Par Laurent QUEVILLY.


L'ancien et le nouveau cimetière de Duclair furent profanés par deux fois. L'une par le sang, l'autre par le sperme. Deux cas sévèrement punis par la loi et qui nécessitaient une nouvelle bénédiction selon un rite bien défini...


Comme l'église, le cimetière est un lieu sacré qui ne souffre aucune injure.
Pour s'en convaincre, ouvrons tout d'abord le Répertoire de jurisprudence civile de Guyot, édition de 1777 :

« La pollution d'un cimetière arrive toutes les fois qu'on y enterre un infidèle ou une personne excommuniée, ou lorsqu'il s'y est fait une effusion considérable de sang. »

Dans les deux premiers cas de figure, la coutume impose que l'on déterre le cadavre indésirable pour l'expulser extra-muros. Dans les trois, toute inhumation est proscrite tant que le cimetière n'aura pas été « réconcilié », selon la formule consacrée. Guyot : « Lorsqu'un cimetière a été profané par la pollution, les canons veulent qu'on en fasse de nouveau la bénédiction.»

 Et celle-ci est un domaine réservé assortie de dérogations:

« La bénédiction des cimetières appartient de droit à l'évêque du diocèse. Les curés n'ont ni le droit de les consacrer ni de choisir l'endroit qu'ils veulent destiner à cet usage. Ces privilèges, sont attachés à l'épiscopat. Cependant il est d'usage que les évêques commettent les curés ou d'autres prêtres constitués en dignités pour faire la bénédiction des cimetières, & la consécration faite en conséquence de la commission de l'évêque est régulière & canonique. »

Rixe à haut risque


C'est exactement ce qui arriva en 1689 à Duclair, dans le cimetière sis près de l'église après un affrontement sanglant entre deux domestiques. Compte-rendu de l'abbé Leblanc, curé de l'époque :

« Du troisième jour de mars 1689, nous, Jean-Jacques Leblanc, prêtre curé de la paroisse de Saint-Denis-de-Duclair commissaire nommé par Messire Etienne de Fieux, grand archidiacre, chanoine de l'église-cathédrale de Rouen, grand vicaire de Monseigneur l'archevêque dudit Rouen, primat de Normandie, pour la réconciliation et la bénédiction du cimetière de la dite paroisse de Duclair rendu pollu(é) le treizième de février par la batterie arrivée entre Abraham Jot et Jean Masse, serviteurs domestiques de Pierre Pigache et François Paine, de la paroisse de Berville avec effusion de sang qui serait sur la terre dudit cimetière dont serait arrivée ladite pollution

« par ainsi ledit cimetière serait interdit d'y pouvoir inhumer aucun corps jouxte qu'il est plus amplement fait mention par les informations qui en ont été faites et commission à nous adressée par Monsieur l'abbé de Fieux portant date du troisième de mars dernier,

«
à laquelle réconciliation nous avons procédé après l'exhortation par nous faite aux paroissiens de ladite paroisse d'y être réunis et y assisteraient, à cette fin été avertis par le son des cloches de ladite églisé réitéré plusieurs fois.

« Avons ensuite fait les prières accompagnées de plusieurs prêtres et fait les cérémonies en tel cas requis et accoutumé jouxte et suivant qu'il est porté par le manuel et le rituel de mondit seigneur l'archevêque avec exhortation aux paroissiens en général de se contenir et de ne commettre à l'avenir pareille faute, leur ayant remontré la sainteté du lieu ainsi pollu(é) par tels accidents de batterie et le grand respect qu'ils doivent garder pour les lieux saints, le grand préjudice que l'on fait à l'église par icelle faute,

« dont du tout que dessus j'ai dressé présent acte en présence de quantité de paroissiens et grand nombre qui ont signé avec nous cy-sousignés. »


Signent Leblanc, Babois, Onffray, Jean Foucher, Guillaume Lecompte, Nicolas Desmoulins, Guillaume Cavelier, Gilbert Pont, Michel Levacher, Alexandre Lefrançois, Godeffroy, Nicolas Campigny, François Campigny, Mauny... Guillaume Cavelier et Guillaume Lecompte, le bien nommé, furent désignés collecteurs de la paroisse. (BMS de Duclair, ADSM)

Ils copulent près de la tombe du curé

L'œuvre de chair était également un motif de pollution d'un cimetière. Sur le plan civil, c'est souvent une circonstance aggravante en cas d'attentat à la pudeur. Que dit la jurisprudence :

« Le scandale commis dans un cimetière est puni plus sévèrement que celui qui est commis dans des lieux profanes, parce qu'on le regarde comme une violation d'un endroit religieux. Ce font les circonstances qui accompagnent ces sortes de délits, qui déterminent les magistrats à infliger aux coupables des peines plus ou moins sévères. »

On ne sait si le nouveau cimetière de Duclair dut être à nouveau béni par l'abbé Baudry après ce scandale qui intervient en 1863. Le Journal de Rouen du 11 juin : « Le tribunal a condamné à un an d'emprisonnement un jeune homme et une vieille femme reconnus coupables d'un outrage public à la pudeur qui s'était accompli au pied du calvaire du cimetière de Duclair et auprès de l'entablement tumulaire du dernier curé de la paroisse.

« Les débats ont consisté en l'audition de deux témoins qui avaient suivi avec une singulière curiosité, il faut bien le dire, les détails d'un ignoble délit qu'ils auraient pu prévenir avant d'avoir à le dénoncer. Ces débats ont eu lieu à huis-clos. »

L'affaire remonte jusqu'au niveau national et, le lendemain, le journal Le Temps nous offre d'autres détails. Le couple s'est adonné à la luxure en plein jour, le jeune homme demeure à Barentin, la « vieille femme » a 53 ans et elle est de Duclair. Une année de prison, précise le journal, c'est le maximum de la peine pour outrage public à la pudeur


La tombe près de laquelle se déroula cette pressante copulation porte l'inscription suivante : Ci-git le corps de M. Jean-Baptiste Auger, curé doyen de Duclair, décédé le 23 octobre 1860 à l'âge de 68 ans. Pendant 20 années, il gouverna sa paroisse avec le zèle d'un vrai pasteur. Il avait su concilier le respect et l'estime de ses paroissiens. In pace quiescat. Qu'il repose en Paix. L'épitaphe ne fut pas vraiment respectée...

Laurent QUEVILLY.


Photos couleur du calvaire et de la sépulture de l'abbé Auger : Alain Guyomard.