Par Laurent Quevilly

Séducteur de ses paroissiennes, père d'enfants adultérins, accusé de tentative de meurtre, l'abbé Frilay défraya la chronique en 1830. On fit de cette histoire une chanson qui parcourait nos campagnes. Les faits.

En 1830, la France est encore scandalisée par l'affaire Berthel. Trois ans plus tôt, ce séminariste a tué sa maîtresse, une femme mariée, Mme Michoud de la Tour. Le crime a eu lieu dans l'église de Brangues, près de Grenoble, au moment de l'élévation... 

Quand éclate le scandale Frilay, la presse commence par déformer le nom du coupable : Frilet, Freulet. Mais on ne tarde pas à connaître son identité réelle.

Louis-Denis Frilay est né à Rouen, d'une famille pauvre. Son père était bourrelier. Il fit des sacrifices pour donner de l'éducation à son fils, qui fut consacré prêtre a l'ordination de Noël 1817. Il n'avait alors que vingt-quatre ans.
Dans les premiers mois de l'année suivante, Frilay fut appelé à Gournay, pour y remplir les fonctions de second vicaire. Il fut reçu comme pensionnaire chez le curé, où il resta jusqu'au mois d'octobre 1818. A cette époque, il alla demeurer chez une dame Desjonquières. Sous le même toit habitait aussi une nièce de cette dame, Marie-Alphonsine Herbel âgée de vingt-huit ans; sa chambre était voisine de celle de Frilay. 


Une noyade bien mystérieuse


Le 18 novembre 1818, vers dix heures du soir, la dame Desjonquières monta dans la chambre de sa nièce, elle n'y était pas. Cette dame pensa qu'elle élait allée passer la nuit chez son père qui demeurait à Gournay. 

Le lendemain, une jeune femme fut trouvée noyée dans la rivière qui coule au bas du jardin de la dame Desjonquières, c'était sa nièce. Le cadavre fut visité par un suppléant du juge de paix, et par un médecin, tous les deux maintenant décédés. Aucun procès-verbal ne fut rédigé; le corps ne présentait aucun signe extérieur de violence et depuis, il fut dit par le médecin qui avait fait la visite que la demoiselle Herbel n'était pas enceinte, que même elle était morte vierge. 

Cependant, un témoin entendu dans l'information qui alors était âgé de 15 ans et demeurait chez la dame Desjonquières, a déclaré que l'autopsie avait fait découvrir que cette jeune fille était enceinte d'à peu près trois mois et une servante a dû dire qu'elle avait remarqué quelques privautés entre Frilay et la demoiselle Herbel peu de temps avant sa mort.

Quoi qu'il en soit, immédiatement après cet événement, Frilay annonça à la dame Desjonquières qu'il allait demander son changement, parce qu'étant le seul homme qui habitât la maison on ne manquerait pas de lui imputer ce malheur, bien qu'il en fût innocent; et en effet, trois jours après, Frilay avait pour toujours quitté Gournay.
L'opinion publique qui s'était aussitôt déclarée contre lui n'en prit que plus de force et persista à lui attribuer la fin tragique de cette jeune fille; ces bruits ne furent étouffés que par la considération que l'on portait à la famille de la demoiselle. 

Les rejetons de la Pavillaise

Après avoir quitté Gournay, Frilay fut nommé vicaire à Pavilly. Pendant qu'il était placé dans cette résidence, la notoriété publique l'accusa d'avoir séduit une jeune fille et de l'avoir rendue mère. 

Il fut bientôt forcé de quitter encore cette paroisse on l'envoya en qualité de desservant à Mesnil-Durécu, là d'autres désordres lui furent aussi imputés; il conserva avec la jeune fille de Pavilly des relations, par suite desquelles elle devint mère une seconde fois.

La chanson de Frilay

Le scandale de l'abbé Frilay donna lieu à une chanson qui parcourait nos campagnes. Ainsi, à Saint-Wandrille, le curé Fresnal chassa-t-il le soir de la Saint-Jean un groupe de jeunes gens qui s'apprêtaient à la chanter.
On retrouve allusion à Frilay dans la Complainte des Filles de Paris :

Monsieur Frilay, le vicaire,
Etait un homme bien noir ;
On a vu que chaque soir
Il faisait un adultère.
S'il nous fut venu trouver
Nous aurions su le calmer.


Le 26 novembre 1820, une lettre de ses supérieurs ecclésiastiques lui annonçait que des raisons dont il était mieux que personne en état d'apprécier la gravité, ne permettaient pas qu'on le laissât à Mesnil-Durécu, il fut appelé à Dieppe. Pendant qu'il y séjournait, il engagea un épicier veuf depuis fort peu de temps à se remarier et à prendre pour femme une jeune personne de Pavilly qu'il lui désigna, c'était celle que le bruit public l'accusait d'avoir séduite.
Frilay, qui outrageait les mœurs avec tant de scandale, n'avait pas plus de respect pour les choses saintes et l'information a révélé une de ses plaisanteries sacrilèges. 

NB: On note plusieurs enfants nés de père inconnu sur la période considérée à Pavilly. Ils ont pour nom Goubert, Mauconduit, Millon, Banâtre... Mais aucune de ces mères célibataires n'a accouché deux fois dans la commune. La maîtresser de Frilay reste à identifier...

L'amant de Madame Sannier


Enfin, le 1er mars 1823 Frilay fut nommé desservant des paroisses réunies de Saint-Aubin-sur-Scie et Sauqueville. Il avait alors 29 ans.
Dans la commune de Sauqueville demeurait un sieur Sannier, percepteur des contributions, c'était un homme de bien, d'une conduite irréprochable, et remarquable surtout par la bonté et la douceur de son caractère; il était âgé de 37 ans et sa femme en avait dix de moins. Mariés depuis quelques années, ils étaient tendrement attachés l'un à l'autre, et rien n'avait jusque là troublé la paix de leur ménage; ils vivaient heureux, entourés de l'estime et de l'affection publiques; ils n'avaient pas eu d'enfants, c'etait la seule chose qui manquât à leur bonheur.

Comme la légende du corset rouge


 Les relations intimes qui s'établirent entre Frilay et la dame Sannier ne tardèrent pas à éveiller les soupçons publics. Il fut bientôt su de tous que Frilay choisissait le moment où Sannier était absent peur s'introduire chez lui ; une fenêtre ouverte indiquait le moment où il pouvait entrer sans crainte de rencontrer le mari ce signal ayant été connu des voisins, on le changea ce fut alors un vêtement qu'on suspendait à une fenêtre. On les voyait aussi quelquefois causer et se promener ensemble, et les enfants criaient en les apercevant Voilà M. le curé avec Mme Sannier!

Un sieur Bernier était signalé, dans le pays, comme l'entremetteur dans cette odieuse intrigue et quelquefois sa maison était le lieu du rendez-vous. Enfin, la conduite du desservant de Saint-Aubin était devenue tellement scandaleuse, qu'elle éloignait plusieurs personnes de l'église et les détournait de l'accomplissement de leurs devoirs religieux. Le maire s'était hâté de mettre une de ses filles en pension à Dieppe, pour n'être pas forcé de la confier à la direction d'un homme dont il redoutait l'immoralité. 

