Par Christian Lebailly et Mathieu Bidaux


En 2017, paraissait sur le site web historique www.wormsetcie.com le livre
50 ans de construction navale en bord de Seine : les ACSM et leur cité-jardin (1917-1966) qui célébrait le centenaire de la fondation des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, autrement dit des chantiers du Trait. Depuis, Christian Lebailly et Mathieu Bidaux, les deux auteurs de cette étude, ont poursuivi leurs recherches et rassemblé une documentation suffisante pour proposer une édition révisée et augmentée qui poursuit l’histoire au-delà de la date butoir qu’ils avaient initialement choisie (à savoir la fusion en 1966 avec les Chantiers navals de La Ciotat et le retrait de Worms & Cie) et l’amène jusqu’à son terme en 1972, date de la fermeture définitive des ACSM.
Nous espérons que l’ouvrage abondamment illustré rencontrera l’intérêt des lecteurs du Canard de Duclair.


Vue générale des chantiers du Trait vers 1960 (Collection Le Trait naval d'hier).


50 ans d’histoire locale marquée par les évolutions du monde
Les chantiers du Trait, fondés par Worms & Cie en 1917 et fermés en 1972, ont constitué l’une des plus importantes entreprises de la vallée de la Seine, un véritable repère pour la population. Principal employeur de la région, ils ont fait vivre de nombreuses familles des cantons de Duclair, d’Yvetot, de Pavilly et plus loin encore. Les hommes s’y succédaient de pères en fils. Les lancements de navires, jours de fête rythmés par la Lyre, la formation musicale des ACSM, auxquels assistaient des personnalités nationales et internationales (ministres, officiers de la Marine, etc.), mobilisaient toute la ville. Les ACSM étaient alors le cœur battant de la cité-jardin.
Au plus haut des effectifs, jusqu’à 2000 employés s’activèrent dans les ateliers des machines et d’assemblage, les forges et la chaudronnerie, la scierie et la menuiserie, les cales et les services administratifs... Les habitants tiraient une fierté de leur travail et bénéficiaient de services et équipements dont nombre de communes des alentours ne disposaient pas. Dans le Calfat du Trait de décembre 1952, Maurice Quemin s’exclama : « Nous l’avons souvent répété : Seine-Maritime, chef-lieu Le Trait !!! » C’est dire l’orgueil qui animait les Traitons.
De cette saga industrielle mobilisant des efforts collectifs soutenus sur plusieurs décennies est née une forte solidarité comme en témoignent les événements de 1936 auxquels répondent ceux de 1968 quand les ouvriers ont occupé l’entreprise avec le soutien de leurs familles, des commerçants et des élus ; deux moments forts de l’histoire sociale aux ACSM.
L’intérêt des chantiers navals du Trait ne s’arrête pas à l’histoire locale. Les travaux de l’entreprise s’inscrivent dans un contexte national et mondial particulier. L’idée de disposer d’un chantier naval surgit d’abord chez Worms & Cie dès 1916, puis le projet fut redimensionné en 1917 sous l’impulsion de l’État qui l’intégra dans un vaste programme de reconstitution de la flotte nationale décimée par les terribles U-boote allemands lors de la Première Guerre mondiale.
Certains navires conçus au Trait devaient relier des points de l’Empire colonial français pour permettre les échanges commerciaux avec la métropole, comme les unités construites pour le compte de la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire dont les lignes allaient du Havre à Madagascar, à La Réunion et à l’île Maurice.
La Deuxième Guerre mondiale eut sur le carnet de commandes le même impact que la Première : il fallut remplacer les unités perdues avant de lancer des cargos et des pétroliers, toujours plus gros et de plus en plus automatisés, sur les routes maritimes les plus proches comme les plus lointaines. Le chantier modernisé grâce à l’adoption des techniques de préfabrication, d’oxy-coupage… connut alors un rythme de production élevé. Les ouvriers pouvaient travailler plus de 50 heures par semaine.

