Par Laurent QUEVILLY.

Entre Duclair et Saint-Paër, Varengeville fut une parenthèse pour les Quevilly. Voici la suite de leur saga qui nous mène droit jusqu'à moi. Tout en brossant l'histoire de tous les Saint-Paërois...


VIII. Henri Quevilly (1868-1949)

Né le 3 juin 1868 à 7h du matin avec les prénoms d'Henri Emmanuel, les témoins de sa naissance sont Eugène Blard, 51 ans, menuisier et Alfred Lefebvre, 23 ans, journalier en présence de Florentin Cavé, maire de St-Paër. Henri est d'une fratrie d'au moins trois filles et deux garçons. Je n'ai aucune indication sur son frère. Si ce n'est qu'il est mort durant la guerre de 14.

Henri a deux ans au moment où le pays connaît de graves désordres. Les Prussiens occupent Saint-Paër cinq mois. L'enfance d'Henri se passe ux champs.

Le mardi, la famille se rend au marché de Duclair distant de 4km. Il faut imaginer ces scènes de marché. Les hommes portent tous le chapeau ou d'imposantes casquettes qui évoquent celles des marins. Beaucoup arborent une blouse. Les femmes du peuple ont de vastes foulards sur la tête, voire une coiffe blanche. Le marché se mue en foire deux fois par an. A Pâques, le jour du mardi saint. C'est le marché fleuri. Et puis à la Saint Denis, début octobre. On y voit parfois des montreurs de bêtes sauvages, des marchands d'amadou...

A Duclair où, alors qu'Henri a 9 ans, circule une histoire de sorcellerie. L'eau tombe en pluie sur le berceau de deux enfants. Mais leur garde, une petite bonne de 14 ans, finit par avouer être l'auteur de ces aspersions. Nous sommes en 1877.

A 18 ans, en 1886, Henri vit s'élever l'école des garçons. Puis celle des filles en 1892. A l'époque, un tiers de la population ne sait ni lire ni écrire. Mlles Leblanc et Avril seront institutrices, MM Arson et Guyot instituteurs.

L'armée


Henri avait tiré le n° 21 au conseil de révision de Duclair. C'est un grand gaillard d'un mètre 73, les yeux bleux, les cheveux châtains. Sa fiche matricule le dit agriculteur et exercé en matière d'instruction militaire.
Il est incorporé le 13 novembre 1889 au 11e Régime
nt d'artillerie, sous les ordres du colonel Jules Brunet, à Versailles. Il a 21 ans. Son régiment a été créé en 1831 suite à la dissolution du Régiment d’Artillerie de la Garde Royale. Ainsi le 11e aura participé à diverses campagnes, notamment en Algérie, Crimée, Italie, Mexique...  Son commandant fut de cette dernière expédition.
Le 25 mars 1892, Henri passe au 31e d'artillerie, commandé par le colonel Caro. C'est un régiment qui s'est formé au Mans en 1873. De là, on l'envoie en congé le 24 septembre avec un certificat de bonne conduite. Le 1er novembre, il passe dans la réserve de l'armée active. 

Henri accomplit une première période d'exercice du 30 septembre au 27 octobre 1895 au sein du 22e d'artillerie, formé en 1870 et basé à Versailles.

L'amour

Henri se maria avec le 21 novembre 1896 avec Joséphine  Chéron. Le couple allait s'établir aux Vieux dans la partie rattachée à Varengeville.

Le 7 avril, un garçon vint au monde et on le prénomma comme son père. Hélas, il ne vécut que quatre mois.

Henri effectua une seconde période du 7 mars au 2 avril 1898. Henri est alors domicilié à Varengeville. Cette année là, le Dr Léonide Maillard, rédacteur au Journal de Duclair, est le conseiller général du canton. Il le restera jusqu'en 1910.

Le 8 ocobre 1898 naquit un premier enfant qui sera ma marraine : Henriette Quevilly. 

En 1901, Henri travaille chez Delaporte avec sa femme. Il est recensé sur Varengeville. Une nouvelle fille nait en décembre. Et c'est encore un malheur. Elle décède un mois plus tard. On se consolera en accueillant un garçon, Marcel, en 1903.

Henri eut une vie difficile. Cet homme de belle taille, se louait comme journalier dans les fermes. A la saison, il fauchait le blé dès 4h du matin puis commençait sa journée à l'usine à 7h. En 1900, il travaille à la filature d'Edouard Delaporte qui possède également une usine à Barentin.

