En 1851, les sieurs Martin demandent que leur hameau soit détaché de Varengeville pour rejoindre Duclair. Leurs arguments...
En 1851, au cœur de la Seine-Inférieure, un petit hameau de sept maisons, niché à la lisière de Saint-Pierre-de-Varengeville, fait parler de lui. Ses habitants, menés par les sieurs Martin père et fils, rêvent d’un avenir meilleur : quitter leur commune pour rejoindre Duclair, le chef-lieu de canton distant d’à peine un kilomètre. Leur requête, portée par des arguments simples mais puissants, va secouer les conseils municipaux et raviver les débats sur les frontières communales.
Imaginez-vous dans ce coin de Normandie, où les chemins serpentent entre champs et forêts. Les quinze âmes de ce hameau, isolées à cinq kilomètres du centre de Saint-Pierre-de-Varengeville, doivent traverser trois kilomètres de bois déserts pour atteindre leur commune. Un trajet long, parfois inquiétant à la nuit tombée, et surtout un calvaire pour les enfants qui peinent à rejoindre l’école communale. À l’inverse, Duclair, avec ses commodités, son église et sa route départementale, n’est qu’à un jet de pierre. Pour les habitants, le choix semble évident : leur quotidien serait transformé en rejoignant Duclair.
Le plan du territoire parle de lui-même. Les maisons des Martin, formant un groupe compact avec trois autres habitations déjà rattachées à Duclair, semblent presque appartenir à cette dernière. Le quadrilatère en question, teinté de rose foncé sur les cartes officielles, ne couvre que trois hectares et abrite une poignée de foyers. Financièrement, l’enjeu est dérisoire : Saint-Pierre-de-Varengeville ne perdrait que 5 francs 30 de revenus fiscaux, une goutte d’eau face à ses 1 460 habitants et ses 1 323 hectares. Duclair, de son côté, accueille la proposition à bras ouverts, son conseil municipal soutenant unanimement le projet.
Pourtant, la démarche ne va pas sans heurts. À Saint-Pierre-de-Varengeville, le conseil municipal et une majorité d’habitants s’opposent farouchement. Ils brandissent l’argument de la perte, même minime, et craignent que ce précédent n’encourage d’autres hameaux à demander leur indépendance. Mais les soutiens au projet sont nombreux et influents : le préfet, le conseil général, le conseil d’arrondissement, et même l’autorité ecclésiastique, qui autorise depuis des années les habitants à pratiquer leur culte à Duclair. Le juge de paix, après enquête, appuie également la cause, soulignant les avantages pratiques pour les familles.
Une seul voix discordante s’élève, celle du directeur des contributions directes. Tout en reconnaissant les bénéfices pour les habitants, il redoute l’impact symbolique d’une telle décision et les demandes similaires qu’elle pourrait susciter. Mais la commission des intérêts communaux, présidée par M. Raulin, balaie ces inquiétudes. Pour elle, l’intérêt général prime, et les besoins concrets de ces quinze habitants – sécurité, accès à l’école, simplicité administrative – l’emportent sur les réticences locales.
Le 11 avril 1851, l’Assemblée examine le projet de loi. Le texte, limpide, propose de détacher ce petit territoire pour le rattacher à Duclair, tout en préservant les droits d’usage existants. Les limites communales seraient redessinées, suivant un liséré orange tracé sur le plan. Sous la plume de Louis-Napoléon Bonaparte et de son ministre de l’Intérieur, Vaïsse, la proposition prend forme à l’Élysée. Ce n’est qu’une question de temps avant que ce hameau ne trouve sa nouvelle patrie communale.
Ainsi, dans ce coin reculé de Normandie, une poignée d’habitants, portés par une vision pragmatique, redessine les contours de leur avenir. Leur histoire, bien que modeste, rappelle que même les plus petites communautés peuvent faire entendre leur voix pour bâtir un quotidien plus juste.
Laurent QUEVILLY.
Les documents originaux
Gazette nationale, 6 avril 1851.