Une industrie innovante
Les chantiers se sont illustrés par des prouesses techniques remarquables et un savoir-faire reconnu. Ils comptent à leur palmarès la réalisation du premier navire océanographique français, « Président-Théodore-Tissier » (lancé en 1933), du « Shéhérazade » (lancé en 1935) qui, avec ses 18 500 tonnes, détint le record du monde du plus gros pétrolier pendant quelques semaines, du « Longwy », premier pétrolier-minéralier sous pavillon français (lancé en 1959), du « Jules Verne », premier méthanier français (lancé en 1964), du « Ivolina », premier navire français entièrement automatisé, du « Rochambeau », qui fut l’un des premiers cargos semi-porte-conteneurs construits en France (lancé en 1967).
Plusieurs brevets furent déposés dans les domaines des toits flottants, des méthodes de préfabrication, et, en particulier, dans le secteur du stockage des gaz liquéfiés dont les ACSM ont été un des pionniers ; technologie encore employée dans le monde actuellement et mobilisée pour la première fois en France lors de la construction du « Jules Verne ».
Le chantier était capable de fabriquer aussi bien des cargos, des pétroliers, des navires pour le transport de gaz, des chalutiers congélateurs ou des car-ferries que des sous-marins, des patrouilleurs, des torpilleurs… Il s’illustre également par des travaux originaux, conduits dans le cadre de la reconversion de ses activités dans d’autres secteurs industriels en vue de reclasser son personnel : maisons préfabriquées, châteaux d’eau, réservoirs à pétrole, etc.

L’identité du Trait
En 1917, Worms & Cie a tiré de sa léthargie le petit village du Trait abritant 350 âmes. Ateliers, cales de construction, grues, machines-outils ont été érigés en plein champ tandis que la cité-jardin accueillit des centaines de familles venues du Nord, de Brière, de la région nantaise, puis de Pologne, de Yougoslavie, de Tchécoslovaquie, d’Arménie et, après 1945, d’Italie.
En dépit de la fermeture des ACSM, l’identité de la commune est restée liée à l’industrie lourde. D’autres usines se sont implantées : Flexi-France (désormais Technip), Sanofi, Gueudry, Mahieu Maintenance.
L’une des caractéristiques du Trait n’est-elle pas la difficulté à y distinguer clairement un centre-ville ? Pour alimenter un débat qui a eu lieu sur ce site internet : http://jumieges.free.fr/centre.html, ne pourrait-on localiser le cœur de l’agglomération aux chantiers navals, lieu vers lequel tous les regards étaient tournés ?
Après les publications de Paul Bonmartel, Gilbert Fromager, Jacques Derouard, Maurice Quemin et Laurent Quevilly dont le livre 14-18 dans le canton de Duclair évoque les débuts des ACSM, l’ouvrage 50 ans de construction navale en bord de Seine : les ACSM et leur cité-jardin (1917-1972) s’efforce d’apporter sa pierre à l’édifice historiographique du Trait.

Pour aller plus loin
Les lecteurs et chercheurs intéressés par l’histoire des ACSM ou du Trait trouveront sur www.wormsetcie.com des documents collectés dans les fonds Worms ou dans les centres d’archives, et régulièrement mis en ligne, tels que les notes et études sur la reconstruction des chantiers après la Deuxième Guerre mondiale, les marchés passés avec la Marine nationale ou les photographies des lancements de navires.

50 ans de construction navale en bord de Seine : les ACSM et leur cité-jardin (1917-1972), un ouvrage à consulter et à télécharger sur www.wormsetcie.com, rubrique « publications » et également sur la plateforme d'édition numérique, Issuu.

https://www.wormsetcie.com/fr/publications/all/50-ans-de-construction-navale-en-bord-de-seine-les-acsm-et-leur-cite-jardin-1917
Pour un meilleur confort de lecture, il est recommandé de le consulter directement sur le site. Ce mode de visionnage permet de ne pas afficher le filigrane Worms qui est ajouté lors du téléchargement des documents.

Christian Lebailly, historien de la Maison Worms, est responsable des publications sur www.wormsetcie.com.

Mathieu Bidaux, docteur en histoire contemporaine, est entré chez Phoramm Sàrl en 2020.