
« Tous
ces gens
ne demandaient qu'à vivre, à faire leur vie
à Duclair... Ils sont
morts en Picardie, dans le bourbier. Cela doit nous rassembler et
nous permettre de dénoncer les atrocités de la
guerre... » Octobre
2014. Le centenaire de la Grande guerre approchait. Membre de
l'Union nationale des combattants, Marceau Déchamps
lança alors un
appel. Ses recherches sur les 72 Poilus inscrits sur le monument aux
morts l'avaient amené à cette
découverte : neuf d'entre eux
reposent au cimetière communal. «Les
tombes étaient, il faut
bien l'admettre, dans un état d'abandon. Aussi, nous avons
demandé
à la municipalité de faire un geste. Que ce soit
l'ancienne, celle
de Joseph Macé ou la nouvelle de Jean Delalandre, ils ont
été très
coopératifs. La ville de Duclair a
rénové les tombes et remis les
noms de ces neufs combattants. »
Marceau Déchamps espérait donc retrouver les descendants de ces Poilus, les convier à l'hommage qui devait leur être rendu, en savoir plus sur ces hommes morts pour la France. Hélas, si une personne d'Hénouville s'est bien manifestée, l'appel ne fut guère suivi d'effet. Mais l'on ne renonçait pas à redonner vie à ces noms. « On sait que deux d'entre eux étaient frères et se sont fait tuer quasiment en même temps. L'important est de ne pas oublier le passé et de se souvenir de ces jeunes qui auraient pu faire des choses formidables si cette guerre ne les en avait pas empêchés. »
Les neuf Poilus du cimetièreQue personne ne se soit signalé pour la cérémonie du 11 novembre 2014 pose question. Les familles de ces Poilus étaient-elles fortement enracinées à Duclair, ces soldats étaient-ils mariés, ont-ils des descendants ? Nous avons tenté d'en savoir plus sur les neuf poilus identifiés par M. Déchamps. Résultat...
1)
Émile
Crevel. Il était né
le 19 juillet 1882 au Trait de Charles Crevel et Philomène
Bersout
qui s'étaient mariés à
Sainte-Marguerite en 1876. Émile exerça
comme son père, comme son grand-père la
profession
de journalier à Duclair où ses parents
s'étaient établis. C'était
un garçon d'un mètre 69, les cheveux
châtain clair, les yeux
bleus.
Il avait effectué
trois ans de service militaire au
sein du
24e régiment d'infanterie où il demeura soldat de
2e classe et
retrouva la vie civile en 1906. Marié à Marie
Sidonie Lépagnol, il eut une fille, Georgette,
née à Duclair en 1909, un garçon,
Pierre, né à Duclair en 1910. En
décembre 1913, il
demeurait au 65
de la rue Pierre-Corneille à Grand-Quevilly.
Réserviste du 39e RI,
mobilisé le 11 août 1914, Emile participera le 21
à la bataille de Charleroi, premier rendez-vous de son
régiment avec l'histoire.
Puis ce sera la bataille de Guise,
celle de la Marne... Il est mort le 20 novembre
1914 à l'hôpital temporaire n° 10
d'Amiens, dans la Somme, des
suites d'une maladie foudroyante contractée au service. Il
avait 32 ans.
Les deux fils du cafetier
Venu de l'Eure pour tenir le café Continental, sur les quais du Havre, près du bac, éditeur de plusieurs cartes postales sur Duclair, Arthur Delesques a perdu ses deux fils dans la Grande guerre à trois ans d'intervalle.
L'arrière du café Continental
2) Clodimir Delesques. Il était né le 5 septembre 1891 à Angerville-la-Campagne, dans l'Eure, d'Arthur Delesques et d'Appoline Sadé. Dans l'Eure, son père, né en 1860, demeurait au hameau d'Angerville et exerçait la profession de jardinier. Quant à sa mère, elle était cuisinière. On ne connaît pas la date précise à laquelle cette famille vint s'établir à Duclair. Clodimir Bertin Delesques un garçon mesurant 1,65 m, blond aux yeux bleus. Mécanicien de profession, il est appelé, à 21 ans, dans l'armée active le 8 octobre 1912 et ne quittera plus l'uniforme jusqu'à sa mort. Il endosse successivement celui du 79e RI, celui de la 23e section de COA (commis et ouvriers militaires d'administration), celui encore du 13e RI puis du 210e où il demeure 2e classe. Il est mort pour la France le 13 mars 1917 à la cote 1675, au nord de Lestayets, en Serbie. Il avait 26 ans et sans doute n'était-il pas marié.