Henri s'occupait de la fraîche. Pour se rendre à l'usine, il accomplissait de nombreux kilomètres à pied. A 7h du soir, après 12 heures de travail, mon grand-père finissait la journée. Il rentrait alors à Saint-Paër en remontant de l'eau puisée à la source, près du carrefour et qu'il traînait dans une petite carriole.

En 1900, Edouard Delaporte avait fait don du terrain à la commune et réalisé les travaux nécessaires pour rendre ce point d'eau accessible à tous. Les habitants n'étaient pas encore raccordés à l'eau courante. Rentré chez lui, Henri trouvait encore le temps d'entretenir un magnifique jardin et je pense une basse cour. Puis il se coiffait après la soupe, les derniers travaux, d'un magnifique bonnet de nuit.

A quoi ressemble le Saint-Paër des années 1900 ? C'est l'une des communes de Seine-Maritime qui comporte le plus de hameaux: 29. Sur la place, à partir de 1909, la famille d'Adolphe Hautot tient le café-épicerie. Il a succédé aux Boulfort. Là, derrière, le boucher de Fréville passe régulièrement pour s'installer dans un baraquement. Le boucher de Duclair, le même jour, prend position quant à lui devant l'église. Il y a la boulangerie d'Albert Généreux Guérillon à qui succède Louis Chouquet qui sillonne la campagne en voiture à cheval. Le facteur, c'est Monsieur Tellier. Saint-Paër compte deux bourreliers. L'un au bourg entre le café et la boulangerie. C'est Eugène Hitte. L'autre, Lefèvre, au hameau du Bas-Mouchel. Il y avait aussi le café-épicerie de la mairie tenu d'abord par Douyère puis par Gaston Grenier qui sont aussi forgerons. Gohon est cordonnier, Paul Etienne et M. Boulanger sont menuisiers, Georges Capelle et M. Cordier sont charrons. Deux meunier: Pigache au moulin du Paulu, Ernest Duclos au moulin du Bas-Aulnay. C'est lui le maire de 1904 à 1912. Le dimanche après-midi se disputent des parties de boule tandis qu'un portique avec balançoire, trapèze et échelle accueille les enfants. Tout cela se termine par une bonne collation au café.

Février 1905. Un nommé Auguste Calais, âgé de trente-cinq-ans, demeurant à Saint-Paer, s'est introduit, la nuit dernière, chez son père, cultivateur à Villers-Ecalles, pour le voler. Au moment où il traversait la cour, le chien aboya, et un domestique, se levant, tira un coup de fusil dans la direction de Calais, qui fut atteint peu grièvement. Calais, qui s'était armé d'un fusil pour son expédition, tira à son tour, mais sans atteindre le domestique. Il s'enfuit alors et alla se constituer prisonnier à la gendarmerie de Duclair. Il a déclaré que, s'il avait été sûr que ce fût son père, qui tirait Sur lui, il lui aurait envoyé ses deux coups de fusil et se serait fait justice ensuite.

L'armée rappelle encore Henri du 14 au 27 août 1905 au 22e. Cette fois, il habite Saint-Paër. 

En 1906, Henri est recensé au hameau de Maison-Blanche avec son épouse sous le prénom d'Augustine. Ils sont ouvriers de filature chez Delaporte. Sous leur toit vit leur fille aînée Henriette, ma marraine, née en 1898. Son frère Marcel, âgé de 3 ans, est alors en nourrice chez Jules Langlois, ouvrier lui aussi chez Delaporte et père de quatre garçons. Sous le toit d'Henri, il y a aussi Gabrielle Chéron, sœur d'Augustine, ouvrière de filature chez Cabrol. Bientôt, elle trouvera un époux... Chez Cabrol, tous ces gens retrouvent Edouard Quevilly et sa femme, Charlotte Lemoine. Edouard est menuisier. Ce sera une victime de la Grande guerre. Le 6 octobre, la famille accueille un nouveau garçon : Raphaël, mon père.

Au Haut-mouchel, mon arrière-grand-père, Auguste Chéron, vit seul avec sa fille Marie, restée célibataire et sans emploi au moment du recensement. Elle travaille cependant en filaturet et trouvera la mort la mort dans deux ans.

