En 1908, Parfait Paôn, l'instituteur, demanda à Sever Boutard, ancien maire de Jumièges, de raconter ses mémoires. Elles sont truculentes...
Mes débuts à l’école

Nous avions à cette époque au dit hameau comme maître d’école un nommé Beaufils qui joignait à cette profession celle de vannier, ce qui n’était vraiment pas trop pour qu’il puisse manger du pain, lui et sa femme.
J’ai commencé à aller à son école en 1836. J’avais donc 6 ans. La classe n’était pas précisément un palais, mais simplement une aire de terre battue très restreinte et qu‘abritait une vieille bicoque tenant à peine debout. Nous étions là-dedans en moyenne une vingtaine d’élèves.
Cette classe était chauffée en hiver par un poêle de potin qu’on alimentait avec des fagots que les élèves étaient tenus d’apporter chaque jour. Et comme il nous arrivait souvent d’oublier d’en prendre chez nous, nous mettions des haies à contribution pour réparer cet oubli.
Je me rappelle encore, quoique bien jeune, l’impression que j’ai ressentie la première fois que j’y suis allé.
Nous étions arrivés un peu avant l’heure réglementaire. Le bonhomme était encore occupé à faire des paniers. Tout à coup, un bruit de pas se fait entendre devant la porte et Mme Beaufils qui nous surveillait – une grosse femme de 75 à 80 kg – s’écrie d’une voix de stentor « silence mes enfants, voici votre maître ».
Aussitôt la porte s’ouvre, et je vois entrer un homme d’un aspect vénérable, chaussé de gros sabots rouge sans brides, dites « sabots à la commette », pas de bas, des chaussons seulement en toile bise, un pantalon, un gilet, et une casaque de la même étoffe, coiffé d’un bonnet bleu « à la république » dont la mouquette lui tombait sur l’épaule droite ; avec son air débonnaire et son accoutrement, j’étais bien près de rire, tant il me semblait drôle. Mais ce qui m’a fait garder mon sérieux, et m’a même impressionné, c’est qu’il était armé d’une grande baguette en osier blanc d’une longueur qui me semblait énorme et avec laquelle il aurait sûrement pu, de son bureau, nous atteindre dans tout les recoin de notre petit palais.
Mais j’eus bientôt acquis la certitude que l’arme qui m’avait paru si redoutable et fait tant peur était à peu près inoffensive, car on se s’en servait presque jamais.
La fête du coq
Une fête que le père Beaufils avait l’habitude de célébrer tous les ans au mardi gras et qu’on appelait « la cérémonie du coq » mais à laquelle je n’ai pas pris part puisqu’elle fut supprimée peu avant mon entrée à l’école, constituait en ceci :
Les élèves les plus aisés apportaient, les uns de la graisse, les autres de la farine, des pommes ou du cidre pour faire des plaques ou des beignets. Le père Beaufils fournissait le coq auquel on attachait des rubans à la queue et qu’on lâchait dans la plaine. Comme il avait à ses trousses la bande de gosses, je n'ai pas besoin de vous dire que le volatile y mettait du sien ! Néanmoins il finissait toujours par succomber sous le nombre de ses poursuivants, et celui qui avait le bonheur de le saisir le premier était nommé le roi du festin qui avait lieu à midi si toutefois le coq était cuit à point, car c’était par lui qu’on commençait.
Mais le plaine dans laquelle se livrait la course au coq est marécageuse. Les raies séparant les pièces de terres entres elles sont très profondes, et la Seine à cette époque se tenant constamment haute, il n’était pas rare de voir dans les dites raies 40 à 50 cm d’eau. Et comme en se chamaillant ou en voulant saisir le coq, un certain nombre d’entre les gamins prenait un bain par trop refroidissant, dont paraît-il quelques-uns furent malades, les parents se sont opposés à la fête qui a été supprimée.
Le battage du beurre
Mais il restait encore un usage, dont j’ai été le héros. C’était le battage du beurre par les élèves.
Notre maître d’école louait une petite masure qui lui permettait d’avoir une petite vache. La mère Beaufils qui aimait bien sa petite tranquillité, avait pris l’habitude de faire battre son beurre par les élèves. Comme c’était la troisième année que j’allais à l’école et que j’étais parait–il assez fort pour mon âge, la bonne femme me chargea de cette mission, ce qui ne m’allait guère, je dirais même pas du tout ; mais j’avais l’ordre formel, il fallut obtempérer.
Je me mis donc à la besogne, d’assez mauvaise humeur. L’aire de notre boite était très inégale, comme un chemin tortueux qui monte et descend. Le pot se trouvait sur un monticule. Il me paraissait mal assuré. Pourtant dans mon inexpérience (je n’avais jamais battu le beurre) je supposais que le pot devait conserver son équilibre. Faux calcul ! Au premier coup de batteron, le maudit pot tourne sur lui–même, et comme une personne ivre, s’abat dans le trou qui se trouvait au bas de la hauteur sur lequel il était placé. La crème était dans le trou, le pot avait l’anse cassée. Décrire ma stupeur serai impossible. Je me croyais perdu sans ressource.
