La justice est lente. Mais elle ne lâche pas sa proie. Le mercredi 3 mars 1751, Geneviève Beauvet, la mère des terreurs du Conihout, entre enfin dans le bureau du juge. Dans son sillage, un parfum de scandale...
 


Delamarre a devant lui celle que Marie-Anne Lévêque qualifie de "Putain de belle tête". Après tout, plutôt flatteur...
Geneviève Beauvet comparait aujourd'hui "volontairement".

Première question rituelle: l'identité. Le greffier note: "A dit s'appeler Geneviève Beauvet, femme de Valentin Porgueroult, laboureur, demeurant à Jumièges, hameau de Conihout, âgée de 48 à 50 ans, de religion catholique, apostolique et romaine..."

— Pendant votre premier mariage, n'avez-vous pas mené une vie scandaleuse et avec qui ?
— Jamais!...
— Mais vous alliez souvent chez Valentin Porgueroult. Dès la mort de votre mari, vous avez demeuré chez lui. En quelle qualité ?
—Étant fille, j'avais servi Porgueroult comme servante. Cinq ou six ans. Et puis je me suis mariée avec Antoine Herpin. On a vécu ensemble sept mois. Quand qu'il est mort, j'ai vécu dans une petite maison au Conihout. Deux ans environ. A cette époque, j'allais queques fois à journée travailler chez Valentin comme servante. Jusqu'au temps de notre mariage...
— A quelle date est mort votre mari et quand vous êtes vous remariée exactement?
— Je m'en souviens point...


"Y m'menaçait"


Delamarre insiste: "Vous me dites vous être bien comportée durant votre premier mariage. Mais une fois veuve, n'avez-vous pas mené une vie libertine et avec qui?" 
Geneviève, note le greffier, répond qu'elle s'est toujours bien gouvernée pendant son veuvage.
— Mais à cette époque, vous avez bien eu des enfants. De qui sont-ils prononcés et chez qui demeuriez vous alors?
— Veuve, j'ai eu un enfant de Valentin Porgueroult. Oui, j'ai dis à la justice qu'il était de Pierre Lambert. Mais je ne l'ai jamais chargé de cet enfant. Je l'ai nourri, je l'ai élevé toute seule...
— Alors dites-nous quel est celui, ou ceux, qui vous ont déterminée à déclarer cet enfant sous le nom de Lambert alors que vous saviez parfaitement qu'il était de Valentin Porgueroult ?
— J'ai su que Valentin Porgueroult et sa sœur voulaient me faire enlever et enfermer si je déclarais l'enfant du nom de Porgueroult. C'est mes voisins qui m'ont conseillé de le déclarer sous celui de Lambert. Mais je n'ai jamais eu l'intention de charger Pierre de la nourriture de l'enfant.


"J'ai pas fait opposition"


Delamarre est abasourdi. Voilà une femme qui désigne un faux géniteur parce que le vrai la menace. Et qui finit par épouser ce dernier ? Difficile à comprendre. Il veut en savoir plus:

— Peu après l'accouchement, Pierre Lambert était dans le dessein de se marier. Et vous avez fait opposition aux bans sous prétexte que le commerce que vous aviez eu ensemble était pour vous dans l'espoir d'un mariage. N'avez vous pas obligé Pierre Lambert à demander à l'officialité une sentence mettant la main levée sur votre opposition...
— J'ai jamais mis d'opposition à la publication des bans ni au mariage de Pierre Lambert. Jamais !...

Geneviève ment. Elle ment Effrontément. Sur les registres de Jumièges, le mariage de Pierre Lambert est assorti d'un commentaire stipulant formellement que Geneviève Beauvet a levé son opposition...

— Après la naissance de l'enfant, n'avez-vous pas continué un mauvais commerce avec Valentin Porgueroult, au moins jusqu'à votre mariage...
— Oui, queques fois. Peu de jours avant notre mariage, j'ai accouché de ma fille. On l'a reconnue le jour des noces. Ainsi qu'Étienne, baptisé sous le nom de Lambert. C'est Monsieur le curé de Jumièges qui nous a poussé à le faire...


"Il avait tort !"


— Depuis votre mariage, vous et votre mari avez eu différents procès contre plusieurs personnes de la paroisse. Pour maltraitements mais aussi pour avoir tué leurs volailles ?
— On a eu plusieurs procès, oui. Mais c'est point la peine de dire avec qui...
— Au mois de septembre 1745, vous et votre mari avez maltraité Adjutor Delamare venu percevoir la dîme. N'avez-vous pas été décrétés comparence personnelle à ce sujet et condamnés à des intérêts envers ledit Delamare?
— C'est vrai. Mais Delamare avait plus de torts que nous !
— Au commencement... ou plutôt au mois de septembre 1744, vous et votre fils n'avez-vous pas blessé et tué plusieurs dindes appartenant à Augustin Boutard. Vous auriez même menacé de déclore la haie et d'en tuer bien d'autres.
— J'ai tué une seule dinde à Boutard. Mais j'étais seule. Aucun de mes éfants y était!

Delamarre aborde maintenant les insultes, les chansons, les pierres jetées sur le bateau du Landin...

— Si j'ai dit des injures à la femme d'Augustin Boutard, c'est que j'en ai reçues d'elle avant. Les chansons ? Mais tout le village en chantait contre les Boutard ! Mes enfants n'ont fait qu'en répéter l'usage. J'en sais pas plus...
— Il y a de cela deux mois, vous auriez maltraité un des vos domestiques. Pour éviter les poursuites qu'il voulait faire sur sa plainte, vous auriez assoupi cette affaire au moyen d'une somme de 160 à 170 livres, est-ce vrai ?
— Je sais que mon mari a eu depuis peu une affaire avec Dosemont. Mais c'est fini...


"Oui, je l'ai maltraité..."


L'usage de frondes par ses enfants? Elle dit n'en avoir aucune connaissance.
— Comment, vous ne savez pas qu'au mois de mai 1749, Valentin Porgueroult, votre fils cadet, a tué d'un coup de pierre la fille de Valentin Lambert ?
— J'ai su la mort de la fille Lambert que par la voix publique. Mon fils m'a toujours dit que c'était pas lui qui avait fait le coup. Oui, c'est vrai, je l'ai maltraité à ce sujet...
— Et vos enfants n'ont pas maltraités ceux de Pierre Renault, principalement au mois d'août 1749 quand votre fils aîné a fait tomber malicieusement Jean Renault de cheval? Il en est depuis dangereusement malade et reste estropié...
— J'en sais rien...

Depuis un moment, Geneviève Beauvet tremble de tous ses membres. La fièvre, en déduit Delamarre qui renonce à poursuivre l'interrogatoire.

Geneviève Beauvais quitte le palais abbatial. Que deviendront ses fils ? Son mari ? Lui, on va bientôt le retrouver aux prises avec son éternel ennemi: Augustin Boutard...





NOTES

Adjutor Delamare était l'époux de Marguerite Clouet. Il avait un fils prénommé de même. Singulier... Mais prénom qui sonne à propos pour prélever autoritairement l'impôt.

Dosemont, le domestique des Porgueroult, est vraisemblablement Guillaume, fils de Nicolas et Marie Anne Auger.


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Sources

Recherche et numérisation aux archives départementales: Jean-Yves Marchand.
Transmission: Josiane Marchand. Transcription: Laurent Quevilly.





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