Les martyrs d'Elondette

L'affaire bouleverse tout le canton. Un scandale qui éclabousse la famille. Au hameau d'Elondettes, le sieur Lerebours, veuf depuis peu, avait épousé Julia Quevilly, la sœur d'Henry. Le couple réservait le plus mauvais traitement aux trois enfants nés d'un premier lit tandis que celui du second, une petite fille, avait tous les égards. Les gamins étaient privés de soins, de nourriture et dormaient sur la paille avec de vieux sacs pour couvertures. Le juge Becquet et le conseiller Chéron se rendirent sur place et l'on entendit de nombreux témoins avant de saisir le Procureur. 
L'enquête se poursuit en février concernant la maltraitance des enfants d'Elondettes, confiés à l'Assistance publique. Un juge d'instruction, les gendarmes, complètent les investigations du juge de Paix. L'enfant du second lit, Suzanne Lerebours, est confiée à son grand-père maternel, Théodule Quevilly.
L'affaire d'Elondette arrive en correctionnelle en février avec la comparution de Julia Quevilly, présentée comme indigente et alcoolique. Les trois enfants, révèlent l'enquête, étaient vêtus de haillons, dénutris, couchés sur la paille, parmi leurs excrément et portant des traces de coups. Les voisins entendaient parfois leurs cris et s'étaient émus de leur sort. A 5h du matin, la marâtre les envoyait nus pieds dans la gelée chercher du maquer à lapins. Son propre enfant, une petite fille âgée de 2 ans, était en revanche choyée. Au procès, on entendit le Dr Allard, qui examina les enfants et les époux Hémard, préoccupés de leur sort. Alphonse Hémard était un gros agriculteur ayant plusieurs domestiques, dont Victor Quevilly 77 ans. Les Roger, grands-parents maternels des trois petits martyrs, ont déjà à leur charge cinq orphelins. Ils ne demandent pas mieux que d'accuillir ces trois enfants, encore faut-il les aider. A voir entre l'Assistance et les Roger. Julia Quevilly, la mauvaise femme, écoppa de quatre mois de prison. Pas son mari qui n'eut nulle condamnation et que l'on retrouvera mobilisé en 14. Il finira par divorcer en février 1916. Chacun se remariera de son côté. La fille du second lit, Suzanne, est décédée le 16 mars 1968 à Grugny, commune connue pour son asile départemental.

Le 1er octobre 1908, Henri Quevilly passe dans la réserve de l'armée territoriale du 22e. Il vient d'avoir une fille : Solange.

Mars 1909 : aux Vieux, section du Paulu, dans un herbage appartenant au sieur Quevilly, cultivateur, le corps de Louis Délu, ouvier de filature de 19 ans, est trouvé mort. Le Dr Allard diagnostique une congestion par le froid.

Juillet 1909.  Avec deux camarades, le petit Pierre Lhoir, 6 ans, fils du chef de gare du Paulu, entre dans un poulailler où son père avait disposé un petit canon pour se protéger des voleurs. Le coup part et l'enfant a la tète fracassée.  Les razzias étaient alors fréquentes. Lhoir retirait son canon tous les matins. Sauf ce jour où étant de repos il se rendit au Trait. Quand à cinq heures de l'après-midi... On fit venir de Caudebec le médecin de la Compagnie de chemin de fer. Qui ne put que constater le décès. Les gendarmes de Duclair ouvrirent une enquête. Lhoir est très apprécié jusqu'au chef-lieu. L'émotion est grande dans le canton.

En décembre, naissance d'Agnès Quevilly.

En 1910, c'est l'hôtelier Henri Denise, maire de Duclair, qui sera élu conseiller général. En avril, un incendie se déclare dans la ferme de Joseph Godallier, aux Vieux.
Le 10 juillet, sur le chemin qui mène Henri à son travail, on inaugure une curieuse entreprise. C'est le labo de spéléologie expérimentale.
En 1911, alors que son père, assisté, est à l'agonie, Henri doit 6 F à la commune. Somme jugée irrecouvrable par le receveur. En novembre, devenues veuves, les épouses de Narcisse et Théodule Quevilly sollicitent l'assistance aux vieillards. La première aura 3 F, la seconde 12. Alors, la veuve de Narcisse fera appel pour obtenir plus. En vain...

Le 18 août 1911, un incendie ravagea l'épicerie Choitel, les pompiers de Duclair vinrent sur place avant de réclamer des indemnités.

