Les voilà bientôt sous les verrous, les Porgueroult. Vont-ils avouer leurs méfaits ? Ils vont plutôt charger les autres...
 


Maître Jacques Buot était huissier du Roy au Grenier à sel de Rouen. Mais il tenait résidence à  Saint-Martin-de-Boscherville.  C'est là qu'il reçut la réquisition du procureur fiscal de Duclair.  Il lui fallait arrêter deux hommes. Ou plutôt deux enfants...
Mardi 9 février 1751, c'est jour de marché à Duclair. Dans l'après-midi; Buot interpelle le plus âgé: Etienne Porgueroult. Il est interpellé dans l'auberge de Pierre Antoine Huppé, à l'enseigne de l'Ecu de France.
Que fait-il là, Etienne? Il s'y cache ? Il y travaille ? On ne sait. "Je vous fais commandement, de par le Roy, notre sire et de justice de nous suivre pour être conduit es prison des hautes justices de Duclair." La formule d'usage prononcée, les assistants de Buot s'emparent de Porgueroult. Ont été désignés pour cette besogne Jacques Fortin, praticien de Jumièges, et Marin Leclerc, fils de Marin, cordonnier à Duclair. Ils signeront le procès verbal de l'arrestation.
Peu après, Porgueroult est remis entre les mains d'Adrien Pelcat, concierge de la prison de Duclair,"avec défense à luy faite de laisser divaguer ni sortir ledit Porgueroult." Voilà Etienne détenu dans une prison sordide.

Mercredi 10 février, 8h du matin. Maître Buot et le sergent Lebourgeois se présentent chez les Porgueroult, au Conihout. Ils trouvent son fils cadet dans la cuisine en compagnie de sa mère, Geneviève Beauvet. La formule d'usage prononcée, les assistants prennent au corps le gamin. C'est toujours Jacques Fortin aidé cette fois de Jean Hue, lui aussi praticien demeurant à Jumièges.

Ce n'est qu'à 4h de l'après-midi qu'ils laissent le prisonnier entre les mains de Pelcat. 10 livres et 5 sols sont versés pour le premier mois "par avance dudit Porgueroult tant pour ses gîtes et garde que nourriture..."

Ce même 10 février 1751, à Jumièges, Dépouville contrôle et signe les procès-verbaux d'arrestations.

L'interrogatoire de Valentin

Jeudi 11 février, 10h du matin. Pierre Nicolas Delamarre assisté du greffier Boullard se transporte à la réquisition du procureur fiscal à la Conciergerie de Duclair. Les deux hommes s'installent dans une chambre et demandent à Pellecat d'amener à eux Valentin Porgueroult.
Le gamin prête serment. L'interrogatoire débute et Boullard note son nom, âge et qualité. Il a 12 à 13 ans...

— Tu sais pourquoi tu es en prison ?
 — Non...
— Depuis plusieurs années, ne fais-tu pas usage de fronde ou d'élingue ?
— Non...
— Tu ne dis pas la vérité. Toutes les informations prouvent que tu as tué la fille Lambert d'un coup de fronde dans le mois de mai 1749.
— C'est vrai que le jour où la fille Lambert a été tuée, j'avais une fronde. Mais j'étais pas tout seul. C'est pas moi qu'a tué la fille Lambert.
— Alors qui avait aussi une fronde ce jour-là? Et qui l'a tuée ?...

"C'est François Prunier !"
— Avec moi, y avait que François Prunier... C'est lui qu'a tué la fille Lambert !

Étonnement de Delamarre. Lors du premier interrogatoire, Valentin n'accusait personne. Aujourd'hui, il se défausse sur un autre enfant: François Prunier, le fils de Jean Le bailli insiste:

