Par Charles de Beaurepaire



Charles Marie de Robillard de Beaurepaire, né le 24 mars 1828 à Avranches et mort le 12 août 1908 à Rouen, est l'historien qui organisa les archives de la Seine-Inférieure. Au Trait, triège du Malaquis, une prairie lui appartenait...





Il existe, en l’église du Trait, dans la nef latérale de droite, adossé au mur, un banc de bois assez grossièrement fabriqué, sur lequel ont été gravés ces mots :

« L'an de grâce mil cinq cens trente-six les bourgoys de la berge ont faict parfaire cest assis. Pries Dieu pour eux et pour les bienffaiteurs d'icelle église. »

Si courte qu'elle soit, si simple qu'elle paraisse, cette inscription rustique mérite quelques mots d'explication.

Disons tout d'abord qu'il n'existe, au Trait, aucun lieu désigné sous le nom de Berge et que les habitants de cette localité, autrefois, il est vrai, décorée du titre de châtellenie, n'élevèrent jamais de prétentions aux privilèges du bourgage, dont ils voyaient jouir, grâce à leurs grandes et antiques abbayes, leurs voisins de Jumièges et de St. Wandrille, ce qui prouve qu'il valait encore mieux, pour les paysans, vivre sous la crosse qu'à l'abri d'un château.

Quelle est donc cette Berge et de quels bourgeois peut-il être question ?

Le mot Berge, d'après le Glossaire de Roquefort, désigne un petit bateau ; c'est l'équivalent de barque, un navire sans hune.

Le Bourgeois, d'après l’explication des termes de marine insérée à la suite des Coutumes de la mer, c'est le seigneur ou le propriétaire du vaisseau. Cette dénomination tudesque viendrait de ce que, en Allemagne, il n'y avait que les bourgeois des villes hanséatiques qui eussent le droit de mettre à la mer, de même qu'en Espagne où Ningun natural del Reyno puede vender, empenar ne dar parte de la nave à ningun estrangero d'el, aunque tenga carta de naturalaza, so graves penas puestas per una ley Recopila da libro 6° ti. 10… Les Levantins disaient Segnor de la nau, l'Espagnol, Dueno de la nave.

Cette explication a été adoptée par les auteurs du Dictionnaire de Trévoux.
Tant de termes de notre vocabulaire nautique ont été empruntés aux langues étrangères, que je ne puis voir rien d'invraisemblable dans cette opinion. Il me semblerait pourtant, je l'avoue, plus naturel, sans recourir à l'Allemagne, d'expliquer cette acception particulière du mot bourgeois, par le sens populaire qu'il avait et qu'il conserve encore dans les campagnes, où il est le synonyme de maître.

Quoi qu'il en soit, il est certain qu'au XVIe siècle, tous les contrats d'affrètement de navires commençaient invariablement par ces mots : N., maître après Dieu et bourgeois de la nef… Ainsi, pour ne point sortir du Trait, nous trouvons deux contrats passés par un nommé Raullin Prentout, demeurant en cette paroisse, lequel se qualifie bourgeois d'une nef nommée La Marie du port de 10 tonneaux (23 janvier, 8 février 1554, Tabellionage de Rouen).
Il est très possible qu'il y eût au Trait, au XVIe siècle, plusieurs armateurs ou victuailleurs de navires. Nous en rencontrons, vers le même temps et en grand nombre, dans des paroisses qui n'avaient pas une plus grande importance et qui n'étaient pas plus avantageusement situées, notamment à Jumièges et à Vatteville (1).

Mais comme le mot Berge, dans L’inscription qui nous occupe, n'est suivi d'aucun nom propre servant à le déterminer, nous pensons qu'il ne peut s'appliquer qu'au bateau du Trait ; et, ce point admis, il ne nous paraît pas impossible de retrouver les noms des donateurs du banc de l’église, qui se sont recommandés à nos prières, en qualité de bienfaiteurs.

De tout temps, il avait existé un passage au Trait. Ce passage appartenait à l’abbaye de Jumièges, qui le louait à des bateliers.

Le 5 oct. 1525, Robinet du Bosc prend à ferme de frère Laurent Gauvayn, célerier de Jumièges, le passage du Trait, « ainsi qu’il en avoit joui auparavant par le bail qu'il en avoit de Jehan le jeune, passager de Jumièges, par ainsi qu'il seroit tenu de fournir de bateaux, et n'y en pourroit mettre de plus grand qu'il n'avoit accoustumé avoir audit passage du Trait, ny bac ni flette. » Comme nous voyons, le 8 avril 1567, un nouveau bail fait pour neuf ans du port et du passage du Trait à Nicolas du Bosc fils Oudin, n'est-on pas fondé à conjecturer que pendant l'époque intermédiaire, de 1525 à 1567, les membres de cette famille du Boc ou du Bosc avaient continué d'être les fermiers de l'abbaye pour le passage du Trait ? Ils pouvaient se dire bourgeois de la Berge, puisque, d'après les termes des baux, c'était à eux qu'appartenaient le bateau ou les bateaux servant au passage.

A propos de ce banc dont j'ai essayé d'expliquer l'inscription, qu'il me soit permis de consigner ici quelques remarques historiques ou archéologiques qui ne sont point absolument étrangères à mon sujet.

Maintenant, toutes les églises en France sont fournies de chaises et de bancs. Tout semble fait pour rendre moins pénible aux fidèles l'assitance aux offices. Il n'en était pas ainsi au moyen-âge. En général, il n'y avait point de sièges dans les églises, si ce n'est dans le chœur, pour les ministres du culte. Les premiers bancs qui paraissent étaient, comme au Trait, adossés aux murs, ce qui indique que c’était une exception. Plusieurs de ces bancs étaient munis de coffres. C'étaient des sortes de bahuts, servant à renfermer les chapelles, autrement dit les ornements affectés au service d'un autel, ou à l’acquit de messes de fondation, ou bien le mobilier d'une confrérie, ainsi que nous avons eu l'occasion de le constater à St-Nicaise et à St-Vincent. Ils étaient à l’usage des personnes âgées, malades ou infirmes.