La réaction du mari trompé


Il était impossible que des faits si répétés, si patents si significatifs, ne frappassent pas enfin les yeux du sieur Sannier lui-même. Il y a quatre ans environ, il chercha et fit naître des prétextes de rompre avec Frilay; il lui interdit l'entrée de sa maison mais le desservant ne tint compte de cette défense il continua ses visites en l'absence du mari.
Le 11 janvier 1839, Sannier, après être sorti de sa maison, y rentra. Avant d'en franchir le seuil, il avait entendu parler dans l'intérieur, et cependant il trouva sa femme seule. Il lui demanda quelle était la personne qui, il n'y avait qu'un instant, causait avec elle. Elle répondit qu'elle était seule. Cependant Sannier, certain qu'il ne s'était pas trompé, fit des recherches dans sa maison, et découvrit enfin Frilay caché dans le grenier, derrière quelques bottes de foin. Le sieur Sannier trouva dans la modération habituelle de son caractère la force d'arrêter les suites funestes que pouvait avoir une légitime indignation. Il exigea seulement du desservant la reconnaissance de l'outrage qu'il lui avait causé, et la promesse de quitter le pays il voulut que ses aveux et ses engagements fussent consignés par écrit et signés par Frilay afin que la possession de cet écrit le forçât à accomplir ses promesses par la crainte que Sannier ne le remît à ses supérieurs ecclésiastiques si Frilay persistait à rester à Saint-Aubin. Le desservant consentit à faire ce qu'on demandait ; mais il viola audacieusement des engagements aussi solennels. 

Les premières menaces


Le lundi 23 novembre dernier, le sieur Sannier était allé à Manéhouville pour surveiller quelques ouvriers il était à cheval et avait une cravache à la main. Il rencontra Frilay, qui était à pied Sannier s'avança vers lui, en disant drôle, puisque je te rencontre, il faut que je te donne quelques coups de cravache. Aussitôt Frilay frappa sur le dos du cheval avee une canne dont il sertit un dard, puis il se jeta dans une pièce de blé à huit à dix pas. Sannier l'y suivit : Frilay saisit alors un pistolet qu'il lui présenta en lui demandant ce qu'il avait à lui reprocher. Sannier répondit qu'il lui reprochait de ne pas avoir quitté le pays, ainsi qu'il en avait pris l'engagement. Frilay répliqua que Sannier aurait dû demander lui-même ce changement ; aussitôt ils se séparèrent et cette rencontre n'eut pas d'autres suites.

Frilay ajoute à cette scène des circonstances plus menaçantes et des démonstrations plus effrayantes de la part de Sannier : il a fait à cet égard divers récits, et écrit ou projeté différentes lettres, qui sont loin de s'accorder, mais dans la plupart desquelles pourtant il prétend que Sannier, en l'attaquant, menaça de le tuer, l'accabla d'injures et finit par lui dira Tu portes des armes qu'il ne t'est pas permis de porter, tu ne les porteras pas longtemps, je te joindrai. Sannier a constamment nié avoir proféré ces menaces.

On a saisi chez l'accusé le projet d'une lettre écrite le jour même de l'événement (le 23 novembre) et qui paraissait destinée an procureur du Roi, par laquelle Frilay rendait compte de cette scène, et on n'y retrouve pas ces menaces de le rejoindre et de le tuer. Ce ne fut que deux mois plus tard, que Frilay se décida à envoyer au procureur du Roi une lettre dans laquelle après lui avoir parlé de la rencontre du 23 novembre, il y ajouta les paroles menaçantes de Sannier puis il déclare que sa sûreté exige que désormais il ne marche plus qu'armé ; il prévoit qu'un grand maiheur est possible mais il proteste en même temps qu'il ne se servira de ses armes qu'à la dernière extrémité.

L'enfant adultérin


Le 10 décembre dernier, la dame Sannier qui, jusque-là, avait été frappée de stérilité, mit au monde un enfant mort-né. Elle fut accouchée par les soins du docteur de Broutelles.  Né sans vie à trois heures de l'après-midi, ce garçon sans prénom fut dit fils de François Henry Sannier et de Julie Fiquet. Les témoins furent Pierre Laridé, propriétaire de Dieppe et Jean Constantin, le garde-champêtre. François Boulard, le maire, signa l'acte avec eux.

Frilay n'a pas craint d'attribuer au sieur Sannier la mort de cet enfant. Il l'en a même accusé dans une lettre qu'il a écrite le 10 janvier au sieur Fiquet, frère de la dame Sannier, et dans laquelle il accumule contre le sieur Sannier les plus dégoûtantes injures, accompagnées des expressions les plus cyniques.

Depuis ses couches, la dame Sannier couvient avoir eu une entrevue avec Frilay chez Bernier ; elle assure qu'on n'a parlé que des reproches qu'elle était en droit de lui faire ; elle ajoute qu'il y avait longtemps qu'elle ne l'avait vu et que c'a été là sa dernière rencontre avec lui. Depuis, elle a constamment refusé de le recevoir.
Déjà cette malheureuse femme, tourmentée par ses remords, s'était efforcée d'échapper à l'empire que son séducteur exerçait sur elle; plusieurs fois elle avait voulu ne plus le recevoir, mais Frilay lui disait toujours que, si elle lui refusait la porte elle s'en repentirait, qu'elle verserait des larmes mais qu'il serait trop tard, et qu'elle saurait alors ce que c'est que la vengeance d'un prêtre irrité. 
 

La tentative de meurtre

Le jeudi 4 février dernier, vers deux heures après midi, le sieur Sannier sortit de sa maison à cheval, avant à sa main le bâton qu'il porte ordinairement, il allait faire sa perception au jour et à l'heure qu'il y consacre d'habitude, et il suivait le chemin qu'il avait l'usage de parcourir. Il était arrivé au haut de la côte de Saint-Aubin, lorsqu'il aperçut devant lui Frilay, qui à son aspect hâta sa marche. Sannier l'eut bientôt atteint Mauvais gueux lui dit-il, as-tu encore le pistolet avec lequel tu as voulu me tuer l'autre jour?
D'autres affaires...

Le curé Mingrat, fut condamné à mort comme assassin d'une jeune femme mariée, Marie Guérin, qu'il avait violée dans un cabinet de son presbytère et dont il traîna et jeta dans l'Isère le cadavre dépecé.
Le curé Delacolonge fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour avoir assassiné dans son presbytère une de ses pénitentee, Fanny Besson, qu'il avait rendue mère ; le frèra Léotade assassina une jeune fille de quinze ans, Cécile Combettes, et la viola dans l'enceinte même de l'institut des frères de Toulouse.

Aussitôt Frilay tira un pistolet de sa poche. Saunier indigné avança sur lui dans l'intention de le frapper de son bâton mais Frilay évita les coups à l'aide de sa canne à dard et, presqu'au même moment, il tira sur Sannier un coup de pistolet qui ne le toucha pas. Ce premier coup de feu fut immédiatement suivi d'un second qui trompa encore l'espérance de Frilay. La balle alla se loger dans la cuisse du cheval. Sannier l'atteignit alors de son bâton qui sur le coup se brise  entre ses mains ; aussitôt Frilay serra de près Sannier ; il tira de dessous ses vêtements un poignard dont la lame était longue de 12 à 13 pouces; d'une main il saisit fortement le manteau de Sannier et de l'autre il le frappa de son poignard, à coups redoublés et avec fureur.
Sannier n'avait pour se défendre, qu'une arme impuissante il ne fut garanti de quelques-unes de ses attaques que par ses nombreux et épais vêtements mais enfin un violent coup de poignard pénétra dans le flanc gauche et y fit une profonde blessure. Sannier se sentant frappé, dit à Frilay Malheureux! tu m'as blessé, mais ma perte entraînera la tienne, je vais porter ma plainte au procureur du Roi. Frilay répondit tant pis pour vous. En même temps il s'éloigna, et Sannier rentra à son domicile.

