LES RELATIONS
ENTRE LES DEUX RIVES

Bienvenue dans les archives de Sequan@ Normandie

La largeur de la Seine s'interpose : il n'est pas toujours facile de la traverser mais c'est souvent utile ou nécessaire. Un passage n'a jamais vraiment été établi en fonction des facilités de traversée mais plutôt pour contenter une clientèle. Un passage devenu difficile, voire dangereux, n'est jamais supprimé. La première qualité d'un passage est d'être proche pour éviter un long détour par terre. De nombreux riverains eurent aussi longtemps leurs propres barques leur évitant les inconvénients des passages officiels.
  

1 - DEVOIR TRAVERSER : DES CONTRAINTES

LE PRIX DU PASSAGE  :

  • Les passeurs prélèvent un droit sur l'usager pour son salaire et l'amortissement de son matériel. Les tarif anciens prévoient aussi bien le panier que la voiture attelée de quatre chevaux. Les habitués des passages s'arrangent souvent avec le passeur pour un paiement à l'amiable, souvent en nature. Normal à l'époque des bacs à vapeur privés ;  le prix pour passer apparaît  injuste aux riverains dès que les passages sont financés par le Département et qu'ils paient leurs impôts locaux tout comme ceux qui empruntent une route départementale. Ce n'est que progressivement qu'ils obtiendront la gratuité.

L'ATTENTE :

Cloche du Passage de Yainville

Maison pour le gardien de nuit construite en 1929  Passage de La Mailleraye, cale rive droite

  • L'attente est l'inconvénient le plus mal vécu par les usagers. Au temps des bachots et bacs à rames, l'embarcation ne se trouve pas toujours sur la bonne rive. Il faut alors appeler le passeur en hissant un drapeau ou en sonnant la cloche mais le plus souvent en criant à tue-tête.
  • La motorisation des bacs permet l'établissement d'horaires normalement plus réguliers. Mais se pose très vite le problème d'une harmonisation avec l'ouverture des usines ou le passage du train sur l'autre rive.
  • L'interruption du passage pendant la nuit est générale.

  • Gare à celui qui a raté le dernier bac!!!... Avant 1959 et l'ouverture du pont de Tancarville, cela signifiait un détour par les ponts de Rouen.... déplacement impossible avant l'automobile.
    Un matelot de garde pouvant faire passer en cas d'urgence est, dans l'entre-deux-guerres, l'une des grandes revendications des riverains.
  • L'attente des usagers explique la formation, sur la rive opposée au bourg, d'un petit quartier comprenant au moins un café traditionnellement dit café du bac ou du passage et avant l'automobile un hôtel avec écurie : celui de Bliquetuit,  face à Caudebec, peut en 1926 accueillir 70 chevaux.




LES CONTRAINTES CLIMATIQUES : 

  • Brumes, glaces, vents, hautes eaux, courants, mascarets : autant de causes autorisant les passeurs à interrompre leur service. A eux d'en apprécier l'intensité et le danger....

  • Le père Aubé, passeur de La Mailleraye avant la vapeur, est célèbre pour "traverser par n'importe quel temps, même brumeux." Mais Tourant, fermier du passage de La Bouille, se voit en 1891 reprocher d'avoir "interrompu plus volontiers son service par temps de glace" que les passagers de Croisset et Petit-Couronne.
  • De nos jours, seule la brume arrête les bacs : celui de Duclair resta ainsi quatre jours en panne en février 1981.
Bac de Caudebec-en-Caux face au mascaret (1958) photo Alain HUON              Bac de Duclair pris dans les glaces (1987)   photo Gilbert FROMAGER

LES ACCIDENTS :


"L'ILLUSTRATION"
collection Musée de la Marine de Seine-Caudebec-en-Caux

Abordage du bac de Caudebec-en-Caux par le charbonnier anglais
  • Avec la vapeur, le grand danger est l'abordage par un navire : le 16 août 1925, le charbonnier anglais Borthwick percute le bac de Caudebec, faisant quatre victimes.
  • Les accidents ne peuvent être considérés comme fréquents mais provoquent toujours l'émotion. Le bétail est délicat à faire traverser : son affolement à l'arrivée provoque le 24 décembre 1776 le naufrage de la flette de Jumièges... Le 24 janvier 1792, le bac de Caudebec prend eau à proximité de la cale rive gauche.



