Natif de Rouen, Hippolyte Questel avait fait profession de foi à l'abbaye de Jumièges le 12 août 1634. Ambitieux, doué en affaires, il en devint très vite le sous-cellérier puis le Procureur, office qu'il exerça la plus grande partie de sa vie. A ce titre, il tenait scrupuleusement pour chaque hameau un Registre pour servir de recepte de tous les droits seigneuriaux tant en argent, grains, œufz, oyseaux que autres espèces deubz par tous les hommes et vassaux de la baronnie de Jumièges.
Dom Questel se déplaçait ainsi dans toutes les possessions de Jumièges pour y tenir les plaids et gaiges-plaiges, bref, pour faire rentrer l'argent. "Mais, racontera dom Martine, cet emploi si absorbant ne fit pas chez lui grande brèche à 1'esprit de recueillement et de pénitence, car dans ses voyages même, il portait toujours avec soin un livre de Méditations et il faisait tous les jours régulièrement cet exercice à 1'heure prescrite. Il était aussi muni de sa discipline et il ne manquait pas de la prendre." Portrait sans doute un peu trop flatteur comme nous le verrons par la suite...
Le 19 juillet 1653, par un matin
d'été caniculaire, Dom Questel avait
quitté Paris pour se rendre au couvent de Chelles. Il
entendait demander à son abbesse quelque relique de sainte
Bathilde, fondatrice de leurs deux monastères. La reine
Bathilde avait été l'épouse de Clovis
II.
Chemin faisant, il fit halte à
Saint-Maur-des-Fossés pour s'y recueillir et
célébrer la messe à l'autel du
Saint-Patron. Dans l'église, il y avait là un
femme
totalement impotente venue ici faire neuvaine. Dans son village de
Mareuil, près de Châlons, elle avait
été sauvagement violée par des soldats
qui lui
avaient découpé un sein et sectionné
les nerfs de la cuisse si bien qu'elle ne tenait plus sur ses jambes.
Le messager de Châlons l'avait
conduite jusqu'à Saint-Maur où elle faisait ses
dévotions depuis trois jours lorsqu'arriva le moine de
Jumièges. Celui-ci, sur les coups de neuf heures,
célébra sa messe tandis que la pauvre
estopiée suivait l'office sur un brancard, au bas de
marchepied de l'autel. Au moment précis de
l'élévation, la femme se sentit soudain fort mal,
au point de
s'évanouir. Aussitôt, quelques chanoines et autres
témoins se précipitent pour l'assister. La messe
allait finir
lorsque, sortie de sa léthargie, l'infirme poussa de grands
cris tout en étant
agitée de tremblements. C'est alors qu'elle se mit
à marcher seule de par l'église au vu et
à la stupéfaction de tous. Sur le champ, un
procès-verbal de cette guérison miraculeuse fut
dressé et Dom Questel en fut le premier signataire. Le
lendemain, il
raconta cette histoire à l'abbaye de
Saint-Germain-des-Près
et en particulier à Dom Bernard Audebert qui
rapportera les propos de Questel : Mirabilis
Deus in santis suis...
Dom Questel rentra à Jumièges pour y accomplir bientôt un autre miracle : celui de semer la zizanie entre ses frères. Il y avait deux ans que Dom François Villemonteys gouvernait Jumièges en qualité de Prieur. Une tutelle toute spirituelle car il se reposait sur ses officiers pour gérer l'abbaye au plan matériel. Dom Robert Jamet faisait alors office de cellérier et s'entendait à merveille avec Dom Questel. Mais voilà que ce dernier entreprit de marcher sur les plates-bandes de son confrère dans le but sans doute de cumuler les deux charges. Aussitôt la division s'installa entre les moines. Informé trop tardivement, le prieur hésita à alerter l'archevêque de Rouen, abbé de Jumièges. François de Harlay était l'ami de Questel. Alors on déclencha une inspection de la congrégation. Le 25 juillet 1668, Frère Philippe Cadeau vint mettre de l'ordre dans les prérogatives de chaque officier et Dom Questel fut flanqué d'un adjoint. Sans doute pour mieux le contrôler.
La paix revint à Jumièges, troublée par la maladie de son abbé qui demeurait à Rouen. Dans toute la Province, Dom Questel ne fut pas le dernier pour appeler à la guérison de François de Harley par le jeûne et la mortification. Quand, par un nouveau miracle, l'abbé reprit des couleurs, on célébra une messe de la Trinité où furent conviés les curés de Jumièges, du Mesnil, de Yainville et du Trait.
Un des derniers actes majeurs de Dom Questel fut d'être député auprès de François de Harlay qui venait d'être nommé cette fois archevêque de Paris. Il alla lui faire accepter le nouveau palais abbatial qui venait de s'achever à Jumièges. Le montant des travaux avait dépassé les prévisions et, après l'expertise exigée par Harley, Dom Questel le déchargea des frais supplémentaires. Ce qui fut ratifié dans un document signé par la communauté le 5 avril 1673. Il lui en coûta 65.000 livres de plus que prévu. Là, Dom Questel n'avait pas fait de miracle. Après cette mauvaise opération, il mourut à Jumièges le 3 mars 1677.
SOURCES
- Mémoires du R. P. Dom Bernard Audebert , estant prieur de Saint-Denis et depuis assistant du R. P. Général.