Par Laurent Quevilly
(suite de l'épisode précédent )

Durant 120 ans, la commune de Jumièges fut dotée d'une compagnie de sapeurs pompiers. Au XXe siècle, son histoire fut aussi agitée que lors du précédent...


En décembre 1900, ayant plus de trente ans de service, Serve Mazot, sergent, Delphin Cabut et Cléophas Mazot, caporaux à Jumièges furent distingués.

En novembre 1901, le sous-lieutenant Lambert revient un après-midi du marché de Duclair. Dans la campagne de Jumièges, il dépasse le banneau attelé de Percepied qui s'apprête à reprendre la route. Quand soudain, ce cheval prend peur et s'élance à vive allure. Lambert s'est retourné et voit venir à lui cet équipage. Que faire ? Lui barrer la route ? Percepied risque d'être blessé dans l'affaire. Alors Lambert laisse passer le banneau dont le conducteur, désarmé, saute bientôt à terre. Le pompier lance alors sa monture à la poursuite du fol attelage qui risque de blesser quelque enfant à la sortie des classes. Mais Lambert parvient à le stopper à l'entrée du bourg.

Juillet 1903. Le feu dans une coupe de sapins appartenant à Prat, au Mesnil. La rapidité des secours limite très vite le sinistre.

Dans la nuit du 22 au 23 novembre 1904, à 2h du matin, la ferme Deconihout est en feu, près de l'abbaye. Bottes d'avoine et de paille alimentent le foyer dans une grange. Le fermier coupe les longes de ses vaches et les chasse dans la cour avant de donner l'alarme au bourg. La pompe est sortie avec célérité et aménée au galop d'un cheval pour être mise en batterie. Une chaîne humaine d'organise très vite. Après deux heures, le feu cède du terrrain et l'habitation voisine est préservée. Le propriétaire, Emile Danger, est assuré, pas le fermier qui perd plusieurs milliers de francs en récoltes et mobilier...

Lambert prend du galon


Rouen, le 28 novembre 1904.

Monsieur le délégué cantonal,

    Monsieur Boutard, maire de Jumièges, propose à Monsieur le préfet de présenter à M. le ministre de l'Intérieur, pour le grade de lieutenant, M. Lambert (Eléonor), sous-lieutenant de la compagnie des sapeurs-pompiers de cette commune depuis 15 ans. Je serais heureux d'avoir votre avis à cet égard... »
    Deux raisons militaient pour l'obtention de ce 2e galon. Il y avait d'abord droit, ayant trois fois le temps voulu dans le grade inférieur. Mais, surtout, il était très combattu par la réaction qui l'avait empêché d'entrer au conseil municipal "et lui a souvent cherché noise pour le rebuter et le faire démissionner afin de reconstituer la compagnie avec de nouveaux éléments et une chef réactionnaire".



Trois incendies criminels


Samedi 7 janvier 1905. Incendie dans l'entrepôt de la veuve Neveu, un bâtiment de 35 m de long renfermant essentiellement du liquide. Deux chevaux sont sauvés, une vache meurt asphyxiée. Une octogénaire dont la maison est léchée par les flammes ne doit son salut qu'un boulanger Coignard qui a déjà sauvé plusieurs personnes de la noyade. Le sinistre est tel qu'il faut appeler en renfort les pompiers de Duclair dirigés vers minuit par le capitaine Lamiré. Les dégâts sont estimés à 50.000 F.

Dans la nuit du 12 au 13 février 1905, un violent incendie se déclare vers minuit chez M. Saint-André fils, cultivateur aux Sablons. C'est un voisin, M. Egret, qui a donné l'alarme. Un bâtiment de 18 mètres de long sera complètement détruit. Un veau, soixante volailles, un porc et des récoltes ont été la proie des flammes et le feu s'est communiqué à une meule de 1200 bottes de paille située entre deux autres bâtiments. Si bien qu'une charretterie de 20 mètres servant aussi de remise et cavé s'envole en fumée avec ses fûts et ses charrettes. Les pompiers parvinrent à préserver l'habitation. Vers 20h, le locataire de l'immeuble incendié s'était rendu à l'étable où il n'avait rien remarqué. On évalua les dégâts entre 6 et 8000F, couverts par une assurance. Les gendarmes de Duclair vinrent enquêter.

