Le canton de Duclair aura compté plusieurs arbres remarquables. Inventaire des curiosités botaniques de notre région...


Il existait jadis, au hameau du Conihout de Jumièges, un houx qui attirait tous les regards.
A vol d'oiseau, il était situé à quelque quatre kilomètres de l'abbaye et émergeait d'une haie, au pignon de la maison d'une exploitation agricole qui avait fini par prendre son nom : la ferme du Houx.

Ce houx pyramidal, si haut, si gros, fit dire à certains qu'il était contemporain de saint Philibert, le fondateur de l'abbaye de Jumièges. Ceux qui avançaient de telles balivernes n'en croyaient bien sûr pas un mot, sachant que ce personnage nous était arrivé en l'an 654. Ce qui les frappait, c'était avant tout la taille inhabituelle de cet "ilex aquifolium" qui lui valait l'honneur de figurer dans le répertoire des "houx monstres" de Normandie. Avec sa confrérie du Loup Vert, le hameau Conihout avait ainsi cette autre curiosité...


Vers 1890, la ferme du Houx appartenait à Mélite Pelay, propriétaire à Rouen. Et c'est son fils, Edouard Pelay (en médaillon), qui signala à Gadeau de Kerville, l'existence de cette curiosité de la nature. Edouard Pelay était, comme son père assureur, mais surtout membre de sociétés savantes et grand spécialiste de Corneille. Quant à Gadeau de Kerville, aux yeux de nos aïeux
, c'était le savant fou du Paulu. L'homme qui, tel un troglodyte, menait d'obscures expériences dans son laboratoire de spéléo-biologie établi dans une grotte.



Notre savant se rendit sur place le 4 mai 1891, pris des mesures. Et un cliché. Car, aimant la lumière autant que l'obscurité, il était fondateur du photo-club de Rouen. Ce "houx commun" avait exactement 1 m. 43 de circonférence à 1 m. du sol et 12 m. 50 de haut. Kerville estima alors l'âge de l'arbre dans une fourchette allant de 70 à 130 ans. Tout au plus, il aurait donc pris croissance vers 1760. Ce qui nous ramenait plutôt sous le dernier abbé de Jumièges que du premier...
Le compte-rendu du botaniste fut publié, parmi d'autres, dans le Bulletin de la société des Amis des Sciences naturelles de Rouen, de 1894.

Le cèdre du Liban

Mais Kerville était déjà un habitué de Jumièges. Le 8 septembre 1890, il avait reconnu une autre curiosité: le cèdre du Liban situé devant l'aile gauche du palais abbatial. Un arbre mesurant alors plus de plus de 17 m et que Mme Eric, surnom de la veuve Lepel-Cointet, lui avait permis de photographier. Il devait avoir 130 ans.


Kerville reviendra à Jumièges. Notamment en 1909 en compagnie de la  Société des amis des sciences naturelles. Avec quelques excursionnistes, il captura dans les souterrains de l'abbaye des chauves-souris dont les femelles voletaient en portant leur petit cramponné au corps. Kerville en reconnut  l'espèce. C'étaient des Vespertilions échancrés.

Nos deux arbres vécurent encore près d'un siècle après les visites de Kerville. Ils poursuivirent donc leur croissance. Je crois me souvenir qu'une tempête eut raison du cèdre. Le houx, lui, fut abattu vers 1980 avec toutes les autorisations requises. Il avait été classé parmi les arbres remarquables mais menaçait l'habitation toute proche. En 1936, les botanistes s'intéressèrent à un autre houx de forte taille situé dans la ferme du maire, M. Boutard, aux Sablons.

AVANT
APRES


L'if du Mesnil

Le Chêne cuve à Hauville, le Chêne à Leu près Boscherville... notre région recèle bien des curiosités de la nature. Jadis, vers 1830, à l'orient de l'enclos du Manoir, l'if de l'ancienne église du Mesnil passait pour le plus ancien de la contrée. Son tronc était d'un diamètre imposant, fait de plusieurs parties, mais sous l'écorce sonnait le vide. Il dispararut avec l'édifice religieux dont les murailles, les charpentes et le plâtrage étaient frappés de vétusté dans les années 1850.

L'orme des Vieux
Qu'est devenu aussi cet arbre dont nous parlent les Annales forestières de 1812 ?

L'orme se trouve canton de Ducler, arrondissement dé Rouen, département de la Seine inférieure: on le nomme l'Orme des Vieux, à cause; dit-on, de son ancienneté. Il est situé sur une éminence près le château des Vieux, en la commune, du même nom, à 4 lieues et demie nord-ouest de Rouen. —
Cet orme a 14 mètres (43 pieds ) de tour s mesuré à 1 mètre ( 5 pieds ) de terre. Il avoit autrefois cinq branches qui sortoient de sa tige, à 3 mètres (9 pieds) de hauteur.

