Par Paul Bonmartel


Un ancien maire de Duclair se souvient d'un conseil de révision des années 50...

  La scène se passe dans la mairie de sa ville, le chef-lieu de canton. Pas l'actuelle mais le bâtiment provisoire qui remplaçait l'hôtel de ville détruit en août 1944. Un baraquement en bois partagé en bureaux et salle de réunion. Cette dernière servait également de salle de répétition à la fanfare. Les cloisons étaient minces, toute la place du marché entendait les canards de Duclair (ville renommée pour ses canards).


Hiver 49. M. Denise, maire de Duclair et l'archevêque de Rouen, Mgr Martin, devant la mairie provisoire, place du marché. (Coll. Gilbert Fromager).

  Une fois par an s'y déroulait le conseil de révision. Ce jour-là, en quelques minutes, un jeune savait si il serait incorporé dans l'armée pour y effectuer le service.
Arrive le tour d'un gars de Saint-Paër, petite commune rurale sur la plateau, là-haut, au bord du Pays de Caux. Il est tout nu, les mains croisées sur le bas du ventre. La carrière militaire ne semble pas l'inspirer.

— Et pis... Je peux pas être soldat. J'ai les pieds plats.
— Marchez un peu, demande le major.

  Tous regardent les pieds de notre gars. Le major se tourne vers le préfet, qui ne se prononce pas, puis vers le maire de Saint-Paër, M. Jonquais.

— Monsieur le maire, vous qui le connaissez bien, qu'en pensez-vous ?

  Avant de répondre à une question comme ça, méfiance, réserve naturelle, toute l'importance du silence d'un Cauchois, un cultivateur... Notre maire, le père Jonquais, de dire d'une petite voix difficile à entendre :

— Je vas pas pouver vous dire, car mei je le veis toujou aller à vélo.

  Toute l'assemblée en reste bouche bée. Ce maire d'une toute petite commune venait de donner une leçon de prudence politique.

  Notre jeune gars a-t-il effectué son service militaire ? Les souvenirs de M. Denise, maire de Duclair, s'arrêtaient là...


Paul BONMARTEL.



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