Par Laurent QUEVILLY.

Aveugle d’un œil. Et borgne de l’autre ! Il n’est pas gâté par la nature, le capitaine Duquesne. Son prénom, en tout cas, lui va bien : Marin ! De Jumièges, il transporte du bois pour la République. Mais il se fait vieux. Et ses quatre fils sont tous embarqués loin de lui. Alors, le 1er mars 1796, il demande aux autorités le rapatriement de l’un d’eux pour l’aider à la tâche...


En 1452 vivait à Jumièges un certain Valentin Duquesne, "carpentier de bateaux", il avait alors 70 ans. C'est dire l'ancienneté ici de cette famille de marins. Les Duquesne fleurissent dans mon arbre généalogique. Personnellement, je descends d'Etienne Duquesne et de Cardine Lamy, attestés vers 1620. Onze générations nous séparent. Elles ont produit toute une flottille de marins...

Parmi eux : Marin Duquesne. Il est né en 1730 de Jean et Anne Roussel. A 25 ans, il exerçait déjà la profession de batelier lorsqu'il se maria à Marie Anne Boutard, le 21 janvier 1755.
Marin fut reçu capitaine à l'Amirauté de Quillebeuf en 1773. En 1785, il commande le Saint-Etienne à Touques, navire qu'il mène l'année suivante à Caen avant de prendre la barre du Désiré, au Havre, poste qu'il
conserve jusqu'en 1796, date où il va écrire à l'administration révolutionnaire, comme nous le verrons plus loin.

Son frère, Pierre Duquesne, a été reçu lui aussi à Quillebeuf en 1773. Epoux de Marie Anne Vauquelin puis de Marie Marthe Flamand, il commande la Diane en 1786. En 1792, il prend le commandement de la Diane N° 2.

Marin Duquesne eut cinq fils :

Pierre Marin Duquesne, né en 1756, fut reçu à Quillebeuf en 1784. Hélas, on le porta disparu avec son navire, le Saint-Louis, parti du Havre le 11 mai 1786.

Antoine Duquesne, né en 1764. Ne sachant ni lire ni écrire, il fut mousse à partir de 1777 sur le Marin, navire de son père basé au Havre. Hormis un passage sur La ville de Lisbonne en 1782, il navigua sur le même navire jusqu'en 1784. Il est levé à Brest en février 1786 mais est vite congédié pour hernie. Il est ensuite matelot sur le Désiré. En 1793, il est rappelé à Brest et sert sur la frégate la Thitis.

Jean Jacques Valentin Duquesne, né en 1765, fut levé comme matelot à Brest le 22 juin 1792. En l'an V, soit quelques mois après l'épisode qui nous intéresse il est porté déserteur. La commune de Jumièges le déclara absent du pays.

Louis Duquesne, né en 1770, fut inscrit comme novice de son père sur le Désiré en 1788 mais n'embarqua pas, étant levé comme matelot à Brest. Il n'y resta que 6 mois et revint cette fois à bord du Désiré. En 1790 passe sur le Jeune-Victor à Brest. En juin 90, de nouveau levé pour Brest, il ne retrouve le Désiré qu'en avril 91. En 93, il sert sur plusieurs bâtiments de la Royale et tombe malade avant d'être congédié. Il retrouve le Désiré en 94 puis les Quatre soeurs et est rappelé par la Royale à Cherbourg.

Philbert Valentin Duquesne, né en 1772, a commencé comme matelot en 1794 à bord du transport de la République Les quatre soeurs commandé par Fouré.  Il convolera en 1817 avec Clotilde Rose Dossemont. En 1839, il touchait une pension de retraite de 27 F.



Capitaine Duquesne...

Le 3 septembre 1792, à 9h et demie du soir, le sloop Courrier du Nord avait quitté Rouen discrètement. A bord : 56 prêtres réfractaires, 56 fugitifs en partance pour Ostende. Une expédition qui s’avéra un fiasco après une escale à Jumièges. L’écrivain Emile Savalle, enfant du pays, certifiait que le capitaine s’appelait Duquesne et était natif de Jumièges.

Marin Duquesne eut aussi plusieurs filles :


Marie Anne, épouse en 1784 de Jean Thuillier, laboureur.
Marie Rose, épouse en février 1789 Laurent Adrien Chrétien, laboureur.
Marie Madeleine, épouse en mars 1793 de Nicolas Foutrel, garçon passager chez le citoyen Adrien Leroy. Elle accoucha un mois plus tard.