Quand Henri se rend à Duclair, il croise une figure: la mère Lamour. Coiffée d'un canotier, Marie-Louis Jouen vend des journaux. Dont L'Amour qui lui vaut son surnom. Elle vend aussi Le Parisien, Le Matin, Le Petit journal, Jean qui rit et Jean qui pleure. Dans son coffre à trois roues, on peut aussi trouver des fichus, des châles, des chapeaux, des parapluies...

Mai 1912 : Max de Joigny est élu maire par 6 voix contre 5 pour Ernest Duclos. Il aura Tranquille Vattier pour adjoint, élu au bénéfice de l'âge.
Juin 1912. Sous ce titre "Une scène scandaleuse", le Journal de Rouen raconte que les habitants de la commune de Saint-Paër ont été fort émus par une scène des plus regrettables qui s'est déroulée lundi pendant une inhumation. Non content de pousser des cris qui n'avaient rien de liturgique, un chantre — très ému, c'était la première communion la veille — est tombé en se rendant au cimetière, entraînant la chute du prêtre qu'il avait violemment heurté. Au cimetière, le fossoyeur — non moins ému sans doute 
avait oublié d'ouvrir la porte de la nécropole et de creuser la tombe. Cette pénible opération a dû être faite par plusieurs membres de la famille.

21 septembre : naissance de ma tante Bernadette.

Aux élections de 1913, Henri est inscrit sur les listes électorales de Saint-Paër avec le prénom d'Emmanuel. Ils ne sont plus que deux Quevilly. L'autre, c'est Victor, ouvrier agricole, plus jeune de quatre ans et vivant au Haut-Mouchel.
En septembre 1913 mourut l'abbé Mauger, âgé de 63 ans. Il était là depuis 1894 et avait réalisé d'importants travaux à l'église. Tous les curés du canton étaient là et de Joigny prononça un remarquable discours.

La Grande guerre...

Le 1er octobre 1914, alors que la guerre est déclarée, Henri est libéré du service militaire et ne sera pas rappelé. Le 30 novembre 1918, la guerre, finie, et on le considère comme libéré définitivement de toute obligation militaire.

Durant la guerre de 14, mon père accompagnait Henri aux champs. Le gamin avait 8 ans et on le ramena de force à l'école. Pourtant, on était habitué à l'absence des enfants. Celle de mon père avait dû se prolonger.

En février 1915, Clémentine Sébire, veuve de Théodule Quevilly, sollicita l'augmentation de sa pension mensuelle. Max de Joigny fit la sourde oreille. Un an plus tard, il fut donné droit à la demande des deux belle-sœurs. La pension de la veuve de Narcisse passa de 3 à 8 F. Celle de Clémentine de 12 à 15, maximum communal. Comment se répartit cette somme ? 2 F pour le logement, 10 pour la nourriture, 3 pour entretien.
Les Quevilly sont parmi les plus indigents de la commune. En mai 1916, au titre de l'assistance aux familles nombreuses, c'est Henri qui reçoit une aide en nature sous forme de pain d'une valeur de 5 F par mois. Il vient d'accueillir une dernière fille, la ravisée, Argentine...

1916 est aussi l'année où fut prononcé le divorce entre Julia Quevilly, tante d'Henri, et Louis-Augustin Lerebours.

Mais qu'en était-il du beau-père d'Henri Quevilly, Auguste Chéron. Journalier en février en 1917, il fit une demande d'assistance aux vieillards. Les conseil délibéra : " considérant que le sieur Chéron Auguste n'est pas sans ressources, qu'il touche l'allocation journalière de 1,25 F (soutien de famille) et est titulaire d'une pension de cent francs au titre des retraites ouvrières, est d'avais qu'il y a lieu d'ajourner sa décision jusqu'à la cessation des hostilités."
En mai 1918, Emélie Quevilly, sœur d'Henri, handicapée mentale vivant avec sa mère fut admise à l'assistance aux incurables. " Cette personne ne disposant d'aucunes ressources, il lui sera alloué une pension mensuelle de quinze francs à partir du 1er juillet courant. "
A cette époque, l'abbé Prunié occupait le vieux presbytère qui menaçait ruines et que l'on avait vainement tenté d'alliéner. En mauvais état était aussi le pont des Vieux, passage obligé. On décida de le restaurer.

Raphaël avait 12 ans quand, cette fois, il travailla un an et demi à la filature Delaporte.