L'acte d'accusation


Ce récit fait par Sannier dans le cours de l'instruction est conforme dans tous les points essentiels à la déclaration que reçut officiellement le procureur du Roi de Dieppe, le 6 février, et aux diverses confidences qu'il a faites aux médecins qui lui ont donné leurs soins. La seule différence importante consiste en ce qu'il a déclaré, le jour de l'événement, au premier médecin qui le visita que les deux coups de pistolet avaient été tirés avant qu'il eût atteint Frilay de son bâton (circonstance conforme à sa dernière déclaration juridique) tandis que le 6 février il disait au procureur du Roi qu'il ne pouvait assurer s'il était parvenu à frapper Frilay lorsque celui-ci déchargea ses pistolets sur lui et le 18 février il affirmait à un second médecin qu'il était sûr que le premier coup de feu avait été tiré avant qu'il eût fait usage de son bâton.
L'acte d'accusation énumère tous les faits matériels qui servent de base aux déclarations de Sannier, et réfute les allégations de Frilay tendant à établir qu'il n'aurait fait que céder à la nécessité d'une défense légitime. 

Le transfert à Rouen

22 février 1830 : Le curé Frilay est arrivé ce matin à Rouen, sous l'escorte de deux gendarmes, par la diligence de Dieppe. Il a été écroué a la prison de Bicêtre. M. le lieutenant de gendarmerie de Dieppe est arrivé en même temps. Les armes dont Le sieur Frilay a fait usage dans sa lutte avec M. Saunier ont été apportées pour être déposées au greffe de la cour royale et servir de pièces de conviction dans l'instruction du procès. 

L'ouverture du procès



Le procès Frilay donna lieu à un commerce de produits dérivés. C'est à qui vendait le portrait le plus ressemblant, le compte-rendu les plus complet des débats...
14 mai 1830. On s'écrasait aux portes de la Cour d'assises, où on n'entrait qu'avec des billets délivrés par M. Le président. A l'ouverture de l'audience, M. le président a prévit l'auditoire que, si le moindre tumulte, le moindre signe d'approbation ou d'improbation venait troubler le silence, il ferait immédiatement évacuer la salle. Lorsque le bruit, inséparable de l'introduction instantanée de pius de 2000 spectateurs, est calmé, tous les regards se portent sur l'accusé Frilay.Il paraît fort tranquille. Ses traits sont rëguliers et beaux, ses sourcils bruns et arqués surmontent deux yeux a fleur de tête. Il porte des lunettes. Sa bouche est petite et animée d'un sourire presque dédaigneux qui fait place par intervalles a une complète immobilité. Souvent il s'anime et paraît obéir à des mouvements convulsif ; Ses cheveux sont arrangés avec un certain art.
Il porte une cravate noire sans col et une redingote de même couleur, croisée sur sa poitrine. Pendant la lecture de l'acte d'accusation, Frilay cesse de promener ses regards assurés sur les dames qui sont en grand nombre dans l'auditoire, et il parait fort attentif à cette lecture. 


Immédiatement après les formalités préalables, commence l'audition des témoins. 

Le témoin Baraud


Le premier témoin est le sieur Baraud marchand à Dieppe. Il a eu connaissance de la fin tragique de la demoiselle Jonquières, trouvée noyée dans un ruisseau. De mauvais bruits couraient alors sur le compte du vicaire Feray, qui demanda son changement.

Frilay: Je n'ai pas demandé mon changement ce sont mes supérieurs qui m'ont fait changer de résidence.

M. le président: Ce point est peu important pour l'accusation. Ces détails sont des jalons placés sur la route pour arriver à la connaissance de faits plus ou moins scandaleux.
M. Bademer, avocat de l'accusé: Le témoin n'a-t-il pas entendu dire que la demoiselle Jonquières avait l'esprit léger?

Le témoin: C'était une jeune fille de 14 ans, et à cet âge on n'a pas beaucoup de raison. 

La femme Moreau


La femme Moreau rend compte des mêmes faits. Interrogée sur le point de savoir si elle a remarqué quelques privautés entre la jeune fille et le vicaire, elle répond: Il y avait entre eux des badinages, quoi, des bêtises; elle jetait des boulettes à M. l'abbé; mais je ne les ai pas vus faire des inconvenances.

M. l'avocat-général Boucly : N'avez-vous pas remarqué et signalé des propos tenus par la jeune demoiselle?

Le témoin : Elle paraissait avoir toujours le mariage en tête. Elle disait que sa tante avait beau être riche, qu'elle ne se marierait pas parce que sa tante ne voudrait jamais lui donner le bon ami qu'elle avait.

La femme Touzet


La femme Touzet rend compte des propos qu'on tenait sur le compte de la demoiselle que Frilay rendit deux fois mère.
M. le président à l'accusé: Vous avez avoué dans l'instruction le fait auquel se rapporte la déposition du témoin, l'avouez-vous encore, ou faut-il l'établir par des témoins ? Répondez.

Frilay semble interdit ; il baisse la tête, regarde ses mains, balbutie quelques mots à voix basse et se rassied ; puis il se relève avec un mouvement brusque et dit « On a souvent mal interprété mes paroles dans l'instruction. »

M. le président : Persistez-vous à avouer que vous avez rendu, deux fois mère, la jeune personne en question ? Je ne puis vous y contraindre.

Fritay, après un long silence : Je n'ai rien... je n'ai rien a repondre ! 

M. le président : MM. les jurés apprécieront votre silence. 

Frilay paraît abattu; ses yeux sont humides; il reste immobile.

Le témoin Lefebvre

M. Lefebvre, de Dieppe, est appelé, et aussitôt plusieurs personnes montent sur les banquettes pour mieux le voir. C'est cet épicier auquel l'abbé Frilay a voulu faire épouser la jeune fille qu'il avait séduite. 

– J'avais, dit le témoin, connu l'abbé Frilay au séminaire; je le revis lorsqu'il vint à Dieppe comme vicaire. Il me demanda si je voulai me marier; il m'y excita même en me disant qu'il connaissait une jeune personne fort honnête, qui ferait parfaitement mon affaire. Je pris des informations, et j'appris qu'elle avait eu un enfant. 

M. le président à l'accusé : Avez-vous fait cette proposition au témoin ?

Frilay : Je ne me le rappelle pas.

Le témoin Drouet


Le sieur Drouet, peintre à Dieppe, rend compte d'un propos de l'accusé, fort extraordinaire dans la bouche d'un prêtre. 

– J'avais, dit-il, été chargé par les marguilliers d'exécuter un tableau représentant Notre Seigneur au jardin des Olives.Je portai ce tableau à la sacristie on en fut fort content. M. l'abbé Frilay y était. II regarda le tableau, où l'on voyait un ange présentant le calice d'amertume à J. C. il dit alors en s'adressant au tableau en riant Allons allons, mon petit bon Dieu, il n'y a pas à dire, il faut avaler ce!a comme une tasse de café. (Mouvement d'indignation.) 

Fritay : C'est absoIument faux !

M. le président: Votre dénégation se conçoit ; elle est même louable car le fait paraît tellement indigne d'un prêtre que vous ne pourriez avoir le courage de l'avouer. M. les jurés remarqueront seulement que le témoin est tout à fait sans intérêt.

Le témoin Crevier


Le sieur Crevier, ami de Sannier, rend compte des faits qu'il a recueillis de la bouche de ce dernier celui-ci lui a toujours dit qu'après avoir reçu bravement la décharge des deux pistolets du curé, il courut sur lui, le frappa de sa canne, qui au premier coup se brisa sur son adversaire.