La mère Beaufils était blême de colère prétendant que j’en avais fait exprès. Il me semblait déjà voir le maître armé de sa terrible baguette qui m’avait tant impressionné le jour de mon entrée en classe venir me la briser sur le dos. Mais point du tout : ce fut la bonne femme qui s’élança vers moi comme une furie ; et qui me gratifia avec ses doigts crochus de deux maîtresses gifles dont je me suis souvenu longtemps.
Mais le maître se leva de son siège, et, raide comme la justice, prit sa femme par le bras, la força à s’asseoir, blâmant l’acte qu’elle venait d’accomplir, lui disant qu’elle n’aurait de cesse qu’elle lui eut fait perdre son pain, et qu’il la prévenait que dorénavant il défendait expressément qu’aucun élève de sa classe ne batte le beurre, que ceci le regardait désormais… Encore un usage disparu...
Mais la mère Beaufils a été alitée huit jours. C’est égal, j’avais reçu deux maîtresses gifles ! Mais je n’aurai pas changé ma situation pour la sienne… Et puis enfin, j’étais rassuré à l’égard de la terrible baguette !
Les instituteurs, les institutrices...
A cette époque, c'est–à–dire vers 1839, il y avait déjà dans la petite commune du Mesnil-sous-Jumièges un instituteur sorti de l’école normale, un Picard nommé Henry qui y enseignait depuis plusieurs années. On commençait à faire la guerre à nos instituteurs de hameaux qui faisaient la sourde oreille autant que possible.
Mais en 1840, il en vint un à Jumièges, et l’on défendit expressément au propriétaire du père Beaufils qu’il soit tenu une classe dans sa boite. Le bonhomme dut se résigner. Mais comme il y allait de son pain, il chercha un autre domicile où il pourrait tenir sa classe. Il trouva ce qu’il cherchait tout à l’extrémité du hameau de Conihout, quartier des Haugues.
Malheureusement le nouvel emplacement était encore plus défectueux que celui qu’il était obliger de laisser. Et la première journée vers deux heures de l’arrière-flot, nous nous aperçûmes tout à coup que nous avions de l’eau jusqu’aux genoux et que nos tables et nos bancs tournoyaient comme s’ils eussent été enchantés. Chacun de nous s’empressa de sauver ce qu’il put du naufrage, et nous disparûmes sans espoir de retour. Ce fut la fin de l’école des hameaux.
J’aurais bien voulu aller à l’école du Mesnil, mais comme mon père était conseiller municipal, il prétendit que je devait aller à l’école de l’instituteur du pays. Je dus donc obéir, mais cela causa un préjudice assez grave au peu d’instruction que j’était appeler à recevoir : cet instituteur nommé Moignard, trouvait le moyen de ce saouler régulièrement sept fois par semaine. Il me semble encore voir un inspecteur lui laver la tête à l’effet de son inconduite, tandis que nous ne pouvions nous empêcher de rire en voyant sa chemise sortir de plusieurs endroits par le derrière de son pantalon ! ...
Je n’ai pas besoin de dire que ce monsieur, qui n’était pas souvent dans son esprit normal, nous punissait souvent à tort, ce qui n’était pas fait pour lui attirer les sympathies de ses élèves. En ce qui me concerne, je l’avais tellement en aversion que je préférais faire l’école buissonnière que d’aller en classe, funeste habitude que j’ai conservée encore quelque temps, quand je suis allé à l’école du Mesnil –– car le dit Moignard n’a pas tardé à avoir son changement (je crois même qu’il a été révoqué de ses fonctions) ; comme Jumièges fut un certain temps sans instituteur, je suis donc allé à l’école du Mesnil…
Mais la chose n’était pas facile, en hiver surtout, car il nous fallait traverser le marais communal, qui était constamment recouvert d’eau pendant quatre à cinq mois de l’année. La seule chaussée, nommée Chaussée Cabeuil, car elle se composait uniquement de grosses pierres en gré espacées de 60 à 80 cm les unes des autres. La dite chaussée pouvait avoir cent mètres de long et sur la moitié de sa largeur il se trouvait un bas-fond où il y avait toujours de 50 à 70 cm d’eau, comme cette eau allait un jour du Mesnil à Jumièges et un autre jour de Jumièges au Mesnil, selon la situation des vents, cela formait un courant assez rapide ; et quand les pierres étaient mouillées, soit par la pluie ou le verglas, il nous est arrivé plus d’une fois, malgré notre habitude et notre équilibre de gamins, de ne pas effectuer la traversée sans encombres. L’essentiel, c’est qu’aucun d’entre nous n’y est resté (il est bien entendu que les filles habitant le Conihout ne pouvaient fréquenter l’école pendant l’hiver).