Mais dans la nuit du 19 au 20 février, vers 3 h du matin, un voisin du couple Pierre Douville alerte les occupants de cette ferme du Conihout, deux pauvres octogénaires qui ont tout juste le temps de s'enfuit sans vêtements ni chaussures. Ils seront recueillis par Mmes Gruley et Duparc qui leur fourniront du linge. Au premier appel, les pompiers de Jumièges sont sur place. Mais, à part quelques meubles, les Douville ont tout perdu. Ils n'avaient pas renouvelé voici peu leur police d'assurance. Quant au propriétaire des bâtiments, Modeste Deconihout, il n'est assuré que pour 400 des 800 F de perte. Sur place, les gendarmes de Duclair établissent que le sinistre est parti de la cave. Domestique de Deconihout, Oscar-Auguste Landrin, 19 ans, avait menacé de mettre le feu chez les Douville. Il est en outre établi qu'il est rentré chez sont maître un quart d'heure avant l'alerte. Il loge dans un grenier situé à une vingtaine de mètres, dans la même cour que la maison incendiée... Des menaces, il en a proféré aussi contre la veuve Neveu, le fils Saint-André. On l'arrête.


Le sergent récalcitrant


Le 6 juillet 1906.

Monsieur le préfet,

J'ai l'honneur de porter à votre connaissance qu'un ordre m'étant été donné (sic) par M. le maire, commandant de place, de convoquer les hommes de la compagnie pour la revue du 14 Juillet, j'ai transmis cet ordre à un sergent (le sergent major étant exempté de service comme ancienneté, 48 ans de service), ce sergent refusa, évoquant qu'il n'était pas sergent major. J'ai rempli les billets de convocation. Je les ai remis aux caporaux qui les ont distribués en temps et lieu, le 14 Juillet, avant la revue, toute le monde était présent mais ce même sergent, avec quelques hommes de son avis, tenta de débaucher les hommes, notamment le tambour (seul instrument de marche), afin que la revue n'ait pas lieu.

Je viens vous prier, Monsieur le préfet, de bien vouloir me transmettre, ainsi qu'à M. le maire, par l'intermédiaire de votre cabinet militaire, ce qui me reste à faire en présence de faits d'indiscipline de cette nature, indiscipline non seulement envers le commandant de compagnie mais indiscipline envers le commandant de place de nature, si ce fait s'était produit, à retirer le caractère officiel du 14 Juillet qui aurait fait la joie de nos adversaires. Et je ne pourrai, si ce fait restait impuni, continuer à remplir les fonctions que Monsieur le président de la République m'a confié.
Veuillez agréer, Monsieur le préfet, l'assurance de mon entier dévouement.
Le lieutenant commandant la subdivision, E. Lambert, chevalier du Mérite agricol (sic).


Le 23 juillet, la préfecture écrit au maire :

Monsieur le lieutenant, commandant la subdivision des sapeurs pompiers de Jumièges m'a informé que l'un des sergents de ce corps s'était rendu coupable d'actes d'indiscipline, le 14 Juillet dernier, et m'a demandé de lui faire connaître la sanction que comportait son attitude.
J'ai l'honneur de vous prier de l'aviser qu'il lui appartient d'infliger à ce sergent l'une des trois premières peines disciplinaires indiquées à l'article 28 du décret du 10 novembre 1903 (voir recueil des actes administratifs n° 8 de 1904) ou, s'il juge ces punitions insuffisantes, de le déférer au conseil d'administration pour qu'il lui applique l'une des autres peines énumérées au même article de ce décret.

Le 31 juillet, Lambert écrit au préfet :

« Appelé à Rouen le vendredi 3 courant comme vice-président de la société de réassurance sur la mortalité du bétail, je prends la liberté de venir vous prier de bien vouloir me faire recevoir par celui qui est autorisé à me donner un conseil sur l'incident survenu à la compagnie des sapeurs pompiers, le 14 Juillet dont je vous ai informé par une lettre du 17 juillet. Je me présenterai au concierge vers 4 heures du soir. Veuillez agréer...