— Quand la fille Lambert a reçu le coup de pierre, son père a bien voulu se saisir de toi pour te jeter dans la rivière?
— Oui...
— Et ton frère ne t'a-t-il pas dit à ce moment-là de t'enfuir promptement pour éviter la fureur de Valentin Lambert ? Il ne t'a pas donné deux coups de pieds dans le derrière pour te faire aller plus vite ?..
— Y m'a dit de m'enfuir, c'est vrai. Mais y m'a pas frappé.
— Dans quelle masure se trouvait alors ton frère et qu'y faisait-il ?
— Il était dans la masure de Pierre de Conihout avec ma sœur. Y faisaient rien...
— Explique moi maintenant pourquoi, voyant sa fille ramassée par terre d'un coup de pierre, Valentin Lambert a voulu te jeter, toi, dans la rivière, plutôt que François Prunier ?
— La veille de la mort de la fille Lambert, n'as-tu pas été dans la campagne avec une fonde insulter Pierre Duquesne, le charretier de la veuve de Pierre Boutard! Tu pensais l'estropier d'un coup de pierre. Heureusement, il a paré le coup qui a porté sur le collier des chevaux avec lesquels il passait ! Non ?
— Non !...
— A peu près dans le même temps, toi et ton frère, vous avez menacé Marguerite Buisson et Marie Merre, les servantes d'Augustin Boutard, votre proche voisin. Ne les avez-vous pas poursuivies plusieurs fois à coups de fondes depuis la barrière de Pierre Renault jusqu'à celle d'Augustin Boutard ?
— C'est pas vrai...
— Et les arbres fruitiers des voisins, n'as tu pas jeté plusieurs fois des pierres dessus avec ta fronde, ou à la main ?
— Jamais...
— Toi, ton frère et ta sœur, vous avez bien jeté de la boue sur le linge de lessive d'Augustin Boutard quand il était étendu sur le haie ?
— J'm'en souviens point...
— Tu connais une chanson diffamante contre les Boutard ?
— Je l'ai oubliée..
— Alors, je vais te rafraîchir la mémoire...

Delamarre se saisit d'une pièce du dossier et lit au gamin les couplets diffamants contre les Boutard.

— Alors, tu la connais ?
— J'en sais rien...
— Qui a composé ça ?
— Je sais point son nom...
— Et qui te l'as apprise ?
— Je m'en souviens point non plus.
— Toi, ton frère et ta sœur, vous la chantiez pourtant en différents endroits. Notamment quand vous voyiez passer Boutard et sa femme ?
— Non...
— Tous les trois, ensemble ou séparément, vous insultiez souvent les Boutard. Vous traitiez l'un de "bougre de cocu" et l'autre de "bougre de putain", en particulier quand la femme Boutard passait l'eau les fêtes et dimanches pour aller à la messe au Landin. N'est-ce pas à l'instigation de vos père et mère que vous faisiez toutes ces sortes d'insultes ? On vous a entendu crier, même quand la femme Boutard était dans le bateau: "Ah! la putain! Ah! la garce!" Et vous lui jetiez en même temps des pierres...
— Non...
— Avec la complicité de ta mère, n'as tu pas aidé à tuer à coup de pierres ou de bâtons les volailles, et notamment les poulets dindes d'Augustin Boutard ?
— Non...
— Pierre Renault a témoigné contre toi pour la fille Lambert. Tu as su que ton frère, par récrimination, avait rencontré dans le marais de Jumièges Jean Lambert et puis Jean Renault, monté sur un cheval et qu'il l'a fait tomber? Tu sais qu'il a été estropié et qu'il l'est encore?
— J'y étais pas, moi! Mais j'en ai entendu parler chez moi. Même que mon père a grondé mon frère...
— Et toi, après l'accident arrivé à la fille Lambert, n'as-tu pas été réprimandé par ton père et ta mère.
— Oui, même que ma mère m'a fouetté pour ça...

Delamarre poursuit l'interrogatoire mais Valentin refuse d'en dire plus. On lui relit son témoignage. Qu'il signe cette fois. Pellecat le ramène dans sa cellule.

L'interrogatoire d'Etienne

Delamarre et son greffier se retirèrent pour déjeuner. L'après-midi, à 4h, ils étaient à nouveau dans la prison. Avec cette fois Etienne Porgueroult, 18 ans.

— Tu sais pourquoi tu as été constitué prisonnier ?
— Je crois que c'est à cause de ce que j'ai fait au fils Renault. Il est tombé de cheval...
— Depuis six ou sept ans, ne donnes-tu pas l'occasion à tous tes voisins de se plaindre de toi, ainsi que de ton frère, e, jetant des pierres et en donnant des coups de bâtons sur les arbres, soit avec les mains, frondes ou élingues, dans le but d'abattre les fruits ou les branches...
— Non !
Non! Non! Les Porgueroult n'ont que ce mot à la bouche. Etienne nie briser les haies de ses voisins, tuer ou maltraiter leurs volailles. Une concession cependant...
— Au mois d'août 1744, avec ta mère, tu n'as pas estropié plusieurs poulots dindes appartenant à Augustin Boutard ?
— J'ai oui dire à Pierre Hullé, mon vésin, que ma mère en avait tué et blessé plusieurs.