Exposé des motifs d’un projet de loi tendant
à distraire
une portion du territoire de la commune de
Saint-Pierre-de-Varengeville, pour la réunir à la
commune de
Duclair (Seine-Inférieure).
Messieurs, les sieurs Martin père et fils ont demandé que les maisons qu’ils possèdent ou occupent à l’une des extrémités de Saint-Pierre-de-Varengeville soient distraites de cette commune et réunies à celle de Duclair, chef-lieu de canton, arrondissement de Rouen, département de la Seine-Inférieure.
Cette
demande, qui a été soumise à une
instruction
administrative, suivant les prescriptions de la loi du 18 juillet
1837, a reçu l’assentiment du conseil
d’arrondissement, du
conseil général et du préfet.
Il suffit, en effet, de jeter un
coup d’œil sur le plan pour se convaincre que la
mesure sollicitée
est pour ainsi dire commandée par la situation
topographique. Trois
maisons voisines de celles des sieurs Martin, et ne formant avec
elles qu’un seul groupe d’habitations,
dépendent déjà de
Duclair. Ce groupe est à 5 kilomètres environ de
Saint-Pierre-de-Varengeville, et à 1 kilomètre
seulement de
Duclair. De plus, et cette considération domine toute
l’affaire,
les habitants des maisons dont il s’agit sont
obligés de parcourir
pour se rendre à la première de ces
localités, 3 kilomètres de
bois complètement déserts. De là un
défaut de sécurité pour les
voyageurs à certaines heures, et de grands
inconvénients pour
l’envoi des enfants à l’école
communale.
Le terrain sur
lequel porterait l’opération n’ayant
qu’une superficie de
trois hectares, une population de 15 habitants seulement, et ne
produisant que 6 fr. de revenu en centimes additionnels, les deux
communes de Saint-Pierre-de-Varengeville et de Duclair, qui ne
manquent ni l’une ni l’autre
d’importance, sont, pour ainsi
dire, désintéressées dans la solution
à intervenir.
Je
vais avoir l’honneur de vous lire le texte du projet de loi
tel qu’il a été adopté par
le conseil d’État :
PROJET
DE LOI.
Art.
1er. Le quadrilatère teinté en rose
foncé sur le plan
annexé à la présente loi, et
coté C, E, F, B, est distrait de la
commune de Saint-Pierre-de-Varengeville et réuni
à celle de
Duclair, chef-lieu de canton, arrondissement de Rouen,
département
de la Seine-Inférieure. En conséquence, la limite
entre la commune
de Saint-Pierre-de-Varengeville et celle de Duclair est
fixée dans
la direction du liséré orange F, E, C.
Art. 2. Les dispositions
qui précèdent auront lieu sans
préjudice des droits d’usage et
autres qui pourraient être respectivement acquis. Les autres
conditions de la distraction ordonnée seront, s’il
y a lieu,
ultérieurement déterminées par un acte
du Gouvernement.
Fait
à l’Élysée-National, le 2
avril 1851.
Louis-Napoléon
Bonaparte.
Le ministre de l’Intérieur, Vaïsse.
Gazette nationale, 16 avril.
ADDITION À LA SÉANCE DU VENDREDI 11 AVRIL.
Rapport fait par M. Raulin au nom de la dix-neuvième commission des intérêts communaux et départementaux sur un projet de loi tendant à distraire une portion du territoire de la commune de Saint-Pierre-de-Varengeville, pour la réunir à la commune de Duclair (Seine-Inférieure).
Messieurs,
un petit groupe de sept maisons, situé à environ
5
kilomètres de Saint-Pierre-de-Varengeville et à 1
kilomètre de
Duclair, est coupé par la ligne séparative du
territoire de ces
deux communes. Quatre de ces maisons appartiennent à un seul
propriétaire et dépendent de
Saint-Pierre-de-Varengeville ; les
quinze habitants de ces maisons demandent qu’elles soient
réunies
à Duclair avec le petit territoire de 2 hectares 28 ares sur
lequel
elles sont assises.