Frilay : J'aurai l'occasion de m'expliquer ssr ces faits quand le sieur Sannier paraîtra.

M. le président : Expliquez-yous sur le moment où, selon vous le bâton de Sannier se serait brisé dans ses mains.

Frilay ; Son bâton ne s'est brisé qu'a la fin de la lutte que je fus forcé d'engager, et après mon coup de poignard.
 

Le témoin : Sannier m'a toujours dit qu'il avait désarmé au premier coup qu'il porta après avoir essuyé le feu du curé. J'étais tellement hors de moi, m'a-t-il dit souvent, que je croyais avoir quelque chose dans les mains et je frappais toujours, bien que je n'eusse plus rien.

Frilay : Comment pouvez-vous croire qu'un homme frappe dix minutes sans avoir rien dans les mains?

M. le président : Rien ne dit non plus que le combat ait duré dix minutes c'était un combat a outrance, et de tels combats ne sont pas longs.

Frilay : Ce n'est qu'aprèss m'être senti blessé que j'ai fait usage de mes pistolets.

L'avocat général: Le témoin peut-il nous dire si, à l'endroit où il a été attaqué, Sannier se trouvait sur le chemin que l'exercice de ses fonctions l'appelait à parcourir ?

Le témoin : Oui, Monsieur, sa route est tracée tous les jours; ses démarches sont connues de tout le monde elles l'étaient principalement ducuré, qui avait intérêt à les observer.

L'avocat-général, à l'accusé: Vous prétendez n'avoir tiré vos pistolets qu'après avoir été frappé, si Sannier eût été assez près de vous pour que son bâton vous atteignît, vos pistolets auraient certainement porté.

L'adjoint au maire Delaporte


M. Delaporte, adjoint de la commune de Saint-Aubin, déclare que le sieur Sannier est un homme bon, doux, pacifique. Il a bien entendu des propos circuler mais il ne sait rien de bien positif, il ne peut se permettre de rien juger.

M. le président, à l'accusé : Vous avez écrit et signé vous-même une déclaration par laquelle, vous promettiez à Sannier de vous éloigner de Saint-Aubin. Vous savez dans quelles circonstances il vous avait trouvé caché daus son grenier sous des bottes de foin. Cet écrit est de votre main; la rédaction peut bien n'être pas de vous. En voici le texte ( vif mouvement de curiosité ) 

Je confesse avoir été trouvé aujourd'hui, 11 janvier 1829, dans la maison de M. Sannier à Sauqueville par lui, seul avec sa femme. Il m'avait défendu sa maison, et nonobstant j'ai continué d'y aller, quoique j'eusse la certitude que cela contrariât M. Sanpier et apportât quelque trouble dans son ménage. Il m'a trouvé dans le grenier de sa maison, caché sous du foin. Il ne m'a fait aucun mauvais traitement. En reconnaissance de ce procèdé, que je ne méritais pas, pour avoir troublé le repos de sa maison, et pour éviter de rendre la chose publique, je promets à M. Sannier de solliciter mon changement, et de n'accepter de place qu'autant qu'elle sera éloignée d'ici d'au moins six lieues. Dans le cas où je ne tiendrais pas l'engagement que je contracte en ce moment, je permets a M. Saunier de se présenter à Mgr l'archevêque avec le présent, pour qu'il agisse et fasse envers moi ce que ma conduite indigne de mon ministère et de tout homme d'honneur, lui suggérera. 

Signé Frilay


M. le président : Je sais bien que, dans votre interrogatoire, vous avez dit que cette déclaration n'était qu'un chiffon, qu'une niaiserie. Admettez-vous aujourd'hui que votre conduite ait été indigne de la gravité de votre ministère ? 

Frilay balbutiant: C'est vrai; j'ai écrit cela. mais j'y avais été forcé M. Saunier m'a gardé chez lui jusqu'à onze heures et demie. J'ai signé pour mon honneur et pour celui de sa femme il m'a dit que si je ne signais pas, je ne sortirais pas de sa maison, et qu'il irait chercher le maire.

M. le président : Cette menace est très légitime.

Frilay Je n'ai signé que parce qu'il m'avait fait promesse de ne pas user de cette déclaration. 

Le témoin Boulard


Le sieur Boulard n'a sur l'affaire que les notions les plus imparfaites. Il a seulement su, par le voisinage, que la dame Sannier recevait chez elle M. le curé en l'absence de son mari, et que, pour l'avertir du moment favorable, elle était convenue avec lui de certains signaux.

Frilay : C'était elle qui exigeait ces signaux, afin que je susse quand je pouvais aller chez elle pour qu'elle me contât ses chagrins. 

M. le président : Quand une femme de l'âge de Mme Sannier a des chagrins, elle les dépose dans le sein de sa famille, elle n'appelle pas pour cela un jeune prêtre. C'est un vrai miracle que de rencontrer un ecclésiastique aussi désordonné que vous.

Le témoin Laridé


Le sieur Ladiré, propriétaire a Saint-Aubin, égaie un instant la très petite partie de l'auditoire qui peut entendre les dépositions des témoins, par sa loquacité, l'exactitude de ses souvenirs, et la minutieuse fidélité de ses détails. Il narre avec une complaisance infinie toutes les circonstances où on a épié les démarches du curé et de la dame aucun des signaux ne lui échappait il allait jusqu'à monter la garde et faire de fausses marches pour mettre en défaut les précautions des amants, il cite la haie où il s'est caché pour voir l'objet (c'est ainsi qu'il désigne toujours Frilay) entrer chez la dame Sannier; le poirier dont il a écarté les branches pour surprendre un signal; la borne où il s'est assis pour voir passer le curé; le ruisseau et le pont où il les a vus tête à tête. Ces détails sont au reste suffisamment connus par l'acte d'accusation, dans lequel ils servent seulement d'accessoires. 

Le chantre Crevot


Le sieur Crevot, chantre de la paroisse de Saint-Aubin tient dans sa déposition un juste milieu entre la rumeur publique qui accusait son curé et le désir qu'il a de ne pas lui être nuisible. Il ne sait rien de positif seulement il lui est venu aux oreilles qu'on disait dans le pays que, si le curé Frilay y restait longtemps, il pourrait bien s'en aller sans bateau ( on le noierait). On dit tant de choses sur les uns sur les autres, dit en terminant le chantre, que l'homme prudent bouche ses oreilles et ne croit pas toujours ce que voient ses yeux. 

L'instituteur Bernier


Le maître d'école du village, le sieur Bernier, dépose qu'il a porté z'une lettre de la part du curé. Il ne sait pas s'il y avait du mal dans la lettre; on lui a dit qu'elle était pour une dame. En passant le 7 janvier sous la fenêtre de Sannier il n'a pas vu, ainsi que te prétend Frilay que Sannier ait insulté ce dernier et l'ait mis en joue avec son fusil. 

Le bedeau Bernier

Bernier, bedeau de la paroisse, est entendu, c'est un petit viellard de 74 ans. Il déclare avoir remis plusieurs lettres à M. le curé de la part de la dame, et, au milieu de toutes !as précautious dont il s entouré en déposant, on devine aisément que sa maison, que l'âge avancé de son propriétaire mettait a l'abri des soupçons, servait de lieu de rendez-vous au curé et à la dame Sannier.

Frilay interrogé, avoue s'être trouvé plusieurs fois avec la dame Sannier chez le bedeau Bernier.