Le dimanche 15 octobre 1905 eut lieu la fête des pompiers de Jumièges. Comme tous les ans. Mais cette fois, elle fut présidée par le député Quilbeuf, le maire, Sever Boutard, étant souffrant. Son suppléant formula donc des vœux de prompt rétablissement et en fut fort applaudi. Le sous-lieutenant Lambert porta quant à lui un toast au préfet et remercia tous ceux qui avaient bien voulu répondre à l'appel des organisateurs du banquet. Et tout se termina par des chansons...

Il était sergent-major chez les pompiers. 13 août 1906, 6h et demie du soir, Delphin Cabut, 73 ans, tombe de son échelle en cueillant des fruits au Passage de Jumièges. 6 mètres de chute. Colonne vertébrale brisée. Il décède peu après.

Octobre 1907. Retraité des Chemins de fer, M. Levée habitait une fermette appartenant à Fauvel, ancien maire d'Heurteauville. Les flammèches d'un poêle déclenchent un incendie qui détruit maison d'habitation, dépendances et la plupart du mobilier. Quand les pompiers de Jumièges traversent la Seine, le feu a fait son œuvre.
Le 27 du même mois, c'est la Rentrée des pompes, autrement dit une fête. Le programme ? A 11h, revue des sapeurs pompiers. Midi : banquet dans la salle de la mairie. Pour s'inscrire, il faut pousser la porte de l'hôtel Vauquelin. A 14 h : tir civil dans la cour de la mairie. 16 h : jeux divers, course pédestre. 17 : bal gratuit. 18 h : distribution des prix du tir, salle de la mairie. 19 h : grande retraite aux flambeaux par les sapeurs pompiers.


Conflit avec le nouveau maire


On ne sait si le sergent réactionnaire fut sanctionné. Mais cette anecdote témoigne du climat qui règne alors à Jumièges. Le 17 mai 1908, la droite s'empare de la mairie au prix d'alliances douteuses. Le notaire, Prosper Peschard, devient le premier magistrat de la commune. Aussitôt, ses relations avec Lambert, homme de gauche, sont détestables. Au point que le maire refuse de présider le banquet de fin d'année des pompiers. Lambert s'en plaint au préfet.


Jumièges, le 17 novembre 1908,
A Monsieur le préfet,

Les soussignés, membres du conseil d'administration des sapeurs pompiers de la commune de Jumièges ont l'honneur de vous informer que dans leur réunion du 10 courant, après avoir pris connaissance de la lettre envoyée à M. le maire à la date du 15 octobre par le lieutenant l'invitant à bien vouloir accepter la présidence de notre banquet des sapeurs pompiers et le priant en même temps que la municipalité à assister à notre revue et manœuvre du 25 courant qui a lieu ordinairement ce jour sur la place de la mairie, à la suite de cette invitation, M. le maire a envoyé au lieutenant la réponse suivante en date du 19 et 22 octobre :

"Je ne peux accepter une présidence qui ne m'a pas été offerte et que la municipalité ne pouvait y prendre part dans ces considérations."

Considérant que ces deux lettres sont contraires à la vérité et sont de nature à nuire à l'autorité du lieutenant et à la discipline envers ses hommes ainsi qu'envers la municipalité qui sont toujours sous l'impression d'un mensonge de la part du lieutenant, vu ces faits, nous estimons que si le lieutenant doit respecter la discipline envers le commandant de place, celui-ci ne doit porter atteinte en aucune façon à son honneur vis à vis de ses hommes et nous venons, Monsieur le préfet, vous prier de bien vouloir nous en faire donner réparation.
Les membres du conseil d'administration, pour le lieutenant le sergent major Léon Lambert, le sergent Gueudry, et Beultey, sapeur.

Une note étonnante


En préfecture, une main anonyme, celle du préfet ? de son chef de cabinet ? écrivit cette note étonnante :


Réponse. Il ne m'appartient pas de donner un avis. J'ignore d'ailleurs quelle solution peut être donnée au conflit. Mais ce que je peux affirmer, c'est que la personne incriminée ne mérite aucun ménagement. Elle a toutes les audaces et ne recule devant aucun moyen. Elle n'est arrivée à sa situation que par de basses compromissions. Continuellement et sournoisement, elle bat en brèche la société plaignante. Si l'on peut abattre d'une façon sûre ou seulement diminuer cette personne, il ne faut pas en perdre l'occasion.

Si l'on peut abattre d'une façon sûre cette personne... Le commentaire est stupéfiant quand on connaît la suite de l'histoire.