3) Lucien Delesques. Frère du précédent, il était né le 26 juillet 26 juillet 1889 à Angerville-la-Campagne. Il mesurait 1,67m, avait les cheveux bruns et les yeux marrons. Comptable de profession, il obtint le brevet d'aptitude militaire pour l'infanterie en 1910 et fut appelé dans l'armée active le 5 octobre. Caporal le 11 mars 1911, sergent le 3 avril 1912, il est renvoyé en disponibilité le 26 septembre. En avril 1913, il est localisé à Doudeville. Il regagna son corps à Evreux au second jour de la mobilisation. Sergent fourrier au 28e régiment d'infanterie, il est mort des suites de ses blessures de guerre à Château-Thierry, dans l'Aisne, le 22 septembre 1914. C'était le début de la guerre de tranchées. Il avait 25 ans.
La forge de M. Daon et le café-tabac Continental de la famille Delesques.
4) Raymond Hare. Raymond Harre (avec deux "R" !) figure bien sur la liste des Enfants de Duclair morts pour la France publiée par le Journal de Duclair le 6 septembre 1921. Mais nous ne le retrouvions pas. Alain Raoul, qui anime un site sur les poilus inhumés en Seine-Inférieure nous a éclairé. Il fallait ôter un "R". Raymond Louis Désiré est né le 3 novembre 1894 à Rouen de Louis Honoré Hare et Anatolie Vemambre. Il était journalier à Duclair lorsqu'il alla au conseil de révision en cette funeste année 1914. On le retrouvera 2e classe au 14e RI puis au 14e R1. Plusieurs fois blessé par éclats d'obus, au thorax, aux poumons, à la jambe, il sera versé au service auxiliaire avant d'être déclaré définitivement inapte. Il était ouvrier détaché à la poudrerie de Lamnezan lorsqu'il est mort de maladie, le 30 aout 1918, à l'hôpital d'Arreau. Son corps fut rapatrié en octobre 1922.
5) Auguste Hébert. Il était né le 18 septembre 1893 à Duclair de Louis Albert Hébert et Marie Heudes (Eudes?). Il mesurait 1,68m, châtain, les yeux marrons. Incorporé à 20 ans le 27 novembre 1913, il ne quittera plus l'armée. 2e canonnier au 29e régiment d'artillerie de campagne, il est mort le 17 avril 1915 à l'hôpital temporaire Lavalard d'Amiens, dans la Somme, des suites d'une fièvre typhoïde contractée en service. Il avait 22 ans et n'était sans doute pas marié.
6) Eugène Herment. Né le 3 août 1888 à Saint-Wandrille, d'Alexandre Herment, employé de fabrique et Louise Baron. Il mesurait 1,61m, les cheveux châtains et les yeux gris. Cloutier chez Mustad, il effectua son service militaire du 8 octobre 1909 au 24 septembre 1911. Il fut mobilisé le 3 août 1914 comme 2e classe au 129e RI qu'il rejoint à Lisieux. Il est mort à 26 ans le 17 octobre 1914 à Cauroy-lès-Hermonville, dans la Marne où d'autres régiments normands étaient engagés. Il avait huit frères et sœurs dont certains sont décédés dans les années 60 à Duclair, Le Trait ou encore Sainte-Marguerite.