A partir de 1918, la société des filatures Saint-Sever, de Rouen, devient maître des lieux. C'est une filiale des établissements Frémaux dont le siège social est au 27 de la rue du Vieux-Faubourg, à Lille. Elle est déclarée au registre du commerce de Rouen sous le n° B 1009. M. et Mme Frémaux possèdent la propriété de la Beuvrière, dans la côte du Paulu, équipée d'une piscine.

En 1919, Pierre Jean Polydore Van Den Bosch vint relancer la filature du Paulu. Belge, il avait dirigé la filature Pouillier-Linghaye en 1895 à Lille, puis fondé, en 1902, celle de Wambrechies et Lomme lez Lille. Son fils était mort en 1917 en compagnie du comte Henri de la Vaulx. Pierre Eugène Jean Van Den Bosch était en effet lieutenant pilote du dirigeable Pilatre-de-Rozier qui s'écrasa à Voellerdigen avec tout son équipage. Mon grand-père servait de barbier à Van Den Bosch qui possédait un château à Saint-Martin-de-Boscherville.


Au Paulu, malgré les efforts des pompiers, un incendie détruit un grand bâtiment du tissage Leurent, anciennement Cabrol. Dégâts : 800,000 F et surtout 170 ouvriers au chômage. Le maire de Varengeville, René Dieusy, organise un comité de secours. On espère que les filateurs voisins absorberont pour quelques mois la main-d'œuvre privée d'emploi.

Le 20 octobre 1919, Henri marie sa sœur Angèle à Henri Herment. Ce dernier était né de père inconnu chez un oncle. Sa mère, Clémence Alphonsine, était ouvrière de filature. Elle aussi, décidément, était née de père inconnu. Anasthasie Herment avait accouché chez son père Jean en 1850. Ce dernier était journalier.
Jeune homme, Henri Herment fut un pied nickelé. Un mois de prison pour filouterie d'aliments avec bris de clôture en 1894, six mois en 1895 pour vol. Il fut incorporé en 1896 et conduit en Algérie. Deux ans plus tard, on le collait chez les Zouaves. Réformé temporaire pour pleurésie chronique, il fut rayé en 1899 et on lui refusa le certificat de bonne conduite. On le réintègre en 1900 mais le voilà condamné à onze mois de prison pour coups et blessures
Dès le 4 août 1914, Herment va se racheter. Il est mobilisé au sein du 21e RIT. le 27 août 1915, il passe au 20e, le 3 septembre au 18e, le 3 octobre au 19e enfin le 29 décembre 1917 au 232e. Bref, il mènera campagne contre l'Allemagne jusqu'en mai 1919. A sa démobilisation, il épousa donc ma grand-tante en octobre 1919...

En décembre 1919, de Joigny fut mis en minorité au sein de son conseil au profit d'Alphonse Hémard. Tranquille Vallier reste adjoint.

Février 1920. Tandis que de Joigny supervise le projet de monument aux morts, Auguste Chéron est admis à l'assistance aux vieillards. Il percevra 1,67 F compte-tenu des 100 F de sa retraite ouvrière et des 5 F en nature que lui alloue son fils tous les mois.

En 1921, il vit avec sa femme, sa belle-mère, Clémentine Sébire et sa belle-sœur, Emélie. Il est alors ouvrier agricole chez Victor Chandelier et habite le village de Saint-Paër. En 1921 fut inauguré le monument aux morts sculpté par Maurice Ringot, établi au Trait. Henri et ses deux fils, Raphaël et Marcel Quevilly, sont ouvriers de filature chez Frémeaux et Vandenbosch. A côté de là, Clovis Chéron est cantonnier au service vicinal tandis que son père est journalier. En septembre, un incendie se déclare dans la remise de la maison d'habitation des époux Hautot et de Mme veuve Etancelin. Le feu gagne la toiture en chaume. Appelés à la rescousse, les ouvriers de l'usine Van Den Bosch arrivent avec la pompe de la filature. Malgré leurs efforts, 110 quintaux de foin appartenant à M. Tocqueville et les meulbes des Hautot partent en fumée.

Novembre 1923 : Max de Joigny retrouve son siège. Il confirme en mai 1925 avec Paul Maurice pour adjoint.

En 1925, âgé de 59 ans, Henri reçut une montre Lip en plaqué or pour 25 ans de bons et loyaux service aux filatures Frémeaux. 