Cependant, les choses commençaient à s’améliorer, et les habitants du hameau du Conihout, sous la direction de leurs conseillers municipaux, résolurent de faire à la corvée une chaussée convenable que l’on pourrait en toute saison emprunter à pied ou en voiture. Il me semble encore voir notre maître venir tous les soirs, sa pelle sur son épaule, chaussé de demi-bottes dans lesquelles il fourrait le bas de son pantalon, apporter son aide, pas bien considérable j’en conviens, mais enfin volonté y était – aux travailleurs plus expérimentés que lui. Ce fut un bon exemple.
La chaussée du Landin suivit presque immédiatement, toujours à la corvée, la digue des pierres de la Huette et autres, de sorte que, vers 1845, on pouvait en toutes saisons circuler dans le-dit marais. La jonction du hameau de Conihout et de celui du Sablon était en fait accomplie. D’un autre coté, la chaussée Cabeuil nous donne accès au Mesnil, le problème était résolu ; de sorte que rien ne s’opposait plus à ce que nous allions à l’école au Mesnil, puisqu’il n'y avait plus, pour le moment d’instituteur à Jumieges.
D’ailleurs, l’instituteur du Mesnil faisait d’assez bons élèves ; mais comme sa classe était mixte, elle se trouvait trop chargée : j’ai vu parfois jusqu'à soixante élèves, et même plus ! Les élèves selon leur degré d’instruction, payaient 75 centimes, 1 franc et 1,25 par mois. Nous avions pour livres : la Syllabe, la Jeunesse chrétienne, le Psaumier, l’Histoire de France et le Manuscrit. Nous usions peu de papier. Pour le calcul, nous nous servions d’ardoises. Nous avons encore utilisé la plume d’oie pendant quelque temps. Mais vers 1841 ou 42, la plume d’acier fit son apparition et détrôna complètement la plume d’oie.
J’avais douze ans à cette époque et j’avais une très bonne mémoire. j’aimais bien nom maître, mais je n’aimais guère l’école. Et puis il y avait du travail à la maison. Mon père, qui était petit propriétaire-cultivateur ne manquait pas souvent d’ouvrage. Je quittais donc l’école pour travailler aux champs.
Je n’ai pas besoin de dire que mon instruction n’était pas des plus brillante : je lisais bien, j’écrivais assez bien, je connaissais à peu près mes quatre premières règles, mais quant à l’orthographe, ça n’a jamais pu entrer dans ma tête ! Enfin, pourrais-je dire que contrairement à beaucoup d’élèves de ma sorte, qui sortent de l’école avec une petite instruction et de perdre petit à petit, faute de pratiquer, comme j’ai beaucoup lu, j’ai peut être augmenté un peu la mienne, si cela se peut dire.
Si la mémoire m’est fidèle, le sus-dit Moignard fut remplacé à Jumièges par un nommé Philippe, enfant du pays, jeune homme instruit, disait-on ; jouissant de l’estime générale, montrant très bien, appelé à faire de bons élèves. Malheureusement il était atteint d’une maladie de poitrine qui ne tarda pas à le conduire au tombeau. Il tenait l’école, ainsi que son prédécesseur dans la maison où réside aujourd’hui Hybert Aisné.
Il a dû être remplacé par un nommé Maillon, très bon instituteur aussi, qui s’est contraint à ses débuts de tenir sa classe dans une vielle bocasse appartenant à cette époque à un nommé Delamare, et actuellement à Mme Lepel-Cointet. C’était du reste la maison commune où siégeaient à cette époque les représentants de la commune.
Mais déjà le progrès se faisait sentir et nos braves édiles, reconnaissant l’inefficacité de ces vielles boites ouvertes à tout les vents, se décidèrent, à la grandes stupéfaction des oies enculottées du pays (il y avait à cette époque des oies enculottées à Jumièges, il y en a encore aujourd’hui) à faire bâtir une mairie, à laquelle ou adjoignit une classe, maison et salle pour l’instituteur. La classe devenue insuffisante a dû être rallongée, mais comme elle n’a guère de hauteur sous plafond, elle est encore loin d’avoir le cube d’air voulu pour les élèves qui la fréquentent. Quand a la mairie bâtie en 184?, elle fait encore bonne figure sur la place de Jumièges, et c’est M. Naillon qui, le premier des instituteurs, a eu l’honneur de l’habiter.
M. Naillon qui resta bien plusieurs années à Jumièges, fut remplacé par un nommé Gruley, très bon instituteur aussi, mais aimant un peu trop à lever le coude ; néanmoins, il était très aimé de ses élèves, et assez bien vu par les habitants. Il resta aussi plusieurs années parmi nous.
Il fut remplacé par un nommé Debuly, qui ne resta que quelques années, et fut remplacé par un nommé Martin qui n’est resté qu’une année ou deux, et fut remplacé à son tour par un nommé Evrard, lequel ne resta également que quelque années et fut remplacé par un nommé Tabouret, actuellement instituteur à Saint-Aubin-Celloville, celui–ci resta assez longtemps parmi nous, et a été remplacé par M Paôn, l’instituteur actuel.
Quand aux institutrices qui se sont succédé jusqu’au jour où M. Achille Grandchamp, ancien maire de Jumièges, eut fait bâtir une école pour les filles, elles avaient été un peu mieux logées.