7) Eugène
de Kerhor. Noté Lostie de K/hor de
Saint-Hippolyte ou encore Lostie de Querhor. Né le 13
février 1889 au Havre d'Eugène Charles et Pauline
Chevalier, il demeurait à son incorporation au 3
de la rue de la Paix. Il mesurait 1,72m, yeux et cheveux bruns. Il fut
incorporé le 1er octobre 1910 au 27e régiment de
dragons. Dix jours plus tard, la commission de réforme de
Versailles le fait passer au 101e RI. Le 25 septembre 1912, il se
retire au Havre, rue de la Paix. En juillet 1913, il habite 15 rue de
Plumet, dans le XVe arrondissement de Paris. En février
1914, il est de nouveau localisé au Havre au 13 de la rue du
Champ-de-Foire. Mobilisé le 1er août,
arrivé au corps le 4, il servira comme soldat au 129e RI, il
est mort le 28 janvier 1915 à l'hôpital d'Eupen,
en Allemagne, des suites de ses blessures de guerre. Il avait 26 ans.
La famille Lhostis est mentionnée depuis le XVe
siècle dans
l’évêché de
Tréguier, en Bretagne. En 1665 Jean Lhostis, sieur de la
Vigne, épouse la noble demoiselle Gillette de Keravis de
Kerhors et fonde ainsi la branche Lostie de Kerhor qui essaimera dans
toute la France, donnant des officiers à l'armée.
On ne voit guère le lien d'Eugène de Kerhor avec
Duclair. Ses parents étaient nés en
Meurthe-et-Moselle avant de s'établir au Havre. Il avait
trois
sœurs née dans le port normand: Hélene,
Fernande et
Yvonne, épouse de l'ingénieur Caquot. Kerhor ne
figure
pas sur la liste des Enfants de Duclair morts
pour la Patrie publiée par le Journal de Duclair le
6 septembre 1921. Quelqu'un est donc intervenu pour le rajouter. Mais
qui...
8) Louis Lenoir.
Louis Auguste
est né le 23 juin 1888 à Duclair d'Adolphe
Lenoir et Esther Andrieu. Son père, cultivateur originaire
de Sainte-Marguerite, avait convolé à
Blacqueville en 1877 avec une domestique du cru. Louis mesurait 1,67m,
cheveux
châtains, yeux gris-bleus. Il exerçait la
profession de journalier et avait du tempérament. En 1907,
la Justice lui chercha des ennuis pour outrages. Rien de
méchant. Oui, il avait du
tempérament, mais il était affecté
d'une insuffisance musculaire. Alors, quand il fut incorporé
le
3 octobre
1910, il éprouva quelques difficultés et la
commission de
réforme le versa dans le service auxiliaire le 12 octobre
1911.
Puis il
fut renvoyé dans ses foyers le 25 septembre 1912 avec un
certificat de bonne conduite.
Maintenu en novembre 14 dans le service auxiliaire par la commission
spéciale de réforme de Rouen, il est
passé à la 3e section de COA le 26
décembre 14. Mais, le 15 janvier 1915, la guerre
étant gourmande, le voilà
vraiment mobilisé et reconnu apte au service armé
le 5 mars. Il passe en septembre au 74e RI qui, le mois suivant, sera
engagé dans la bataille d'Artois. D'avril à mai
1916, c'est la bataille de Verdun, le 74e est chargé de
reprendre le fort de Douaumont. De juin à
décembre 1916 : Woëvre.
D'avril à juin 1917 : Chemin
des Dames. Des mutineries commenceront à naître au
sein du régiment mais Louis est
réformé le 1er juin 1917 pour tuberculose
lombaire. Il est mort dans son lit, à Duclair, le 5 juin
1919. A 31 ans. Il avait un frère, Jules,
décédé au Trait en 1967 et une
sœur. Au cimetière, la plaque de Louis Lenoir est
déposée sur la tombe de René Lenoir,
mort pour la
France... en 1925 ! Surant la guerre du Rif ? On
ne retrouve pas de René Lenoir ni à
Mémoire des
hommes, ni dans les registres matricules des archives
départementales.