Hullé ! De Conihout !

Les insultes ? C'est encore non. Et puis il se ravise:
— J'ai été engagé par le père Hullé à traiter Augustin Boutard et sa femme de "bougres de cocu et de putain". Même qu'il m'offrait des noisettes pour ça. J'ai refusé. Y a que mon p'tit frère et ma sœur qui en ont pris. Celui qui a fait la chanson? c'est Jacques de Conihout. Sa femme a voulu me l'apprendre. J'ai pas voulu...
— Mais n'as-tu jamais entendu ton père, ta mère ou ta sœur la chanter ?
— Non jamais...
— Toi et ton frère, vous avez pris plaisir à jeter de la boue sur le linge des voisins ?
— Je sais pas si mon frère en a jeté. Pour moi, ça m'est jamais arrivé.
L'usage de fronde, c'est encore non. Mais Delamarre a ses informations. Le jour de la mort de la fille Lambert, Etienne, sa sœur et d'autres enfants étaient dans la masure de Pierre de Conihout. "Y faisaient rien", nous a dit Valentin. "Vous y jouiez avec des frondes", affirme le bailli qui interroge:
— Par qui cet accident, je veux dire ce malheur est-il arrivé ?
— A ce moment-là, j'étais par chez De Conihout, moi. J'étais avec plusieurs autres à jouer au (?) à côté, dans la masure de Valentin Herpin.


Joüer au pouraÿ? au poiriaÿ ?
qui a une idée ?



Mon frère et plusieurs autres étaient dans celle de Pierre de Conihout à jouer avec des frondes. Je sais bien que la fille Lambert a été tuée d'un coup de pierre. Mais je sais pas par qui...
— Après l'accident, tu as appelé ta sœur pour lui demander où était ton cadet. A qui tu a dit ensuite de se retirer promptement.
— On accusait mon frère d'avoir tué la fille Lambert. Et pis son père était outré de colère de la mort de sa fille. Y voulait le jeter dans la rivière. Alors, oui, j'ai dit a mon frère de s'enfuir pour éviter la fureur de Lambert...
— Avant, ou après la mort de la fille Lambert, toi et ton frère, vous avez pensé estropier Pierre Duquesne...
— Je sais pas si c'est mon frère... En tout cas, c'est pas moi!
Pour l'agression de Marguerite Buisson et Marie Merre. Non, il ne  savait pas non plus que Pierre Renault était allé en témoignage contre Valentin. Et l'attentat contre le fils Renault ?
— Il était allé rechercher sa bête dans le marais. Moi, j'en revenais aussi avec mes bestiaux. Y m'ont échappé et ont rejoint au galop la cavale à Renault. Alors, elle s'est mise aussi à galoper. Et il est tombé...

Etienne Porgueroult ne répondra plus à aucune question.

Genevève fait faux bond

Le 10 février, alors que ses fils sont entendus, le sergent Lebourgeois remet à Geneviève Beauvet une convocation pour le 20. Elle ne viendra pas.

Entre temps, les Porgueroult firent manifestement appel. Le 18 février 1751, Pierre Bachelet, sergent royal au baillage et présidial de Rouen, demeurant rue des Charettes, se rendit dans ce cadre au greffe de la haute justice où il rencontra Boulard et "une femme qui n'a voulu dire son nom". Il demanda à ce que les pièces du dossiers soient apportées au parlement de Rouen. 

Puis, c'est spontanément que Genevève Porgueroult va se rendre, le 3 mars, au palais abbatial...


Notes

François Prunier, fils de Jean et de Marie Prunier, accusé par Valentin du meurtre d'Angélique Rose Lambert, se mariera en 1767 à Marie-Jeanne Renault. Il aura alors 26 ans et la condition de journalier.


Épisode précédent L'interrogatoire de Geneviève



Sources

Recherche et numérisation aux archives départementales: Jean-Yves Marchand.
Transmission: Josiane Marchand. Transcription: Laurent Quevilly.





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