Lambert distingué


En attendant, Lambert est distingué. On le fait Officier du Mérite agricole !


Monsieur le préfet,

Je viens vous prier de bien vouloir être mon interprète auprès de Monsieur le ministre de l'agriculture pour le haut grade qu'il a bien voulu m'accorder. Cette distinction, monsieur le préfet, me donnera le courage de supporter la perte cruelle que je viens de faire en la personne de ma femme enlevée subitement à l'âge de 53 ans et en même temps de subir les tracasseries et les vexations dont je suis l'objet chaque jour de la part du maire clérical de Jumièges en ma qualité de lieutenant commandant la subdivision des sapeurs pompiers de Jumièges enfin de pouvoir humilier chaque jour (sic). Il n'a pas voulu comme l'avaient toujours fait M. Boutard et M. Lefèbre signer de service intérieur de façon à nous arrêter dans nos sorties habituelles en présence de ces faits est-ce que le dernier service intérieur signé par ses prédécesseurs ne serait pas toujours en vigueur.
Veuillez agréer Monsieur le préfet...
E. Lambert, lieutenant de pompier, officier du Mérite agricole.


Une année avec les pompiers


La préfecture demanda copie de l'ancien service intérieur signé début 1908 par Sever Boutard, prédécesseur de Peschard.


Service intérieur de 1909


1er dimanche d'avril : à 6h du matin, manœuvre sur la place de la mairie
1er dimanche de mai à 5h idem
1er dimanche de juin, à 5h, manoeuvre à la cale du passage de Jumièges
1er dimanche de juillet, à 5h, manoeuvre au vivier de la ferme Monguérard
14 juillet, à 10h, tir, à 11h, revue, à midi, banquet.
1er dimanche d'août, à 5h, manoeuvre sur la place de la mairie.
1er dimanche de septembre, idem,
1er dimanche d'octobre, à 6 h, idem,
3e dimanche d'octobre, fête Sainte-Barbe, à 10h manoeuvre sur la place de la mairie, à 11h, revue du matériel place de la mairie, à midi banquet à la mairie.
Signé S. Boutard, maire, Lambert, lieutenant.

L'assassinat du maire


Avril 1910. Le lundi de Pâques, l'épicerie que tient Jules Martin aux Sablons, part en fumée. Un incendie mystérieux qui donne alors lieu à toutes les supputations étant donné la situation précaire de l'épicier. Martin est le trublion du village. Conseiller municipal, il a été en conflit avec Boutard, a fait alliance avec Peschard pour finalement s'opposer à lui. Le 14 Juillet 1910, c'est le drame...

A 11h doit avoir lieu devant la maison commune la traditionnelle revue des sapeurs-pompiers, commandés par Eléonor Lambert.
Pour l'heure, les pompiers sont encore occupés à leur exercice annuel de tir. On n'attend plus que leur venue pour débuter la cérémonie.  Cet exercice touche d'ailleurs à sa fin. Car plusieurs pompiers en reviennent, causant amicalement par petits groupes. Tenez, en voici un composé de Gustave Lesueur, Ybert, Legareux. Avec eux, Jules Martin, l'ennemi juré du maire
Peschard vient de croiser Lambert, le lieutenant des pompiers. Il lui a donné les dernières recommandations pour la cérémonie de tout à l'heure. Le groupe se rapproche du maire. Brusquement. Martin s'en détache, se place devant Peschard, lui prend la main droite avec sa main gauche. Et de l'autre, à bout portant, lui tire un coup de revolver dans l'abdomen en criant: «Ah! le v'la c't'ami que j'voulais voir !»
Une détonation a claqué, mais à part les protagonistes du drame, personne ne bronche sur la place. Un stand de tir est tenu par un forain à deux pas de là. Alors, on pense à un coup de carabine. Mais bientôt Peschard s'écrie: «On me tue ! A moi ! A moi !...»
Surexcité, Martin braque toujours son arme en direction de Peschard. Qui a réussi par lui saisir les poignets et tente de détourner un nouveau coup avec le peu de forces qui lui reste. C'est alors que le tenancier du stand, Victor Orhant, se rue sur Martin.  «Y'a une balle pour toi si tu m'touches !" crie Martin. Orhant ne se laisse pas démonter. La lutte entre les deux hommes est terrible. D'un coup sur le bras du meurtrier, Orhant détourne le canon braqué vers lui. A temps. Une balle part trouer la tenture du stand. Orhant a pris le dessus. Il étrangle Martin, le terrasse à terre, aidé d'Eugène Sursin, un valet de chambre de Mme Lepel-Cointet accouru sur les lieux. D'autres témoins interviennent. Maintenu à terre, Martin est désarmé. Il ne pourra plus nuire.