Restons en 1925 pour voir comment mon grand-père pouvait se réjouir lors de manifestations collectives. Les 6 et 7 juin eurent lieu les fêtes communales, place de la mairie, sous la présidence du maire, Max de Joigny. Henri et Raphaël, j'ose le supposer, y assistaient. Du moins vécurent-ils de semblables réjouissances. Tout commença le samedi à 19h par des salves d'artillerie et la sonnerie des cloches. Ce qui fut réitéré le lendemain matin dès 6h. Le Rappel de Duclair donna un concert de 15h à 19h. Cette fanfare a un an. Elle a succédé à la clique des sapeurs pompiers. Le Rappel est en concurrence avec la fanfare de Duclair, fondée quant à elle en 1893. A 15 h 15, il y eut une course cycliste. 13 km. Je sais que mon père a gagné de telles épreuves. Les enfants de moins de 13 ans, eux, disputèrent une course à pied à 15h20. A 16h eut lieu un concours dont j'ignore le sens: le dîner de l'ogre. 16h: nouvelle course cyclise de 6km. 17h: jeux de ciseaux pour les filles de moins de 13 ans. 17h30 : jeu des chercheurs d'or. Max de Joigny procéda à la distribution des prix à 18h. Après quoi eut lieu un bal à grand orchestre. A 20h, Saint-Paër s'illumina avec l'embrasement de la mairie. 
Hautot, le tenancier du café de la place, présidait le comité des fêtes créé depuis un an. C'est auprès de lui qu'il avait fallu s'inscrire. Un membre du comité avait fait du porte à porte pour solliciter des dons. 
Le 9 juin, il y eut le pèlerinage à Saint Onuphre. On allait lui réciter des prières au hameau du Mesnil-Varin où sa statue habitait la chapelle de la Sainte-Trinité. J'ai du mal à y voir mes Quevilly. 
Le 14 juillet, ce fut la fête nationale. Ce jour-là, dès 8h du matin, les indigents reçurent une part de viande. L'après-midi, il y eut des concours de tirs gratuits pour les adultes, de pots cassés pour les enfants et une course à l'oeuf. Puis des courses d'ânes, des courses en sac et chacun était prié d'amener sa pouque. Et encore la remise des prix, le bal, les illuminations. 

Pour fêter la moisson, il existait aussi une procession.

1926 : Henri et son fils Raphaël sont recensés comme ouvriers d'usine chez Frémeaux. Solange, Agnès, Bernadette et Argentine sont toujours à la maison. Les voisins sont Auguste Chéron et son fils Clovis, aide-agricole. Le 12 octobre 1926, le décès de Clémentine Sébire est déclaré à l'état civil de Rouen. En novembre, le conseil municipal ratifie l'hospitalisation de "Mme Veuve Quevilly, née Sébire, en vertu de la loi du 14 juillet 1905." Mais elle n'est plus de ce monde.

Le 16 février 1928 mourut Max de Joigny, chevalier de la couronne de Belgique, président de la société des régates de Duclair. Le dimanche suivant, au chateau du Launay, son épouse le suivit dans la tombe. Mon arrière-grand-père, Auguste Chéron, avait été bûcheron chez eux.
Dès lors, ce fut Paul Maurice, le maire. Pour dix ans. Max de Joigny était le fils de Louis Auguste Beaudouin de Joigny, propriétaire du château des Vieux qui, le 27 août 1848 avait élu conseiller général du canton de Duclair. Maurice eut d'abord Louis Ferment pour adjoint. Ils seront confirmés en mai 29.

En mai 28, les 5 F que devait Chéron fils au titre de la taxe sur les chiens sont admis en non valeur. Il a été poursuivi sans résultat.

18 juillet 1928, Le temps. Les six enfants de M. Genet, facteur des postes à Duclair, demeurant à Saint-Paër (Seine-Inférieure), jouaient dimanche, à 19 heures, dans un bâtiment servant de grange. Soudain, Mme Genet s'aperçut que la grange était en flammes; elle y courut, affolée, et, à l'aide d'une pioche, défonça le mur en torchis.
Elle délivra ainsi ses six enfants, âgés de 6 à 2 ans, gravement brûlés, ils ont été conduits d'urgence à l'hospice général de Rouen, où cinq d'entre eux ont succombé; le «sixième est dans un état désespéré. 19 juillet : Le petit René Genet, âgé de deux ans, la sixième victime de l'incendie que nous avons relaté hier, a succombé...

