Ensemble horloger de l'Abbaye de Jumièges d'après une gravure de1674
On
appelle ensemble horloger un groupe formé d'un cadran
solaire et d'une horloge mécanique. On rencontre ces
ensemble sur les édifices publics le plus
souvent
religieux. L'horloge donne l'heure en permanence, le cadran solaire est
utilisé pour contrôler son exactitude
car à ces époques le réglage
était loin d'être parfait. L'ensemble est
placé sous l'autorité du gouverneur de l'horloge.
L'horloge.
Horloge
de l'Abbaye de Jumièges; vue d'ensemble.
Généralités. La tour sud hébergeait un ensemble horloger composé d'un cadran solaire et d'une horloge, le cadran solaire est toujours visible sur la face sud mais les deux cadrans de l'horloge, l'un sur la face sud et l'autre sur la face ouest, ont disparu. L'horloge était située au niveau du premier étage décoré d'arcatures, au dessus de la souche lisse de la tour. La hauteur de cette pièce est de 28 mètres au dessus du sol.
La tour sud a été entièrement restaurée, elle est en parfait état de propreté. La timonerie qui permettait à l'horloge de gouverner les aiguilles des deux cadrans a totalement disparu.
Toutefois, il est possible de voir à l'intérieur de la tour des alvéoles ménagées pour recevoir des solives qui pouvaient supporter un plancher capable de recevoir l'horloge. De même, d'autres alvéoles ménagées à 2,80 mètres au dessus de ce plancher laissent à penser qu'elles étaient destinées à recevoir un plafond pour protéger l'horloge des intempéries.
Cette "chambre de l'horloge" est desservie par un escalier en pierre relativement étroit, donc l'horloge a été assemblée dans la pièce, tous ses composants ayant été amenés les uns après les autres. Cette pratique était tout à fait courante.
Intérieur
de la tour sud.
En tout cas des engrenages exécutés après 1660.
Poids moteurs,
ils sont en pierre, en forme d'un double solide quadrangulaire
à bases confondues ou si l'on préfère
deux pyramides tronquées accolées l'une
à l'autre par leurs assises.
L'exemplaire examiné est en parfait
état, il est complet, il a même son
l'anneau, ce qui a permis de l'identifier d'une façon
certaine.
Le volume de ce solide se calcule aisément à l'aide de la formule suivante:
V = 1/6 h [ ( 2a + a' ) b + (2a' + a ) b' ]

L'un des poids en pierre conservé en bon état.
L'horloge pour fonctionner a besoin de 3 poids
identiques. Un second poids, partiellement brisé, tout
à fait semblable au précédent est
conservé. Le troisième poids n'a pas (encore ?)
été retrouvé.
Cordes, l'examen de l'anneau du poids montre qu'il
était possible d'utiliser une corde de deux
centimètres de diamètre ce qui est correct pour
supporter à cette époque un poids de 76 kg. Le
barillet du rouage horaire fait un pied de long soit 32,5 cm
pour un diamètre de 30 cm.
Pour fonctionner correctement il ne peut y avoir qu'une seule
couche de corde sur un barillet d'horloge ce barillet ne peut
admettre que 32 / 2 = 16 tours; la longueur de chaque tour
est de
π x 0,3 = 0,95 mètre soit une longueur totale de
corde de 16 x 0,95 = 15 mètres. Par prudence la corde ne
doit jamais être totalement
déroulée, il faut toujours laisser une garde de
un ou deux tours, c'est ce que les horlogers appellent "des tours
morts", donc, il n'y avait au maximum 14 tours
d'utilisés; et comme dans cette horloge le barillet fait un
tour à l'heure, il fallait remonter les poids deux fois par
jour. De même les deux autres barillets,
celui de la sonnerie des quarts et de la sonnerie des heures font 24
tours par jour et nécessitent les mêmes
remontages. Donc 75 X 3 X 2 = 450 kilogrammes à
soulever chaque jour par le gouverneur de l'horloge, mais il pouvait
vaquer tranquillement à d'autres occupassions puisqu'il
avait deux heures de tolérance pour remonter les poids de
l'horloge .
Mouvement horaire. Il est très simple, 4
mobiles seulement : le barillet sur lequel vient s'enrouler la corde,
suivi de la roue de moyenne, de la roue d'échappement et de
l'ancre.
La roue du barillet porte quatre chevilles chargées de
déclencher la sonnerie des quarts par
l'intermédiaire de la grande détente. La petite
verge de liaison entre les chevilles et la grande
détente est perdue.
