jean pierre derouard

On sait que l'érosion des terres par la Rivière est une grande préoccupation pour les propriétaires riverains de la Seine. Les perrés (en pierre par définition) nécessitent de continuelles et coûteuses réparations et ne peuvent résister aux coups de bélier que les vagues produisent en certains endroits.


Le 20 décembre 1891, Pierre Lafosse et Valentin Vauquelin se plaignent aux Ponts et Chaussées que la rive de la Seine est dégradée sur 200 mètres en amont de la cale rive droite du bac de Jumièges, des échancrures de 2 à 4 mètres, mais les choses peuvent rapidement s'aggraver.
Le sieur Lafosse dit (Ou prétend ?, on ne le connaît pas assez bien pour se permettre ce péjoratif.) intervenir pour le bien public : le halage du bac se pratique sur des "berges dans le plus triste état, irrégulières, rongées, excavées, dangereuses et s'éboulant sous les pas" ; attention, danger !
L'ingénieur pense que les pétitionnaires exagèrent le mauvais état de la cale et ne cherchent, vils mercantis, qu'à récupérer un peu de leurs terres, parties à la Seine, aux frais du Département. D'autre part, on dérange rarement le bac, pouvant porter bétail et voitures à chevaux : piétons et cyclistes traversent dans les bachots. Les travaux sont refusés.

1891: la berge est dégradée. 1892: le projet de travaux

Le 3 août de l'année suivante, Médéric Salmon, serrurier à Jumièges, propose de faire à cet endroit "l'essai d'un système de digues dont il est l'inventeur". Et ceci à ses frais : l'autorisation est donc donnée, le 6 mai 1893. Et les travaux réalisés en 16 jours (4 heures par jour étant gâchées par la marée haute) pendant l'été sur une longueur de 23 mètres à partir de la cale.

Les talus de la berge se faisant alors communément en pierres, le système de Salmon est tout à fait nouveau et attire la curiosité de C. Crépeaux qui en fait l'éloge - et la description - dans la revue La Nature la même année.
Plan de face et de coupe
         Croquis sur le vif

Des tôles de fer (vérification faite, ce n'est pas un pléonasme) pesant 96 kilogrammes, larges d'un mètre de large sur 3 de hauteur (l'épaisseur n'est pas donnée, mais on doit pouvoir la calculer si l'on connaît la densité du fer) sont enfoncées dans le sol de 50 centimètres. Ces tôles ou plaques sont ajustées par des T de 4 mètres, auxquels s'attachent des tirants en V destinés à retenir les moellons comblant le creux formé par l'érosion mais aussi à maintenir les tôles. Même si ce n'est pas alors dit, l'idée semble donc tout simplement de protéger les pierres, dont les eaux attaquent d'abord les joints.
Une vue de 1903 Une vue de 1948

La digue Salmon est encore visible sur une carte postale de 1948 représentant le bac tracté par une vedette ; aucunement sapée à la base, elle ne fait pas son âge.

Salmon a tout pris à ses frais : le matériau, son façonnage (qu'il n'a évidemment pu faire lui-même dans son atelier de serrurier) et le salaire de plusieurs ouvriers pour la pose, sûrement au total une belle somme. Sans doute attendait-il des retombées de cet essai : il protège son système par un brevet SGDG, et soigne sa publicité : de grosses lettres sur la rive, visibles des bateaux à vapeur, indiquant digue salmon. On ne sait s'il fut content, mais on ose l'espérer…

Vauquelin, propriétaire proche de la cale, n'a pas eu à rebâtir son talus de pierres, mais Lafosse, trop éloigné, n'a pas profité de la digue Salmon…

Sources et bibliographie
Archives du Port Autonome de Rouen, dossier 623.

Archives Départementales de Seine-Maritime, 2 SP 1871 (cote qui a sans doute changé car le P indique qu'elle était provisoire quand on l'a consultée).

Berthaud, Léon, "L'abbaye de Jumièges, son histoire et ses légendes", supplément à la Photo-Revue, 29 mars 1903.

Crépeaux, C., "La digue protectrice Salmon", La Nature, deuxième semestre 1893.

Derouard, Jean Pierre, Bacs et passages d'eau de la Seine en aval de Rouen, 2003.




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