Bernier d'abord nie le fait obstinément, malgré les aveux du curé; il finit enfin par convenir que la dame Sannier venait souvent chez lui le soir. 

Le frère de Sannier


M. Sannier frère dépose ainsi : Je me suis aperçu, dès le commencement de l'arrivée du curé de ses poursuites auprès de ma belle-sœur. Les choses même allèrent si loin, que j'en fis part confidentiellement à un curé voisin mais il n'en tint compte. J'en parlai enfin à mon frère, au mois de février 1829 ; je l'avertis des signaux convenus entre sa femme et le curé. Quel parti prendre, me dit-il, je ne veux pourtant pas tuer un homme pour cela.

Ici la voix du témoin, sans cesse couverte par le bruit continuel qui règne dans la salle, se perd au milieu du tumulte la consigne des factionnairs placés aux portes est violée et une foule nombreuse se précipite dans l'enceinte en poussant de grands cris. Soldats faites-vous respecter s'écrie en vain M. le président; les cris redoublent. L'audience reste pendant quelque temps interrompue. 

M. Sannier continue ensuite si déposition. Lorsqu'il arrive à la déclaration dont nous avons plus haut rapporté le texte, il ajoute Le curé paraissait très mécontent d'avoir été réduit a faire cette déclaration il disait même « Si jamais Sannier fait usage de cette pièce, il s'en repentira il versera des larmes bien amères, et je lui apprendrai ce que c'est que la vengeance d'un prêtre !

Frilay se borne à dénier tous ces faits et a leur opposer la version qu'il a adoptée pour sa défense.

M le président donne ordre de présenter au jury un bâton tout semblable celui dont se serait servi Sannier contre le curé. Celui-ci convient que ce bâton qui a à peine la grosseur du doigt, est identique à celui que portait Sannier ; il le prend dans sa main, le tourne et le retourne en souriant et dit Pensez-vous donc, Messieurs, qu'un coup de bâton comme cela appliqué par un poignet vigoureux, ne fasse pas de mal ?

M. le président: Pour un seul coup de bâton que vous auriez reçu, vous avez fait usage de deux pistolets, d'une canne à dard et d'un long poignard. 

Le frère de Mme Sannier


Le frère de Mme. Sannier, ancien notaire, est entendu : Je demeure, dit-il, a vingt lieues de mon beau-frère, aussi je ne sais rien de visu. Quelque temps avant l'affaire, je reçus une lettre du curé Frilay. Cette lettre écrite en style grossier contenait tant de turpitudes sur le compte de mon beau-frère, que je n'éprouvai que du mépris pour son ignoble auteur.
Le 5 février je reçus une lettre de mon beau-frère qui m'apprit qu'il avait failli être assassiné par le curé Frilay, qui avait tiré sur lui deux coups de pistolet, et l'avait frappé de plusieurs coups de poignard. Je suis en ce moment, me marquait mon beau-frère, couché sur un lit de douleurs, dévoré par le chagrin et l'inquiétude. Je suis d'autant plus malheureux, que je me vois forcé de donner suite à l'affire. Ah mon ami, quel bruit, quel scandale nous sommes perdus. Jamais je n'ai eu autant besoin de conseils rien n'est plus terrible que notre position ; arrive vite. 

M. le président, avec attendrissement : Vous l'entendez; Messieurs, voilà le langage de la victime! (en montrant Frilay) et voilà l'auteur de tant de maux ( le curé reste impassible). On a trouvé reprend M. le président, le brouillon de la lettre que l'accusé Frilay a écrite au témoin, il prétendit d'abord en avoir adouci les termes mais rien n'y manque.

M. le président donne lecture de cette lettre, ainsi conçue: 

« Si vous êtes sensible Monsieur, à l'honneur de votre famille, vous frissonnerez d'horreur. (Ce n'est pas de lui, dit ici M. le président, que l'accusé parlait, c'était de sa victime.) Il m'en a coûte d'avoir gardé le silence jusqu'à ce jour, j'espérais toujours que la rage de votre frère s'éteindrait avec la mort de son malheureux enfant, dont il peut se vanter d'être la cause mais sa méchanceté augmente. Il faut que je parle. (M. le président: Des dépositions nombreuses attestent les soins donnés par Sannier a cet enfant.)  Votre frère est un assassin. Ecoutez le récit de son infâme conduite.
Le 23 novembre dernier, je me promenais près de la rivière, dans un endroit très isolé. Je ne pensais qu'à me défendre de la boue et de la pluie. J'aperçus Sannier à cheval, qui se dirigeait vers moi en prenant sa cravache par le petit bout, afin de m'assommer plus facilement. J'eus peur, et j'eus raison. Je ne pouvais que lui supposer de mauvaises intentions; je savais qu'il m'en voulait. Un ami m'avait prévenu de me tenir sur mes gardes ; il avait entendu dire que les frères Sannier devaient me donner une tournée.
"Je suis bien aise de te rencontrer", me dit-il tu ne m'échapperas pas.
Surpris d'une apostrophe aussi malhonnête, je lui répondis avec honnêteté "Que me voulez-vous ? Tu n'as pas tenu ta promesse", répondit-il d'une voix terrible. Je ne savais ce qu'il voulait dire. Là-dessus, il s'emporta contre moi en injures et en menaces. Effrayé outre mesure, je présentai ma canne armée d'un petit dard au poitrail de son çheval. Le monstre au lieu de s'arrêter, me dit "Si tu touches mon cheval, tu es mort."
 Cela n'était pas rassurant. Je pris la fuite à toutes jambes; mais le scélérat avait juré ma mort; il s'acharnait à me la donner. Il me suivit avec son cheval, et sans un parapluie que je tenais ouvert sur mon dos, il m'aurait infailliblement écrasé. Je tirai alors un petit pistolet de ma poche. Je ne sais pas seulement s'il était bandé. "Tu as des armes que tu n'as pas le droit de porter", me dit-il alors en rétrogradant; et il se retira, enragé d'avoir manqué son coup. 

Je sais très bien qu'il se prévaudra contre moi de ce que j'avais des armes; mais sans ces armes, il m'aurait infailliblement assommé comme un chien. Je sais bien qu'il cherche une autre occasion mais je ne promets pas d'être toujours aussi prudent. Il est toujours bien triste d'en venir à de tels excès avec un homme qui fut autrefois un ami. C'est sa mauvaise tête qui en est cause il n'aime pas à être contrarié dans ses idées. Je'ne sais ce qu'il a de m'accuser un enfant à sa femme; je ne l'ai pas vue depuis le 11 janvier jusqu'au 10 décembre, et probablement madame ne porte pas plus que les autres femmes. Quand on a des doutes et qu'on veut les éclaircir, on se prive d'approcher sa femme (et on est sûr qu'il l'a approchée). Il n'a donc rien à dire. Que lui en reviendra-t-il ? De faire passer sa femme pour une s... pour une p...  Je vous dirai qu'un jour il m'a enfermé dans son grenier. Tandis j'y étais, j'entendais les cris de sa femme; je ne sais ce qu'il lui a tait. Il m'a fait ensuite écrire une déclaration dont il avait fait l'original. Je vous montrerai un jour cette pièce curieuse. 

M. le président: Vous avez vu tout à l'heure cette pièce curieuse.

– Je l'ai signée pour l'honneur de madame et pour le mien. 