Peschard mourra de ses blessures. Martin finira ses jours à Cayenne. La routine reprend chez les pompiers. Un mois après le drame, Lambert songe à la promotion de son fils...

Le fils Lambert sur orbite


J'ai l'honneur de venir vous exposer les faits suivants. Mon fils est entré au corps des sapeurs pompiers de la commune de Jumièges en 1901. Faisant partie de la classe 1903, il fit son service au 1er bataillon d'artillerie de forteresse au Havre. Il rendra en 1906 maréchal des logis et figura à l'effectif des sapeurs pompiers comme sous-officier d'après la loi de 1903 sur les corps de sapeurs pompiers. Au mois de mars 1910, il fit une période de 21 jours , passa ses examens comme chef de section et fut nommé à la date du 6 juillet dernier sous-lieutenant de réserve au 2e régiment d'artillerie du Havre. En vertu de la loi de 1903, il peut figurer au corps comme officier mais n'étant pas nommé sous lieutenant au corps des sapeurs pompiers, il ne peut avoir voix délibérative comme officier dans le conseil d'administration. Je viens donc, Monsieur le préfet, solliciter de votre bienveillance et enfin de régulariser sa situation parce que la loi sur les corps de sapeurs pompiers dit qui tous les officiers font partie de droit du conseil d'administration proposer sa nomination comme sous lieutenant des sapeurs pompiers au ministre de l'intérieur enfin qu'il la soumette à la signature du Président de la république. Je tiens à votre dispositions tous les renseignements dont vous aurez besoin à cet effet. Veuillez agréer, Monsieur le préfet, l'assurance de notre entier dévouement...



Jumièges, le 4 septembre 1910,
Monsieur le préfet,

Vu la nomination au grade de sous-lieutenant de réserve dans l'armée active de M. Lambert Léon, sergent major à la subdivision des sapeurs pompiers de Jumièges,
Vu l'effectif légal porté à 35 hommes suivant l'arrêté préfectoral du 3 janvier 1891,
le soussigné maire de Jumièges demande qu'il plaise à Monsieur le préfet de vouloir bien proposer à M. le ministre de l'Intérieur la nomination de M. Lambert Léon au grade de sous-lieutenant dans cette subdivision.
Le maire, Delametterie.

On joint un extrait d'acte de naissance. Léon Joseph Lambert est né le 17 avril 1883 à 10h du soir, de Eléonor Aimable Lambert et Marie Victoire Gossey.


Le 20 septembre 1910, la préfecture prie Monsieur le maire de Jumièges de bien vouloir nous faire connaître la profession de M. Lambert Léon proposé pour le grade de sous-lieutenant de la subdivision de sapeurs pompiers. Réponse de la mairie le 22 septembre : M. Lambert Léon est cultivateur marchand de fruits.

Le 6 mai 1912, on installa la nouvelle municipalité le matin. Lsoir, à 7 heures et demie, le feu se déclare chez les époux Maurice Gossey, cultivateurs, absents au moment des faits. Le domestique donne l'alarme. Neveu, conseiller, court à la mairie chercher la clef du magasin des pompes et avec plusieurs  personnes se dirige sur les lieux du sinistère où déjà ont déversait divers seaux daux. Après une heure de lutte, le danger était écarté. Mais les dégâts importants. Des cendres incandescentes placées dans un récipient prs de la maison auront déclenché le feu. Enquête des gendarmes.

Un dimanche de fin octobre 1912, c'est la fête annuelle. Défilé le matin, banquet servi chez Littré à 45 convives. Il y a là des pompiers de Rouen, Barentin, Duclair... Denise et Lambert portent des toasts, des chanteurs font l'intermède avec l'orchestre de Lepage, de Duclair, qui ouvre le bal.

Les anciens pompiers gardent leur uniforme !


Lambert doit faire face à un nouveau conflit. Ridicule.

