Par
Patrick Sorel et Guy Robbine
Propriétaire
du château du Taillis, Nicolas Navarro nous livre ici la
synthèse des
recherches historiques de Patrick Sorel et Guy Robbine.
En
1484, Robert Destin, Vicomte et chapitre de
Notre-dame–de-Rouen, chargé à
l’époque de surveiller la construction du Palais
de Justice de Rouen, devient propriétaire du fief du Taillis
et rend l’aveu à
son suzerain, le Comte de Tancarville.
On
trouve trace vers 1518, d’un dénommé
Jean
Lasnel qui avait acquis des terres au Hameau Saint-Paul et qui fut en
1521
Seigneur du Taillis.
C’est
en 1532 que Richard du Fay se porte
acquéreur du fief du Taillis et se fait appeler Richard III
Du Fay du Taillis.
Il était le grand vicaire de Georges Ier
d’Amboise, cardinal et premier
ministre de Louis XII.
La
construction du château débuta dans la
première
moitié du XVIe siècle. Le
bâtiment de style Seconde Renaissance Italienne est
à ce jour l’unique vestige de ce type en
Seine-Maritime. La façade est décorée
de pilastres doriques au rez-de-chaussée et ioniques au
premier étage. Des
frises séparent les niveaux et des niches, purement
décoratives achèvent
d’agrémenter la façade. La pierre
utilisée pour la construction est une pierre
du bassin Parisien, la pierre de Saint Leu, acheminée par
bateau sur la Seine.
On suppose que la construction date des
années
1540 et on l’attribue à Richard du Fay. Ce dernier
côtoya les artistes employés
aux constructions des tombeaux de Georges Ier d’Amboise ou de
Louis de Brézé en
la Cathédrale de Rouen. Ces artistes,
d’inspiration italienne participèrent aux
constructions des Châteaux des cardinaux telle que Gaillon.
On suppose qu’un de
ces artistes fut choisi comme architecte du Taillis, en effet
après les travaux
princiers beaucoup cherchaient de nouveaux chantiers.
Richard
décèdera en 1543 et les travaux de
construction au Taillis restèrent inachevés. On
ne sait si le château était
alors habitable.
Au
bout de l’aile droite du château il existe
encore aujourd’hui un bâtiment qui serait plus
ancien que le château. Ce
bâtiment, devenu depuis la maison du chapelain,
n’était pas relié au château
à
l’époque. Les seigneurs du XVIe
siècles, dans le cas d’une nouvelle
construction devaient conserver un endroit pour exercer leurs droits
seigneuriaux. Une fois les travaux achevés le
bâtiment aurait dû être détruit.
Le château n’ayant pas été
terminé, le bâtiment fut conservé.
Sur
la façade du château a été
sculptée par la
famille du Fay une série de 12 blasons
représentant les mariages de la famille
du XVe au XVIIe siècles. Ainsi sur chaque blason sont
apposés le blason de
l’homme (Du Fay) et celui de l’épouse.
L’un d’entre eux reprend la devise de la
famille « Faire bien et laissez
dire ».
En
1573, la propriété est dévolue
à Jehan du
Fay, châtelain du Trait et de Sainte-Marguerite ;
Jehan du Fay fut
également Bailli de Rouen et Député
aux États de Normandie.
Jehan
II du Fay meurt en 1615, son fils
Jacques I du Fay du Taillis achète le Comté de
Maulévrier en 1623 et réalise
deux pavillons de chaque côté du
château. Ainsi deux pavillons de style Louis
XIII sont ajoutés, leur originalité repose sur
les deux demi arcs recouvert de
feuille de cuivre. Ces deux pavillons sont donc de style et de
matériaux complètement
différent de la première construction.
Dans
la seconde moitié du XVIIe, Jean III,
héritier de la seigneurie, ajoute un nouveau pavillon et
raccroche son château
à l’ancien bâtiment. Le premier pavillon
du début du XVII ème comporte une
superbe chapelle sur deux niveaux, le nouveau corps de liaison contient
la
sacristie, et le vieux bâtiment, une fois
réhabilité devient la « maison
du Chapelain ».