M. le président: Quel honneur ! 

Je pense que cette pauvre femme a été bien malheureuse de ne pas mourir avec son pauvre enfant. Quant à la mort de cet enfant, tout le monde a jeté des soupçons sur son gueux de père. Je le connais assez méchant pour dire que j'ai voulu l'assassiner. Je pense que vous ne ferez usage de cette lettre que pour le bien de votre pauvre sœur, qui gémit sous un cruel et farouche mari. (M. le président : que tout le monde s'accorde a dire être doux comme un agneau) Tâchez de le rappeler à des sentiments plus humains. Ensuite je me mets entre les mains de M. le procureur du Roi, j'ai des témoins, des preuves accablantes contre lui. (M. le président : Vous avez des témoins, des preuves accablantes, où sont-ils? je vous  le demande ! )  Je l'ai vu me mettre en joue avec un fusil c'est ce qui m'excite à vous écrire. Avant de le dénoncer, je veux attendre espérant que vous ferez vos efforts pour adoucir ce tigre.


M. le président, après avoir donné lecture de cette lettre annonce que l'accusé, dans ses prévisions, en avait de, longtemps a l'avance préparé une pour M. le procureur du Roi de Dieppe. Cette lettre, qu'il avait écrite le 11 janvier, et qu'il n'envoya que le 22 est la reproduction des allégations contenues dans la précédente.

M. le président à l'accusé : Qui vous avait déterminé à écrire ces lettres? 

Le curé Frilay: C'était elle qui m'avait conseillé d'agir ainsi.

M. le président: A la honte qui rejaillit sur vous pour avoir déshonnoré cette femme, il ne manquait que la honte de tenir un pareil propos. 

La déposition de la maîtresse...

On appelle la dame Sannier. (Un mouvement rapide de curiosité se manifeste dans l'auditoire, le tumulte s'en accroît, on voit des dames monter sur les banquettes pour mieux voir cette malheureuse victime de la séduction d un prêtre.)

M. le président, avec sévérité: Cette curiosité, Mesdames, est inconvenante. Quelle jouissance trouvez-vous à voir une personne de votre sexe, victime d'une si humiliante séduction ?

La dame Sannier s'avance d'un pas lent et mal assuré ; elle est âgée de 35 ans. Sa mise est simple et modeste une cornette rabattue sur son front dérobe en partie son visage à la vue des curieux. Ses traits sont réguliers sa figure distinguée. Ses yeux ne quittent pas la terre. Ceux de Frilay suivent tous ses mouvements. En rencontrant les regards du prêtre, on voit la pauvre femme trembler. M. le président ordonne qu'on la fasse approcher de lui et que l'on place l'accusé derrière elle.

Mme Sannier est profondément émue toutefois elle commence sa deposition. Après avoir dit son âge, elle déclare qu'elle ne se rappelle aucune circonstance de l'événement du 4 février, tant elle était troublée quand son mari est rentré elle dit que depuis longtemps son mari avait défendu à l'abbé Frilay de fréquenter sa maison mais qu il continuait d'y venir, elle ne sait si elle lui a conseillé de monter au grenier le jour où il a été surpris par M. Sannier, seul avec elle, elle a fait beaucoup d'efforts pour l'éloigner et ne plus le revoir, mais Frilay la menaçait depuis longtemps et elle a cédé a la crainte.

M. le président : Depuis le 11 janvier, avez-vous reçu Frilay ?

Oui, quelquefois. 

Ne vous a-t-il pas écrit depuis le 4 février, jour de l'événement  ?

Oui.

Que vous demandait-il ?

– Rendez-vous pour le 6 chez Bernier,  il me disait qu'il allait quitter le pays, et qu'il voulait me voir une dernière fois.

Est-ce vous qui avez engagé Frilay à écrire à votre frère ? 

Non Monsieur; je l'ai, au contraire supplié de ne pas le faire. 

Votre mari vous rendait-il malheureuse ?

Non il me faisait des reproches un peu sévères, mais il ne m'a jamais maltraitée. 

Frilay prétend que vous étiez malheureuse, à tel point que vous vouliez vous jeter a l'eau?

– C'est faux.

Il prétend encore que c'était pour vous consoler de vos chagrins domestiques qu'il allait chez vous, qu'il s'y rendait comme pasteur? 

–Non, il y venait comme un homme du monde.

Est-il vrai que vous lui indiquiez par didifférents signes le moment ou il pourrait venir chez vous?

– Oui.

M. le président : On conçoit que ses signaux auraient été tout à fait inutiles, si Frilay était venu pour vous consoler, pour remplir quelque acte de son ministère. Ne lui fites-vous pas un certain jour des signes à la fontaine ? 

Non.

Frilay savait-il d'avance quand votre mari s'absenterait? 

 Oui. 

Est-ce vous qui lui donniez cette connaissance ?

– Non. II connaissait tes jours de recette; cela suffisait.

Bernier vous a-t-il remis souvent des lettres de Frilay ? 

 Quelquefois..

Pourquoi Frilay vous écrivait-il ?

 Il demandait a me voir. 

Se plaisait-il à dire du mal de votre mari devant vous ?

– Oui.

Avez-vous eu connaissance de l'événement du 23 novembre ? 

Oui. Mon mari m'a dit en rentrant « J'ai manqué d'être assassiné par le curé. »

Avez-vous eu depuis des entrevues avec Frilay? 

Oui mais pas à la maison.

A quelle époque remontent les menaces qu'il vous aurait faites? 

Plus de deux ans.

Votre mari portait-il quelquefois des armes ? 

Jamais. 

Puisque Frilay m'est pas revenu chez vous depuis le 23 novembre, a-t-il demandé par lettre à y revenir ? 

Il me l'a demandé, mais verbalement.

Combien avez-vous eu de rendez-vous chez Bernier?–

Trois ou quatre.

Combien depuis votre accouchement ? 

Un seul.

Depuis que vous connaissiez la scène qui avait eu lieu le 23 novembre entre votre mari et Frilay, aviez-vous pris une détermination à l'égard de celui-ci et la lui aviez-vous fait connaître? 

Oui, mais il revenait toujours à la charge.

Un juré:  Pourquoi la femme Sannier retournait-elle chez Bernier, puisqu'elle ne voolait plus revoir Frilay

J'allais lui dire que c'était la dernière fois qu'il me verrait.

Ecriviez-vous quelquefois à Frilay, et chargiez-vous Bernier de porter vos lettres ? 

Oui, quelquefois, pour lui dire de venir ou de ne pas venir.

Comment avez-vous pu craindre les menaces de Frilaylui qui, à raison de son ministère, a besion d'autant de mënagements que vous?– 

Je sais que je n'aurais pas dû avoir peur.

Frilay : Est-il vrai que vous ayez fait de nouvelles instances auprès de la dame Sannier après le 23 novembre, pour continuer vos relations ? 

Je n'en avais pas besoin Madame me faisait tout dire.

Chacun se disposait à se lever pour voir Mme Sannier retourner à sa place mais grand a été le désappointement des curieux quand M. le président a ordonné qu'on donnât a cette dame un siège devant la Cour. 

La déposition du mari


M. Sannier, âgé de 40 ans, percepteur à Saint-Aubin-sur-Scie: C'est un homme d'une taille élevée de la plus belle et de la plus douce physionomie. 

Quand l'abbé Frilay, dit-il est arrivé a Saint-Aubin, j'étais trésorier de la fabrique; comme il m'avait été récommandé je le priai de venir nous voir, ce qu'il fit assez souvent pour que mon frère crût devoir m'engager à faire cesser ses visites. Je cherchai maintes et maintes fois des chicanes pour rompre avec lui, soit pour les comptes de la fabrique, soit pour un mémoire qu'il me tournit à la mort de ma belle-mère. 
Le 11 janvier rentrant le soir chez moi, j'avais entendu quelqu'un parler avec ma femme je lui demandai qui était là, personne répondit-elle je montai dans le grenier, et je trouvai Frilay derrière des bottes de foin Je l'y enfermai jusqu'à onze heures heure à laquelle je le fis descendre et lui donnai à signer un écrit dans lequel il reconnaît ses torts le menaçant, s'il ne voulait le signer, d'aller faire mes plaintes. Il fit tout ce que je lui demandai.