Deux de ces branches furent coupées il y a plus de 20 ans, pour lui donner une forme plus agréable; on en tira 32 cordes de bois, revenant En brumaire an 8, (novembre 1799), une troisième branche a été abattue par le vent ; elle a produit dix-neuf cordes.
La quatrième est tombée en 1809, et a produit treize cordes,

Enfin , la cinquième branche la seule qui subsiste aujourd'hui a 4 mètres ( 12 pieds) de tour. On pense qu'elle peut avec le tronc, donner vingt-trois cordes ou quarante-sept stères.

Une erreur dans cet article. Près de la rivière Austreberthe, les Vieux n'ont rien à voir avec l'ancienneté. Le mot signifie gué, passage... Et c'est aussi aux Vieux que mon lointain cousin, l'abbé Tougard, situe l'existence d'un chêne énorme appelé jadis l'Arbre des Fées. En rédigeant sa Géographie de la Seine-Inférieure 60 ans après les Annales forestières, Tougard commet-il une confusion avec l'orme dont nous venons de parler ?

Le saule de Boscherville

A Boscherville, Kerville reconnut aussi le Chêne à leu auquel nous consacrons un chapitre spécifique. Mais aussi le saule situé dans la propriété de M. André Long. "Il se trouve tout près d'un pavillon de pêche bâti au bord d'une anse de la Seine communiquant en deux points avec ce fleuve. On se rend à la propriété en suivant le chemin qui conduit de la place de l'abbaye de Saint-Georges-de-Boschervillee à l'endroit où les piétons ont un bac pour traverser la Seine.



"Description faite avec les notes que j'ai prises sur place le 21 mai 1929 : Le Saule de Saint-Martin-de-Boscherville, du sexe mâle et coupé en têtard, est encore vigoureux. De grosses branches n'existent plus. Son tronc, complètement creux, présente, à un mètre du sol, une circonférence de 6 m. 61.
"Le propriétaire a eu l'excellente idée de le protéger par un toit de chaume. La hauteur totale de l'arbre est de 14 m. 50 environ." Kerville estimait l'âge du saule à près de 200 ans.

L'orme du Wuy


Près de chez nous, le 14 avril 1892, Kerville alla reconnaître l'orme du Wuy à Guerbaville. "Cet Orme, des plus intéressants, mais, malheureusement, dans un très mauvais état de conservation. Il se trouve au milieu d'une haie entourant la cour d'une ferme, en un point vis-à-vis de la mare de ce hameau (située à gauche du chemin que l'on voit dans le coin inférieur gauche de la planche VII), et au bord et un peu au-dessus d'un chemin et d'un carrefour, dont une faible partie du dernier constitue le bas de la planche en question. Cet arbre a pour voisins immédiats, mais d'un seul côté, d'autres individus de son espèce, comme lui en bordure. e tronc de cet Orme est entièrement creux et sa périphérie n'est à peu près complète que jusqu'à environ 2 mètres au-dessus du sol moyen ; toutefois, ce tronc présente des fentes basilaires, où, de chaque côté, la haie en question vient se terminer. Par la fente qui est à droite, en se baissant,
pénétrer facilement dans l'intérieur du tronc, d'où, à une hauteur de 3 à 4 mètres du sol moyen, partent trois branches s'élevant très-haut. La circonférence du tronc est de 6 m. 80, à un mètre du sol moyen et la hauteur totale de l'arbre est d'environ 27 m. 47. Je crois pouvoir admettre que son âge actuel est d'environ 300 à 500 ans. "

En avril 1898, dans le Nouvelliste de Rouen, un cycliste parisien s'extasie : "Au moment où tout est en fleurs, je signale aux touristes le maronnier situé dans la cour de Mme Martin, propriétaire à Duclair, route de Barentin. Cet arbre, plus que séculaire, est unique en son genre. Le tronc, de dimensions colossales, a des branches énormes qui, retombant, touchent le sol, formant comme une gigantesque araignée." Le maronnier araignée de Duclair, commente le journal du même nom, manquait à la collection des arbres extraordinaires de la Normandie. "Il sera sans doute très photographié cet été."

Sources
Bulletin de la société des Amis des Sciences naturelles de Rouen, 1894. (Merci à Jean-Pierre Derouard de nous avoir transmis le cliché de Gadeau.)
Géographie de la Seine-Inférieure, Bunel et Tougard, 1879.


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