Par Didier Fermé

Les bateaux de l'Armada défileront devant La Mailleraye sans se préoccuper du riche passé maritime du lieu. Ils ne se douteront pas, non plus, qu'au XVIe siècle, le seigneur local établit l'usage pour les navires passant devant le château de le saluer de trois coups de canons en abaissant le pavillon.

Ce seigneur, Charles de Moy, nous l'avons déjà évoqué dans le n°4 du MAG d'Arelaune, Amiral de France, fut gouverneur du Havre et, réserva à La Mailleraye la construction des navires pour les besoins des rois de France François ler et Henry II. Ainsi naquit une longue tradition de chantiers navals à deux pas de la forêt de Brotonne source d'une matière première réputée.

En 1846, Jules Janin auteur du « Voyage de Paris à la mer » considère Guerbaville comme « LE chantier maritime de la Normandie ».

Durant les siècles les noms des charpentiers de navire (on ne disait pas charpentier de marine) de La Mailleraye se sont perpétués de père en fils... Saillenfest puis Saillanfaits considéré comme le père-fondateur des chantiers, Bataille, Turpin, Rivette, Le Tellier, Pouchin, Vigier, Enault

Comme le présente si bien MuséoSeine, le fleuve n'était pas ce qu'il est aujourd'hui. Les ports se succédaient, une trentaine entre Rouen et Le Havre. Près de chez nous Quillebeuf, « Le Vieux Port », Aizier, Vatteville, Bliquetuit, Barneville - le Landin, Tancarville, Villequier, Caudebec, Le Trait-Yainville, Jumièges ...

La navigation sur le fleuve était dense et dangereuse. Il y avait le cabotage de port en port, les traversées de la rivière, la pêche mais les charpentiers construisaient aussi des navires de plusieurs tonneaux de jauge.

Remontons l'Histoire avec quelques-unes des constructions de La Mailleraye. Le Bon-Espoir fut le premier navire construit ici «...prest à partir pour le voiage de Terre Neufve, pesche des molues, où depuis l'année 1655 qu'il a esté construit à la Maillerais... ».

Puis vinrent l'Aimable Société — un brigantin de 80 tonneaux* — le Senau (deux-mâts gréé en voiles carrées) Charlotte-Thérèse 160 tonneaux qui ira en Martinique.

Au XVIIIe « à Guerbaville, on mettait sur cale des unités de 150 à 300 tonneaux » l'Affriquain, le Saint Pierre, le Désiré, l'Aimable le Désiré, la Marie-Thèrèse, 215 tonneaux. Puis arrive 1789, le Saint-Michel, un sloop, la Duchesse Pauline, l'Aubin Stanislas des galiotes, La Bien-Aimée un brigantin de 215 tonneaux qui vogue vers Saint Domingue.

Un siècle où la construction navale sera en retrait, le XIXe sera plus florissant.



Viennent ensuite le Consulat, le Premier Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet, en près de cinquante ans ce sont 225 constructions navales qui naquirent sur le quai de La Mailleraye. Les goélettes, les bricks, les dogres, les sloops, les baleiniers, des trois-mâts comme La Ville de Caudebec, des vapeurs se succèdent. Le 16 Septembre 1838 La Mailleraye présente une physionomie très animée : « une multitude de promeneurs est accourue de Rouen et de Caudebec pour voir lancer deux bateaux-parc de la Compagnie des parcs à huîtres flottants ». Ces bateaux élégants et bien distribués permettaient de « conserver frais jusqu'à son arrivée à Paris ce coquillage si aimé de certains gourmets».
En 1843, le Mazagran de 900 tonneaux est lancé. Une belle fête est organisée. « C'est le plus grand navire qui ait été lancé en rivière».
La Vesta, un trois mâts de 1843, fait l'objet d'articles de presse élogieux : « ...Nous avons examiné dans toutes ses parties cette œuvre colossale, et nous avons été ainsi à même de reconnaître, avec les visiteurs qu'elle reçoit, avec quels soins, avec quelle recherche de per-fection est fait ce beau travail... »
En 1846 le moral est au beau fixe, un bel avenir s'offre aux chantiers, l'endiguement de la Seine va générer des commandes de gribanes pour exécuter les travaux. Le 11 novembre 1847, le Pie IX est mis à l'eau, un baleinier de 800 tonneaux qui fera des allers et retours entre Le Havre et la Nouvelle-Orléans.



Puis vint Napoléon III, président de la République, Empereur et, jusqu'à sa capitulation en 1870, la France connaît de grandes transformations, une révolution industrielle. L'activité navale de La Mailleraye ne faiblit pas. En vingt et un ans, 101 gros bâtiments, 124 petites unités de cabotage et pêche sont mis à l'eau. Les plus remarquables, Le Cid, 700 tonneaux, est lancé le 4 août 1852 et voguera vers Calcutta, Buenos-Aires, Montevideo... Le Pondichéry un trois mâts de 665 tonneaux est construit pour un armateur de Rouen et deviendra norvégien. L'abbé Cochet, archéologue - inspecteur des bâtiments historiques écrit: « à présent La est une ville de 2000 âmes, ayant des rues, des hôtels, des marchés et des chantiers de construction. Aussi, c'est une des plus
belles et des plus importantes paroisses... »
Sous la 3º République, la construction navale maillochienne s'étiola et s'éteint en 1921 sous le mandat du président Alexandre Millerand.
Quelques belles unités furent construites « La Neustrie » en 1873 un trois mâts de 737 tonneaux, des bacs à vapeur font leur apparition, mais la majorité des 200 constructions furent des petites unités qui devinrent de moins en moins nombreuses au fil des ans.
Pendant 400 ans, la construction navale grâce au fleuve et à la forêt, fut l'activité économique majeure de Guerbaville qui prit le nom de son port en 1910. Combien de bateaux ont-ils été construits autour de la cale du bac ? 1000, 2000 ?

*C'est une unité internationale de jauge maritime qui vaut 100 pieds cubes soit 2,831 68 mètres cubes

Informations recueillies sur le site « Le Canard de Duclair > http://jumieges.free.fr M. Laurent Quevilly.

Didier FERMÉ.

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