Je me croyais débarrassé de lui mais il n'est pas homme à laisser ainsi sa victime; il a continue a troubler la paix de mon ménage.

Le 23 novembre dernier, en allant a Manchouville, je rencontrai Frilay et lui dis Mauvais drôle, puisque je te rencontre, il faut que je te donne quelques coups de cravache. Là-dessus il frappa mon cheval, fit sortir de sa canne un dard, avança dans les terres labourées et me présenta un pistolet. Je me retirai en lui disant que je saurais bien prendre mes mesures pour l'ëloigner du pays, mais je ne lui pas de menaces. 

Le 11 janvier, j'étais à ma fenêtre, Frilay vint à passer il me regarda avec arrogance, et avait l'air de me narguer. Je lui dis Passe ton chemin, mauvais gueux, et laisse-moi tranquille. Il continua de me regarder avec effronterie.

M. le président: Frilay prétend qae vous aviez un fusil et que vous le couchiez en joue. 

Non, Monsieur; si j'avais voulu le tuer, j'aurais pu le faire, car je l'ai tenu chez moi, à ma disposition pendant plusieurs heures.

Le 4 février, vers deux heures, je vis Frilay au haut de la côte de Saint-Aubin, m'apecevant il força le pas mais je l'atteignis bientôt, et lui dis Eh bien! vilain coquin, as-tu encore ton pistolet ? II le tira de sa poche. Indigné, je prends mon bâton et cherche à l'atteindre il s'arme de sa canne à dard. Je ne pouvais l'attraper.
Au même instant, il tira l'un de ses pistolets, puis l'autre mais je ne fus atteint par aucun des deux coups, mon cheval seul fut blessé.
C'est alors que je lui donne un coup de bâton mais ce bâton se casse, Frilay me presse alors et me frappe de son poignard. Je lui dis Malheureux je vais porter ma plainte au procureur du Roi. Tant pis pour vous me répondit-il. Sa figure était monstrueuse, épouvantable ; il avait l'écume à la bouche.

Frilay soutient, quant à la scène du 23 novembre, qu'il n'a montré son pistolet, non armé, qu'à la dernière extrémité, et lorsque depuis longtemps il était poursuivi dans les terres labourées par Sannier. Quant à la seconde, il dit que voyant venir à lui M. Sannier, il quitta le chemin pour aller dans les terres couvertes de neige
M. Sannier l'y suivit ; il lui cria que me voulez-vous? Je vais te l'apprendre, répond M. Sannier; as-tu encore ton pistolet? je me f. de ton pistolet; je sais bien que je périrai, mais il faut que je te tue. En me disant cela, ajoute Frilay, Sannier s'avance et me frappe; je cherche à parer les coups; je tourne autour du cheval, mais enfin Sannier se précipite sur moi; je reçois un coup c'est alors que je tire un premier coup en l'air, pour l'efftrayer; comme il revenait à la charge, je tirai mon second coup plus bas, toujours pour l'effrayer.
Voyant mes armes déchargées, Sannier m'attaque avec une nouvelle vigueur; inutilement je cherchai à me défendre avec ma canne, je pris mon poignard et lui en portai un seul coup, je ne sais où. Sannier ne voyant pas sa blessure, fond sur moi, et c'est alors qu'il casse son bâton.

M. Sannier soutient que les deux coups de feu ont été tirés avant quil portât le coup de bâton à Fritay, et ajoute que s'il avait eu l'intention de tuer Frilay, il aurait pris des armes et non pas un bâton.

Le témoin Boulard

Le sieur Boulard parle du scandale que la conduite de Frilay offrait a Saint-Aubin: c'était à tel point qu'il envoya une de ses filles à Dieppe afin d'empêcher qu'elle fût sous la direction du curé pour faire sa première communion, et qu'il ne voulut point que l'autre allât au catéchisme.

Frilay : C'est parce que je punissais les enfants du sieur Boulard qu il ne vaulait pas me les envoyer.

Le témoin Boishébert


Le vingt-et-unième témoin est M. Boishébert. L'abbé Frilay est venu le trouver et lui a parlé de la scène du 4 février il lui a dit que c'était au deuxième coup de feu tiré que Sannier lui avait porté un coup de bâton sur le bras. Friiay ne lui a pas dit qu'il eût donné un coup de poignard.

Les médecins à la barre


Le vingt-deuxième témoin, M. le docteur de Broutelle a été appelé auprès de M. Sannier. Le coup de poignard avait été donné  dans l'hypocondre gauche la plaie était triangulaire, de quatre à cinq pouces de profondeur. Le coup avait été porté par la main gauche, de haut eu bas, et de dedans en dehors. Sannier lui dit :Vous voyez en moi un homme assassiné j'ai bien un peu provoqué cette chose-là, mais s'il n'y avait pas deux coups de pistolet de tirés quand j'ai donné te coup de bâton il y en avait au moins un. 

M. le président: Vous a-t-il dit quand son bâton s'était brisé ?

Je crois avoir entendu que c'était au premier coup. 

M. le docteur a entendu répéter les menaces faites à M Sannier par Frilay. Si vous ne voulez pas, vous vous en repentirez, vous verserez des larmes de sang, vous ne savez pas jusqu'où peut aller la vengeance d'un prêtre irrité. 

Le président: Vous avez accouché la dame Sannier?

Oui Monsieur. L'enfant était mort. 

Sannier n'a-t-il pas toujours manifesté l'intention d'étouffer cette affaire ? 

Oui.

M. le docteur Morel dépose des mêmes faits. Sannier lui dit Je suis très certain qu'un coup de pistolet avait été tiré quand j'ai donné le coup de bâton. Sannier lui dit aussi que Frilay était dans un état horrible; il avait l'écume a la bouche.

La liste des témoins est épuisée. il est plus de sept heures, l'audience est levée, et la cause est renvoyée a demain pour le réquisitoire de M. Boucly avocat-général, et la plaidoirie de Me Bademer, défenseur de l'accusé. 

L'audience du 15 mai


La force armée a été doublée, et le réquisiton du ministère public est écouté en silence.

M. Boucly, avocat-général, prend la parole, et dans un discours où la profondeur de la discussion n'est pas moins remarquable que la précision des arguments et la modération des formes, il termine par une péroraison que nous regretterions de ne pas reproduire textuellement, tant les doctrines qu'elle consacre nous paraissent en harmonie avec les idées dominantes de notre époque, avec les vrais intérêts de la religion, avec les opinions que nous n'avons cessé de professer dans toutes les circonstances analogues a celles qui ont amené Frilay sur le banc des accusés.

"Vous ne serez pas de ceux qui pourraient penser que quelque chose de la honte du châtiment puisse jamais rejaillir sur le saint caractère dont Frilay était revêtu. L'impunité d'un tel crime serait le plus grand des scandales il n'y en a pas dans le châtiment du crime.
Et vous dignes pasteurs, qui, dans la pénible carrière des vertus apostoliques, avez des consolations pour toutes les douleurs, des bienfaits pour toutes les misères, des pardons pour tous les repentirs, vous dont les préceptes sont si doux, les exemples si sévères, vous qui portez au ciel nos prières et nos vœux, vous gémirez sur le malheureux dont le crime appelle les vengeances des lois, vous ne craindrez pas que la honte qui va tomber sur son front puisse jamais atténuer en rien le respect profond que nous inspirent votre caractère et vos vertus; seulement vous prierez avec ferveur pour que ce ministre dégrade, ea subissant les expiations de la loi humaine, se souvienne qu'il est un autre juge dont la miséricorde infinie ne laisse jamais couler en vain les larmes du repentir."