La lettre de Marin Duquesne

Liberté égalité

Aux citoyens administrateurs composant l’administration municipale du canton de Duclair,

Le citoyen Marin Duquesne, capitaine de navire demeurant dans la commune de Jumièges,

Expose qu’il est âgé de soixante sept ans, infirme d’une main et a eu aussi le malheur de perdre un œil il y a quelques mois et celui qui lui reste dont il n’en voit pas beaucoup, il a quatre enfants, tous au service de la République, dont trois sur quatre sont actuellement éloignés de lui, un est à l’Amérique, le second prisonnier en Angleterre et l’autre à Cherbourg et le quatrième au Havre nommé Valentin Duquesne.

N’ayant donc plus personne de confiance avec lui pour la conduite de son navire, il désirerait avoir son fils nommé Valentin Duquesne, actuellement au Havre, pour être avec lui pour conduire son navire puisqu’il est requis à porter des bois de la Reépublique et qu’il serait également pour le même service.

Dans ces circonstances, il a recours à votre justice, citoyens administrateurs à ce qu’il vous plaise ordonner au pied de la présente que le citoyen commissaire de la Marine résident au Havre eut à donner un congé au citoyen Valentin Duquesne son fils pour venir naviguer avec lui son père comme étant infirme et faisant le même service pour la République et vous ferez justice.

Présenté le 12 ventôse, 4e année républicaine. Marin Duquesne.

Réponse de la mairie de Jumièges

« Nous agent municipal et adjoint de la commune de Jumièges certifions que tous les faits mentionnés en la présente sont véritables sur tout leur contenu, attestons en outre que la réclamation que fait le dit pétitionnaire est juste, étant infirme et affligé par la vue, que le dit Valentin Duquesne, son fils, lui serait d’une grande utilité à bord de son navire pour y prendre ses intérêts puisque son navire en réquisition pour le transport des bois de la République en foy de quoi nous avons délivré led présent pour valoir et servir ce que de raison, à Jumièges, le onze ventôse quatrième année républicaine.
Desaulty, agent, Foutrel, adjoint.


Foule d'homonymes...


Duquesne, le nom est si répandu à Jumièges qu'il est impossible de retrouver le tronc commun.

Il y eut avant Marin Duquesne un parfait homonyme, époux lui aussi d'une Boutard prénommée Marie. C'était tout simplement son grand-père. Marin, il fut trois fois marié. Voici ses épouses :

Marie Vastey dont il eut trois enfant, Jean, Marie et Etienne.
Jeanne Dumontier dont il eut une fille, Marie Madeleine.
Marie Boutard dont il eut trois enfants, Marin, Anne, Etienne et Valentin.

Marie Boutard, il l'épousa en 1711. C'était une veuve. Elle est mort en couche. Une mesure de tutelle concerne leurs enfants en 1725. Leur fils Etienne sera capitaine de Navire en 1773. Il avait alors 59 ans. Veuf de Françoise Porgueroult, il se remariait cette année-là avec Marie Anne Deconihout.

Il existait un branche Duquesne issue de Thierry et Marion Vastey.

On notera un marin du nom de Louis Joseph Duquesne, né le 15 février 1797 à Jumièges. Son père, Louis Valentin, était laboureur, fils de Joseph et Geneviève Lévêque lorsque, à 28 ans, il épousa, le 6 novembre 1792, Catherine Françoise Vauquelin. Louis Joseph fut deux fois déserteur à New York. La première, le 13 novembre 1818, comme matelot du Deux Angélique, armé à Rouen. La seconde, le 2 octobre 1832, comme maître d'équipage du Gange et Garonne. A 35 ans, il résidait alors au Havre.


 Un autre branche Duquesne est passée par Barneville, Le Trait pour aboutir à Jumièges. Elle a donné Frédéric Napoléon, matelot de 2e classe, mort à l'hôpital anglais de Ninogpo le 19 juillet 1862. Embarqué sur la frégate la Renommée, il avait été détaché sur le Confucius.


SOURCES

ADSM, cote L3247. Document numérisé par Jean-Yves et Josiane Marchand. Transcription : Laurent Quevilly. 
Incription maritime.
Désarmement havrais