Le 6 mai 1476, les chanoines de la cathédrale de Rouen permettent de poser des bancs de bois le long de la chapelle de N.-D. du Jardin. « Pro honestate ecclesie, domini suum prestiterunt assensum ut fiant sedes lignee sine coffris contra illum murum seu lathomiam, videlicet incipiendo prope clausuram capelle de Gardino usque ad cugnum capelle S. Romani et ante altare Beati Sebastiani. » Ou je me trompe fort, ou ces bancs devaient ressembler à celui du Trait.

Les fidèles se tenaient pendant l'office debout ou à genoux, quitte à eux à s'appuyer sur leurs talons comme le fit la femme du duc de Bedford, Anne de Bourgogne, à la cérémonie de la prise d’habit canonial de son mari, ce qui n’empêcha pas les chanoines d'admirer sa tenue et sa piété.

En général encore, on se tenait debout aux sermons qui, du reste, avaient lieu souvent dans les cloîtres ou en plein air dans les cimetières. Le 27 mars 1568, le chapitre fit défense au coutre de laisser mettre aucunes selles à l'église pour les femmes aux prédications.

Mais peu d'années après, on se relâche de cette rigueur. Le 17 février 1578, on défend bien au coutre et à sa femme d'apporter des chaises et selles dans l'église ; mais on leur permet, de même qu'à tous autres, car il n'y avait point encore de privilège, de les laisser hors de l'église, pour les bailler, quand on leur en demanderait et non autrement.
Il est question de loueurs de selles pour les sermons, le 20 février 1591, le 13 mars 1612. Le 17 août 1616, un règlement pour les serviteurs de l’église, porte défense au coutre, à peine de privation, de prendre aucune chose de ceux qui venaient placer leurs chaires en la nef. 
Rapide historique

Les fondations de l'église Saint-Nicolas sont du XIIe s. Erigée en église paroissiale en 1512, la chapelle est alors agrandie. En 1863, l'abbé Brimontier fait construire un clocher-porche. Une sacristie est ajoutée en 1876. Enfin, l'horloge vient rythmer le temps à partir de 1926.
Les verrières ne résistèrent pas aux bombardements de la Seonde guerre. Elles furent remplacées par des vitraux contemporains dont celui du chœur réalisé en 1956 par Max Ingrand.
« Les loueurs de chaires, lisons-nous encore dans ce document, ne pourront demander et exiger des bourgeois plus de 3 d. pour une petite chaire et 6 d. pour une grande, à peine de confiscation des chaires au profit de l'Hôtel- Dieu. Ils ne pourront placer les chaires qu'après que la grande messe sera dite, et à eux défendu d’empescher les personnes qui apporteront des chaires et autres sièges de prendre place. Après la prédication ils retireront leurs chaires et sièges hors de l'église. » Plus tard les chaires prirent définitivement possession de la cathédrale et leur location devint un assez beau revenu pour la fabrique.

Il n'en était guère autrement dans les églises paroissiales. Pour ne point laisser dégénérer en dissertation une note dont la principale qualité doit être la brièveté, je m'en tiendrai à une église de Rouen, celle de Saint-Michel.

Là, les premières mentions de bancs que je rencontre, sont de l'année 1492. On en comptait 4; l'un pour Michel Petit, l'autre pour Pierre Lallemant, le 3e pour la veuve Robert Le Forestier, le 4e pour Thomassin Roullant, à raison desquels la fabrique toucha de 39 s. à 4 1. 10 s. par banc. En 15o1, les trésoriers ayant à supporter d'assez lourdes dépenses, occasionnées en grande partie par le pavage de l'église, s'avisèrent d'établir une trentaine de bancs pour les femmes et les parentes des notables, et quelques bancs autour de la nef pour les hommes.

Il s'en fallut de beaucoup que les bancs des dames trouvassent adjudicataires, à raison de 100 sous par famille une fois payés; huit seulement purent être loués. On comptait sur 200 1. ; on n'en put obtenir que 40.

Remarquons encore que les premiers comptes de la paroisse St-Michel n'emploient pas le mot banc, mais le mot assis que nous avons rencontré dans l’inscription du Trait.

« 1492, De Me Michel Petit pour son assis, 4 1. De Pierre Lallemant pour son assis, 4 1. 10 s. » C'est un terme oublié dans Ducange et dans Roquefort.

Comme autrefois, ainsi que nous venons de le voir, le pavé des églises était absolument nu, on avait soin, aux jours de solennité, d'y étendre du feurre et de la paille et même de l'herbe. Cet usage est mentionné dans tous les comptes, et il serait superflu d'y insister. Il suffit de le rappeler en finissant cette note, pour faire saisir jusqu'à quel point nos habitudes de propreté, de décence extérieure et de confort nous ont éloignés de la simplicité de l'ancien temps ; plusieurs, qui ne sont pas plus austères que d'autres, diraient du bon vieux temps ; mais en conscience ne leur paraîtrait-il pas bien rigoureux d'y être ramenés?

Charles de BEAUREPAIRE


(1) On voit par le plumitif du Bureau des finances (17 mars 1628) que de tout temps il y avait eu au Trait 1 capitaine et 2 archers qui avaient à leur disposition un flambart pour aller aborder et visiter les vaisseaux et navires passant par la rivière, pour voir s'il ne s'y trouvait point de faux sel.

SOURCE


Notes historiques et archéologiques sur la Seine-Inférieure,  1833


Haut de page