Jumièges, le 21 avril 1913,
Monsieur le préfet,

Le jour de votre passage à Duclair en tournée de révision, vous aviez bien voulu m'entendre sur la situation de la subdivision des sapeurs pompiers de Jumièges. Ce jour, je vous exposais qu'au renouvellement quinquennal des hommes, un certain nombre, le fourrier en tête, soutenus par certains conseillers municipaux hostiles aux pompiers, avaient refusé de signer un nouvel engagement dans le but de désorganiser la subdivision.

En présence de ce refus, le conseil d'administration régulièrement constitué a admis de nouveaux membres qui ont signé leur engagement. J'ai donc, d'après le règlement, avisé par lettre recommandée ces derniers que, d'après leur refus, ils devaient remettre à la mairie les effets qu'ils détenaient mais je n'ai eu aucune réponse.

J'en ai alors avisé le maire qui m'avait promis de s'en occuper, je lui ai même rappelé plusieurs fois, mais il en a rien fait. De ce fait, les hommes qui avaient signé leur engagement le 1er dimanche d'avril 1912 pensant être habillés demandent au conseil d'administration de bien vouloir les relever de l'engagement qu'ils avaient contracté envers la subdivision et de les considérer comme n'en faisant plus partie. Il en résulte donc ceci : que des hommes n'étant plus sur les contrôles de la subdivision depuis un an détiennent encore les effets de la communes tandis que d'autres inscrits depuis la même date ne sont pas habillés. Cette situation ne peut durer.
Je viens donc, Monsieur le préfet, solliciter de votre bienveillance envers une subdivision que je commande depuis 1888 afin que vous vouliez bien user de votre haute influence auprès de Monsieur le maire pour le ramener à de meilleurs sentiments envers les pompiers et qu'il veule bien

1° faire remettre les effets qui sont restés entre les mains d'hommes qui n'appartiennent plus au corps.

2° qu'il veule bien m'autoriser à compléter l'habillement des hommes qui font partie de ce corps; nous de demandons rien à la commune puisque nous avons d'inscrit au budget communal une somme de 160F, montant du reliquat des subventions de l'Etat 1910-1911 ainsi que celle de 1912 qui se monte à 96F.


J'espère donc, Monsieur le préfet, que vous voudrez bien faire bon accueil à ma demande et que votre intervention suffira pour que Monsieur le maire mette fin à ce conflit en mandatant les crédits que l'Etat veut bien mettre à la disposition des communes pour les pompiers sans que vous ayez besoin d'appliquer les Nos 209 et 210 de l'article 36 du règlement.
Veuillez...
E. Lambert.
La préfecture interpelle alors le maire :

Rouen le 26 avril 1913,

Je suis informé que des sapeurs pompiers de la subdivision de Jumièges démissionnaires depuis plus d'un an à l'expiration de leur engagement n'auraient pas rendu leurs effets malgré l'invitation qui leur a été faire par leur chef et que par suite les nouveaux sapeurs pompiers régulièrement admis dans la subdivision n'auraient pu être habillés et demanderaient à être relevés de leur engagement. Cette situation est regrettable à tous égards. Elle est de nature à amener la plus grande perturbation sur le corps des sapeurs pompiers. Vous conviendrez avec moi qu'elle ne saurait se prolonger d'avantage sans nuire au bon fonctionnement d'un service public que vous avez mission d'assurer dans les meilleures conditions possibles pour le plus grand bien de vos administrés.


Monsieur le préfet,

En réponse à votre lettre du 26 avril dernier ayant pour objet sapeurs pompiers, les sapeurs pompiers dont il est question qui n'auraient pas rendu leurs effets sont MM Gueudry, Anfry et Bultey Alphonse. Il y a quelque temps, je les ai questionnés à ce sujet, ils m'ont répondu qu'ils désiraient rester actifs à la compagnie. De son côté, le lieutenant désire que le sapeur Bultey reste à la compagnie, mais du sapeur Gueudry, il ne veut pas, peut-être ont eu des affaires personnelles. Ce fait est regrettable car ce dernier est pompier depuis plus de vingt ans et a sacrifié son temps pour le bien du pays. Je crois qu'un accord est préférable. Pour d'autres renseignements, vous pourriez me convoquer en face le lieutenant. Recevez, Monsieur le préfet, mes sincères salutations.