C’est une demoiselle Mutel qui est venue la première à Jumièges. Elle tenait sa classe d’abord dans une maison située en haut du bourg, appartenant aujourd’hui à la veuve Émile Carpentier. Elle est descendue ensuite un peu plus bas, dans un local appartenant aujourd’hui à M. Delametterie. Ces deux maisons étaient assez confortables pour l’époque, et l’on pouvait y tenir la classe sans inconvénient : l’école n'étant pas obligatoire, le nombre d’élèves était moins grand.
C’est une demoiselle Lauron qui a remplacé Mlle Mutel, celle ci étant décédée. Et c’est elle qui, quelques années plus tard, eut l’honneur d’étrenner en 18.. l’école donnée par M Grandchamp et qui est encore aujourd'hui un modèle du genre.
Après Mlle Lauron, il y eu une dame Bohut, et une autre dont j’ai oublié le nom. Ces deux dernières sont restées peu de temps (Mme Bohut surtout). Elles ont été remplacées par Mme Jourdain qui est restée assez longtemps et a été remplacée par Mme Leclerc, l’institutrice actuelle.
Voici pour le corps enseignant, ce que mes souvenirs me permettent de rappeler. Et je dois dire que si tous n’ont pas été à la hauteur de leur mission, le plus grand nombre d’entre eux s’en sont montrés très dignes.
Avant de terminer, je dois cependant réparer un oubli. En parlant d’école des hameaux, j’ai oublié de mentionner celle du hameau du Sablon, située a peu près a 100 mètres au dessus du carrefour aux Cinq-Chemins, dans une masure appartenant aujourd’hui a un nommé Laurent Mazot, et dirigée par un nommé Le Painteur.
A titre de curiosité, je suis allé une demi journée dans sa classe. Voici comment :
J’avais pour voisin un camarade qui, lui préférait aller à l’école du Sablon plutôt qu’a celle du Mesnil. Comme je lui demandais si le maître d’école aussi bien costumé que le père Beaufils, il me répondit qu’il était superbement vêtu, tout en drap bleu, coiffé d’un haut-de-forme, un peu flétri par les années il est vrai – mais n’en était–il pas que plus respectable ? Que je devrais venir le voir, que je serais le bienvenu.
Ma foi, comme c’était en partie ma route, s’y suis allé, et le bonhomme m’a reçu cordialement quand il aurait pu me flanquer à la porte !...
Coutumes et superstitions
Maintenant, qu’il me soit permis de raconter quelques vieilles superstitions qui existaient dans le pays et qui ne sont pas encore complètement disparues.
Avant de parler de sortilèges et de bête blanche à laquelle beaucoup de personnes croyaient fermement, je parlerai du feu de la Saint-Jean, qui existe encore actuellement au hameau du Conihout, quoi qu’on en ait supprimé ce qu’il y avait de plus risible.
Le feu de la Saint Jean
Autrefois, les moines de l’abbaye de Jumièges faisaient, parait–il blanchir leur linge par Sainte Austreberthe, résidant à la chapelle qui existe encore actuellement à la Fontaine, près de Duclair. C’était un âne qui faisait le service. C'est–à–dire qu’il allait chercher le linge sale des Religieux, et le reportait quand il avait été blanchi par les soins de la dite sainte.
Pour faire le trajet de la Fontaine à l’abbaye de Jumièges, il avait l’habitude de traverser la forêt de Jumièges, ce qui était d’ailleurs le chemin le plus court. Mais un certain jour, l’âne ne rentrant pas à son heure habituelle. Sainte Austreberthe, inquiète, se mit à sa recherche ; et trouva dans la forêt un loup en train de dévorer son âne.
Sainte Austreberthe, outrée de tant d’audace, et de cruauté, changea le loup en bourrique, lui intima l’ordre de se nourrir d’herbe, et de faire le service dont s’acquittait si bien son fidèle messager qu’il venait de dévorer. Et, de couleur fauve qu’il était, le changea en couleur verte, tel qu’était son âne.
La légende ne dit pas si le loup ainsi métamorphosé s’acquitta bien de la fonction dont on venait de le charger. Ce qu’il y a de certain, c’est que pour perpétuer le souvenir de cet événement on désigna le lieu sous le mon de « Croix de l’âne » ; et que l’on peut encore aujourd’hui voir sur le chêne au pied duquel l’âne fut dévoré cet écriteau en forme de croix, portant cette inscription … Cet endroit est tout proche de la chapelle de la vierge érigée sur le bord du chemin traversant la forêt de Saint-Paul à Jumièges, à laquelle vient encore beaucoup de monde en pèlerinage, surtout du Roumois.
Mais venons en a la frairie dite de Saint-Jean. Cette frairie a pour habitude, chaque année, de faire un feu le soir du 23 juin au hameau du Conihout, dans la, propriété de celui qui est pour l’année maître de la dite frairie.