Un
plan terrier de 1672, du fief du Taillis et
de la baronnie de Duclair, nous présente les implantations
des différents
bâtiments.
- Le
Château, composé de son corps central est
agrandit de chaque côté de plusieurs pavillons,
- A
l’est, on retrouve une chapelle extérieure,
- Un
colombier à l’ouest, voisinant avec le
puits,
- Les
granges est et ouest, avec au centre un
portail encadré de deux tourelles.
On
devine bien la basse-cour du château
délimitée par les murs et les
bâtiments.
La
perspective était à l’origine
dessinée par
des allées d’ormes. Ils seront
remplacés par des tilleuls au XVIIIe.
Dans
la seconde moitié du XVIIIe Claude
Bernard du Fay, devient
seigneur du
Taillis de 1750 à 1789. Deux ailes
supplémentaires furent ajoutées en brique
jaune. Ces deux ailes reprennent les dimensions exactes des deux
pavillons du
XVIIe, pour un respect des symétries et des proportions. A
cette même époque,
l’ancien escalier du château qui devait
être central, fut démonté et
un grand
escalier fut construit sur la façade arrière. Cet
escalier de taille très
importante est de style classique. L’escalier et les
balustres sont de style
Louis XIII
Le
château du Taillis se présente
aujourd’hui
dans l’état architectural qui était le
sien lorsque le dernier membre de la
famille du Fay, Bernard, en fit don à son arrière
neveu, Ferdinand, en 1777. Celui-ci
à son décès, ne laissa
qu’une fille mineure et la propriété
fut vendue sur
adjudication en 1807, à M. Quevremont.
De
nos jours, en passant sur la route, à
l’extrémité
de la perspective, peu de personne peuvent constater les
différences de
constructions et d’époque, tant le travail est
soigné. Le regard sur la façade
nous permet d’admirer un travail exemplaire de
symétrie et de rigueur malgré
les 300 ans d’âge entre les premières et
dernières pierres.
A
noter qu’au contraire sur l’arrière du
Château les différentes époques sont
bien visibles.
L’intérieur
du château a été modifié au
XVIIIe. Les
grandes pièces des siècles passés ont
été abandonnées pour plus de
confort. Lambris et décoration Louis XVI vont habiller la
plupart des salons.
La
salle à manger installée à
proximité des
cuisines, offre un ravissant poêle alsacien en brique
réfractaire émaillé. Ce
poêle servait de cheminée et de chauffe-plat.
L’évacuation des fumées se fait
par une colonne et une vasque émaillée.
Le
salon chinois, salon de compagnie, est
constitué de peinture sur soie du XVIIIe,
présentées dans des boiseries
Louis XV, de style baroque.
Dans
le pavillon du début XVIIe, une
chapelle consacrée à saint Laurent, est
érigée sur deux niveaux, un balcon
surplombe l’autel.
Au
XVIIIe, de nombreux travaux et
aménagements sont réalisés au Taillis.
Le confort et les nouveaux plaisirs de
la cour sont très suivis par les seigneurs du Taillis. La
chapelle est transformée
alors en théâtre. Ce nouvel aménagement
conserve les mêmes proportions que la
chapelle et l’autel est remplacé par une estrade.
Le châtelain pouvait donc
s’adonner à ses essais
théâtraux. Le plafond de l’estrade en
relief représente
un ciel nuageux. Tout autour des peintures de style Louis XIII
décorent
l’ensemble. Sur les murs des surfaces ajourées
dans les boiseries permettent
d’accueillir les décors des pièces
jouées. De nombreux décors peints ont
été
retrouvés dans les écuries du Château.
Ces décors ont été peints sur papier,
papier cartonné ou sur toiles au XVIIIe et XIXe
siècle. Une machinerie
est installée dans les greniers pour actionner ces
décors pendant les
représentations.
