Par Laurent Quevilly.

Je suis allé parfois y promener mes pas, mené par mon père et sa sœur Henriette. Ce laboratoire abandonné était une curiosité qui suscitait l'ironie. Et pourtant...

Le 10 juillet 1910, on inaugure une curieuse entreprise au Paulu. L'année précédante, Henri Gadeau de Kerville, héritier de terres acquises par son père à Saint-Paër, avait élargi un terrier de renard et découvert une ancienne carrière. 

Fernand Gagniard, architecte-géomètre était venu de Rouen mener des travaux. On déplaça des milliers de mètres cubes de terre et de roche, un escalier fut aménagé, une cheminée d'aération et, sur 671 m2, deux salles. L'une réservée à la zoologie, l'autre à la botanique. 

Au fronton de la façade, on grava : Laboratoire de spéléologie expérimentale. La chose fit des gorges chaudes. 

Qui était donc ce savant fou de 52 ans, la barbichette à la Poincaré ? Elève du lycée Corneille de Rouen, il était destiné à reprendre l'entreprise paternelle de cardes, à Saint-Sever. Mais il entra à la société des amis des sciences naturelles en 1878, fonda le photo-club de Rouen. En 1892, désigné comme juré aux Assises de Rouen, il refuse de prêter serment devant Dieu, c'est contraire à ses opinions. La cour le condamne à 5.000F d'amende et renvoie l'affaire qui devait être jugée. Ce qui vaut au prévenu qui espérait sa remise en liberté trois mois de prison supplémentaires...

Pénétrons dans son laboratoire. Dans sa salle réservée à la zoologie, des bacs, des aquariums accueillaient des batraciens et des mollusques. Douze cages étaient destinées à recevoir des insectes. 

Dans la salle consacrée à la botanique, quatre plates-bandes contenaient de la terre végétale. Des étagères servaient de support aux plantes cultivées. L'endroit était saturé de vapeur d'eau et faisait office d'arrosage. 

Gadeau de Kerville voulait percer le grand mystère de la vie en s'adonnant à des expériences loin de la lumière du jour. Il procéda sur six protées à une expérience de régénération après amputation. On sait que l'un d'eux mourut au bout de 15 jours. En revanche, oublié après la désertion du laboratoire, un autre fut retrouvé en 1924, ce qui constitue un record de longévité.

Les plantes, quant à elles, atteignirent des tailles supérieures à la normale. 

Privées de chlorophyle, leurs tiges et leurs feuilles étaient blanches. En revanche, les fleurs gardaient leur couleur et en grande partie leur parfum. Certains spécimens sont conservés depuis 1928 dans les éprouvettes du musée d'histoire naturelle de Rouen. 

Gadeau de Kerville ne laissa que peu de notes sur ses recherches et n'aura guère exploité son laboratoire. 

En 1912, il effectua un voyage en Asie Mineure dont il revint malade. Il y eut la Grande Guerre et le départ son préparateur, Lucien Horst. Bref, Kerville finit par vendre sa propriété vers 1916. Kerville est mort en 40 après avoir laissé des ouvrages de référence sur les insectes, la faune normande, les vieux arbres ... Après la Seconde guerre, on prétendait à la cavée Saint-Gilles que ces installations à l'abandon avaient servi aux Allemands pour des expériences sur les animaux. Le laboratoire de Kerville était entré dans la légende.

Varengevillais et Saint-Paërois en goguette sur le site du laboratoire.




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Biographie de Kerville par Jean-Pierre Hervieux :

Le houx du Conihout :