Le maire, Jules Lefebvre.



Jumièges, le 10 juin 1913,

Cher Monsieur. Comme suite à l'entrevue que nous avons eu ensemble au sujet des sapeurs pompiers de Jumièges, je viens vous informer qu'après plusieurs entrevues avec Monsieur le maire on est arrivé en faisant des concessions à une entente. Comme je serais à Rouen vendredi et je vous informe que je me rendrai à votre bureau afin de nous en entretenir à nouveau si vous pouvez me recevoir. Veuillez agréer, Monsieur le chef de la sous division l'assurance de mon entier dévouement.

E. Lambert.

Et la vie continue


En 1913, Mme Lepel-Cointet, propriétaire de l'abbaye, offre une pompe à bras au corps des sapeurs.

Fête des pompiers à Jumièges le dimanche 23 novembre 1913. Comme le veut la tradition, out commence par un cortège qui se rend au cimetière. Le lieutenant Lambert prononce un discours en hommage aux actifs et honoraires disparus dans l'année. Midi : banquet à la mairie sous la présidence de Lefebvre, maire, encadré par Denise et Pigache, Rouault et Boutard, conseillers d'arrondissement, De Heyn et Vespier de Duclair, l'adjudant Dupré de Barentin. Discours du maire, Denise ponctue son intervention par un toast à Poincaré, Pigache et Lambert ferment la série. Un punch est offet par les membres honoraires puis l'on cède la parole aux chanteurs. Le repas a été préparé par Vauquelin.

Décembre 1918 : Anfry Gueudry reçoit la médaille des braves pour 30 ans de service. Une distinction préfectorale qui lui remet le maire.

4 juin 1919 : incendie des communs au presbytère. Le curé est alors Sosthène Levacher qui, en 1920, s'acquitte d'un loyer de 500F. Celui-ci sera ramené à 200F.

Lambert passe la main


Jumièges, le 24 juin 1921.

Monsieur le ministre,

La subdivision des sapeurs pompiers est commandée depuis 1888 par le sous lieutenant Lambert Eléonor Aimable, né à Jumièges le 31 août 1854.
Par suite de son âge, il désirerait que cette fonction fut maintenant donnée à son fils Lambert Léon Joseph, né à Jumièges le 17 avril 1883, entré en 1902 dans la compagnie comme sous-lieutenant, étant sous-lieutenant dans la réserve de l'armée active et depuis lieutenant d'artillerie.
J'ai l'honneur, Monsieur le ministre, de soumettre à votre agrément la nomination de M. Lambert fils comme commandant de la subdivision avec le titre de lieutenant en raison du grade qu'il a dans l'armée et afin de conserver à la direction de cette société toute la vitalité nécessaire à son bon fonctionnement.
De plus, je solliciterai Monsieur Lambert pour l'honorariat en récompense de ses bons et loyaux services. Veuillez...

Le maire, S. Boutard.

Un décret du président Millerand fut promulgué  le 7 août 1921.

Une fête avec les pompiers

Fête patronales Saint-Pierre
Le Dimanche 28 juin 1925
A 3 heures: revue des pompiers, manœuvre de la pompe, vin d'honneur offert aux Pompiers par la Municipalité.
A 3h. 1/2. Jeux divers.
A 4 heures, Concert sur la Place par la Fanfare de La Mailleraye.
A 6h. Grandes Courses Vélocipédiques.
1° Ouverte à tous les Coureurs. Prix: 20, 15, 10, 8 et 5 fr.
L'inscription des coureurs se fera à la Mairie jusqu'à 5h 1/2.
A 7 h. Distribution des Récompenses à la Marie, sous la présidence de M. le Maire.
A 7 heures. Bal public.
A 10h, Feu d'artifice.
La Fête se tiendra sur les places publiques en face les ruines de l'ancienne et célèbre Abbaye.
Les vendeurs et étalagistes occuperont gratuitement la place qui leur sera assignée.


1925: au Conihout, Euphrasie Havert fête les 100 ans de son café-épicerie. Il avait été fondé en 1825 par M. et Mme Gosse et Euphrasie en fut la servante. A 60 ans, M. Gosse devint veuf. Il épousa Euphrasie alors âgée de 20 ans. Les pompiers fêtent ce centenaire autour d'elle. Chef de corps honoraire, Eléonor Lambert est à ses côtés.