Hier matin, au milieu d'une très grande affluence, ont eu lieu les obsèques des six petits enfants Genêt qui trouvèrent une si horrible mort dans l'incendie d'une grange à Saint-Paer. Les six cercueils avaient été déposés à l'entrée du choeur de la petite église de Saint-Paer et disparaissaient sous les fleurs et les couronnes.
Au cours de la cérémonie religieuse, M. le chanoine Haquet, curé-doyen du canton de Duclair, représentant Mgr Du Bois de la Villerabelle, archevêque de Rouen, prononça une touchante allocution.

Au cimetière, M. Maurice, maire, de Saint-Paer ; Denise, conseiller général, et André Marie, député de la Seine-Inférieure, apportèrent, au nom des populations de la commune, du canton et du département, des paroles de condoléances émues.

Le 14 octobre 1928, Charles de Heyn, agent d'assurance, maire de Duclair, bat Henri Denise aux cantonales.

1929, 28 janvier. M. Henri Manoury, de Saint-Paër, rentrant chez lui après une absence de quelques jours, a trouvé sa femme, âgée de 54 ans, tombée près du poêle et entièrement carbonisée. On suppose qu'une étincelle a mis le feu à ses vêtements.

 

Le 12 janvier 1930, une tempête occasionna de gros dégâts/ En 1930, Gaston Grenier, le cafetier-épicier-forgeron, rendit son tablier. Il ouvrait son atelier dès 6h du matin pour arrêter ses activités à 19h. Entre temps, ils vous ferrait une trentaine de sabots. Il fabriquait lui même les fers de même que les roues de charrette et divers outils. Viret lui succède mais c'est l'heure de la machine agricole. Un concessionnaire lui fera concurrence. Viret passera rapidement la main à Monsieur Marc.

Dans sa séance du 5 août 1932, le conseil radia Julia Quevilly, femme Lerebours, de la liste des bénéficiaires de l'assistance aux vieillards.

Février 1933 : malade, l'abbé Prunier est contraint de quitter la paroisse. On lui doit beaucoup : la salle paroissiale, près du presbytère, les bancs dans la nef et la chapelle sud de l'église. L'abbé Caniel lui succède.

Le 7 octobre 1934, Armand, comte de Maures de Malartic, châtelain et maire d'Yville est élu conseiller général.

 

Les Quevilly occupèrent successivement deux maisons. La première appartenait à un certain Dané, paysan d'Hérouville. La seconde à Mme Etienne, l'épicière morte à 102 ans et qui avait adopté Madeleine Trouvé. En famille, les dimanches étaient, dit-on, bien arrosés.

Début 1935, les syndicats patronaux du textile mènenent une nouvelle offensive contre les salaires déjà bas depuis cinq ans de leurs quelque 15.000 ouvriers. "Les plus misérables prolétaires de France", lance l'Humanité. "Le pays est magnifique des forêts vertes, de grasses prairies, des pommiers, des vaches, ça et là, des châteaux tourelles. Tout est luxe, abondance, richesse. Et cependant, au milieu de cette nature qui crève de santé, les hommes crèvent de faim." C'est que la soixantaine d'usines est détenue par une demi-douzaine de rapaces qui se marient entre eux, observent Communistes comme Socialistes ou Radicaux... Badin est montré du doigt, lui qui loge ses ouvriers, les fait s'approvisionner à sa coopérative pour empocher loyers et dépenses. On l'accuser aussi de pousser ses employés dans les bras des Croix de Feu.
Alors, à Barentin, à Pavilly, des réunions drainent leur monde, des municipalités, des commerçants soutiennent le mouvement, un comité populaire contre la misère sera créé. C'est dans ce contexte que, le 24 mars 1935, l'achevêque de Rouen, Mgr Ville-Rabelle, vient baptiser le troisième cloche de l'église de Saint-Paër. Portiques de verdure, armoiries, drapeau pontifical sont agencés à l'entrée de l'église. Ici, pas de manif, mais une procession dans les rues du village. C'est l'heure de gloire de l'abbé Caniel. Le 14 mai suivant, on apprrendra la mort de son prédécesseur. Quatre jours plus tard, Marcel Bersoult est élu maire de Saint-Paër.

En 1936, Henri est recensé avec son épouse à Maison-Blanche avec sa fille Argentine, ouvrière chez Leurens.