9) Lucien Taclet. Il est né le 21 août 1889 à Saint-Martin-de-Boscherville d'Armand Taclet, jardinier et de Victoria David. Ses parents, mariés à Veauville-lès-Baon en 1885, s'étaient établis à Duclair vers 1900. Lucien mesurait 1,69m, cheveux châtains, yeux marrons. Il est domestique et soutien de famille quand l'armée commence à s'intéresser à lui. En 1909, il écope d'une amende pour chasse illicite. Eh bien justement, c'est dans le 7e régiment de chasseurs qu'il sera incorporé comme 2e classe le 1er octobre 1910. Le 25 septembre 1912, il est rendu à la vie civile. Et puis le 3 août 1914, le voilà mobilisé au sein d'un régiment de cavalerie légère. Le 10 août 1916, il passe au 43e régiment d'artillerie de campagne. Le 22,on le retrouve au 105e d'artillerie lourde. Nouveau tournant dans sa campagne le 1er octobre 1917 lorsqu'il devient 2e canonnier au 228e régiment d'artillerie de campagne. Il est mort pour la France le 15 décembre 1917 à la position du Mont-Sans-Nom, dans la Marne. Il avait 28 ans et était membre d'une belle fraterie. Sa mère avait accouché un mois après son mariage d'une fille qui mourut à l'âge d'un an. Après Veauville, la famille s'était établie à Boscherville en 1886 où sont nés cinq garçons et une fille. En 1896, les Taclet effectuent un bref séjour à Ecalles-Alix où leur vient un garçon. Deux enfants sont encore nés à Duclair début XXe.
Document annexeLa liste publiée le 6 septembre 1921 par le Journal de Duclair comporte 70 noms. Deux furent donc rajoutés par la suite: celui de Kerhor donc et celui d'Henri Gaston Herment, mort en 1918. En revanche, quatre natifs de Duclair furent oubliés et sont mentionnés par M. Déchamps sur le site de la Ville. Il s'agit de :
Burel Charles Gaston, né le 18 janvier1891, mort le 28 avril 1915 à Rouen.Bruneau Charles Ambroise Alphonse, né le 30 janv 1894, mort le 15 sept 1914 à Chesnay, Marne.
Decharrois Adolphe Albert, né le 11 janv 1893, mort le 03 oct 1914 à Brienne-le Château, Aube.
Delepine Léon Albert, né le 24 janv 1894, mort le 5 sept 1916 à Vermandovillers, Somme.
La liste du Journal de Duclair reproduite ci-dessus comporte des erreurs. A titre d'exemple, Henri Aubé n'est pas mort en 1916 mais le 8 avril 1917 à Montigny. On y voit le nom d'Henry Cooke, engagé volontaire. Or, il ne figure pas sur le monument aux morts. En revanche, on a gravé celui d'Henry Doke. Nous pensons qu'il s'agit en réalité de Charles Cooke, un Anglais de 17 ans qui s'était engagé dans l'armée française. Il est évoqué dans notre livre, "14-18 dans le canton de Duclair"
Laurent QUEVILLY.
SourcesArchives départementales de la Seine-Maritime.
Mémoire des hommes, Ministère de la Défense.
Paris-Normandie, 28 octobre 2014.
Le Courrier cauchois, 7 novembre 2014.
Journal de Duclair, archives nationales de France, Paris. Exemplaire numérisé par Jean Cognard.
Filiations bretonnes, Henri Frotier de La Messelière, 1965.
Alain Raoul, Carrés militaires des corps restitués en Seine-Maritime.

14-18 dans le canton de Duclair, Laurent Quevilly, BoD.
Vos réactions
Vous avez des documents, des photos sur ces Poilus, vous les comptez dans votre famille, vous voulez simplement réagir à cet article, n'hésitez surtout pas...
Déchamps Marceau : Bravo pour ce beau travail et ces belles pages. La mémoire de ces soldats ne devrait plus se perdre maintenant.
Martial Grain : Ce qui est étonnant pour BUREL
Charles, il est bien noté sur le LIVRE D'OR de Duclair ?
Ou avez vous eu la date et lieu de décès de HARRE
Raymond ? Sur sa tombe?
Avez vous consuté les Archives paroissiales de Duclair ?