UN CERTAIN LAISSER-ALLER :

Les passagers semblent ne pas avoir toujours apporté le soin nécessaire à leur service.

  • Jean Allais, de Caudebec, est en 1774 accusé de laisser le public attendre pendant des heures. Le même a en ce 24 janvier 1792 laissé surcharger son bac.
  • Les premières inspections des passages, à la révolution, trouvent de nombreuses embarcations "au tiers, à demi ou entièrement ruinées"....

  •       Roger, à Saint-Georges, en 1863, laisse son passage à un "vieux pêcheur valétudinaire" ...
            et Riché, à Jumièges en 1881, fait lui, "passer par un enfant".
  • Le patron Leverge, ce soir du 16 août 1925, n'avait pas allumé les trois feux réglementaires sur son bac de Caudebec. Il est de plus constaté qu'il était en "état d'ébriété".
  • Les employés des passages, séjournant volontiers au café tout proche entre deux traversées, ont longtemps eu une solide réputation d'intempérance.

  • Le règlement du premier bac à vapeur de Caudebec, en 1868, stipule ainsi que les "passagers auront le droit de requérir le remplacement immédiat d'un marin qui se trouverait en état d'ivresse".
    2 - DES DÉPLACEMENTS INCESSANTS
    • Les plus nombreux à passer sont les exploitants agricoles. Le premier tarif départemental aux passages, indique l'intention de "favoriser l'agriculture". Le bétail -de l'oie à la vache- acquitte ainsi moins dès qu'il va ou vient du pâturage ; "les voitures et les chevaux occupés aux transports de la ferme aux champs et des champs à la ferme" ne doivent que la moitié des droits.

    • Julien Guillemart se souvient de son enfance à Vieux-Port des travailleurs d'usines de Lillebonne et Bolbec passant en août pour moissonner dans l'Eure. C'est le foin produit rive gauche sur les nouvelles prairies endiguées, vendu dans tout le pays de Caux, qui motivera en 1868 la modernisation du bac de Caudebec.
       
    • Ce sont ensuite les marchés et les foires qui suscitent les mouvements les plus nombreux. Déplacements hebdomadaires pour les marchés de chefs-lieux de canton situés au sommet d'un méandres : les habitants des boucles passent le bac.

    Le bac à Duclair, jour de marché


    Le 24 janvier 1792, Allais a laissé surchargé son bac parce que c'était l'affluence du jour de marché.
    Mais on vient de bien plus loin : en 1798, pour fixer le jour de son marché, Caudebec demande qu'on tienne compte de ceux de Bourg-Achard, Routot, Bourneville, Pont-Audemer, Corneville et même Lisieux. Routot, Bourg-Achard et Le Neubourg sont foires aux bestiaux. On traverse à tous les passages pour s'y rendre depuis une grande partie du Pays de Caux et le bétail repasse, surtout à Jumièges et La Mailleraye, pour être vendu.
    => La Seine ne recoupe pas la zone d'influence des bourgs tenant marché ou foire importants.

    • Dès leur création, les routes départementales ont un numéro et une dénomination se poursuivant sur les deux rives de la Seine.
     

    3 - L'AUTRE CÔTE DE L'EAU...
    • Dans le système des méandres, les bourgs se sont développés sur la rive concave. Les grandes routes reliant ces bourgs recoupent le pédoncule des méandres et pénètrent peu les boucles : celles-ci dépendent totalement des bourgs de la rive concave pour les démarches administratives et beaucoup de services. A la fin du XIXème siècle, le chemin de fer suit un tracé parallèle à la route. Puis l'industrie, au début du XXème siècle, s'implante à proximité de la voie ferrée. Les boucles y trouvent une nouvelle dépendance : celle de l'emploi.
    • Chaque boucle reste donc comme rurale et isolée. L'isolement est plus fortement ressenti dans les presqu'îles de la rive gauche, rive dite de l'autre côté de l'eau par opposition à la rive droite où se situent les centres de décision : "Il est impossible de vivre dans cette région déshéritée sans passer la Seine très souvent. Toutes les administrations : chemin de fer, poste, perception, marché se trouvent sur la rive droite" disent en 1941 les maires de la boucle d'Anneville.
    • Les paroisses de la boucle d'Anneville sont dites en 1717 "closes par le contour de la rivière de Seine et fermées du côté des terres par les bois et forêts de Mauny" et celles de la presqu'île de Brotonne en 1779 "séparées du reste du monde et enclavées entre la Seine et la forêt."