Le 18 juin 1936, Henri fut témoin d'une catastrophe, près de son usine alors dirigée par Monsieur Trépagny. Une explosion a secoué au petit matin le moulin du Paulu. Le feu menace les habitations voisines. Les pompes des sapeurs de Varengeville, renforcés par ceux de Duclair, sont en action. on fait la chaîne pour amener des sceaux de la rivière. En une heure, des tonnes d'orge sont grillées.

1936 toujours :

Un boulanger ivre jette son auto sur un pylône et va se coucher

Un mort, deux blessés gisaient dans la voiture

Au Paulu, commune de Saint-Pierre-de-VarengevilIe, le boulanger J H, de Saint-Paer, effectuait une tournée de livraison, accompagné de son jeune employé, A D, 17 ans ; de Mme D, demeurant également à Saint-Paër et des trois enfants de celle-ci.
H qui était en état d'ivresse, circulait à vive allure. Tout à coup, il jeta sa voiture contre un pylône. L'auto fit plusieurs tours sur elle-même, projetant ses occupants sur la route. A D fut tué sur le coup. Mme D et un de ses enfants furent grièvement blessés.
Sans se préoccuper du sort des victimes, J H regagna à pied son domicile distant de trois kilomètres et se coucha. C'est là que les gendarmes vinrent l'arrêter, deux heures plus tard, malgré une vive résistance.

Au centre de la photo est Monsieur Fiot, le bouilleur de cru, qui connut une fin tragique à Jumièges. la femme qui tient un agneau s'appelle Blanche.

En septembre 36, le bras de fer reste tendu entre syndicats ouvriers et patronaux. Les premiers accusent les seconds de provoquer eux-mêmes des grèves pour faire capoter les contrats collectifs. 
En novembre 36, à Saint-Paër, un incendie ravage la ferme de Daniel Carpentier.

En 1937, le 14 février, on bénit le vitrail Notre-Dame de Lourdes à l'occasion des vêpres. Un calvaire est mis en chantier. Les Quevilly apprirent que leur fils Raphaël se mariait. Apprirent, car ils ne furent pas invités à Saint-Mandé, dans la banlieue de Paris. C'est par hasard, sur le marché de Duclair, que Joséphine Chéron vit un jour venir à elle une jolie blonde, André Mainberte. Sa belle-fille....


En attendant, la colère monte au bord de l'Austreberthe. L'union des syndicats des deux vallées organise une tournée de protestation pour le respect des 40 heures et des lois sociales. Elle réunit au passage 700 ouvriers à Pavilly, 200 à Duclair. A Barentin a lieu une grande manifestation. 

Le 23 avril 1939, 1.500 ouvriers de la vallée de l'Austreberthe manifestèrent encore à Barentin à l'appel de l'union départementale de la fédération du textile.

Henri a pris sa retraite à 74 ans. C'était en 1940. Tous les trois mois, chez le percepteur de Duclair, Henri ira chercher ses 3,50 F. Mais pour l'heure, c'est la guerre. En juin, deux Anglais sont abattus au calvaire par les Allemands qui entrent dans Saint-Paër.

Chez les Quevilly vivait Angèle, affublée d'une jambe de bois.

Augustine se plaignait souvent du côté. Peut-être mourut-elle d'un cancer. L'abbé Caniel l'enterra en octobre 1943. Elle n'a pas connu la Paix. A la mort de sa mère, Angèle ayant également disparu, Amélie Quevilly vint vivre un temps avec mon grand-père.

Après six ans de veuvage, Henri Quevilly disparut le mardi 25 janvier 1949 en sa petite demeure du hameau de Maison-Blanche. A 81 ans, il n'avait plus de dents. La tradition familiale veut que les chevaux du corbillard improvisé eurent mille peine à le conduire au cimetière de Saint-Paër. La neige et le verglas régnaient alors en cette saison. Il fallut couper à travers champs. La fosse creusée pour recevoir son cercueil s'avéra trop petite. Si bien qu'aux coup de talons durent succéder les coups de pioche pour que la terre gelée digère enfin son catafalque.

Laurent QUEVILLY.

Pour suivre : Raphaël Quevilly


Sources 


Journal de Rouen.

Saint-Paër, Pierre Molkhou.
Archives Raphaël Quevilly.
Philippe Montigny, époux d'une descendante de Xavier Heuchel.