'île Saint-Georges a été réunie à la terre la plus proche, repoussant le chenal sur la rive gauche (Ernest Lehman, déjà cité).