    • => L'isolement des boucles de la rive gauche ne vient donc pas uniquement de la Seine mais également de la forêt.

    La Boucle de Brotonne en 1719
    extrait : Gouvernement Général de Normandie par B. Jaillot
    Les paroisses de la boucle de Brotonne dépendaient à l'origine de l'élection de Pont-Audemer et c'est ce marché que fréquentaient les habitants. En 1696, les dangers de la forêt de Brotonne, repaire de brigands, les firent rattacher à l'élection de Caudebec et les habitants prirent très vite l'habitude de fréquenter ce bourg. La traversée de la Seine est préférée à celle de la forêt.
     

    Même phénomène à Heurteauville : avant la bénédiction de leur chapelle en 1732, les habitants préfèrent passer la Seine et aller à la messe à Jumièges plutôt que de traverser une partie de la forêt de Brotonne pour assister à l'office de la chapelle du Torp.

    Et toujours en 1955 : "les habitants de la presqu'île d'Anneville n'ont aucune relation avec le département de l'Eure dont ils sont séparés par une forêt importante".

    Boucle d'Anneville en 1762.

    L'idée de Thomas Lindet, député à l'Assemblée Constituante, de donner au nouveau département de la Seine- Inférieure la rivière Seine comme limite naturelle ne saura se réaliser : les boucles de Brotonne et d'Anneville sont intégrées à des cantons de la rive droite et aucune de leurs communes ne reniera cette appartenance. Mais traverser reste une contrainte et les riverains se dispensent bien de le faire si cela est possible. Les habitants d'Heurteauville sont en 1732 soulagés qu'une chapelle, qu'ils ont financée, leur évite de traverser chaque dimanche. Les communes de la boucle de Brotonne exigent dès décembre 1790 d'avoir leur propre juge de paix : l'acceptation du Département en fait presque un canton avec La Mailleraye pour chef-lieu. Beaucoup d'actifs préfèrent ne pas habiter rive gauche pour ne pas être dépendants dans les horaires des bacs. 

    Seul le pont de Brotonne, ouvert la nuit, a véritablement désenclavé la presqu'île.
    Il n'y a plus de passages pour piétons. L'ouverture du pont de Tancarville, en 1959, a condamné le bac du Hode mais les habitants de Quillebeuf ont su garder leur bac pour éviter un détour quand ils vont au travail dans les raffineries de la rive droite. Ce bac, le seul à être interdépartemental, pose cependant des problèmes de financement entre l'Eure et la Seine-Maritime et la question de son maintien revient périodiquement.
    Le pont de Brotonne, en 1977, a provoqué la fermeture des bacs de Caudebec-en-Caux et La Mailleraye que regrettent, sauf nostalgie, bien peu de gens. Le passage de Jumièges est très souvent interrompu parce que son bac sert de remplaçant aux autres passages quand leur bac est en révision.

    Le bac de Caudebec-en-Caux et les adieux aux équipages de La Mailleraye et Caudebec. La veille de l'inauguration du pont de Brotonne.
    Photo : Alain HUON

    Le tout nouveau, tout beau bac de Duclair laisse espérer qu'un franchissement ne viendra pas défigurer le site de La Fontaine.

    ....De nombreux riverains vivent encore au rythme des bacs.

    NE MANQUEZ PAS LE CHAPITRE

    HISTOIRE DES BACS DE LA VALLEE DE LA SEINE



    Venez découvrir en images
    l'histoire des passages de Seine au fil du temps...
    Du bois à l'acier...
     Bachots, flettes, bacs à vapeur, bacs diesel ou électriques...ils sont tous au rendez-vous.






    Texte Jean-Pierre DEROUARD
    Photos JP DEROUARD / Alain HUON / Gilbert FROMAGER
    Mise en page : SEQUANA-NORMANDIE

     le 8 décembre 1999




    LAISSER UN COMMENTAIRE
















    Haut de page



    Retour aux sources




    Sequan@ Normandie
    © Nathalie Lemière




















    Les archives de Sequana Normandie sont hébergées
    par le Journal de Duclair, sistership du Pilote de Caudebec


    Site  propulsé par

    depuis le siècle passé