Ils se fondent sur la gêne onéreuse
qu’ils
éprouvent pour aller remplir à
Saint-Pierre-de-Varengeville leurs
droits civils et religieux, d’autant plus que, dans ce trajet
de 5
kilomètres qu’ils ont à faire, il se
trouve 3 kilomètres de
bois, tandis qu’ils n’ont qu’un
kilomètre pour se rendre à
Duclair, et que le trajet s’en fait par une route
départementale.
À
ces considérations viennent se joindre celles suivantes :
Par cette
distraction, la commune de Saint-Pierre-de-Varengeville fera une
perte insensible de 5 fr. 30 cent. de revenu en centimes additionnels
; il lui restera une population de 1 460 habitants, un territoire de
1 323 hectares, et un revenu en centimes additionnels ordinaires de
470 fr. 36 cent., tandis que ces 15 habitants en éprouveront
un
avantage bien autrement considérable sous le rapport de la
police,
de l’administration, de l’exercice et de
l’accomplissement de
leurs droits et de leurs devoirs, et surtout pour la
facilité
qu’auront leurs enfants de suivre
l’école communale.
D’une
part, le conseil municipal et la grande majorité des
habitants de
Saint-Pierre-de-Varengeville combattent vivement ce projet de
distraction, en faisant valoir la perte qui en résultera
pour cette
commune et la possession où elle est de cette
dépendance.
D’autre
part, la convenance de cette modification dans la
circonscription de ces deux communes a été
reconnue :
Par
l’autorité ecclésiastique qui, depuis
plusieurs années, a permis
que les habitants de ces quatre maisons remplissent leurs devoirs
religieux à Duclair ;
Par le juge de paix, qui le déclare
formellement dans le rapport qu’il a
été appelé à faire,
après
avoir procédé à
l’enquête administrative en vertu d’une
commission qui lui a été donnée par le
préfet ;
Par le conseil
d’arrondissement, par le conseil
général et par le préfet.
Le conseil municipal et les habitants de Duclair, à l’unanimité, appuient le projet.
Des diverses autorités consultées, M. le directeur des contributions directes, seul, a émis un avis contraire au projet, tout en reconnaissant qu’il y aurait avantage évident pour ce petit groupe de maisons à ce qu’il fût réuni à Duclair, et que la configuration des deux territoires sera au moins aussi convenable qu’elle l’est actuellement. Mais il se préoccupe de la perte que cette distraction fera éprouver aux revenus de Saint-Pierre-de-Varengeville, et il craint que l’adoption du projet ne provoque de semblables demandes de la part de quelques-uns des hameaux qui se trouvent réunis à cette commune.
Votre commission, messieurs, persuadée que, dans les circonscriptions communales, on ne doit avoir égard qu’aux intérêts généraux, aux intérêts du plus grand nombre, et non à ceux d’une partie quelconque de la population, n’a pas hésité à adopter l’opinion des conseils électifs et du préfet, parce qu’elle a reconnu qu’elle est conforme aux vrais principes, et elle m’a chargé de vous proposer de voter le projet de loi qui vous est présenté, et dont la teneur suit.
PROJET
DE LOI.
Art.
1er. Le quadrilatère teinté en rose
foncé sur le plan
annexé à la présente loi, et
coté C, E, F, B, est distrait de la
commune de Saint-Pierre-de-Varengeville et réuni
à celle de
Duclair, chef-lieu du canton, arrondissement de Rouen,
département
de la Seine-Inférieure.
En conséquence, la limite entre la
commune de Saint-Pierre-de-Varengeville et celle de Duclair est
fixée
dans la direction du liséré orange F, E, C.
Art. 2. Les dispositions qui précèdent auront lieu sans préjudice des droits d’usage et autres qui pourraient être respectivement acquis. Les autres conditions de la distraction ordonnée seront, s’il y a lieu, ultérieurement déterminées par un acte du Gouvernement.
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