Anciennement, les frères venaient en procession, croix et bannière en tête, dans la basse après-midi du 23 juin. Ils devaient, à la sortie du hameau, prendre la rue Saint-Jean, et la suivre jusqu’au chemin vicinal de la Haisette qui les conduisait a la place du Chouquet qui se trouve à l’entrée du bourg de Jumièges. Là, le curé, avec son clergé, venait les chercher pour se rendre en procession à l’église où le curé leur disait les vêpres.
La cérémonie finie, clergés et frères, retournaient tous en procession là où le feu devait avoir lieu. Le clergé bénissait le feu. On chantait le Te Deum en tournant tout autour. Et on l’allumait, en tirant force coups de pistolet.
C’est à ce moment, vers dix heures du soir, que la cérémonie devenait le plus risible. Le Maître Frère devait se déguiser en loup vert, en souvenir du loup de la légende.
Il me semble encore le voir, avec sa robe verte, une espèce de toque sur la tête, en forme de tuyau de poêle, toute verte, avec un gros pompon vert en haut. Le pauvre homme, très fier de son costume, n’en était pas moins cocasse, et émerveillait tous les gamins.
Mais il y avait des règles à respecter. Les frères devaient « courir la baguette », ce qui n’allait pas toujours sans encombre. Voici ce dont il s’agissait : celui qui devait remplacer le Maître Frère pour l’année courante devait prendre la baguette. S’il se trouvait trop âgé pour cet exercice, il pouvait se faire remplacer par un jeune. Gare alors aux épaules de la corporation ! Le loup vert et les dix autres frères devaient se tenir par la main sans se lâcher. Il leur fallait prendre trois fois celui qui avait la baguette ; et faire le simulacre de lui mettre chaque fois les pieds dans le feu. Après quoi, on pouvait aller souper.
Mais la chose n’était pas toujours facile, et n’allait pas souvent sans quelques bousculades plus ou moins sérieuses. Qu’on se figure un individu jeune et vigoureux, armé d’une grande baguette en osier, et pouvant se cacher parmi la foule, souvent très nombreuse, qui entourait le feu, et en sortir à l’improviste pour frapper sur les épaules de ses collègues qui se tenaient tous par la main, et, comme je l’ai dit plus haut, ne pouvaient pas se lâcher.
Il ne pouvait donc être saisi que par le frère de tête ou celui de queue, mais comme il avait toujours soin de frapper sur le milieu de la colonne, il s’en suivait un mouvement indescriptible. Car la colonne, à la poursuite de celui qui les rossait si bien, ne regardait pas toujours par où passer; et il n’était pas rare de voir quelque bonnes femmes, bien inoffensives pourtant, renversées pèle mêle sur le champs de bataille. Alors les belligérants parlementaient, et celui qui était armé de la baguette se laissait prendre afin de satisfaire le règlement et de pouvoir aller prendre un repas bien gagné.
Les frères partis, la foule se dispersait : les jeunes gens pour aller danser, et les autres pour aller sous la tente du mastroquet prendre une consommation parfois un peu prolongée.
Les plus superstitieux – il y en avait ! – Restaient auprès du feu jusqu'à sa presque entière consommation, s’armaient d’un tison, et l’emportaient à leur domicile pour se garantir de la foudre pendant l’orage.
D’autres, à minuit frappant, allaient dérober un lien de seigle dans la pièce de leur voisin, et le conservait comme une pierre précieuse pour la guérison du mal au ventre de leurs animaux, auxquels ils entouraient le ventre avec le-dit lien, remède infaillible, car l’animal atteint en mourait ou guérissait…. On a même vu des femmes attendre que minuit sonne pour aller nues se rouler dans la pièce de seigle de leur voisin pour se préserver du mal au ventre !
Les frères allaient donc se mettre à table, accompagnés du curé et des chantres, selon l’usage et le règlement. En souvenir du loup de la légende, on ne mangeait que des légumes en guise d’herbe. Le repas fini on chantait « pain béni », et comme il était expressément défendu de prononcer une parole avant que l’on ait chanté « pain béni », on se rattrapait après en chantant la chanson de saint Jean, un peu guillerette il est vrai, mais c’était le règlement… Après quoi, on allait se coucher quelques heures, tout en se promettant bien de faire honneur au repas du midi qui devait être plus plantureux.
Mais avant, il fallait à nouveau se rendre en procession a l’église, ou il y avait une grand’messe, pendant laquelle plusieurs frères tiraient force coups de pistolets au dehors, derrière le cœur de l’église.
La messe dite, on se remettait en route, clergé en tête, pour aller au repas. Et les frères tireurs ne se faisaient pas faute de brûler leurs cartouches dans les oreilles des passants, ce qui ne plaisait pas à tout le monde. Il a pourtant fallu qu’un accident très grave se produise pour abolir cet usage un peu barbare – le pistolet d’un des frères tireurs lui ayant éclaté dans la main, lui enlevant trois doigts. Il faut croire que ce n’était pas le règlement, car, depuis ce malheureux accident, les armes a feu ont été supprimées.