La forêt en feu

Tout le monde en parle ! Le Journal des débats, L'Huma, Le Gaulois. Juillet 1928:  Un incendie s'étant déclaré en forêt deJumièges, dans un plant de sapins appartenant à M. Le Prévost de La Moissonnière, conseiller général, on parvint à éteindre les flammes, mais un vent violent ranima le foyer, et le feu prit, rapidement de grandes proportions.
Les gendarmes, les pompiers et les habitants des localités voisines creusèrent immédiatement des tranchées, afin d'arrêter la marche du fléau. Ils durent, néanmoins, constamment reculer devant le feu, et s'employer énergiquement durant huit heures. A ce moment, vingt-cinq hectares de forêt étaient détruits, et les flammes menaçaient de dévorer plusieurs habitations. Celles-ci purent être ftol, heureusement protégées, grâce à des efforts inouïs. Au cours de leur enquête, les gendarmes ont établi que les auteurs de l'incendie n'étaient autres que deux gamins, qui s'étaient amusés à. faire un feu de bois, dans la forêt. S'étant aperçus un peu tard qu'ils n'étaient plus maîtres du foyer, ils s'étaient enfuis, sans aviser qui que ce soit de leur geste imprudent.


Aux Lambert succèdent les Deuil


Couvreur, résidant au bourg, il était né en 1890 à Gometz-le-Châtel, à 25 km au sud-ouest de Paris. Son épouse, Eugénie Lassagne, était native quant à elle d'Héricy. Les Deuil avaient trois enfants. Paulette et Roger, venus au monde à Saint-Wandrille, enfin Claude, né en 1927 à Jumièges.
En 1933, René Deuil sauve à l'aide d'une corde un homme tombé dans un puits. Deux ans plus tard, le 21 mai 1935, il est nommé chef de corps. Le 6 décembre 36 a lieu la Sainte-Barbe à l'Hôtel des Ruines sous la présidence du maire, Guillaume Quesne, après un dépôt de gerbe au monument aux morts.


Les deux fils Deuil vont rejoindre les rangs. Roger, le 1er avril 1939. Il a 15 ans et demi et deviendra pompier de Paris. Claude Deuil, le 1er avril 1945. La compagnie comptera un sportif, Jean Martine, qui remporte plusieurs courses.

Le 14 juillet 1945, les pompiers participent à une fête . Des slogans réclament le châtiment de Pétain.

En juin 1947, les sapeurs pompiers obtiennent la coupe du challenge de la Seine-Inférieure lors du concours de Tôtes. Deuil et Vatey sont particulièrement remarqués.




Près du café du Passage, en 1952, Maurice Gillouet, Lucien Bultey, René Burgot, Joseph Neveu, Charles Guyot, Henri Barbey, Félix Vatey, Bernard Senard et René Deuil, nommé chef des pompiers depuis 1935. La pompe de défense passive est actionnée par un moteur Simca.

7 Décembre 1954. Le navire charbonnier "Capitaine-Saint-Martin" de l'Union industrielle et maritime  montait à Rouen lorsqu'il a été abordé par tribord arrière à hauteur d'Heurteauville par une péniche anglaise qu'il venait de dépasser. Sous la violence du choc, la péniche "Virtus-IV" chavira sous son étrave. Les occupants de la péniche moururent noyés (père, mère et enfants) le seul rescapé fut le matelot. Les corps furent transportés au local des sapeurs-pompiers de Jumièges.

1954: Claude Deuil est nommé lieutenant et chef des pompiers. Jusqu'à la dissolution du corps qui interviendra le 1er mars 1972. Durant les dernières années, il avait un rôle plus figuratif qu'opérationnel, affichant sa présence pour réhausser les cérémonies officielles. En cas de sinistre, ce sont les pompiers de Duclair ou du Trait qui intervenaient.



Les derniers pompiers de Jumièges : Jean-Claude Deconhiout, Jean-Pierre coquin, Jean-Pierre Guyot, Claude Deuil et Hubert Vézier. (Coll. Hubert Vézier).


SOURCES


Archives départementales, documents numérisés par Jean-Yves et Josiane Marchand, ( cotes 6R26, 4M452, 3M1072, 6R31, 2OP1104/1.)