Pendant ce réquisitoire, le curé Frilay est resté immobile et comme anéanti.

Après une courte, suspension d'audience, la parole est donnée au défenseur de Frilay.

Le verdict


Aprés les répliques successives, les jurés sont entrés, à quatre heures et demie, dans la salle de leurs délibérations, et en sont sortis que vers huit heures. Le jury, à la majorité de 7 contre 5, a déclaré l'accusé coupable de tentative de meurtre. La Cour s'étant réunie h la majorité du jury, l'abbé Frilay a été condamné aux travaux forcés à perpétuité, au carcan et a la marque des lettres T. P.

Frilay a entendu le terrible arrêt avec la même impassibilité que le réquisitoire du ministère public. Il n'a pas proféré une parole, et les gendarmes l'ont reconduit dans sa prison.

Après le procès 

On lit dans les journaux de Rouen, qu'après sa condamnation, le curé Frilay a éprouvé une attaque d'épilepsie qui a duré trois heures. Il s'est pourvu en cassation. 

28 mai : Plusieurs portraits de l'abbé Frilay ont été mis en vente, mais tout le monde s'accorde à dire qu'ils ne rendent pas exactement les trails du curé. Nous nous faisons un plaisir d'annoncer un nouveau portrait gravé sur cuivre, et dont nous garantissons la parfaite ressemblance.  Il se vend chez GAUDIN, libraire, rue Saint-Lô, n° 10, chez qui l'on trouve aussi la relation du procès.

24 juin : la cour de Cassation rejette le pourvoi de Frilay.

On écrit de Rouen, 10 novembre. – Hier à midi l'abbé Frilay a été attaché au carcan et flétri sur la place du Vieux-Marché. Inutile de dire qu'une foule immense s'était portée sur cette place, et nul doute qu'elle  n'eût été bien plus considérable encore si la nouvelle de  l'exécution, que nous connaissions depuis deux jours, avait été rendue publique: l'abbé Frilay ignorait lui-même à onze heures et demie le sort qui lui était réservé. Ce qu'on aura peine à croire, c'est qu'il se soit trouvé des hommes et des femmes pour battre des mains et crier bis lorsque le bourreau appliquait son fer rouge sur le patient ! Comment se fait-il qu'on ne songe pas à laisser de genddarmes à la garde de l'échafaud, après l'heure de l'exposition ? Hier, la fatale charrette s'était à peine éloignée, que  de jeunes enfants montaient sur l'échafaud, pour y jouer à la place même... Est-ce donc là l'exemple que le législateur a voulu donner ?

Aussitôt, L'Ami de la Religion et du Roi s'insurge : Le 9 novembre, un ecclésiastique impliqué dans un procès dont tous les journaux ont retenti a subi à Rouen une peine infamante: il s'appelle Frilay. On nous dispensera de raconter son affaire; mais ce qui nous paroît caractériser notre époque, c'est que la peine que subissoit le malheureux a été un sujet de joie et de triomphe pour une populace grossière, qui sembloit se repaître de l'humiliation d'un prêtre. Toutes les feuilles libérales ont rapporté le fait, et ont l'air de s'étonner de cette lâche et barbare insulte, comme si ce n'étoient pas elles qui l'avoient provoqué par le ton qu'elles prennent à l'égard des prêtres et par tout ce qu'elles font pour appeler sur eux la haine et le mépris du peuple.
Comment seroit-il possible que la multitude ne se réjouit pas de la honte de ceux qu'on lui peint, tantôt comme ses ennemis, tantôt comme des fanatiques emportés, tantôt comme de misérables hypocrites? Vous dénoncez chaque jour les prêtres, vous vous plaisez à révéler ou à grossir contre eux les accusations les plus sinistres, vous accueillez tout ce qui peut les avilir ; le peuple vous comprend très bien, et cette joie féroce qui vous étonne est le résultat naturel de vos déclamations et de vos invectives, sur des esprits grossiers.

En 1831, Frilay devait faire partie de la caravane de forçats en partance pour les travaux forcés. Une intervention du clergé lui permit d'être isolé de la foule et conduit discrètement dans une voiture particulière. Frilay retrouva vite la liberté. En 1869, il fut réhabilité.


Annexe

Le débat suscité par l'affaire Frilay



Le journal des débats eut, après avoir relaté le procès, matière à réflexion :

En suivant avec attention le procès de Frilay on est étonné de voir par quels degrés il est impunément arrivé jusqu'au dernier crime qui a entraîne ou plutôt qui a consomme sa perte. Comment une conduite qui avait excité tant de réclamations, qùi avait armé contre cet indigne prêtre la défiance de tant de familles, qui défendait aux parents de permettre entre leurs jeunes enfants et lui les communications les plus impérieusement commandées par l'exercice de son ministère, comment, dis-je tant d'actions scandaleuses avaient-elles échappé à la surveillance de l'autorité ecclésiatique ? Comment M. l'archevêque de Rouen, comment à son défaut les grands-vicaires auxquels des fonctions éloignées et étrangères obligent ce prélat à abandonner l'administration de son vaste diocèse, se sont-ils bornés à des déplacement qui ne faisaient que multiplier les théâtres des crimes de Frilay, qui les facilitaient même, en livrant tous les six mois à ses désordres de nouvelles victimes, sans garantie contre lui, par l'ignorance où on les laissait de sa mauvaise réputation? Quand une interdiction absolue eût-elle été plus légitimement motivée ?

N'y a-t-il donc point là négligence répréhensible et oubli des premiers devoirs? Malheureusement, et nous le disons avec douleur, parmi nos princes de l'Eglise, et mêm dans les divers degrés de la hiérarchie sacerdotale, il existe des ministres qui, respectables sous mille rapports, se jettent dans le tourbillon des intrigues politiques, et qui distraits des soins de leur ministère sacré par ceux qu'ils donnent à des objets temporels, s'exposent au double péril de faire ce qui devrait leur être étranger, et de négliger ce qui devrait être l'unique objet de leurs travaux et de leurs méditations. Calcul désastreux qui perd tout en voulant tout confondre, et qui, en mêlant les choses du monde aux choses du Ciel, accoutume les peuples à porter sur la conduite des ministres de la religion la liberté d'examen et de contrôle qu'il a le droit d'exercer sur les personnages politiques.
Que les prêtres restent renfermés dans l'enceinte de leurs augustes fonctions. Alors les chefs surveilleront leurs subordonnés, alors les scandales seront prévenus, alors la religion, pure de tout alliage terrestre reprendra avec son éclat, son heureuse et salutaire influence sur les coeurs. Les Frilay, s'il était possible qu'il s'en trouvât de nouveaux seront arrêtés sur les premiers pas du crime; et le sacerdoce à l'abri de préventions et de défiances funestes, ne recueillera que le respect et les bénédictions des peuples. 

Quelques années après l'affaire Frilay, le curé des Grandes-Ventes puis le celui de Duclair seront arrêtés pour pédophilie. 

Laurent QUEVILLY.




SOURCE

Journal des débats politiques et littéraires - Mai 1830