Port et quai d’Aizier, 1802-1940

Par Jean Pierre Derouard


En 1802, lors d’un procès opposant les pilotes aux bateliers, Aizier est dit « lieu le plus inaccessible par les sirthes, les sables et les roches ». Lorsqu’un noyé est retrouvé, les registres paroissiaux puis d’état civil (relevés de 1775 à 1893) notent « le rivage », « la plage », « la grève ». Les accès à Aizier ne sont donc pas faciles. Cela n’y empêche pas un port à la longue histoire1
Carte de l’embouchure de la Seine
(Bibliothèque Nationale)

Le trafic

Le port d’Aizier est le plus souvent dit « petit » ou « sans importance » et il ne s’y fait « que de la navigation au bornage » : les destinations sont au plus loin Rouen et Le Havre. Mais le peu d’étendue de la digue fait que les « navires attendent souvent plusieurs jours pour obtenir une place à quai » (1855, 1860).

On ne parle que des expéditions : cidres – 2000 tonneaux en 1833 – et grains du Roumois. Mais surtout bois de la forêt de Brotonne : La Mailleraye et Aizier semblent se partager la forêt, à La Mailleraye la partie est, à Aizier la partie ouest.

Au milieu du siècle, la nouvelle route départementale 19 de Lisieux à Aizier, est peut-être tracée pour favoriser le port, ce qui suscite la jalousie de Vieux-Port.

Nous pouvons donner les chiffres suivants pour le trafic du port :



sorties

entrées

total

1859

136 navires

2270 tonnes

128 navires

8231 tonnes

264 navires

10501 tonnes

1882

785 tonnes



1883

956 tonnes



1890



1774 tonnes

1891



2052 tonnes

On peut comparer le trafic d’Aizier avec celui de La Mailleraye, autre port basé sur le bois (chiffre de 1859) :


sorties

entrées

totaux

196 navires

1403 tonnes

198 navires

1499 tonnes

394 navires

2902 tonnes

La comparaison ne fait pas pâlir le port d’Aizier.

On note pourtant encore la « faible importance » du port en 1936 – malgré les travaux ayant visé à en améliorer les abords.


Les gens de Seine dans les recensements

Aizier ne peut passer pour un village fluvial : une très faible minorité de la population travaille sur le fleuve.


1896

1901

1906

1921

1926

1931

1936

Marin

7

3

6





Lieur de cotrets

1


1





Marchand de bois





1

1

2

Pêcheur

3

2

2

3

2

2

2

Marchande de poisson

1

2

2





Ponts & Chaussées

1



3

5

2


Total

13

5

11


8

5

4

Population

205

131

152

123

144

113

118

Les travaux


            En 1840, Aizier n’est qu’une posée au long de laquelle le bateaux doivent s’échouer, ce qui ne permet que des
 embarcations de 1,5 à 2 mètres de tirant d’eau.

           Des travaux s’imposent donc, d’autant plus que la route départementale 19, « nouvellement construite » « fait prévoir un surcroît d’activité ».

Un perré ou une digue

Un perré est projeté, pour 20 222 francs, en 1853. On s’aperçoit l’année suivante de l’insuffisance des crédits : les travaux sont reportés en 1859 et des travaux pour compléter des brèches sont remis à 1855. Nouvelles demandes inutiles en 1855, 1857 et 1867.

En 1867, le mascaret provoque des dégâts. Mme Rozelet et M. Prévost, dont les propriétés sont touchées, acceptent de participer aux travaux à hauteur de 3 000 francs. Rien n’est encore fait en 1867 : la commune d’Aizier est incapable de fournir 14 000 francs correspondant à la moitié des travaux. Les travaux sont dits « très urgents » en 1871 : on projette une « digue perroyée » mais l’adjudication des travaux ne peut se faire en 1872. Nouvelle demande en 1873 puis une autre en 1895.

En 1898, quelques travaux sont réalisés selon le procédé de digue Salmon2 notamment au rond-point de la cale du passage. Cela dégage un terre-plein, un moment outillé d’une grue, ou stocker les bûches en attente d’embarquement.





On reconnaît une digue du système Salmon.
Les bûches en attente.
Une grue.
La marée est très haute.
(collection Leclerc, PNR des boucles de la
Seine Normande



              Entre 1926 et 1930, les travaux réalisés par l’entreprise Ackerman-van Haaren ont pour but de rétrécir le lit du fleuve pour favoriser sont creusement : Aizier prend sa physionomie actuelle avec une large plate-forme en bord de Seine.
Mais cela concerne peu la rive. Une nouvelle demande pour un quai est faite en 1937. Pour s’apercevoir que la commune d’Aizier est incapable de fournir 75 000 francs correspondant à la moitié des frais.