Malheureusement la roue d'échappement a disparu il est donc
impossible de connaître la longueur du balancier, mais la
manière avec laquelle la roue a été
démontée fait penser qu'il s'agit peut
être d'une mutilation volontaire ; pourquoi ?
L'échappement primitif était un
échappement à ancre à recul qui a
l'inconvénient d'être sujet à usure,
qu'il ait été remplacé par un
échappement à repos, ceci est tout à
fait normal. C'est donc l'échappement à chevilles
inventé par Amant en 1741 et perfectionné par les
Lepaute en 1753 qui a été retenu. L'axe
de l'ancre n'est plus octogonal, il est cannelé
mais l'ancre, qui est réglable, est maintenue sur
cet axe par deux écrous six pans; de
même la tige qui supporte le balancier est
également fixée sur cet axe a l'aide d'un
écrou six pans. Or les écrous six pans font leur
apparition en France vers 1770-1780 l'horloge fonctionnait depuis plus
cent ans à en juger par l'état des "nez des
cliquets de remontage" qui présentent des traces importantes
d'usure (ils ont effectué plus de 80.000 remontages) on peu
supposer que l'ancre étant dans le même
état et il était impossible de la sauver et qu'il
était préférable de remplacer
l'échappement par un ensemble plus moderne et
réputé inusable.
Vraisemblablement l'opération a dû avoir lieu vers
1780.
Arbre de l'ancre "moderne"
Il est un fait certain, cette horloge n'a jamais eu d'échappement à Foliot, pas plus qu'un échappement à roue de rencontre car ces deux systèmes comportent obligatoirement une roue de chant, donc un changement de direction (à 90°) des axes de rotation or il n'y a aucune trace de l'emplacement d'un mobile ayant son axe de rotation vertical.
Le barillet porte deux couronnes de galets (a et b) de 10 galets chacune; chargés de commander les bascules qui vont actionner des marteaux qui vont frapper sue les cloches.
Comme le barillet du mouvement horaire, ce
barillet des quarts fait également 24 tours par jour.
Lorsque les quatre quarts ont été sonnés la détente latérale change de position et ainsi déclenche la sonnerie des heures.
Sonnerie des heures. C'est une sonnerie à chaperon classique, le chaperon est une pièce de ferronnerie compliquée et par conséquent difficile à exécuter; l'extérieur de la serge de la roue porte 72 dents et l'intérieur de la serge de la roue comporte une succession de 12 encoches de longueur différente correspondant au nombre de coups à frapper pour chaque heure.Cette roue engrène avec le barillet par l'intermédiaire d'un pignon de 6 dents le rapport est donc de 72 / 6 = 12; le chaperon fait un tour en 12 heures donc le barillet fait 12 / 12 = 1 donc 1 tour par heure. Le barillet porte une couronnes de galets chargés de commander la bascule qui va actionner le marteau. Ce marteau frappe sur une cloche d'un ton différent des deux autres et en principe d'une tonalité plus grave..
Dans les deux sonneries, la vitesse de défilement du rouage est contrôlée par un volant régulateur qui est le dernier mobile du train de rouage. Ce volant est muni de deux ailes qui sont freinées par l'air ambiant, ici les ailes sont de faible envergure car elles ont été diminuées par la rouille.
Reconstituer la vie d'une horloge n'est pas toujours une tâche facile, il y a souvent des zones d'ombre. Ici l'horloge paraît être une construction fin XVIe début du XVIIe c'est à dire à la fin du gothique; mais.plusieurs indices montrent qu'elle a été construite beaucoup plus tard.
- L'emploi de l'échappement à ancre (inventé en 1669 et totalement généralisé en 1675) et du
balancier pendulaire (découvert en 1657 mais très lent à se développer).
Il est très facile de savoir si une horloge avait une ou deux aiguilles, il suffit d'observer le cadran, l'heure est divisée en 4 point pour les horloges à une aiguille, ce qui permet d'apprécier les quarts d'heure et sur les horloges à deux aiguilles elle est divisée en 5 points. Ce qui permet d'apprécier les minutes.
Les maçons avaient également vu que la mesure "était fausse", ils déléguèrent quelques gaillards chez Colbert; ils ne furent même pas reçus; à peine dans l'antichambre ils furent priés de sortir et vite.
Le résultat de ces démarches ne se fit pas attendre, maçons, drapiers et autres furent contraints d'adopter le nouvelle mesure sous peine de sanctions.