Dans
les années 1930, la famille
Lenepveu-Bordes, propriétaire à
l’époque, fait l’acquisition de
très belles
boiseries d’époque Régence. Ces
boiseries proviennent d’un hôtel particulier de
Rouen, l’hôtel Bigot de Sommesnil,
propriété du maire de Rouen au XVIIIe. Ce
grand salon sera décrit par les frères Goncourt
dans un de leur ouvrage
« Charles Demailly ». Ces
boiseries exceptionnelles, cérusées,
représentent les quatres saisons. Ce salon est
installé dans le premier étage
du théâtre. Les nombreux travaux vont modifier
l’estrade et faire disparaître
les machineries.
Ce
sont les derniers travaux apportés au château du
Taillis.
Le
parc conserve quelques aspects de
l’inspiration française des XVIIe et XVIIIe. La
perspective
du château, plantée de tilleul
s’élève sur plus de 800
mètres. Certaines allées
conservent de vieux sujets taillés à la
Française.
Une
orangerie en forme de temple gréco-romain
s’appuie sur un des murs d’enceinte de
l’ancien manoir. Ce petit bâtiment a un
style architectural totalement atypique. Il présente tout le
goût des « folies »
du XVIIIe siècle.
Les
murs seront complétés au XVIIe et XVIIIe, par de
nouveaux
pour supporter de nombreux rosiers, des pommiers et des poiriers
en espalier. Une serre à vigne repose contre les murs entre
les
arbres
fruitiers. Une tonnelle de Glycine divise en deux parties les potagers
ornementaux. Des allées cavalières seront
crées
dans les sous bois.
Face
au château les granges et écuries seront
réaménagées
au XIXe. Le portail fermant la basse cour sera
démonté pour ouvrir à la vue,
la totalité de la perspective. Le colombier sera
démoli suite à l’abolition du
droit de colombage suivant la révolution
française.
Au
XIXe le parc sera réaménagé
à l’Anglaise.
Les jardins seront agrémentés de nombreux massifs
et de bosquets. C’est
également à cette époque
qu’une grande serre métallique chauffée
sera installée.
L’ancienne chapelle du XVIe siècle sera
modifiée et transformée en garage à
calèche.
Le
parc présente aujourd’hui un savoureux
mélange des parcs à la Française et
à l’Anglaise. Certains des plus
beaux arbres de la région, classé
« Arbre
remarquable de France », rayonnent dans
le parc du
château du Taillis. Le plus vieil arbre du parc est un
chêne
datant de la construction du château. Le plus grand arbre est
un séquoia géant
mesurant 36 mètres de hauteur, Le plus bel arbre du parc est
un hêtre pourpre
tricentenaire, majestueux. De nombreuses essences complètent
l’arboretum, telle
que le cèdre de l’Atlas, le tulipier de Virginie,
l’arocaria…
Les
parties classées du château du Taillis sont les
suivantes :
- tout
le site, parc et perspective,
- le
Château dans son intégralité,
- l’orangerie,
- les
écuries à l’est,
- la
grange à l’ouest,
- les
murs d’enceinte et de clôture.
De
nos jours tout est fait sur place pour
restaurer et réhabiliter le château,
l’ensemble de ses dépendances, le parc et
les jardins. Ce travail est passionnant, enrichissant mais
coûteux en énergie. L’amour
et l’admiration sont les maîtres mots
pour tenir la barre de cet édifice à travers les
siècles.
Pour
nous aider à financer ces
réhabilitations, plusieurs activités sont
présentes sur place. De nombreuses
manifestations sont organisées toute
l’année et un Musée consacré
à la fin de
la bataille de Normandie en août 44 est installé
dans les écuries.
Des
réceptions professionnelles et familiales
sont organisées dans les salons du Château.
Nous
remercions chaque personne ayant
participé de près ou de loin à cette
aventure, chacun a ainsi marqué son
passage au Taillis.
Bibliographie
Patrick Sorel, avec la collaboration de Bruno Penna, Le château
du Taillis au Trait et à Duclair du XIIIe au XVIIIe
siècle.