Et puis, petit à petit, les mœurs se sont adoucies, on a commencé au repas du soir par substituer aux légumes les œufs et du poisson. Au lieu d’aller en procession, le soir du 23, pour entendre les vêpres, on y allait en voiture, et revenait de même, ainsi que le lendemain.
On a également supprimé la baguette et le loup vert. Le curé se rend encore le soir pour bénir le feu, chanter le Te Deum et partager le repas du soir et celui du lendemain, mais le cérémonie se passe correctement …
Pourtant, le soir du feu, on enlève encore quelques tisons, mais le lendemain, jour de la fête, il ne s’y trouve presque plus de monde. Encore un vielle coutume en train de disparaître …
La bête blanche
La bête blanche était la terreur des gens superstitieux, et il y en avait beaucoup à cette époque. Peu de personnes l’avait vue, mais pour sur, elle existait, et elle devait être effrayante puisqu’elle l’apanage des sorciers – et on en connaissait dans le pays.
Celui qui écrit ses lignes se rappelle encore d’avoir été apostrophé par le curé de la paroisse, et de la belle manière, relativement de la bête blanche que ce digne ecclésiastique croyait avoir vue, ce qui l’avait terriblement effrayé ! Voici ce qui s’était passé :
Un nommé Linard, cordonnier demeurant dans une petite maison appartement aujourd’hui à M. Delametterie et située au bas du clos en labour attenant à la masure de défunts mes parents avec lesquels je résidais à cette époque, passait pour faire voir la bête blanche. (C'est-à-dire qu’on le croyait sorcier, et capable d’évoquer le monstre pour effrayer les honnêtes gens !).
Un nommé le père Leblanc, aide-pêcheur, à la Seine d’un nommé Fournier, regagnait son domicile vers neuf ou dix heures du soir, quand un besoin pressant le força a s’arrêter au pied d’un chêne situé à quelques mètres de la masure du père Linard.
Notre digne prêtre, lui, venait
d’administrer les
derniers sacrements à une veuve Fouquet, résidant
dans l’intérieur du
hameau du Sablon. Il était accompagné
d’un petit clerc portant les
accessoires et qui marchait derrière lui. Masqué par la masure Linard, il ne fut visible par le père Leblanc qu’à une vingtaine de mètres avant d'arriver a lui. Il faisait un clair de lune magnifique. Le bonhomme, surpris a la vue du curé, et étant tout au bord de la route, se redressa vivement, tout en voulant remettre sa chemise dans son pantalon sans pouvoir y parvenir en même temps qu’il tournait autour du chêne pour dissimuler la partie de son individu qu’il ne voulait pas laisser voir. |
Le curé de Jumièges était alors Jean-Philippe Provost, né le 6 juin 1793 au Sablon, à Jumièges. Son père était charpentier et clerc. Vicaire de Saint-François d'Assises, au Havre, en 1817, curé d'Yville en 1818, il fut nommé curé de Jumièges le 5 mars 1824. En 1860, il publia une Vie et miracles de saint Valentin, ouvrage bien naïf pour le membre de la société française d’archéologie qu'il était. Il est mort en fonction le 12 août 1874, à 81 ans. |
Mais son petit clerc, plus alerte quoi que moins effrayé, donnait de vigoureux coups de pieds dans les jambes du bon curé qui, à bout d’haleine, fut obligé de s’arrêter, et forcé de constater qu’il n’y avait pas de bête à ses trousses.
Néanmoins, la chose fit du bruit ; ce digne ecclésiastique avait tellement été effrayé qu’il était persuadé d’avoir vu une énorme bête blanche. Et malgré que son petit clerc affirma que la bête lui avait paru plutôt petite, et fait l’effet d’un homme, il ne voulut pas en démordre, et raconta à qui voulait l’entendre que la bête blanche qui faisait voir le sus-dit Linard existait bien.
La mère Leblanc, à qui son père vendait de la boisson, nous raconta le lendemain la situation critique dans laquelle son mari s’était trouvé vis-à-vis de M. le curé, la peine qu’il s’était donné pour cacher la partie de son individu qu’il jugeait indécente de laisser voir à celui–ci, et la peur qu’il avait dû lui causer, à en juger par la vitesse de la fuite.
Le dimanche suivant, nous étions une douzaine à causer devant l’église en attendant que le prêtre vienne dire la messe – on allait encore à la messe en ce temps-là ! Naturellement, la question roulait sur ce qui était arrivé tout récemment à M le curé, quand il parut. Un des assistant lui dit : « Voyons, M. le curé, les bruits qu’on fait courir sont-ils exacts ? Est-il bien vrai que vous auriez vu la bête ? Est–elle aussi énorme comme on de dit ? »
M. le curé s’approcha du mur de l’église, et, désignant de sa main une espèce de « bulin » taillé dans le muret pouvant se trouvant à 2,50 m de haut : « Voilà à peu près sa hauteur », dit-il.