Un appontement

Un  appontement (encore dit passerelle ou estacade) est peut-être la solution.
    La première demande d’un « appontement en charpente pour faciliter l’embarquement des bois » est faite en 1876, qui sera renouvelée en 1913 « vu la conformation de la rive les plus grandes difficultés surgissent pour l’embarquement et le débarquement ».

Pour ses travaux, l’entreprise Ackerman-van Haaron a établi une « passerelle qui lui a servi à charger des chalands » que les marchands de bois souhaiteraient utiliser en 1931 puis 1932 mais qui est visiblement détruite puisqu’il réclamé en 1935 la construction d’un appontement. Les bois, notamment en grumes, sont conduits à La Mailleraye, ce qui augmente les coûts et défonce les routes de la forêt. Un appontement est de nouveau demandé en 1936 puis 1938 mais la commune est incapable d’avancer la moitié des travaux estimés à 150 000 francs. C’est peut-être ainsi que finit le port d’Aizier.


Photo parue dans
P.Prévost,
A voile
sur la Seine.


Les fanaux

Un fanal à Aizier, « où il existe une pointe de sable », fait partie des 12 feux prévus en 1829 en aval du Caudebecquet. Comme les autres, le fanal est construit en 1838. L’équipe alors un appareil sidéral bordier-Marcet, d’une portée d’une lieue (4 km) au sommet d’une tour haute de 8 mètres. Il est dit « près de l’église ». Son éclairage est changé en 1847 pour un bec d’Argant de Bordier ; Marette est alors le gardien chargé de l’entretien. Le feu est déplacé en 1861 et prend le nom de fanal de Vieux-Port.


Carte de 1867

(AD Seine-Maritime


Bateaux réguliers

Le 13 octobre 1786, Jean Saffrey se dit fermier du passage par eau du quai de Caudebec à Vieux-Port et lieux et attenant. Il a un bail de 6 ans au prix de 55 livres par an. Il peut transporter « personnes et marchandises ». Il se plaint de la concurrence déloyale de Louis Racher qui fait le transport de Caudebec à Courval et Aizier. Louis Racher a le Saint-Louis, un « bateau françois » de 3 tonneaux qui accoste à Caudebec au quai aux moules. Il embarque notamment du bled froment et différents grains en sac.

En 1839, Deville et Toullemain, d'Aizier, ont chacun un petit bateau non ponté avec lequel ils vont chaque samedi au marché de Caudebec. Selon la saison, ils apportent quelques entes, un peu de légumes, des fûts de cidre, peu de blé et de pommes de terre et remportent quelques mines d'avoine et quelques matériaux de construction.

L’annexe du passage de Vieux-Port

La départementale 19 de Lisieux à Aizier aboutissant à Aizier, les Conseils d’arrondissement de Bernay et de Pont-Audemer demandent dès 1851 que le passage y soit transféré. « Mais un bac existe depuis longtemps à Vieux-Port » et « il paraît difficile d’enlever le passage à la commune du Vieux-Port ». Presque en même temps, une deuxième cale est demandée rive gauche à 1600 mètres en amont de la cale du bourg, c’est-à-dire à Aizier. On décide donc d’établir à Aizier une annexe, c’est-à-dire une dépendance, du passage de Vieux-Port fonctionnant d’abord de juin à août, service étendu à septembre en 1891. Il est probable que la clientèle de l’annexe s’apparente à celle du passage lui-même, elle devait cependant avoir son utilité. L’annexe est toujours en service en 1939.

Le poste de douane

Le recensement de 1896 nous livre un brigadier et cinq douaniers et celui de 1901 un brigadier, un sous-brigadier et quatre douaniers.

Prudent Prévost, , habitant d’Aizier, dans ses mémoires A la voile sur la Seine (1909-1915) se souvient de ceux qu’il appelle ironiquement « mes amis les gabelous ». Plusieurs cartes postales mentionnent l’église et le bureau de douane et la maison est reconnaissable de nos jours ; en part une « sente aux douaniers ».

   Collection Liliane Thuillier


Le mascaret

« Le rivage d’Aizier était un des endroits les plus recherchés pour l’observation du mascaret » (Louis Brindeau, Au bord de la Seine, 1933).




1 Le Groupe Archéologique du Val de Seine y a mis à jour un quai d’époque gallo-romaine. L’église romaine d’Aizier, du XIè siècle, est construite en pierres de Caen qui ont de toute évidence été apportées par le fleuve.

2 Voir notre article sur la digue Salmon :  



 
 





Supplément virtuel du Journal de Duclair fondé en 1887

Site  hébergé  chez

depuis le siècle passé