
Dimanche
18 mai 1749. Les vêpres sont terminées depuis peu.
Descendant de l'église du bourg de Jumièges, les
fidèles du Conihout regagnent leur village. Un
groupe d'adultes se forme sur le quai de Valentin Herpin, en bordure
de Seine. On parle. On rit. Dans la masure voisine, celle de Pierre de
Conihout, des
enfants jouent.
Soudain,
une pierre vient heurter la tête d'Angélique Rose
Lambert. Elle crie. Elle tombe. Morte.
"C'est Valentin Porgueroult qui
a fait le coup!" Le père d'Angélique
accourt. Hurle.
"Je
vas te foutre à l'iau!" Le grand
frère Porgueroult est
aussi arrivé sur le lieu du drame. A coups de pied au cul,
il
pousse son cadet à prendre la fuite. Et ils
détalent, les
Porgueroult, ils détalent jusqu'à leur maison.
Sorti
précipitamment de chez lui, Pierre de Conihout,
maître des
lieux, trouve le père de la victime totalement
tétanisé. Il le prend dans ses bras. Et croit
bien qu'il
va y rendre l'âme. Dans le cercle qui s'est formé
autour
du petit corps, les murmures vont bon train:
"ça devait
arriver..."
On alerte les autorités
Pierre
Lambert et Pierre Duquesne courent avertir Maître
Grésil, l'avocat fiscal, qui remplace le procureur absent ce
jour-là.
Grésil, c'est pourtant le défenseur de Valentin
Porgueroult père dans le procès qui l'oppose aux
Boutard.
Vite il faut prévenir le chirurgien du bourg. Vite, il faut
alerter surtout le Haut Justicier. Grésil rédige
un
billet. Il est environ 6h. Lambert et Duquesne foncent vers le palais
abbatial.

Il est déjà 8h du soir quand Pierre Nicolas
Delamarre, le Haut justicier, flanqué de Laurent Beaufils
pour greffier,
parvient au hameau du Conihout. Angélique est toujours
étendue sur l'herbe.. Dans ses "vêtements
à la mode
de la campagne".
Une multitude de personnes entoure le cadavre.
Valentin
Lambert gémit, se lamente:
"C'est le fils à
Porgueroult
qui lui a jeté une pierre avec sa fronde. C'est lui !..". La
quarantaine de témoins le confirme au juge. Le docteur
Berryes se penche
sur la victime. Il remarque le nez enflé,
environné du
sang qui en a coulé. Ainsi qu'une écume blanche.
Là n'est pas la cause de la mort. Il sort ses ciseaux pour
couper les cheveux de la gamine. Et lui rase une grande partie du
crâne. Berryes recherche un orifice, une contusion. Mais le
jour
décline. Et il tombe une pluie battante. On
demande alors
à Pierre Castel de prendre la petite morte dans ses bras
pour la
conduire à l'abri, chez Nicolas Boutard, le plus proche
voisin.
Mais non, décidément, on n'y voit que goutte. Il
faudrait plus de lumière. Delamarre décide de
remettre l'examen à demain matin. Valentin Lambert emporte
le corps de sa
fille chez lui. Non sans avoir tracé une croix au bas du
procès-verbal. Signent les hommes de loi, le
médecin
ainsi Joseph Lambert, Jacques de Conihout, Louis Duquesne,
Pierre Renault, Pierre de Conihout...
L'autopsie

Dimanche
19 mai. Il est entre 8 et 9h du matin. Le juge Delamarre et son
greffier, l'avocat fiscal et le chirurgien
pénètrent dans
la cuisine de Valentin Lambert. Sa femme, les yeux cernés,
en
sort. Nue, enveloppée dans un drap, Angélique
Rose repose
sur une
clanche,
une
barrielle
posée sur deux chaises. Autour d'elle:
une demi-douzaine de personnes. Berryes soulève le linge et
examine la tête de la petite morte. Il y voit une contusion
de la
rondeur d'une pièce de 24 sols. Là, sur la partie
latérale droite de la tête. Exactement au milieu
du
pariétal. Le scalpel de Berryes
libère deux ou trois onces de sang.
"Il faut ouvrir le
crâne". Spectacle insoutenable. Le cerveau, le
cervelet baignent
dans l'hémoglobine.
"Voilà
la cause de la mort. Tout ce
sang a été causé par une pierre. Ou
autre chose de
semblable." Berryes examine encore toutes les parties de
la tête.
Il ne trouvera rien de plus. Le procès verbal du cadavre,
c'est
l'expression, est cette fois terminé. Delamarre autorise
l'inhumation. Aux côtés des notables signent
Jacques de
Conihout, Louis Duquesne, Joseph Lambert.
L'enterrement
Les choses
ne vont pas traîner. Dans l'après-midi, on
enterre le corps de la petite Lambert. Il est bien
embarrassé,
le curé Grenier, quand il rédige l'acte de
sépulture. Dans la sacristie de l'église
Saint-Valentin,
il écrit sur le registre:
"Le 19e de may
1749 a
été par nous, curé de
Jumièges
soussigné inhumé dans le cimetière de
cette
paroisse suivant le mandement à nous adressé par
M. de la
Marre, subdélégué de M. l'intendant,
et bailli de
Duclair, le corps de Angélique Rose, fille de Valentin
Lambert
et de Valentine Roussel, ses père et mère,
décédée d'hier par un accident,
âgée
d'environ neuf ans. A la réquisition de Pierre Lambert,
oncle
paternel de la dite défunte et de Pierre Lambert, aussi
oncle
paternel de la susdite défunte et de Joseph Lambert, oncle
parternel de la dite défunte qui ont signé et
fait leurs
marques."
Les deux Pierre apposent une croix, Joseph et Grenier
paraphent.
Décédée par un accident !
L'enquête pour homicide peut maintenant commencer.
SOURCES
Recherche
et numérisation aux archives départementales:
Jean-Yves Marchand.
Transmission: Josiane Marchand. Transcription: Laurent Quevilly.
Dans un sondage réalisé sur cette page, trois lecteurs
sur quatre ont considéré que la mort de la petite Lambert
était accidentelle...