- Cette horloge un jour X pour une raison Y a été descendue de la tour sud. Il y a deux possibilités, la plus commune est de la jeter du haut du clocher et ceci laisse des traces; ce n'est pas le cas ici, elle a probablement été démontée et les pièces descendues une par une. Le plus souvent ces pièces sont mises en vrac dans un coin; ici encore ce n'est pas le cas, elle a été ré-assemblée avec soin. Pourquoi ? dans quel but ? C'est un mystère qu'il serait intéressant d'éclaircir.
- Elle a été retrouvée en 1994 dans le partie nord de l'hôtellerie en compagnie de deux de ses poids. Elle est abritée de nos jours dans le dépôt "Cathédrale". Les poids sont restés à leur emplacement primitif, ces pierres ont été identifiées comme étant les poids le 14 octobre 2011.
- Enfin, dernière énigme, l'échappement. Il a été changé pour cause d'usure c'est a peu près certain vu l'état d'usure de certaines autres pièces, mais à quelle époque ? Une visite au Musée du Conservatoire National des Arts et Métiers montre que les vis à tête six pans ont été employées sur le fardier de Cugnot (en 1770) le premier véhicule ayant un moteur thermique capable de transporter de lourdes charges, de même le tour à guillocher construit en 1780 par Mercklein pour le plaisir du Roi Louis XVI utilise de nombreux écrous six pans. D'autres objets de la même époque, exposés dans le musée, utilisent des vis ou des écrous hexagonaux. A ce moment, l'horloge aurait marché pendant un peu plus de 100 ans.
C'est donc une horloge qui a été construite vers 1670 par un maître très expérimenté et très au fait des progrès techniques; dès qu'une invention est connue et utile elle est appliquée. Ces maîtres signaient rarement leurs œuvres ; ils travaillaient avec le même esprit que les bâtisseurs des cathédrales.
Richard CHAVIGNY.
En 1807, l'horloge fonctionnait toujours grâce à un curieux montage financier. Au budget communal figurait un titre de recettes constitué par la vente des herbes et fruits du cimetière. Depuis environ cinq ans, la municipalité abandonnait ces recettes à la fabrique de Jumiège et lui donnait à ce titre 50 F. On s'était basé sur un prix moyen et il arrivait que cette vente ne rapporte pas les 50F en question.
En contrepartie de ce don, la commune faisait payer à la fabrique un titre de dépense fixe inscrit également au budget communal : 60F pour l'entretien de l'horloge.
Au budget de 1807, les ressources de la commune étant misérables, le chapitre entretien de l'horloge fut supprimé. Du coup, le maire, Desaulty, intervint auprès du préfet pour bénéficier pleinement des ventes au cimetière. Depuis des années, Jumièges n'était plus capable de payer son garde champêtre. Du coup, on demandait au préfet de mettre en demeure le trésorier de la fabrique de venir compter devant le conseil les recettes et dépenses du cimetière observées ces cinq dernières années et, s'il restait un bon de caisse, que l'argent soit affecté aux arriérés et salaires dus au garde-champêtre.
Source ADSM 7V.1.76 Document numérisé par Jean-Yves et Josiane Marchand, rédaction Laurent Quevilly
Daniel Fonlupt a écrit le 19/02/2013. En 1988 l'horloge était dehors à tous les vents et à la pluie. J'avais dit au conservateur à l'époque de ne pas la laisser là et de la rentrer. Il faudrait que je retrouve les photos faites en 1988.Daniel Fonlupt, rue de l'Horloge, 03140 Charroux.
Martial Grain a écrit le 05/10/2012 Sur la gravure de John Sell Cotman 1818 figurant dans l'Album photo, on voit un cadran representé sur la tour Nord avec deux aiguilles.
Caroline a écrit le
03/10/2012 : Le
troisième poids a été
retrouvé dans le
cellier pas plus tard que la semaine dernière, et il est en
très bon état.
En 1808, l'horloge fonctio
Un grand merci à M. Chavigny pour cette étude si bien documentée. Espérons que les énigmes posées seront résolues.
Pour mémoire, le 12 juin 1795, Dinaumare, élu de Jumièges, fait observer que dans l'un des clochers de l'abbaye se trouve "une grosse horloge qui depuis la suppression des ci-devant religieux a été démontée et faite réparer aux frais de la commune, laquelle l'a toujours entretenue jusqu'à ce moment, il serait à désirer qu'elle restât à ladite commune, à la charge de l'enlever comme lui étant très utile..."
Dans le N°11 des Excursions normandes paru en 1898, on trouve cette précision : "En face se dresse la Salle des gardes qui date du XIIe siècle, c'est là que se trouve déposé le mécanisme de l'horloge."
Que s'est-il passé entre temps !?...