Moi, sans trop y réfléchir, et surtout avec la légèreté que l’on a à 20 ans, je lui dis : « Pardon M. le curé, la bête que vous avez vue n’est pas si grande que vous le dites, car c’est le flanquet de la chemise au père Leblanc que vous avez vu ; et vous savez que le père Leblanc est tout petit… » Sapristi ! J’aurais bien voulu retenir mes paroles, car notre digne prêtre se fâcha tout rouge, en me traitant de gamin et autres épithètes du même acabit…Tout penaud que j’étais, j’eus encore la force de lui répondre : « Pardon M. le curé, avec tout le respect que je vous dois, et tout gamin que je suis, je n’en ai pas moins le droit de dire la vérité !…»
Ceci se passait vers 1850. A peu près à la même époque, et dans le même quartier, se passait une autre histoire qui, celle-là, devait finir en Cour d’Assise.
La maison aspergée
Un nommé Deschette, journalier, enfant naturel marié à une fille du bureau dont la profession était d’élever des enfants de la même provenance, gardait sous son toit une jeune fille de 13 à 14 ans, pupille que l’hospice n’avait pas encore reprise. Elle aidait la femme Deschette – qui d’ailleurs était très bonne nourricière – à soigner les plus jeunes. Elle dormait dans un grenier au-dessus de la chambre des époux Deschette qui se trouvait au rez-de-chaussée et contiguë à la cuisine.
Or, tout à coup, les bruits se répandirent que le lit des époux Deschette était toutes les nuits inondé par une avalanche d’eau que l‘on versait dans le–dit grenier; et comme le plancher de celui–ci était mal joint, c’était le lit des époux Deschette et son contenu qui étaient victimes de l’inondation.
La jeune fille interrogée par ses nourriciers sur la provenance de cette eau, déclara que toutes les nuits, à la même heure, un petit homme tout noir, bossu et boiteux, mais d’une agilité surprenante, s’introduisait dans le grenier malgré que la porte fût soigneusement fermée, répandait plusieurs seaux d’eau dans le grenier, et disparaissait avec la même agilité qu’il y était entré, sans que l’on puisse savoir par ou il était sorti.
Il y avait évidemment là une chose surnaturelle. Et dire qu’il y avait déjà dans la commune un certain nombre — d’impies, bien entendu ! – qui avaient l’audace de rire de ces choses-là ! Quelle impiété ! Où allions nous ! La chose était pourtant indiscutable : plusieurs voisins affirmaient avoir vu, croire vu, l’infernal petit boiteux, un seau à la main. Il poussait même l’audace de temps à autre d’enlever une poule appartenant au père Deschette. Décidément, la situation n’était plus tenable : le bonhomme était exposé à être englouti par les flots dans son lit ; son poulailler était entièrement dégarni. Que faire ? La chose faisait du bruit ; il fallait en sortir.
On lui conseilla d’aller voir le curé de Louvetot. Ce digne ecclésiastique s’occupait, disait on, des choses surnaturelles. Là était le salut ! Il n’y avait pas à hésiter.
Un bon matin de fin mai, on partit pour Louvetot. Mais, soit que le père Deschette eut peur de faire la rencontre du petit homme noir, soit qu’il aimât la compagnie, il s’était adjoint un compagnon. De Jumièges à Louvetot, la route était longue, tout près de 6 lieues. Et puis la chaleur était forte. De plus on avait besoin de se remonter un peu le moral. De sorte que l’on fit plusieurs stations en route. Que diable ! On était déjà assez malheureux sans se laisser mourir de besoin.
Enfin on arriva vers 10 h. à Louvetot. M. le curé étant présent les reçut de suite et les pria de bien vouloir exposer le but de leur visite. Ce qu’ils firent, paraît-il, d’après ce qu’ils ont raconté plus tard, avec plus de bruit que d’éloquence. M. le curé pour se débarrasser de ses visiteurs plutôt importuns, leur offrit la collation, leur dit qu’il verrait à s’occuper de la chose, mais en attendant, il les engageait à retourner chez eux, et à faire le moins possible de stations en route.
Durant que le père Deschette et son compagnon revenaient à Jumièges tant bien que mal – plutôt mal que bien – voici ce qui ce passait au domicile du premier :
Plusieurs commères du quartier étaient la veille allées trouver M. le Maire pour le supplier de venir lui–même voir ce qui se passait, la chose en valait la peine. M. le Maire avait promis de ce rendre sur les lieux le lendemain à 5 h de l’après midi. Comme tout le hameau du Sablon avait aussitôt été informé de cet événement, un certain nombre de personnes s’étaient assemblées sur les lieux.
Aussitôt son arrivée, le premier soin du magistrat fût de faire mettre une échelle sur la couverture en paille de la maison, afin de pouvoir explorer le faîte de l’immeuble, dans le but de s’assurer si ce n’était point par là que le petit bonhomme noir entrait et sortait. Mais après un examen approfondi, M. le Maire déclara qu’il n’avait relevé aucune trace pouvant accréditer cette supposition.
– Mais par où sortait- il alors ? s’écrièrent plusieurs personnes.
Un jeune homme qui se trouvait parmi les curieux se mit à dire en riant :
– Par où sort–il ? Mais par où il est entré, pardié !
– Mais toi qui es si malin, ripostèrent plusieurs individus, dis nous au moins par ou il est entré !
– Par le trou de la serrure, pardié ! Ce n’est pas plus sorcier que cela ! Vous ne vous rappelez donc pas mes braves gens que, dans le temps ou les bergers étaient sorciers, on ne pouvait pas les tenir en prison avant qu’on ne se soit aperçu qu’ils sortaient par le trou des serrures. Bouchez le trou de la serrure, et le petit boiteux restera à la porte.
– Tiens !... mais tout de même ! s’écrièrent plusieurs voix. Et dire qu’on n’avait pas songé à cela !
Et l’on se mit à regarder la serrure que l’on trouvait agrandie. Plus de doute : le malin esprit passait bien par là. On avait la clef du mystère, et on allait se retirer, quand tout à coup on aperçut la silhouette de deux gendarmes. Que diable venaient-ils faire ici ? Car ces gens-là ne croient guère aux sorciers, mais en revanche, ils sont si curieux… Peut-être avaient–ils entendu parler de ce qui se passait ici…
En arrivant, ils étaient en train de s’entretenir de la chose avec M. le Maire quand le père Deschette et son compagnon apparurent. Ils n’avaient sans doute pas dû tenir compte des recommandations de M. le curé de Louvetot, car ils étaient saouls comme la bourrique à Robespierre – il faisait si chaud ! – Le père Deschette apercevant tout ce monde dans sa cour – on était bien une trentaine, mais comme il n’avait pas la vue bien claire, il évalua la foule à 200 personnes ; son compagnon affirmait qu’il y en avait au moins 300 ! – il entra dans une fureur bleue, se demandant ce que ce monde la pouvait bien venir faire chez lui.
Mais tout à coup, il crut apercevoir les bicornes des gendarmes. Décidément, la chose se compliquait. La colère fit place à la frayeur. Il se crut perdu, et tout en titubant, il s’approcha des gendarmes :
– Messieurs, leur dit il, je suis un homme mort. On en veut à ma vie ; et pourtant je ne suis pas un méchant homme, je n’ai jamais fait de mal à personne – Si M. le Maire était là, il vous l’affirmerait (M. le Maire était devant lui, mais il ne le voyait pas– extinction de vue !)
Puis continuant :
– Vous le voyez : on a violé mon domicile, envahi ma propriété… Aussi je viens me mettre sous votre haute protection, et me placer sous l’égide des défenseurs de la loi, auxquels J’ORDONNE de faire évacuer immédiatement ce nombre incalculable de monde qui sont dans ma propriété !
– Et moi, riposta le brigadier de gendarmerie, d’accord avec M. le Maire ici présent, je vous ordonne d’aller immédiatement vous coucher, car vous avez besoin de repos !
– C’est vrai… Mais la chaleur était si accablante. Et puis mais…
– Mais quoi ?
– J’aurai besoin que l’on m’aide : je suis si fatigué !
On conduisit le père Deschette prendre le repos dont il avait si besoin. Quand à son compagnon, il avait disparu, sans que l’on s’en soit aperçu.
Pendant ce temps, les gendarmes avaient interrogé la jeune servante, et finalement s’en étaient emparés. Les personnes présentes s’étaient retirées, tout en commentant les incidents de cette journée. Mais la plupart étaient encore convaincues que le petit boiteux passait bien par le trou de la serrure, ainsi que le jeune homme en question leur avait affirmé. Il avait bien l’air un peu goguenard, c’est vrai, mais finalement il avait dû dire la vérité.
Quelques jours plus tard, les bruits se répandirent tout à coup que les gendarmes étaient venus chez un nommé Hybert, charron, assez proche voisin du père Deschette et, après avoir interrogé un ouvrier que le père Hybert occupait depuis un certain temps, l’avaient arrêté. Cet individu, déjà d’un certain âge, fut traduit en Cour d’Assise, sous l’inculpation de vol de poulets, et d’avoir eu des relations intimes avec la pupille mineure de l’hospice.
Conclusion : Trois années de prison pour l’ouvrier charron, et la jeune fille envoyée en maison, de correction jusqu'à 21 ans.
Ainsi finit cette affaire surnaturelle qui avait tant émotionné une partie des habitants de notre malheureux hameau du Sablon.
Et dire qu’il en est encore qui souffre de cette maladie-là. Quand donc viendra-t-il parmi nous un médecin assez habile pour les en guérir ? Mais comme j’ai 78 ans passés, il est probable que je serai dans l’autre monde avant que le prodige s’accomplisse – tout en désirant y aller le plus tard possible
J’aurais encore bien des choses à raconter sur certaines superstition qui existaient dans ma jeunesse, mais comme elles sont à peu près disparues, je préfère m’arrêter, et prie celui pour lequel j’ai écrit mes souvenirs de jeunesse, de croire a mes meilleurs sentiments
Sever BOUTARD.
Ancien Maire de Jumièges
Terminé en 1908
Ancien Maire de Jumièges
Terminé en 1908